Responsabilité de l’Avocat : 3 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/02433

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Responsabilité de l’Avocat : 3 janvier 2023 Cour d’appel de Rouen RG n° 22/02433
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N° RG 22/02433 – N° Portalis DBV2-V-B7G-JEHV

COUR D’APPEL DE ROUEN

JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT

ORDONNANCE DU 3 JANVIER 2023

DEMANDERESSE AU RECOURS :

Madame [G] [H]

[Adresse 1]

[Localité 4]

comparante en personne assistée de M. [T], coach personnel

DÉFENDEUR AU RECOURS :

Maître [W] [C]

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me GUENOUX, avocat au barreau du Havre

DEBATS :

A l’audience publique du 8 novembre 2022, devant Mme Marie-Christine LEPRINCE, première présidente de la cour d’appel de Rouen, assistée de Mme Catherine CHEVALIER, greffière ; après avoir entendu les observations des parties présentes, la première présidente a mis l’affaire en délibéré au 3 janvier 2023.

DECISION :

CONTRADICTOIRE

Prononcée publiquement le 3 janvier 2023, par mise à disposition de l’ordonnance au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,

Signée par Mme LEPRINCE, première présidente et par Mme CHEVALIER, greffière présente lors de la mise à disposition.

EXPOSÉ DU LITIGE

Par requête adressée à l’ordre des avocats du Havre le 18 janvier 2021, Me [W] [C] a saisi le bâtonnier afin de voir fixer à la somme de 550 euros HT, soit 660 euros TTC le montant des honoraires qui lui sont dus par Mme [G] [H] dans le cadre d’un litige l’opposant à sa soeur en matière d’indivision.

Par décision du 14 juin 2022, le bâtonnier de l’ordre des avocats du Havre a fait droit à cette demande.

Cette décision a été notifiée à Mme [G] [H] par lettre recommandée avec avis de réception signé par l’intéressée le 24 juin 2022.

Mme [G] [H] a déposé un recours contre cette décision par lettre reçue à la cour d’appel le 20 juillet 2022.

L’audience a été initialement fixée au 6 septembre 2022 mais a fait l’objet d’un renvoi au 8 novembre 2022.

Mme [H], présente à l’audience, sollicite l’infirmation de la décision attaquée en toutes ses dispositions.

Elle fait principalement valoir que le bâtonnier n’a pas statué dans le délai de quatre mois qui lui était imparti, que lors du rendez-vous avec Me [C], qui a eu lieu le 15 novembre 2019, elle n’a reçu aucune information relative aux tarifs pratiqués et qu’elle n’avait pas connaissance du caractère payant des e-mails qui lui ont été adressés par l’avocat.

Me [C], représenté à l’audience, demande la confirmation de l’ordonnance de taxe en toutes ses dispositions.

Il soutient que les honoraires facturés au titre des prestations réalisées dans l’intérêt de Mme [H] sont justifiés au regard du rendez-vous qui s’est déroulé au cabinet de l’avocat d’une durée approximative d’1h30 et de la consultation écrite du 19 novembre 2019, complétée par celle du 13 décembre 2019 répondant aux nouvelles interrogations de Mme [H].

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité

Il résulte de l’article 175 du décret du 27 novembre 1991 organisant la profession d’avocat que les réclamations sont soumises au bâtonnier par toutes parties par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou remise contre récépissé. Le bâtonnier accuse réception de la réclamation et informe l’intéressé que, faute de décision dans le délai de quatre mois, il lui appartiendra de saisir le premier président de la cour d’appel dans le délai d’un mois.

En l’espèce, Me [C] a saisi le bâtonnier par courrier adressé le 18 janvier 2021, la date de réception de la requête n’étant pas précisée dans l’ordonnance de taxe.

Le bâtonnier a rendu sa décision le 14 juin 2022, soit après l’expiration du délai de quatre mois prévu par l’article 175 susvisé.

Si le bâtonnier a statué sur les honoraires alors qu’il était dessaisi, le recours contre cette décision est recevable, quoiqu’il ait été formé plus d’un mois après la date du dessaisissement.

Le recours régularisé par Mme [H] le 22 juillet 2022 est donc parfaitement recevable.

Sur le délai de quatre mois pour rendre la décision

Mme [H] soutient que le bâtonnier a rendu sa décision après l’expiration du délai de quatre mois qui lui était imparti pour statuer sur la demande de taxation des honoraires mais n’en tire aucune conséquence juridique notamment quant à la validité de l’ordonnance de taxe.

Ce moyen doit donc être écarté.

Sur le fond

L’article 10 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 tel qu’il résulte de la modification de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 prévoit que :

‘Les honoraires de postulation, de consultation, d’assistance, de conseil, de rédaction d’actes juridiques sous seing privé et de plaidoirie sont fixés en accord avec le client.

Sauf en cas d’urgence ou de force majeure ou lorsqu’il intervient au titre de l’aide juridictionnelle totale ou de la troisième partie de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, l’avocat conclut par écrit avec son client une convention d’honoraires, qui précise, notamment, le montant ou le mode de détermination des honoraires couvrant les diligences prévisibles, ainsi que les divers frais et débours envisagés.

Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci’.

En l’espèce, il ressort des pièces du dossier et des débats à l’audience les faits suivants :

Au cours de l’année 2019, Mme [H] a consulté Me [C] dans le cadre d’un litige l’opposant à sa soeur, Mme [D] [H], concernant deux biens immobiliers détenus en indivision à hauteur de 50 % par chacune des intéressées, soit un appartement situé au Havre, occupé par Mme [D] [H], et une parcelle de terrain à bâtir située à [Localité 4].

Le 15 novembre 2019, Me [C] a reçu Mme [H] à son cabinet pour évoquer les difficultés que celle-ci indiquait rencontrer dans la gestion de l’indivision.

A la suite de ce rendez-vous, le 19 novembre 2019, Me [C] a adressé à sa cliente une consultation écrite sur les possibilités juridiques lui étant offertes pour mettre un terme à la situation d’indivision des deux biens immobiliers et faire établir un compte d’indivision renvoyant notamment à la fixation d’une indemnité d’occupation à la charge de Mme [D] [H].

Mme [H] lui a répondu le 5 décembre 2019 et formulait plusieurs interrogations complémentaires s’agissant du terrain à bâtir.

Me [C] a répondu à ces questions par courrier du 13 décembre 2019.

Le 5 mars 2020, il a interrogé sa cliente pour savoir s’il convenait d’initier une procédure judiciaire à l’encontre de Mme [D] [H].

Mme [H] lui a répondu le lendemain en indiquant qu’elle souhaitait intenter une action en justice pour obtenir le remboursement des sommes réglées sur l’indivision, ainsi qu’une indemnité d’occupation pour l’appartement situé au Havre. Elle précisait qu’elle allait revenir vers l’avocat ‘afin de démarrer le dossier’.

En l’absence de réponse de sa cliente, Me [C] a envoyé deux courriers de relance le 13 juillet 2020 puis le 11 janvier 2021 et joignait sa facture d’honoraires d’un montant de 550 euros HT, soit 660 euros TTC pour les diligences accomplies dans l’intérêt de Mme [H].

Par e-mail du 12 janvier 2021, Mme [H] a contesté cette facture en expliquant que les honoraires réclamés étaient disproportionnés compte tenu des diligences effectivement réalisées par l’avocat (1 rendez-vous d’1h et deux courriers de relance).

Par e-mail du 14 janvier 2021, Me [C] a répondu à ces observations en rappelant qu’il avait facturé les prestations suivantes : un rendez-vous d’1h30 à son cabinet, la rédaction d’une consultation juridique le 19 novembre 2019, complétée le 12 décembre suivant pour répondre aux interrogations de sa cliente.

Le 14 janvier 2021, Mme [H] a maintenu sa position et n’a pas réglé la facture de d’honoraires malgré les deux courriers de relance de l’avocat.

Sur le défaut d’information sur les conditions de la rémunération

Mme [H] soutient qu’elle n’a pas été informée des tarifs pratiqués par Me [C] préalablement au premier rendez-vous et en déduit qu’elle n’est redevable d’aucune somme à ce titre.

Cependant, la procédure spéciale prévue par l’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ne s’applique qu’aux contestations relatives au montant et au recouvrement des honoraires des avocats.

Il en résulte que le premier président n’a pas le pouvoir de connaître de la responsabilité de l’avocat à l’égard de son client qui résulterait d’un manquement à son devoir de conseil et d’information.

Il s’ensuit que le défaut d’information dont se prévaut Mme [H] sur le montant prévisible des honoraires de l’avocat n’a pas d’incidence sur le droit à rémunération de ce dernier, s’agissant d’une question échappant à la compétence du juge de l’honoraire.

En outre, Mme [H] ne conteste pas avoir été reçue par Me [C] à son cabinet pendant près d’1h et avoir reçu les e-mails qui lui ont été adressés par l’avocat.

Par conséquent, le moyen développé par Mme [H] quant au défaut d’information de l’avocat sur la détermination de ses honoraires doit être écarté.

Sur l’absence de convention d’honoraires

Mme [H] reproche à Me [C] de ne pas lui avoir fait signer de convention d’honoraires lors du rendez-vous du 15 novembre 2019.

Il est constant qu’aucune convention d’honoraires n’a été régularisée par les parties concernant les honoraires de Me [C].

Néanmoins, l’absence de convention ne prive pas l’avocat du droit qui est le sien à obtenir la juste indemnisation de ses diligences, laquelle est alors fixée en tenant compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.

La demande de paiement formée par Me [C] est donc justifiée dans son principe, bien qu’il reste à en déterminer le montant.

Sur le montant des honoraires

Me [C] a établi une facture d’honoraires d’un montant de 550 euros HT soit 660 euros TTC pour les diligences suivantes : rendez-vous au cabinet le 15 novembre 2019 (1h30), consultation écrite du 19 novembre 2019, ajout à cette consultation le 12 décembre 2019, correspondances diverses.

Mme [H] ne conteste pas avoir été reçue au cabinet de Me [C], le 15 novembre 2019, pendant 1h.

Me [C] produit la consultation juridique écrite du 19 novembre 2019 dans laquelle il donne une réponse exhaustive de trois pages sur les voies procédurales pour sortir de l’indivision et obtenir une indemnité d’occupation.

Mme [H] a bien reçu ce document dès lors qu’elle y a répondu par e-mail du 5 décembre 2019 et qu’elle interrogeait l’avocat sur la possibilité d’obtenir le remboursement des charges de copropriété payées au nom de l’indivision et sur le rachat des parts du terrain à bâtir.

Me [C] produit le complément de consultation juridique, de deux pages, adressé à Mme [H] le 13 décembre 2019, l’informant de la possibilité de s’en tenir à une action en paiement tout en lui déconseillant ce choix procédural, la sortie judiciaire de l’indivision lui paraissant plus opportune.

Le bâtonnier a fait une juste évaluation des diligences réalisées dans l’intérêt de Mme [H] à hauteur de 3h30, les prestations réalisées par Me [C] justifiant une telle durée de travail.

Le taux horaire de 200 euros HT pratiqué dans le ressort de la cour d’appel de Rouen peut être retenu, soit la somme de 700 euros HT correspondant à 3h30 de travail.

Il convient de constater que Me [C] limite sa réclamation à hauteur de

550 euros HT, ce montant apparaissant donc parfaitement justifié et raisonnable au vu du travail de l’avocat.

Dans ces conditions, la décision du bâtonnier sera confirmée en toutes ses dispositions.

Mme [H], qui succombe à la présente procédure, sera tenue aux entiers dépens.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déclare recevable le recours de Mme [G] [H],

Confirme la décision du 14 juin 2022 rendue par le bâtonnier de l’ordre des avocats du Havre en toutes ses dispositions,

Condamne Mme [G] [H] aux dépens de l’instance.

La greffière, La première présidente,

 


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