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COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT
ORDONNANCE DU 04 MAI 2023
N° RG 22/05022 – N° Portalis DBVK-V-B7G-PSB2
CONTESTATION D’HONORAIRES D’AVOCAT
Décision déférée à la cour : Ordonnance du 16 AOUT 2022 du BATONNIER DE L’ORDRE DES AVOCATS DE MONTPELLIER N° 07/5961
Nous, M. Philippe BRUEY, désigné par le Premier Président de la Cour d’appel de Montpellier pour statuer sur les contestations d’honoraires des avocats, assisté de Sophie SPINELLA, greffier,
dans l’affaire entre :
D’UNE PART :
Madame [Y] [B] [V]
[Adresse 5]
[Localité 4]
comparante,
et
D’AUTRE PART :
Maître [E] [T]
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Me Fariza TOUMI, avocat au barreau de MONTPELLIER
SELARL SOCIETE D’AVOCAT [T]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée par Me Fariza TOUMI, avocat au barreau de MONTPELLIER
SELARL M.J ALPES
[Adresse 6]
[Adresse 6]
[Localité 3]
non comparante, ni représentée ( AR signé le 23 décembre 2022)
L’affaire a été appelée à l’audience publique du 02 Mars 2023 à 14 heures.
Après avoir mis l’affaire en délibéré au 04 Mai 2023 la présente ordonnance a été prononcée par mise à disposition au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, signée par M. Philippe BRUEY, et par Mme Sophie SPINELLA, greffier.
***
Le 2 décembre 2020, Madame [Y] [B] [V] a mandaté la SELARL Société d’Avocat [T] afin de défendre ses intérêts dans le cadre d’un litige l’opposant à sa compagnie d’assurance automobile, faisant suite à un accident de la route causé par un automobiliste mineur.
Madame [B] [V] a payé à la SELARL Société d’Avocat [T] la somme de 1500 euros HT soit 1.820 euros TTC d’honoraires.
Par une requête du 21 novembre 2021, Madame [B] [V] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats de Montpellier d’une demande de remboursement partiel des honoraires à hauteur de 1300 euros.
Le bâtonnier a rendu une décision de prorogation le 13 avril 2022, reportant la clôture des débats au 13 juillet 2022.
Selon ordonnance de taxe du 16 août 2022, le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau des Montpellier a :
– taxé et arrêté les honoraires dus à la SELARL Société d’avocat [T] par Madame [Y] [B] [V] à un montant de 1 827,5 euros HT soit 2 193 euros TTC
-constaté que la SELARL Société d’avocat [T] a perçu la somme totale de 1.820 euros,
-fixé la créance de la SELARL Société d’avocat [T] sur Madame [Y] [V] à la somme de 373 euros TTC (310,83 euros HT + 62,17 euros de TVA au taux de 20%),
-ordonné à Madame [Y] [V] de régler à la SELARL Société d’avocat [T] ladite somme de 373 euros.
Cette décision a été notifiée le 29 août 2022 à Madame [Y] [B] [V] et le 30 août 2022 à la SELARL Société d’avocat [T].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 septembre 2022, Madame [B] [V] a formé un recours contre cette ordonnance.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 2 mars 2023 à 14h.
A l’audience, les parties ont développé oralement leurs écritures, auxquelles il est référé pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions.
Madame [B] [V] sollicite l’infirmation de l’ordonnance de taxe du bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Montpellier ; elle demande la restitution de la somme de 1 300 euros et sollicite la condamnation de la SELARL Société d’Avocat [T] à lui payer la somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle accepte de payer uniquement la somme de 520 euros pour l’assistance à l’audience.
La SELARL Société d’Avocat [T] et Maître [T] demandent au premier président de la cour d’appel de Montpellier, sur le fondement de l’article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, de confirmer l’ordonnance de taxe du Bâtonnier dont appel et de :
– dire que les sommes telles que demandées et obtenues par la société d’avocat [T] seront purement et simplement validées, et qu’aucune somme ne saurait être restituée,
– fixer la créance de la Société d’avocat [T] sur Madame [B] [V] à la somme de 373 euros.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le montant des honoraires
Selon l’article 10 de la loi 71-1130 du 31 décembre 1971, les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.
Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés. Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.
Madame [B] [V] sollicite l’infirmation de l’ordonnance et le remboursement de la somme de 1.300 euros déjà versée à Maître [T], considérant que les honoraires réclamés sont disproportionnés au regard du travail fourni par l’avocat.
Madame [B] [V] soutient que :
– elle a payé la somme de 1.820 euros par deux chèques de 1.500 euros (honoraires hors taxes) et 320 euros (TVA), avant toute action entreprise par son avocate ;
– aucune convention ni facture ne lui a été transmise ;
1. Sur son litige contre la compagnie d’assurance automobile ;
elle n’a obtenu aucune information sur le suivi de son dossier de la part de son avocate ;
aucune action n’a été engagée contre son assurance ; Maître [T] s’est contentée de rédiger un courrier ;
l’action contre son assurance est désormais prescrite à cause de l’inertie de la SELARL Société d’avocat [T] et elle a ainsi perdu la chance de faire valoir ses droits ;
2. Sur la procédure sur intérêts civils ;
elle a refusé l’assistance de Maître [T] dans la constitution de partie civile devant le Tribunal pour enfants de Montpellier, ni pour la somme de 1.000 euros ni pour celle de 600 euros ;
elle s’est constituée partie civile seule et a monté son dossier sans l’aide d’un avocat ;
elle a reçu un appel de Maître [T] qui l’informait de la date de l’audience, et qu’elle la défendrait gratuitement devant la juridiction pénale ;
elle a communiqué le dossier qu’elle avait elle-même constitué à Maître [T] ;
au jour de l’audience, c’est un collaborateur de la Société d’avocat [T] qui a assisté Madame [B] [V], qui d’une part ne connaissait que partiellement le dossier, et d’autre part n’a produit que le dossier que Madame [B] [V] avait transmis à Maître [T].
Il sera rappelé au préalable qu’il n’appartient pas au Premier Président de la Cour d’appel ou son délégataire, saisi en matière de taxation des honoraires, de connaître du problème de la responsabilité de l’avocat (au sujet d’une éventuelle faute commise par lui), mais d’apprécier le montant de ses honoraires au regard de la convention conclue ou des critères posés par l’article 10 précité.
En l’espèce, aucune convention d’honoraires n’a été signée entre la SELARL Société d’Avocat [T] et sa cliente. Cette circonstance, pour regrettable qu’elle soit, n’est pas nature à priver l’avocate de rémunération, mais celle-ci doit alors être fixée par référence aux critères énoncés à l’article 10 al 4 de la loi du 31 décembre 1971, selon les usages, en fonction de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences qu’il a accomplies.
Madame [B] [V] a confié la défense de ses intérêts à la SELARL Société d’Avocat [T] dans le cadre de deux instances :
– La première de nature civile, à l’encontre de la compagnie d’assurances au sujet de l’indemnisation au titre de la privation de la jouissance de son véhicule ;
-La seconde concernant l’action pénale devant le tribunal pour enfants à l’encontre du mineur à l’origine de l’accident.
Concernant cette dernière action, Madame [B] [V] ne rapporte pas la preuve de ce que la SELARL Société d’Avocat [T] aurait accepté de travailler « gratuitement » pour elle devant le tribunal pour enfants. La thèse selon laquelle elle aurait été mise « devant le fait accompli » par le cabinet d’avocats ne peut convaincre d’autant que plusieurs mois se sont passés entre le premier rendez-vous chez l’avocat (soit le 2 décembre 2020) et les audiences devant le tribunal pour enfants (juin et septembre 2021), période qu’elle aurait pu mettre à profit pour mettre fin à sa mission devant la juridiction des mineurs.
Concernant les démarches envers la compagnie d’assurance, la SELARL Société d’Avocat [T] produit deux courriers qu’elle a rédigés et envoyés pour le compte de Madame [B] [V]. Les parties s’accordent pour reconnaître que c’est lorsque Maître [T] a réclamé une provision complémentaire pour rédiger le projet d’assignation que Madame [B] [V] a refusé, la cliente indiquant que les 1 820 euros qu’elle avait réglés correspondaient au paiement de la « totalité de l’affaire ». Aucun des écrits produits ne peuvent cependant corroborer cette affirmation.
Concernant les « diligences », la SELARL Société d’Avocat [T] a facturé à sa cliente au total 10 heures de travail correspondant au temps passé, selon elle, aux entretiens avec la cliente (entretiens des 2 décembre 2020 et 14 juin 2021), à l’étude des pièces et recherches juridiques, à la rédaction de jeux de conclusions et l’établissement du bordereau de pièces, à la préparation de notes de plaidoirie, à la plaidoirie aux audiences (audiences des 16 juin et 29 septembre 2021), à l’étude des conclusions adverses, à l’examen des courriers, ainsi qu’à l’élaboration d’une facture (facture récapitulative n°21.11.266-1).
En conséquence, la SELARL Société d’Avocat [T] établit son temps de travail à 515 minutes, qu’elle facture à la somme de 4,20 euros TTC la minute (taux horaire de 252 euros TTC / heure), soit un total de 2.163 euros TTC. En outre, s’ajoute un forfait de 30 euros d’ouverture de dossier, portant la somme totale des honoraires dus, à 2.193 euros TTC.
L’ordonnance critiquée constate que Maître [T] a réalisé « toutes les diligences nécessaires en faveur de sa cliente puisqu’elle a rédigé tous les actes utiles jusqu’à son dessaisissement en vertu du mandat qui lui a été donné ».
Mais, le taux horaire facturé par l’avocat, à savoir 210 euros HT soit 252 euros TTC, apparaît excessif au regard de l’absence de complexité du dossier, s’agissant d’un dossier de partie civile devant le tribunal pour enfants.
Il convient d’insister sur le fait qu’aucun projet d’assignation n’a été rédigé par le cabinet d’avocat à l’encontre des compagnies d’assurance automobile, alors que Maître [T] ne conteste pas que la procédure à l’encontre de l’assureur était l’objectif initial de sa cliente (seul des courriers amiables ont été adressés aux assureurs).
Au regard des pratiques du barreau de Montpellier, de l’expérience de l’avocat et de la faible complexité du dossier, il convient de retenir un taux horaire de 160 euros HT, soit 192 euros TTC.
Concernant le temps passé, les éléments versés aux débats permettent de vérifier la réalité des diligences que sont l’étude et l’impression des pièces du dossier (25 minutes), la rédaction de conclusions (145 minutes) et du bordereau de pièces (20 minutes), et l’étude des conclusions adverses (20 minutes). Les deux courriers de fond dont Maître [T] invoque la rédaction (35 minutes) sont également produits. Le temps facturé ne paraît pas excessif.
S’agissant des deux audiences du 16/06/2021 et du 29/09/2021, Madame [B] [V] reconnaît avoir été assistée par Maître [Z] [O] (élément vérifié par les deux jugements en chambre du conseil du tribunal pour enfants de Montpellier, pièces 9 et 11 intimé), qui substituait Maître [T] ; à ce titre la rémunération est justifiée (85 minutes), ainsi que la préparation du dossier de plaidoirie (15 minutes).
La facture récapitulative n°21.11.266-1 du 01/11/2021 a été établie avant que Madame [B] [V] sollicite du bâtonnier le remboursement de ses honoraires, ainsi elle fait entièrement partie des diligences réalisées par l’avocate et le temps établi pour sa rédaction n’est pas déraisonnable (25 minutes).
Néanmoins, la SELARL Société d’Avocat [T] fait valoir l’échange de courriers, fax et mails envoyés et reçus par son cabinet au nombre de treize, dont elle estime le temps passé à 100 minutes. Or, elle ne fournit pas l’intégralité des courriers qu’elle invoque ; le seul mail versé au débat provient de Madame [B] [V] et a été adressé au cabinet [T] le 29 janvier 2020 (pièce 12 intimé), mail dans lequel elle fait parvenir à l’avocate des pièces et lui demande une convention d’honoraires ainsi que la copie de la procédure. Aucun mail de réponse n’est produit, ni les mails de Maître [F] [J] du 14/09/2021 dont Maître [T] sollicite la facturation ; ainsi, Maître [T] ne justifie pas d’échanges continus dans le traitement du dossier de Madame [B] [V]. Le temps passé à l’échange de courriers, fax et mails sera par conséquent ramené à 5 minutes.
Les frais d’ouverture du dossier de 30 € facturés seront écartés comme n’étant pas justifiés.
En conséquence, le temps total passé par la SELARL Société d’Avocat [T] sur les deux contentieux confiés par Madame [B] [V] peut être établit à 420 minutes, soit 7 heures.
Au taux horaire de 192 euros TTC, cela fait ressortir des honoraires s’élevant à 7 * 192 euros, soit 1 344 euros TTC.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il y a lieu de réformer l’ordonnance entreprise.
Madame [B] [V] ayant déjà versé une provision de 1 820 euros TTC, la SELARL Société d’Avocat [T] devra rembourser le trop perçu, soit la somme de 476 euros.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
Chaque partie devra supporter les dépens dont elle a fait l’avance.
Aucune considération tirée de l’équité ou de la situation économique des parties ne justifie qu’il soit accordé une indemnité au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
Nous, magistrat délégué par le Premier Président, statuant publiquement et par réputé contradictoire,
Infirmons l’ordonnance du 16 août 2022 rendue par le bâtonnier de l’ordre des avocats de Montpellier,
Statuant à nouveau,
Fixons les honoraires dus à la SELARL Société d’Avocat [T] à la somme de 1 344 euros TTC ;
Compte tenu de la provision encaissée (1 820 euros TTC), ordonnons à la SELARL Société d’Avocat [T] de rembourser à Madame [Y] [B] [V] la somme de 476 euros TTC ;
Disons que chaque partie conservera la charge des dépens qu’elle a avancés ;
Disons n’y avoir lieu à indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,