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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRÊT DU 30 MAI 2023
(n° , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/09165 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CCAZJ
Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 Juin 2020 -Tribunal Judiciaire de PARIS – RG n° 18/10253
APPELANTE :
SAS (anciennement SARL) POE MA INSURANCES en la personne de son représentant légal domicilié audit siège [Adresse 4]
Ayant pour avocat postulant Me Charles MOUTTET, avocat au barreau de PARIS, toque : R242
Ayant pour avocat plaidant Me Etienne ROSENTHAL, avocat au barreau de NANTES
INTIMES :
Maitre [C] [W]
[Adresse 2]
[Localité 6] (GUADELOUPE)
Représenté par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450 substitué par Me Charlotte POIVRE de SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
Maitre [X] [P]
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représenté par Me Philippe-Gildas BERNARD de l’AARPI NGO JUNG & PARTNERS, avocat au barreau de PARIS, toque : R013
S.E.L.A.R.L. [W] ET CESAR
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représenté par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450 substitué par Me Charlotte POIVRE de SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
S.A. ALLIANZ IARD
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représenté par Me Marcel PORCHER de la SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : G0450 substitué par Me Charlotte POIVRE de SELAS PORCHER & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 21 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre chargée du rapport et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 30 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
Par acte du 28 décembre 2004, la SNC Aulne Karukera Elorn donnait en location à la société Sea and Sail un catamaran, lequel a fait naufrage lors d’une traversée entre [Localité 8] et [Localité 10] dans la nuit du 19 au 20 février 2005.
Un contentieux s’étant élevé quant à la garantie du sinistre, les sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail assignaient devant le tribunal mixte de commerce de Pointe-à-Pitre (Guadeloupe) la SARL Poe Ma Insurances (la société Poe Ma), courtier en assurance, à son siège social de Fort de France (Martinique), la société Philip Knight and Co France, autre courtier, et la société d’assurance Centennial Insurance dont le siège social était au Costa-Rica à l’effet de les voir solidairement condamnées à payer à la société Aulne Karukera Elorn la somme de 235 000 euros correspondant à la valeur assurée du navire, déduction faite de la franchise.
Par jugement réputé contradictoire du 11 avril 2008, le tribunal rejetait les demandes présentées à l’encontre de la société Philip Knight and Co France mais condamnait la compagnie Centennial Insurance à garantir le sinistre et déclarait sans objet la demande subsidiairement formulée à l’encontre de la société Poe Ma sur le fondement de sa responsabilité pour manquement à son obligation de conseil .
Par jugement réputé contradictoire du 2 mars 2012, le même tribunal, saisi par les mêmes sociétés de la même demande à l’encontre de la société Poe Ma sise à [Localité 9] à la Réunion, celle-ci étant alors représentée par M. [L] avocat postulant et M. [P] avocat plaidant, les en déboutait aux motifs que cette société de courtage n’était pas celle concernée par le litige.
Le même tribunal, par une troisième décision, rendue le 6 juillet 2012, dans l’instance intentée par les mêmes sociétés, sur le même fondement, à l’encontre de la société Poe Ma, assignée le 11 avril 2012 à son siège social parisien et non comparante, prononçait un nouveau rejet des demandes, au motif qu’il n’était pas démontré que la société défenderesse était le courtier intervenu entre la société Sea and Sail et la compagnie Centennial Insurance ni que cette dernière société d’assurance n’était pas agréée pour délivrer des produits d’assurance sur le territoire français.
Les sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail interjetaient appel de ce jugement devant la cour d’appel de Basse-Terre.
La société Poe Ma était représentée devant la cour d’appel par M. [C] [W], avocat postulant du barreau de Guadeloupe et M. [X] [P] du barreau de Polynésie, avocat plaidant.
Par ordonnance du 23 septembre 2013, le conseiller de la mise en état déclarait irrecevables les conclusions d’intimée de la société Poe Ma.
Par arrêt du 30 juin 2014, la cour d’appel de Basse-Terre infirmait le jugement du 6 juillet 2012 et condamnait la société Poe Ma à payer à la société Aulne Karukera Elorn la somme principale de 235 000 euros. Elle considérait notamment que :
– l’identité entre la société ayant établi les propositions d’assurance à la locataire du navire et reçu la déclaration de sinistre et la société assignée était établie,
– la demande ne se heurtait à aucune autorité de la chose jugée,
– la société Poe Ma, courtier en assurances, en proposant à la société Sea and Sail de conclure avec une société d’assurance n’étant pas habilitée à intervenir sur le territoire français, a manqué à son devoir de conseil et placé la société locataire du bateau et la société propriétaire dans une situation de non-assurance et commis une faute en relation directe avec le préjudice subi par le propriétaire du bateau, lequel avait perdu toute chance de voir ce préjudice indemnisé.
Le pourvoi formé à l’encontre de cette décision faisait l’objet le 28 septembre 2017 d’un rejet non spécialement motivé.
C’est dans ces circonstances que la SARL Poe Ma faisait assigner par actes des 4, 16 et 28 août 2018 la SELARL [W] et César, M. [C] [W], M. [X] [P] et la SA Allianz Iard, assureur de responsabilité civile professionnelle des deux barreaux de la Guadeloupe et de la Polynésie française, en responsabilité civile professionnelle.
Par jugement du 3 juin 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
– déclaré les demandes de la société Poe Ma recevables,
– condamné in solidum la société [W] et César, M. [W], M. [P] et la société Allianz Iard à lui verser la somme de 4 929 euros avec intérêts au taux légal à compter du jugement et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
– condamné in solidum la société [W] et César, M. [W], M. [P] et la société Allianz Iard aux dépens,
– condamné in solidum la société [W] et César, M. [W], M. [P] et la société Allianz Iard à verser à la société Poe Ma la somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire,
– débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Par déclaration du 10 juillet 2020, la société Poe Ma a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 16 février 2023, la SAS (anciennement SARL) Poe Ma Insurances demande à la cour de :
– confirmer la recevabilité de son action en ce qu’elle justifie de sa qualité et de son intérêt à agir,
– débouter la société [W] et César, M. [W], M. [P] et la société Allianz Iard de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
– juger que M. [P], la société [W] et César et M. [W] ont par leurs carences et fautes respectives engagé leur responsabilité civile professionnelle d’avocat à l’égard de leur client commun, en ce qu’ils n’ont assuré aucune défense qui lui aurait notamment permis de ne pas avoir à supporter la charge des condamnations prononcées à son encontre,
– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a condamné in solidum M. [P], la société [W] et César et M. [W] ainsi que la société Allianz Iard à lui payer la somme de 4 929 euros correspondant aux honoraires d’avocats payés à M. [P] et à la société [W] et César entre l’année 2010 et l’année 2014, ainsi que la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et les dépens,
et statuant à nouveau,
– réformer le jugement entrepris en ce qu’elle rapporte la preuve de la perte d’une chance de ne pas avoir à supporter les condamnations prononcées à son encontre par l’arrêt rendu par la cour d’appel de Basse Terre le 30 juin 2014 en obtenant une décision favorable,
– réformer le jugement entrepris sur le préjudice subi en condamnant in solidum M. [P], la société [W] et César et M. [W] ainsi que la société Allianz Iard en qualité d’assureur de ces deux avocats à lui payer les sommes suivantes :
– 261 371,40 euros en principal correspondant à l’indemnisation qu’elle a payée du fait de l’absence de diligence des avocats,
– 8 000 euros en principal correspondant aux frais de défense adverse mis à sa charge du fait de l’absence de diligence des avocats,
– réformer le jugement en ce que l’équité commande d’assortir toutes les condamnations des intérêts au taux légal depuis la mise en demeure adressée à la société Allianz Iard le 5 juin 2018, outre capitalisation des intérêts,
– condamner in solidum M. [P], la société [W] et César et M. [W] ainsi que la société Allianz Iard à lui payer la somme de 15 000 euros au titre de ses frais irrépétibles en appel, outre les entiers dépens dont distraction au profit de M. Mettait, avocat.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 6 février 2023, M. [X] [P] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en ce qu’il a retenu sa responsabilité à l’égard de la société Poe Ma,
– infirmer le jugement en ce qu’il l’a condamné in solidum à verser à la société Poe Ma la somme de 4 929 euros,
– confirmer le jugement pour le surplus,
statuant à nouveau,
– juger qu’il n’a commis aucune faute à l’égard de la société Poe Ma,
– juger que la société Poe Ma ne justifie d’aucun préjudice en lien causal avec les manquements allégués à son encontre,
en conséquence,
– débouter la société Poe Ma de l’ensemble de ses demandes à son encontre,
– condamner la société Poe Ma à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Poe Ma aux entiers dépens.
Dans leurs dernières conclusions, notifiées et déposées le 1er avril 2021, la SELARL [W] et César, M. [C] [W] et la SA Allianz Iard en qualité d’assureur de ces derniers demandent à la cour de :
– constater que M. [W] et la société [W] et César ont été saisis après la clôture des débats devant le tribunal, dire et juger que devant la cour ils n’étaient pas maîtres du dossier dont ils n’avaient été mis en connaissance ni du fond ni des pièces et qu’il ne saurait leur être imputé en faute de ne pas avoir apprêté (sic) une argumentation,
– dire et juger qu’ils n’étaient pas en mesure de diligenter devant le tribunal un appel en garantie contre le courtier grossiste alors que cet appel en garantie était ensuite irrecevable en niveau de cour,
– leur décerner acte qu’ils ne contestent pas qu’ils étaient constitués devant la cour mais que les conclusions d’intimée ont été signifiées tardivement,
pour autant,
– dire et juger que la faute reprochée par ses clients au courtier Poe Ma était incontestable, voire d’une particulière gravité et que ses chances d’éviter d’être reconnue seule et entière responsable de l’impossibilité pour l’assuré d’obtenir l’exécution du jugement de condamnation par l’assureur Centennial n’étaient pas ‘minimes’ mais totalement inexistantes,
– dire et juger que la présence d’un courtier grossiste et souscripteur, donc d’un mandataire du seul assureur, ne pouvait être de nature à l’exonérer de sa responsabilité envers ses clients,
– dire et juger que le courtier grossiste ne pouvait être recherché en garantie, faute pour lui d’être responsable d’une quelconque faute à l’égard de la société Poe Ma,
– dire et juger qu’en tout état de cause cet appel en garantie eut été inutile puisque inefficient, le courtier grossiste étant en liquidation depuis 2008, soit très antérieurement à la mise en cause de la société Poe Ma,
– dire et juger qu’ils ne sauraient être tenus à rembourser les honoraires, a fortiori sous forme de dommages et intérêts et les recevant en leur appel incident, mettre à néant la condamnation prononcée en ce sens par le premier juge,
– en tout état de cause dire si tant est qu’ils aient commis une faute, que cette faute n’a été génératrice d’aucun préjudice,
– dire la demande infondée et entrer en voie de débouté, prononcer la confirmation du jugement sauf en ce que le remboursement des honoraires a été ordonné,
– condamner l’appelante à payer à chacun des concluants une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner l’appelante en tous les dépens d’instance et d’appel dont distraction au profit de la SELAS Porcher et associés.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 7 mars 2023.
SUR CE,
Sur la responsabilité de l’avocat
La responsabilité du professionnel du droit est une responsabilité de droit commun qui suppose la preuve d’une faute, d’un dommage et d’un lien de causalité entre l’une et l’autre. Il en résulte, notamment, que le préjudice invoqué doit être certain, qu’il s’agisse du préjudice entier ou d’une perte de chance.
– sur la faute
Le tribunal a considéré que :
– les griefs reprochés aux deux avocats concernent la troisième procédure intentée devant le tribunal de Point-à-Pitre et l’instance d’appel,
– M. [P], mandaté pour défendre les intérêts de la société Poe Ma par courriel du 18 avril 2012, a commis un manquement de diligence pour n’avoir pas représenté la société devant le tribunal à l’audience du 1er juin 2012,
– les deux avocats ont manqué à leur obligation de diligence en appel, M. [W] n’ayant pas déposé à la cour, dans le délai prévu à l’article 909 du code de procédure civile, les conclusions de l’intimée communiquées par M. [P],
– aucune faute ne peut leur être reprochée pour ne pas avoir présenté de requête en déféré alors que l’avocat postulant a reconnu avoir transmis tardivement les conclusions à la cour,
– aucun grief ne peut être retenu au titre de l’absence de vérification de la signification des jugements rendus par le tribunal de Point-à-Pitre et d’introduction d’un incident d’irrecevabilité de l’appel en raison du caractère non avenu du dernier jugement, la société Poe Ma ne pouvant invoquer leur caractère non avenu puisque ces jugements ne lui faisaient pas grief.
La société Poe Ma soutient que les deux avocats ont manqué à leur obligation de diligence, en ce que :
– M. [P], son avocat habituel, a été chargé de la défense de ses intérêts dès l’origine de la procédure,
– les deux avocats n’ont pas réalisé les actes et formalités nécessaires à la régularité des procédures,
– le concours d’un autre professionnel du droit n’est pas de nature à exonérer l’avocat de ses obligations et de sa responsabilité à l’égard du client, qu’il intervienne en qualité d’avocat postulant ou de maître du litige,
– dans la seconde procédure, M. [P] n’a pas conclu au fond et a omis de s’assurer que son postulant (M. [L]) procédait aux appels en garantie demandés, sans pouvoir s’exonérer en prétendant que l’absence de diligences de M. [L] serait liée au non paiment de sa facture de postulation alors qu’elle-même avait sollicité l’envoi de cette facture et du RIB du postulant et l’avait relancé en vain pour obtenir une réponse à sa demande de correction du libellé de la facture,
– le projet de conclusions récapitulatives et d’appel en garantie produit seulement en cause d’appel ne lui a jamais été communiqué en 2011,
– lorsqu’il a été informé le 18 avril 2012 de la date d’audience à venir du 1er juin 2012 relative à la troisième procédure, M. [P] n’a pas réclamé l’assignation à l’étude d’huissier de justice malgré sa demande, n’a pas indiqué au tribunal mixte de commerce qu’il intervenait en son nom comme il aurait pu le faire sans postulant, la procédure étant orale, et a attendu le 11 juin 2012 pour réclamer des pièces au conseil de la partie adverse, le 21 juin suivant pour saisir un nouveau postulant et le 4 juillet 2012 pour adresser une note en délibéré à son postulant destinée au tribunal,
– la société [W] et César n’a rien entrepris en cours de délibéré,
– elle n’a, en conséquence, pas été représentée devant le tribunal mixte de commerce de Pointe à Pitre et n’a pu faire valoir ses arguments qui auraient pu être valablement renouvelés en appel,
– M. [W] a transmis le 23 avril 2013 à M. [P] les conclusions des sociétés appelantes notifiées le 6 février précédent, lequel lui a transmis des conclusions ‘ à remanier’ le 30 avril suivant sans produire aucune pièce et a indiqué à sa cliente qu’il avait jusqu’au 6 mai suivant pour adresser ses écritures à la cour, en même temps qu’il lui adressait sa facture d’honoraires, alors que le délai de deux mois prévu par l’article 909 du code de procédure civile dans sa version en vigueur à l’époque pour répondre était déjà expiré,
– M. [W] n’a pas informé M. [P] de l’ordonnance d’irrecevabilité du conseiller de la mise en état du 23 septembre 2013, laquelle est devenue irrévocable, faute d’avoir été déférée à la cour et ne lui a jamais été communiquée ce qui l’a privé de la voie du déféré, et il n’a plus jamais donné de nouvelles de l’affaire, M. [P] ne l’ayant jamais relancé,
– M. [P] n’a conclu au fond ni dans la deuxième procédure en 2010 ni lors de la troisième procédure devant le tribunal, ni devant la cour d’appel de Basse Terre et n’a établi aucun projet d’assignation en garantie et en intervention forcée ; il n’a donc assuré aucune défense nécessaire et efficace et n’a même pas produit de pièces pour ces trois procédures alors qu’il avait toutes les pièces en main,
– les deux avocats ont manqué à leur obligation de diligence et l’ont privé de toute défense et action en garantie.
M. [P] réplique qu’il n’a commis aucun défaut de diligence, en ce que :
– il a rédigé et adressé par courriel puis fax du 21 novembre 2011 des conclusions récapitulatives et d’appel en cause à M. [L] son postulant, lequel en a accusé réception mais ne s’est pas exécuté, en l’absence de règlement de ses honoraires par la société Poe Ma,
– la société Poe Ma lui a transmis le 10 juin 2012 une assignation pour une audience qui était fixée le 1er juin précédent et ne rapporte pas la preuve inverse, son courriel du 18 avril 2012 ne mentionnant pas la date de l’audience,
– il ne lui appartenait pas de prendre attache avec l’huissier instrumentaire pour obtenir copie de l’assignation, mais à la société Poe Ma de le faire,
– dès la réception de la copie de l’assignation, il s’est rapproché du conseil des demanderesses, sans succès, a mandaté M. [W] pour qu’il fasse le nécessaire pour se constituer, ce dernier acceptant cette postulation et a sollicité le 4 juillet 2012 du tribunal le rabat de l’ordonnance de clôture,
– les griefs au titre de l’irrecevabilité des conclusions devant la cour d’appel de Basse-Terre et d’absence de requête en déféré de l’ordonnance d’irrecevabilité du conseiller de la mise en état ne peuvent être formulés qu’à l’encontre de la société [W] et César, qui ne conteste pas avoir reçu à temps les conclusions transmises par lui le 30 avril 2013,
– M. [W] a reconnu ne pas avoir transmis les conclusions dans le temps imparti par la loi, alors que lui-même justifie de diligences dans le périmètre de la saisine,
– il a adressé ses conclusions à la société Poe Ma qui avait la possibilité de lui demander de modifier ou compléter son argumentation, dans ses écritures ou ultérieurement, s’agissant de l’appel en cause des sociétés Philip & Co et Centennial qu’il lui reproche de ne pas avoir assignées en garantie.
La société [W] et César, M. [W] et la société Allianz Iard répliquent que :
– M. [W] ne conteste pas la signification tardive des conclusions d’intimé devant la cour en raison d’un dysfonctionnement du réseau privé virtuel des avocats,
– il n’était pas maître du dossier et de l’argumentation et ayant été saisi quand l’affaire était déjà en délibéré, il ne pouvait engager des appels en garantie contre la société Philip Knight and Co, alors qu’il en ignorait l’utilité et que ceux-ci auraient été irrecevables pour la première fois en appel,
– il ne peut être accusé de ne pas avoir mené le débat sur le terrain de la perte de chance alors qu’il n’était pas maître du dossier et ne détenait aucune pièce.
Le mandat de représentation en justice emporte, sauf convention contraire, mission d’assistance, l’avocat chargé de cette mission ayant à la fois pouvoir et devoir de conseiller son mandant et d’accomplir les actes de procédure nécessaires.
> s’agissant de la deuxième procédure introduite par assignation du 30 avril 2010
Il apparaît, au vu de ses pièces n° 13 et 32, que M. [P] a adressé à son postulant M. [L], par télécopie du 21 novembre 2011 comportant 8 pages, ses conclusions au fond et d’appel en cause en complément de sa lettre datée du 18 novembre précédent lui demandant de les déposer au greffe, d’assigner ses deux assureurs en responsabilité civile et de solliciter un renvoi courant 2012 pour y procéder et qu’il lui a adressé un rappel par télécopie le 2 décembre suivant.
M. [P] n’établit aucunement que l’avocat postulant ne s’est pas exécuté en raison d’un défaut de paiement par la société Poe Ma de sa facture d’honoraires, celle-ci démontrant au surplus avoir sollicité en vain la rectification du libellé de la facture adressée à la Réunion à M. [L] depuis plus d’un an.
M. [P], maître du litige, reste tenu vis à vis de son client de l’exécution du dépôt de ses conclusions et de l’appel en cause des assureurs sans pouvoir s’exonérer de son manquement de diligence à ce titre du fait des propres manquements de son postulant.
> s’agissant de la troisième procédure introduite par assignation du 11 avril 2012,
Il ressort de la pièce n° 32 produite par la société Poe Ma comportant sur la même page son courriel du 18 avril 2012 et un message transferé du 2 avril précédent que le 18 avril 2012, elle a transmis à M. [P] l’avis de dépôt d’acte d’huissier adressé à son adresse parisienne à laquelle aucune présence physique n’était assurée, en lui demandant expressément de ‘se saisir de cette assignation’ afin de poursuivre la défense de ses intérêts. Il ne peut pas être déduit de cette pièce que dès cette date, l’avocat a eu connaissance de la date d’audience alors que ni l’intitulé du courriel du 18 avril 2012 ni l’avis d’huissier seul transmis n’en font état et que la mention d’une assignation pour l’audience du 1er juin 2012 située, dans le même document, à la suite d’un courriel du 2 avril précédent transféré par la société Poe Ma à son avocat ne peut s’y rattacher puisque l’assignation est postérieure à la date du message transféré.
M. [P] a manqué de diligence non seulement en ne sollicitant pas l’assignation comme sa cliente le lui avait expressément demandé pour connaître la date de la première audience et s’assurer de sa représentation à cette date ou à défaut, s’il avait des difficultés à trouver un postulant, indiquer au tribunal mixte de commerce de Point-à-Pitre puisque la procédure est orale, qu’il intervenait et sollicitait les pièces de ses adversaires afin d’obtenir un renvoi, mais aussi en attendant le 11 juin 2012 pour réclamer des pièces au conseil de la partie adverse, le 21 juin suivant pour saisir un postulant, le 4 juillet 2012 pour rédiger une note en délibéré au tribunal afin de solliciter la réouverture des débats et ce, alors que celui-ci devait rendre son jugement le surlendemain et le 6 novembre de la même année pour solliciter une copie du jugement.
La société [W] a été saisie par M. [P] le 21 juin 2012 et a accepté dès le 25 juin suivant d’être son postulant, ce dont elle l’a averti par télécopie du 26 suivant en lui indiquant prendre attache avec le tribunal le jour même et revenir vers elle au plus tôt sans justifier de ses diligences à ce titre ni transmettre la note en délibéré reçue le 5 juillet 2012 au tribunal, celui-ci ayant rendu son jugement le lendemain. Elle a ainsi manqué à son obligation de diligence.
> s’agissant de l’appel devant la cour d’appel de Basse-Terre
M. [P] a reçu le 15 janvier 2013 mandat de la société Poe Ma de la représenter en appel en même temps qu’elle lui a adressé la déclaration d’appel des sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail. Il a transmis cette déclaration d’appel le même jour à son postulant et la société [W] a été payée de sa facture d’honoraires de postulation devant la cour d’appel de Basse-Terre dès le 23 février suivant.
M. [W] a adressé le 23 avril 2013 à M. [P] les conclusions notifiées par les sociétés appelantes le 6 février précédent alors qu’en vertu de l’article 909 du code de procédure civile dans sa version applicable de 2010 à 2017, l’intimé avait un délai de deux mois à compter de la notification des conclusions de l’appelant pour conclure, lequel était déjà expiré lorsque l’avocat postulant les a transmises à l’avocat plaidant et lorsque celui-ci a adressé ses conclusions en réponse sans y joindre aucune pièce tant à son postulant en lui demandant de les mettre en forme, qu’à sa cliente pour observations en lui indiquant de manière erronée que le délai pour conclure expirait le 6 mai suivant.
M. [W] ne conteste pas la tardiveté de la notification des conclusions d’intimée et invoque inutilement un dysfonctionnement du réseau privé virtuel des avocats dont il ne justifie d’ailleurs aucunement, puisque le délai pour conclure était déjà expiré lorsqu’il a transmis les conclusions des appelantes à M. [P].
Tant M. [W] que M. [P] ont manqué à leur obligation de diligence en appel, l’avocat postulant en n’adressant pas au dominus litis les conclusions des appelantes dès leur notification du 6 février 2013 afin de lui permettre d’y répondre dans le délai de deux mois à compter de cette notification et l’avocat plaidant en sa qualité de mandataire de sa cliente et maître du litige sans que le concours de l’un soit de nature à exonérer l’autre de ses obligations et de sa responsabilité vis à vis de la société Poe Ma.
Le 23 septembre 2013, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions de la société Poe Ma sans que M. [W] n’en informe son dominus litis, s’abstenant par la suite de répondre aux lettres de M. [P] des 30 octobre 2013 et 4 avril 2014 l’interrogeant sur l’évolution de la procédure.
M. [W] a encore manqué à son devoir d’information et empêché la société Poe Ma de déférer cette ordonnance à la cour.
Ainsi, la société Poe Ma reproche à bon droit aux deux avocats de l’avoir, par leurs fautes respectives, privée de toute défense au fond tant en première instance qu’en appel, lors de la troisième procédure intentée à son encontre.
– sur le lien de causalité et le préjudice
Le tribunal a estimé que :
– la société Poe Ma ne justifie d’aucune perte de chance d’obtenir une décision favorable en ce que :
– aucune autorité de la chose jugée attachée au jugement du 11 avril 2008 ne pouvait être alléguée à son profit pour voir déclarer irrecevable la demande formée à son encontre,
– en sa qualité de courtier tenu de promouvoir l’efficacité du contrat dont elle a favorisé la conclusion, elle a commis un manquement à son obligation de vigilance et de conseil à l’égard de sa cliente en ne vérifiant pas l’identité exacte de l’assureur proposant les garanties , les conditions générales de la police qu’elle a transmises ne mentionnant pas cette information,
– la mise en cause de la société Philip Knight and Co n’aurait pas empêché la recherche de sa propre responsabilité en qualité de cocontractant de la société Sea and Sail,
– elle est en revanche fondée à réclamer des dommages et intérêts correspondant au montant des honoraires versés en pure perte, cette demande étant étrangère à la taxation des honoraires de la compétence du bâtonnier.
La société Poe Ma soutient que :
– elle n’a été chargée par la société Sea et Sail que d’étudier une couverture d’assurance le 17 novembre 2004 sans indication de prise de garantie et, n’agissant qu’en qualité de courtier intermédiaire, elle a mandaté la société Philip Knight and Co, courtier souscripteur, pour y répondre, laquelle a transmis une proposition Yachtbox le 10 décembre suivant qu’elle a répercutée dans les mêmes termes à la société Sea and Sail qui l’a retournée dix jours après, avec un ‘ bon pour accord de principe’,
– à la date du sinistre, elle n’avait aucune raison de suspecter un changement de l’assureur adossé à sa police Yachtbox de la part de la société Philip Knight and Co au titre des conditions générales de cette police qui ne mentionnaient pas la société Centennial,
– la faute de vigilance, qui lui est seule éventuellement imputable, n’est pas en lien de causalité directe avec le dommage de l’assuré à l’inverse de la faute de souscription imputable à la société Philip Knight and Co car son choix de l’assureur s’est porté sur une société non agréée en Europe et insolvable ce qui a eu pour conséquence que la perte du navire n’a pu être indemnisée,
– M. [P] aurait dû contester la demande de condamnation formée à son encontre en paiement de l’indemnisation que les sociétés requérantes avaient déjà intégralement obtenue à l’encontre de la société d’assurance Centennial, soit pour violation du principe de réparation intégrale soit au motif que la réparation susceptible d’être mise à charge ne pouvait atteindre le montant de l’indemnisation mise à la charge de cette société, argumentation qui aurait conduit la cour d’appel à les débouter de leurs demandes, faute d’être motivées par une perte de chance,
– si ces arguments avaient été développés par M. [P] dans le cadre de l’assignation en garantie et en intervention forcée qu’il considérait comme impérative dans la seconde procédure intentée devant le tribunal mixte de commerce, elle n’aurait pas été condamnée ou dans des proportions moindres et aurait été garantie par la société Philip Knight et Co, courtier principal, ou par son assureur de responsabilité civile professionnelle,
– son préjudice est en lien de causalité certain et direct avec les défauts de diligence des deux avocats, qui l’ont privée d’une probabilité raisonnable de voir la société Philip Knight et Co et son propre assureur de responsabilité civile condamnés en garantie et de voir les sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail déboutées de leurs demandes tendant à se voir accorder les mêmes sommes que celles qu’elles avaient obtenues contre la société Centennial en 2008,
– son préjudice résulte de la perte de chance sérieuse de ne pas payer les indemnisations mises à sa charge par l’arrêt de la cour d’appel de Basse Terre du 30 juin 2014 et dans le paiement de frais et honoraires réglés en pure perte.
M. [P] réplique que :
– les manquements reprochés au titre des procédures devant le tribunal mixte de commerce sont sans lien causal avec les préjudices allégués par la société Poe Ma puisque les sociétés requérantes ont été déboutées de leur demande à son encontre,
– la privation d’une potentialité raisonnable n’est pas suffisante pour caractériser une perte de chance,
– il n’existait aucune chance que la cour d’appel de Basse-Terre puisse débouter les sociétés Sea and Sail et Aulne Karukera Elorn de leurs demandes à l’encontre de la société Poe Ma, celle-ci ayant placé le risque auprès d’une compagnie exotique basée au Costa Rica qui ne disposait pas d’agrément pour effectuer des prestations sur le territoire français alors qu’il lui incombait en sa qualité de courtier au titre de son devoir de conseil de vérifier l’existence d’un agrément et la solvabilité de la compagnie auprès de laquelle elle a proposé à sa cliente de souscrire un contrat,
– le fait que la société Poe Ma soit passée par l’intermédiaire d’un courtier grossiste américain ne peut l’exonérer de sa responsabilité,
– elle était seule débitrice d’une obligation de conseil à l’égard de sa cliente et ne pouvait lui conseiller de souscrire une police auprès de cet assureur et pour ce seul motif elle n’a perdu aucune chance d’éviter une condamnation,
– elle ne démontre pas qu’elle aurait pu obtenir la garantie de la société Philip Knight et Co pour la totalité ou une partie de la condamnation, puisque celle-ci devenue société Underwriting and Management services serait en liquidation depuis le 10 janvier 2008, soit antérieurement à la saisine de M. [P],
– si la société Poe Ma a engagé des frais d’honoraires, c’est uniquement en sa qualité de défenderesse aux différentes instances auxquelles elle a été partie, ces frais devant ainsi être mis à sa charge indépendamment de toute considération d’un éventuel manquement de M. [P],
– le paiement d’honoraires par la société Poe Ma n’est que la contrepartie des diligences effectuées par M. [P] pour son compte, et ne peut donc constituer un préjudice indemnisable.
La société [W] et César, M. [W] et la société Allianz rajoutent que :
– la société Poe Ma ne démontre pas que l’absence de déféré de l’ordonnance de caducité lui a causé grief, ce recours n’ayant aucune chance d’aboutir,
– même si les conclusions d’appel avaient été notifiées à temps, il est inimaginable que la cour ait pu débouter les sociétés demanderesses de leur action en responsabilité contre leur courtier,
– la société Poe Ma ne peut nier ses propres obligations d’intermédiaire alors qu’elle a placé le risque après d’une compagnie exotique qui par ailleurs n’avait pas le droit d’effectuer ses prestations sur le territoire français, le fait qu’elle ait sollicité un courtier grossiste, mandataire de l’assureur, n’étant pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité en sa qualité de courtier détaillant auprès de son client assuré,
– sa faute est d’une telle gravité qu’elle n’avait pas le moindre espoir de voir la cour la mettre hors de cause,
– la perte de chance d’obtenir une solution plus favorable en appel est inexistante,
– le grief selon lequel il aurait dû être soutenu qu’il ne pouvait lui être réclamé le montant d’une indemnité pour laquelle la condamnation de la société Centennial avait été obtenue est sans emport puisque la société assurée ne sollicitait pas de la société Poe Ma le paiement de l’indemnité d’assurance mais celui de dommages et intérêts,
– M. [W] qui n’était pas maître du dossier ne peut être responsable d’une erreur d’argumentation laquelle n’existe au demeurant pas puisque l’assuré ne connaissait que son courtier la société Poe Ma dont la faute devait être appréciée à son égard indépendamment de celle de l’autre courtier,
– l’absence de mise en cause de la société Philip Knight et Co est sans lien de causalité avec le préjudice que la société Poe Ma prétend avoir subi puisque que celle-ci était dissoute depuis le 19 janvier 2008 et qu’elle n’était tenue d’aucun devoir de conseil au profit de l’assurée,
– la société Poe Ma a fait le choix de ne pas rechercher la garantie de son assureur de responsabilité civile professionnelle,
– les fautes prétendues des anciens conseils de la société Poe Ma ne lui ont fait perdre aucune chance de se voir privée du bénéfice d’une prise en charge de la condamnation auprès de son assurance de responsabilité civile professionnelle, la prescription biennale et la clause d’exclusion de garantie lui étant non-opposables au vu de la jurisprudence très stricte de la Cour de cassation.
Le préjudice relevant de la perte d’une voie d’accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, celle d’obtenir gain de cause. Il convient d’évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n’a pas eu lieu, à l’aune des dispositions légales qui avaient vocation à s’appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.
En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l’aléa jaugé et ne saurait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Les manquements qui sont reprochés à M. [P] au titre de la deuxième instance devant le tribunal mixte de commerce et aux deux avocats au titre de la troisième instance devant ce tribunal sont sans lien causal avec les préjudices allégués par la société Poe Ma puisque les demandes formées à son encontre ont été rejetées par jugements des 2 mars et 5 juillet 2012.
La société Poe Ma ne justifie d’aucune perte de chance de voir déclarer recevables ses conclusions d’intimée si M. [W] lui avait communiqué l’ordonnance du conseiller de la mise en état du 23 septembre 2013 puisque cette ordonnance aurait nécessairement été confirmée en appel, les conclusions d’intimée notifiées en son nom étant manifestement tardives et l’absence de communication de pièces en première instance comme en appel par son avocat n’étant pas un moyen permettant à la cour de ‘relever ses conclusions de leur irrecevabilité'(sic).
Les intimés soutiennent à juste titre que la société Poe Ma, en sa qualité de courtier seule cocontractante de la société Sea and Sail, tenue à son égard de vérifier l’identité et l’agrément de l’assureur proposé par le courtier par elle mandaté, a manqué à son obligation de conseil à ce titre et ne pouvait qu’être condamnée à l’indemniser de la perte du bateau assuré.
La société Poe Ma soutient vainement que si les deux avocats avaient soulevé la difficulté résultant de la condamnation antérieure de l’assureur à indemniser intégralement les sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail, elle n’aurait pas été condamnée au paiement d’une somme ou sa condamnation aurait été considérablement réduite alors que le recouvrement de leur créance à l’encontre de la société Centennial s’est révélé impossible et que cette condamnation ne se heurte pas au principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime.
Elle ne justifie pas non plus que la condamnation à son encontre prononcée au profit des sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail pour manquement à son obligation de conseil n’aurait dû permettre qu’une réparation au titre d’une perte de chance alors que si la société Sea and Sail avait été informée du fait que la société d’assurance costaricaine Centennial ne disposait pas d’un agrément pour intervenir sur le territoire français et ne pouvait donc pas l’assurer, elle n’aurait assurément pas contracté avec elle de sorte que son préjudice tiré d’une non-assurance est entier et ne relève pas d’une perte de chance.
En revanche, l’absence de toute défense au fond en première instance comme en appel dans le cadre de la troisième procédure du fait des deux avocats a privé la société Poe Ma de la possibilité d’appeler en intervention forcée non seulement la société Philip Knight et Co France au titre de sa propre responsabilité civile mais encore son propre assureur en responsabilité civile afin qu’ils la garantissent de toutes condamnations susceptibles d’être prononcées à son encontre.
La proposition d’assurance transmise à la société Poe Ma provenait de la société Philip Knight et Co France dont le siège social est située en France.
L’extrait Kbis du registre du commerce et des sociétés près le tribunal de commerce de Toulon daté du 28 novembre 2020 relatif à la SARL Underwriting and Management services venant aux droits de la société Philip Knight et Co France ainsi qu’il ressort de l’arrêt de la cour d’appel de Papeete du 14 mars 2019 produit par M. [W], mentionne que cette société est en cours de dissolution depuis le 19 janvier 2008 et non dissoute et la société Poe Ma conservait donc la possibilité d’assigner cette société représentée par son liquidateur amiable M. [X] [S] en garantie et une chance d’obtenir sa condamnation à la garantir si les opérations de liquidation n’étaient pas terminées et la dissolution non encore prononcée à la date de cette intervention forcée.
Par ailleurs, la société Poe Ma ne pouvait obtenir une garantie totale du courtier souscripteur puisque chacun d’eux avait de la même façon manqué à ses propres obligations de vigilance quant à la vérification élémentaire de l’agrément de l’assureur proposé et de conseil vis à vis de son client et un partage de responsabilité dans leurs rapports entre eux apparaît certain, au vu des différents arrêts cités par les parties et notamment les arrêts de la cour d’appel d’Aix en Provence, Rennes et Paris (arrêt du 2 novembre 2005) .
Dès lors si la société Poe Ma justifie d’une perte de chance d’obtenir la garantie du courtier ayant proposé un assureur non agréé sur le territoire français, celle-ci ne pouvait porter sur l’intégralité de la condamnation mise à sa charge par la cour d’appel et doit être appréciée au regard des aléas entourant le succès d’une action à l’encontre d’une société en cours de dissolution ou déjà dissoute en 2013, aucun élément n’étant donné sur sa situation financière à cette date.
De même, M. [P] avait envisagé dans la seconde procédure intentée de mettre en cause non pas la société Philip Knight et Co France mais ses propres assureurs de responsabilité civile, à savoir la société Chartis, son assureur à l’époque de cette procédure et la société Grenhill Struge Underwritting qui était son assureur de responsabilité civile en 2005 ainsi qu’il ressort des conclusions que M. [P] devait déposer au nom de la société Poe Ma (pièce 32 de M. [P]), ce qui démontre que ses assureurs étaient parfaitement identifiés contrairement à ce que soutient M. [P] de sorte que la société Poe Ma qui a été privée de la possibilité de se défendre dans la troisième procédure n’a pu appeler en garantie son ou ses assureurs.
Cette intervention forcée aurait alors pu être effectuée en première instance mais non en appel où elle n’aurait pas manqué d’être déclarée irrecevable en l’absence d’évolution du litige, sur le fondement de l’article 555 du code de procédure pénale comme l’admet M. [W].
Elle était par ailleurs susceptible d’être déclarée irrecevable en raison d’une prescription éventuelle ou bien rejetée en raison d’une éventuelle exclusion de garantie, comme celle que la société Chartis a opposée en 2011, à supposer que cet assureur soit tenu à garantie au regard de la date du contrat d’assurance, de sorte que la société Poe Ma ne justifie que d’une perte de chance moyenne d’obtenir la garantie de son assureur de responsabilité civile.
Au vu de l’ensemble des aléas relatifs au résultat des deux instances dont elle a été privée à l’encontre de deux garants possibles, la perte de chance de la société Poe Ma de se voir garantir en tout ou partiellement, selon les garants, de la condamnation prononcée au profit de sa cliente, la société Sea and Sail, doit être fixée à 40 % du montant de la somme de 261 371,40 euros qu’elle a dû régler aux sociétés Aulne Karukera Elorn et Sea and Sail et de la somme de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles mis à sa charge en appel et en cassation soit la somme de 107 748,56 euros.
Les intimés sont donc condamnés in solidum à lui payer cette somme avec intérêts au taux légal à compter de ce jour, s’agissant de dommages et intérêts, et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil.
Les frais d’avocats que la société Poe Ma a réglés en pure perte lors de la deuxième procédure et de la troisième procédure, en première instance et en appel, puisque ces juridictions n’ont jamais été saisies de conclusions par la faute de ses avocats, doivent donner lieu au paiement par les deux avocats de dommages et intérêts à hauteur des frais engagés pour un montant justifié de 4 929 euros, en confirmation du jugement.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens et aux frais de procédure de première instance sont confirmées.
Les dépens d’appel doivent incomber aux intimés, parties perdantes, lesquels sont également condamnés in solidum à payer à la société Poe Ma la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions dont appel sauf en ce qu’il a débouté la SAS Poe Ma Insurances de sa demande en condamnation au paiement de la somme de 261 371,40 euros à titre de dommages et intérêts et de celle de 8 000 euros au titre des frais irrépétibles mis à sa charge avec intérêts au taux légal depuis la mise en demeure adressée à la société Allianz Iard le 5 juin 2008 et capitalisation de ces intérêts,
Statuant à nouveau, dans cette limite,
Condamne in solidum M. [X] [P], M. [C] [W], la SELARL [W]-César et la SA Allianz Iard à payer à la SAS Poe-Ma Insurances la somme de 107 748,56 euros à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de ce jour et capitalisation de ces intérêts dans les conditions de l’article 1343-2 du code civil,
Condamne in solidum M. [X] [P], M. [C] [W], la SELARL [W]-César et la SA Allianz Iard aux dépens d’appel, dont distraction au profit de M. Mettrait, avocat,
Condamne in solidum M. [X] [P], M. [C] [W], la SELARL [W]-César et la SA Allianz Iard à payer la SAS Poe-Ma Insurances la somme de 6 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LA GREFFI’RE LA PR”SIDENTE