Responsabilité de l’Avocat : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02725

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Responsabilité de l’Avocat : 29 septembre 2022 Cour d’appel de Douai RG n° 21/02725
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République Française

Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

TROISIEME CHAMBRE

ARRÊT DU 29/09/2022

****

N° de MINUTE : 22/332

N° RG 21/02725 – N° Portalis DBVT-V-B7F-TTWP

Jugement (N° 19/02067) rendu le 23 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Dunkerque

APPELANTE

SELARL [O] & Associes es-qualité de liquidateur judiciaire de l’entreprise générale Tommes Père et Fils

[Adresse 4]

[Localité 11]

Représentée par Me Catherine Camus-Demailly, avocat au barreau de Douai, avocat constitué

INTIMÉS

Monsieur [V] [L], pris en sa qualité d’héritier de [Z] [L], lui même pris en sa qualité d’héritier de [W] [L]

intervenant volontairement

né le [Date naissance 8] 1984 à [Localité 18]

de nationalité française

[Adresse 10]

[Adresse 1]

Suisse

Monsieur [B] [L], pris en sa qualité d’héritier de [Z] [L], lui même pris en sa qualité d’héritier de [W] [L]

intervenant volontairement

né le [Date naissance 9] 1987 à [Localité 18]

de nationalité française

[Adresse 15]

[Localité 17] – Espagne

Monsieur [U] [L] pris en sa qualité d’héritier de [Z] [L], lui même pris en sa qualité d’héritier de [W] [L]

intervenant volontairement

né le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 18]

de nationalité française

[Adresse 19]

[Localité 13] – Belgique

Madame [J] [D] veuve [L] prise en sa qualité d’héritiere de [G] [C] [L], lui même pris en sa qualité d’héritier de [W] [L]

intervenant volontairement

née le [Date naissance 7] 1955 à [Localité 16]

de nationalité française

[Adresse 6]

[Localité 13] Belgique

SELARL WRA pris en sa qualité de liquidateur judiciaire de Maître [W] [L] en son vivant, avocat inscrite au barreau de dunkerque désigné à ces fonctions par jugement rendu le 25 novembre 2016 par le tgi de Dunkerque.

[Adresse 14]

[Localité 11]

SA MMA IARD prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 2]

[Localité 12]

Représentés par Me Gilles Grardel, avocat au barreau de Lille, avocat constiuté substitué par Me Arnaud Leroy, avocat au barreau de Lille

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ

Guillaume Salomon, Président de Chambre

Claire Bertin, conseiller

Danielle Thébaud, conseiller

———————

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Fabienne Dufossé

DÉBATS à l’audience publique du 05 mai 2022 après rapport oral de l’affaire par Guillaume Salomon

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2022 après prorogation du délibéré en date du 8 septembre 2022 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Guillaume Salomon, président, et Fabienne Dufossé, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 25 avril 2022

****

EXPOSE DU LITIGE :

1. Les faits et la procédure antérieure :

Courant 2004-2005, les époux [Y] ont confié des travaux de construction à la Sarl Entreprise générale Tommes père et fils (l’entreprise), assurée auprès de la Maaf.

Alors que les époux [Y] invoquaient des désordres affectant ces travaux, le juge des référés a ordonné une expertise. L’expert [M] a déposé son rapport le 30 juin 2012.

La Sarl Tommes père et fils ayant été entretemps placée en redressement judiciaire, les époux [Y] ont déclaré leur créance, avant d’assigner en février 2014 cette société et le commissaire à l’exécution au plan devant le tribunal de grande instance de Dunkerque en inscription de leur créance au passif de la procédure collective au titre de désordres affectant les travaux réalisés.

Par jugement du 5 juillet 2016, le tribunal de grande instance de Dunkerque a fixé la créance des époux [Y] et a déclaré prescrite la demande reconventionnelle en paiement qui avait été formée par l’entreprise à l’encontre de ces derniers.

Le 3 janvier 2017, la liquidation judiciaire par conversion du plan de redressement précédemment adopté au bénéfice de la Sarl Tommes père et fils a été prononcée par le tribunal de commerce.

Par arrêt du 16 mai 2019, la cour a infirmé le jugement du 5 juillet 2016 en ce qu’il avait déclaré irrecevable la demande en paiement présentée par l’entreprise à l’encontre des époux [Y], et a fixé la créance de ces derniers au passif de la procédure collective au titre des désordres subis après avoir constaté la compensation des créances respectives à hauteur de 27 000 euros environ.

La Sarl Tommes père et fils et le commissaire à l’exécution du plan ont assigné la Maaf en garantie. Cette instance n’ayant pas été jointe à l’instance principale aux fins d’inscription au passif, le tribunal de grande instance de Dunkerque a déclaré irrecevable comme prescrite la demande formée par le liquidateur de la Sarl Tommes père et fils à l’encontre de la Maaf en sa qualité d’assureur de l’entreprise, par jugement séparé du 23 février 2018.

Par arrêt définitif du 16 mai 2019, la cour a notamment confirmé ce dernier jugement.

[W] [L] était l’avocat de la Sarl Tommes père et fils, qui a diligenté l’acte introductif d’instance à l’encontre de la Maaf par acte du 27 novembre 2015. Elle était assurée auprès de la SA MMA Iard (les MMA).

Ayant été placée en liquidation judiciaire selon jugement du 25 novembre 2016, [W] [L] est décédée le [Date décès 5] 2017, laissant comme unique héritier [Z] [L].

Invoquant la responsabilité civile professionnelle de cet avocat, le liquidateur de la Sarl Tommes père et fils a déclaré sa créance au passif de la liquidation ouverte au profit de [W] [L] à hauteur de 57 615,05 euros.

Par actes du 19 février 2018, la Selarl [O] et associés, agissant en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Tommes père et fils, a assigné [Z] [L], la Selarl WRA en sa qualité de liquidateur judiciaire de [W] [L], et les MMA, devant le tribunal de grande instance de Dunkerque en responsabilité professionnelle, invoquant une perte de chance d’avoir pu bénéficier d’une indemnisation par la Maaf.

2. Le jugement dont appel :

Par jugement rendu le 23 mars 2021, le tribunal judiciaire de Dunkerque a :

– débouté Me [O], en qualité de liquidateur de la Sarl Entreprise générale Tommes père et fils, de toutes ses demandes,

– débouté la Selarl WRA, M. [Z] [L] et les MMA de leurs demandes d’indemnité de procédure,

– condamné Me [O], en qualité de liquidateur de la Sarl Entreprise générale Tommes père et fils, aux dépens.

Pour l’essentiel, le tribunal judiciaire a estimé qu’en dépit d’une faute contractuelle imputable à [W] [L], la perte de chance alléguée par le liquidateur judiciaire de l’entreprise était nulle.

3. La déclaration d’appel :

Par déclaration du 12 mai 2021, la Selarl [O] & associé a formé, ès qualités, appel de l’intégralité du dispositif de ce jugement.

[Z] [L] étant lui-même décédé, ses héritiers (MM. [V], [B], et [U] [L], et Mme [J] [D], veuve [L]) ont déclaré «’intervenir volontairement’» à l’instance.

4. Les prétentions et moyens des parties :

4.1.Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 2 février

2022, la Selarl [O] & associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Tommes père et fils, demande à la cour de réformer le jugement en toutes ses dispositions et, statuant à nouveau, de :

– juger feue Mme [W] [L], en son vivant avocat au barreau de Dunkerque, responsable de l’absence de respect du délai de prescription dans lequel la demande en garantie de la Maaf devait être formée et des conséquences qui en sont résulté pour les créanciers de la Sarl entreprise générale Tommes père et fils ;

en conséquence,

– condamner la Selarl WRA, société de mandataires judiciaires représentée par Me [A] [T], pris en sa qualité de Liquidateur judiciaire de feue Me [W] [L] à lui régler, ès qualités, la somme de 25 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la perte de chance ;

– la condamner à lui verser ès qualités une indemnité de 3 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens d’instance et d’appel dans les conditions de l’article 699 du du code de procédure civile ;

– déclarer l’arrêt à intervenir opposable aux MMA ;

– condamner les MMA à garantir la Selarl WRA, ès qualités, de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre du chef de la réparation de la faute contractuelle commise par Feue Maître [W] [L] et de celle qui sera prononcée au visa des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux dépens ;

– déclarer l’arrêt à intervenir commun aux héritiers de [Z] [L] ;

A l’appui de ses prétentions, elle fait valoir que :

– la faute commise par l’avocat de la Sarl Tommes père et fils a causé une perte de chance d’obtenir la garantie de son assureur au titre des désordres ayant donné lieu à indemnisation des époux [Y], dès lors qu’en violation de ses obligations de diligence et de conseil, [W] [L] a tardé à assigner la Maaf, de sorte que l’irrecevabilité des demandes formulées à l’encontre de l’assureur a été constatée par un arrêt définitif en raison d’une prescription extinctive quinquennale (et non biennale, que la cour a déclaré inopposable à l’assuré) ;

– en l’absence d’une telle faute, la garantie de la Maaf aurait été acquise, tant au titre de la protection juridique qu’au titre de la responsabilité civile professionnelle et de la responsabilité civile décennale, en application des garanties souscrite par l’entreprise en couverture de ses activités de charpenterie, menuiserie et carreleur. Par courrier du 24 mai 2017, l’assureur a notamment reconnu la soucription d’une garantie «’responsabilité civile professionnelle du contrat Multipro’» (RCP) et une «’assurance construction’» ;

* premièrement, la Maaf a admis sa garantie dans sa prise en charge après qu’une déclaration de sinistre lui a été adressée par son assurée et a organisé une expertise amiable à son profit, sans qu’une telle position ne se cantonne à la seule garantie de protection juridique dès lors que cet assureur a organisé une expertise amiable dont l’objet était de constater les désordres décennaux invoqués par les époux [Y] ; la Maaf n’a pas davantage contesté sa participation à l’expertise judiciaire ;

* deuxièmement, la circonstance que seul l’article 1147 ancien du code civil a été invoqué par les époux [Y] dans leurs conclusions de première instance est indifférente, dès lors qu’en application de l’article 12 du code de procédure civile, il appartenait au juge de restituer leur exacte qualification aux actes et faits litigieux sans s’arrêter à la dénomination proposée par les parties, de sorte que la garantie décennale aurait pu être mobilisée ;

* troisièmement, la Maaf ne peut invoquer l’article 5-19 du contrat couvrant la responsabilité civile professionnelle, dès lors que l’assuré n’est pas l’origine de son propre dommage ;

* quatrièmement, la Maaf conteste vainement que les conditions de la garantie décennale sont remplies :

** d’une part, même en l’absence d’une réception expresse, une réception tacite peut intervenir, notamment par la prise de possession de l’ouvrage.

** d’autre part, la réception est acquise lorsqu’un rapport d’expertise a été déposé, dès lors qu’un tel rapport vaut réception de l’ouvrage avec réserves ;

** enfin, le point de départ du délai décennal court à compter d’une telle réception, même assortie de réserves ;

* cinquièmement, la Maaf ne peut invoquer l’absence de production des conditions générales et particulières du contrat multirisques conclu par l’entreprise ; cette pièce figure nécessairement dans le dossier que l’avocat de la Sarl Tommes père et fils avait constitué pour assigner la Maaf ; il appartient au liquidateur de [W] [L] de verser aux débats cette pièce, en application de l’article 10 du code de procédure civile ;

– le rapport d’expertise est opposable à la Maaf, qui a été appelée à l’expertise judiciaire et a mandaté un expert d’assurance pour l’y représenter ;

– alors que la condamnation de l’entreprise s’est élevée à 27 212,97 euros, outre

3 000 euros au titre des frais irrépétibles sans pouvoir exercer un recours à hauteur de ces montants à l’encontre de la Maaf, l’indemnisation de la perte de chance subie doit être fixée à 25 000 euros à la charge de l’assureur de l’avocat fautif.

4.2.Aux termes de leurs conclusions notifiées le 2 novembre 2021, la

Sarl WRA, en qualité de liquidateur judiciaire de [W] [L] et les MMA, intimées et appelantes incidentes, ainsi que les héritiers de [Z] [L], intervenants volontaires, demandent à la cour de :

– déclarer recevable l’intervention volontaire des héritiers de [Z] [L] ;

– infirmer le jugement en ce qu’il a débouté la Selarl WRA, [Z] [L] et les MMA de leur demande d’indemnité de procédure ;

– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Me [O], ès qualités, de toutes ses demandes et qu’il a condamné ce dernier aux dépens ;

et statuant à nouveau, de :

– débouter Me [O], ès qualités, de toutes ses demandes ;

– condamner Me [O], ès qualités, à leur payer la somme de 2 000 euros chacun au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– le condamner, ès qualités, aux entiers dépens.

A l’appui de leurs prétentions, ils font valoir que :

– ils s’en rapportent à justice concernant la faute contractuelle de [W] [L] résultant d’une absence d’introduction d’une action à l’encontre des MMA avant l’expiration du délai de prescription ;

– l’existence d’une perte de chance par Me [O], ès qualités, d’obtenir la condamnation de la Maaf à garantir la société Tommes père et fils n’est pas démontrée, dès lors que :

* la garantie décennale ne s’applique qu’à compter de la réception sans réserves de l’ouvrage, qui n’est pas intervenue en l’espèce, alors que seule la responsabilité contractuelle de droit commun s’applique aux désordres intervenus avant réception ;

* les conclusions de la Maaf font apparaître qu’elle pouvait légitimement refuser sa garantie au titre de la garantie décennale : dans son arrêt du 16 mai 2019, la cour a relevé que la condamnation de l’entreprise n’est intervenue que sur le fondement contractuel de droit commun, et non au titre de l’article 1792 du code civil. La réception tacite n’est pas caractérisée en l’espèce, alors que l’entreprise n’a jamais contesté l’absence de réception et que l’autorité de chose jugée qui s’attache à l’arrêt précité s’oppose aux moyens développés dans la présente instance ; le premier juge a d’ailleurs exclu une réception résultant d’une prise de possession, en l’absence de paiement d’une part importante du marché ;

* la réception judiciaire que vise en réalité un arrêt de la cour d’appel de Nancy est étrangère à la réception tacite ;

– les courriers échangés ne concernent que l’acquisition au profit de l’assuré de la seule garantie souscrite au titre d’une protection juridique, et non au titre de la RCP ; à l’inverse, cette garantie est valablement refusée par la Maaf à son assuré, dès lors que :

* d’une part, les désordres ayant donné lieu à la condamnation de la Sarl Tommes père et fils ne relèvent pas de la définition des dommages matériels couverts par le contrat souscrit par l’avocat auprès des MMA (page 21 du contrat) et ne concerne pas des dommages immatériels ; un courrier exprimant à [W] [L] les limites de ses garanties avait été adressé par son assureur.

* d’autre part, le contrat souscrit par l’entreprise auprès de la Maaf comporte une clause d’exclusion de garantie concernant les dommages résultant de l’inexécution par l’entreprise de ses obligations de faire ou de délivrance ;

* enfin, la prise en charge des honoraires d’un expert par un assureur relève exclusivement de la protection juridique, et ne peut s’analyser comme une reconnaissance de la garantie au titre des assurances de responsabilité souscrites ;

– alors que la preuve des garanties souscrites lui incombe, le liquidateur de la Sarl Tommes père et fils ne produit pas les conditions générales ou particulières du contrat conclu avec la Maaf, mais exclusivement ses conventions spéciales. Si une sommation de communiquer a été effectivement adressée à Me [O] pour qu’il produise les conclusions d’appelant de la Maaf, elle n’a en revanche pas visé le contrat multirisques conclu par la Sarl Tommes père et fils avec cet assureur. En outre, aucun élément n’établit que [W] [L] disposait de cette pièce, alors qu’elle pouvait engager son action sur la seule base d’une attestation d’assurance.

– la réparation d’une perte de chance, inexistante en l’espèce, ne peut jamais être égale à l’avantage qu’aurait procuré la chance perdue.

Pour un plus ample exposé des moyens de chacune des parties, il y a lieu de se référer aux conclusions précitées en application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur «’l’intervention volontaire’» des héritiers de [Z] [L] :

Les héritiers de [Z] [L] sollicitent que leur intervention volontaire en cause d’appel soit déclarée recevable.

Aux termes des articles 554 et 555 du code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d’appel dès lors qu’elles y ont intérêt, les personnes qui n’ont été ni parties, ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité. Ces mêmes personnes peuvent être appelées devant la cour, même aux fins de condamnation quand l’évolution du litige implique leur mise en cause.

Pour autant, l’intervention des héritiers de [Z] [L] résulte en l’espèce exclusivement du décès de ce dernier, qui constitue une cause d’interruption de l’instance et nécessite la reprise de l’instance par les ayants droits du défunt dans une instance transmissible, en application des articles 370 et 372 du code de procédure civile. Représentés en première instance par leur auteur décédé, aux droits et actions duquel ils viennent, ces héritiers ne sont en réalité pas des tiers intervenants à l’instance.

Une telle reprise de l’instance par les héritiers ne s’analyse ainsi pas comme une intervention volontaire, de sorte qu’il n’y a pas lieu de statuer sur sa recevabilité.

Sur la responsabilité de l’avocat :

Dans les rapports avec son client, l’avocat est susceptible d’engager sa responsabilité contractuelle lorsqu’il commet une faute ayant causé un préjudice à celui-ci dans l’exercice de son mandat de représentation en justice, en application de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 applicable à l’espèce.

Sur la faute :

La faute commise par [W] [L] résultant d’un défaut de diligence est établie : à cet égard, il est constant qu’ayant été mandatée comme avocat par la société Tommes père et fils dont la responsabilité était recherchée par les époux [Y], elle n’a engagé une action en garantie à l’encontre de la Maaf, assureur de cette entreprise, que postérieurement à l’expiration du délai de prescription applicable, dans des conditions ayant conduit la cour d’appel à consacrer définitivement l’irrecevabilité des demandes ainsi formulées.

Sur la perte de chance d’obtenir la condamnation de la Maaf à garantir la société Tommes père et fils :

Lorsqu’il ne peut être tenu pour certain qu’un dommage ne serait pas advenu ou n’aurait pas présenté la même gravité en l’absence de faute, une réparation ne peut être envisagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque qui s’est réalisé. La perte de chance présente un caractère direct et certain chaque fois qu’est constatée la disparition d’une éventualité favorable.

Sa réparation ne peut être écartée que s’il peut être tenu pour certain que la faute n’a pas eu de conséquence sur une telle disparition.

La perte de chance n’est réparable que si :

– d’une part, la victime ne dispose pas de la faculté de pouvoir à nouveau bénéficier de l’éventualité favorable espérée. En l’espèce, le caractère définitif de l’irrecevabilité de l’action engagée tardivement par [W] [L] caractérise la disparition certaine de la chance perdue.

– d’autre part, elle est réelle et sérieuse, même si elle est faible. L’appréciation de la perte de chance doit s’effectuer à la date à laquelle la faute a été commise et en fonction des éléments discutés par les parties dans le cadre de l’instance ayant donné lieu au fait dommageable.

Il convient ainsi de reconstituer fictivement la situation dans laquelle se seraient trouvé les créanciers de la Sarl Tommes père et fils si la faute en relation causale avec le préjudice final que leur débiteur a subi n’avait pas été commise par [W] [L] et d’évaluer la probabilité selon laquelle, en l’absence d’une telle faute, l’inscription de la créance des époux [Y] portée au passif de la procédure collective aurait pu être évitée grâce à la prise en charge totale ou partielle du sinistre par l’assureur de l’entreprise au titre du recours en garantie exercé à l’encontre de la Maaf.

Les chances de succès d’une telle action à l’encontre de la Maaf doivent par conséquent s’apprécier notamment par référence aux conclusions récapitulatives notifiées le 9 octobre 2017 par Me [O] (sa pièce 3) à la Maaf, pour rechercher si une condamnation était susceptible d’être prononcée à l’encontre de cet assureur au titre d’une prise en charge du sinistre résultant des désordres affectant l’immeuble des époux [Y].

** sur la renonciation par la Maaf à invoquer l’absence de garantie à l’encontre de la Sarl Tommes père et fils :

Avant même d’examiner les conditions contractuelles de garanties souscrites par l’entreprise, Me [O] invoque une reconnaissance du principe de sa garantie par la Maaf, qu’il considère comme acquise, de sorte qu’il oppose en réalité une renonciation par cette dernière à un refus de garantie tirée des conditions du contrat.

À cet égard, si la renonciation à un droit peut n’être que tacite ou implicite, elle ne se présume pas et ne peut résulter que d’actes de son titulaire manifestant de façon claire et sans équivoque la volonté de renoncer.

Au soutien d’une telle prétention, Me [O] invoque d’une part une renonciation expresse résultant d’un courrier adressé le 29 mai 2007 par la Maaf, en réponse à la déclaration de sinistre auquel a procédé la Sarl Tommes père et fils.

Ce courrier est toutefois exclusivement établi à en-tête de la «’protection juridique générale, service sinistres’» et ne comporte aucun élément autre que la référence à la mise en cause de son assurée dans le cadre d’un référé-expertise, de sorte qu’il n’en résulte pas que l’acquisition de la garantie qu’il vise s’applique aux contrats couvrant la responsabilité civile ou la garantie décennale de la Sarl Tommes père et fils. A l’inverse, ce service de la Maaf y prend acte que son assuré a recours à son avocat personnel, mention qui confirme que l’objet de ce courrier concerne la mise en ‘uvre de la garantie «’protection juridique’» souscrite. La renonciation invoquée n’est pas conséquent pas établie, au regard du caractère particulièrement équivoque de ce courrier. Les mêmes observations sont applicables au courrier adressé le 10 décembre 2007 par la Maaf à son assuré, sous le même en-tête et visant la seule question de la prise en charge des frais d’assistance par l’expert qu’elle a désigné pour participer aux opérations d’expertise. Enfin, par courrier du même jour adressé à l’expert d’assurance, la Maaf indique expressément qu’elle intervient auprès du cabinet Cecanord «’en qualité d’assureur protection juridique de la Sarl Tommes père et fils’». L’expert [N], mandaté par le cabinet Cecanord, a d’ailleurs émargé la feuille de présence du 30 mai 2008 en qualité d’«’expert [illisible] protection juridique’». Dans son arrêt du 16 mai 2009, la cour d’appel a enfin précisément exclu que ce courrier soit interruptif du délai de prescription, dès lors qu’il s’appliquait à la seule garantie «’protection juridique’», et non aux autres garanties souscrites par l’entreprise au titre de la RCP ou de la garantie décennale.

D’autre part, la participation de cet expert mandaté par la Maaf aux opérations d’expertise judiciaire n’a pas davantage vocation à établir une renonciation tacite à invoquer une absence de garantie, dès lors qu’à nouveau cette désignation n’intervient qu’au titre de la garantie «’protection juridique’». Au surplus, la participation par un assureur à une mesure d’instruction n’implique aucune reconnaissance des droits des autres parties ou abandon de ses propres droits, alors que l’article 11 du code de procédure civile fait par ailleurs obligation aux parties à une telle mesure d’y apporter leur concours.

L’acquisition d’une garantie couvrant d’autre garanties que celles prévues par le contrat de protection juridique n’est ainsi pas démontrée.

** sur l’existence d’une garantie par la Maaf permettant d’indemniser l’entreprise des conséquences dommageables résultant de la condamnation prononcée au profit des époux [Y] :

Les parties ne produisent pas les conditions générales ou particulières des contrats souscrits par l’entreprise, seules les conditions spéciales d’un contrat d’assurance de garantie décennale étant produites.

Par courrier adressé le 24 mai 2007 par la Maaf à [W] [L], cet assureur reconnaît toutefois que la Sarl Tommes père et fils bénéficie de deux contrats couvrant respectivement sa responsabilité civile professionnelle (contrat «’Multipro’») et la garantie décennale (contrat «’assurance construction’»).

Si l’existence des contrats est ainsi établie, leur contenu doit toutefois être prouvé par le liquidateur de l’entreprise assurée.

=> sur la perte de chance d’invoquer une garantie au titre d’une assurance de garantie décennale :

Dans ses conclusions récapitulatives devant le tribunal de grande instance de Dunkerque, Me [O] a demandé la condamnation de la Maaf à le garantir des condamnations prononcées à l’encontre de la Sarl Tommes père et fils au profit des époux [Y].

Or, ces derniers ont exclusivement agi à l’encontre de la Sarl Tommes père et fils sur le fondement de l’article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.

S’agissant du seul fondement ainsi invoqué par les époux [Y], la cour rappelle que :

– d’une part, les parties ont l’obligation de proposer au juge l’ensemble des moyens de droit pertinents dès la première instance et ne sont plus recevables à engager, sur un nouveau fondement juridique non invoqué dans la première instance et par hypothèse non examiné par le juge, une nouvelle action qui poursuit le même objet et le même but économique ou social qu’une première action engagée sur d’autres fondements. Le principe de concentration s’opposait ainsi à l’invocation postérieure par les époux [Y] de l’article 1792 du code civil comme fondement à leur action indemnitaire.

– d’autre part, lorsqu’un ou plusieurs fondements juridiques sont invoqués au soutien d’une prétention, le juge tranche le litige selon les règles de droit qui lui sont applicables, conformément à l’article 12 alinéa 1 du code de procédure civile. Dans ce cas, le juge dispose de la simple faculté de soulever d’office un nouveau fondement qui n’a été invoqué par aucune des parties, sans qu’il s’agisse d’une obligation, après examen des différents fondements invoqués expressément par les parties. Au surplus, la circonstance que la juridiction saisie relève d’office un fondement non invoqué par une partie suppose qu’il soit applicable à l’espèce.

À cet égard, les époux [Y] ne contestaient pas en l’espèce l’absence de réception de l’ouvrage et le seul visa de l’article 1147 précité suffisait pour permettre de faire droit à leurs demandes devant les premiers juges. Plus encore, l’arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d’appel statue sur les deux déclaration d’appel respectivement formées à l’encontre des jugements du 5 juillet 2016 et du 23 février 2018, les instances ayant été jointes devant la cour.

Même si la cour n’était pas saisie sur le fondement de l’article 1792 du code civil, cet arrêt relève notamment l’absence d’une quelconque réception de l’ouvrage : sur ce poin, si Me [O] persiste à alléguer qu’un procès-verbal de réception avait été signé avec réserves le 22 février 2006, l’expert [M] établit pourtant (pages 7 et 10 de son rapport) que :

– le gérant de la Sarl Tommes père et fils ne s’est pas présenté le 22 février 2006 pour procéder à une réception sollicitée par Mme [Y], par courrier du 9 février 2006 ;

– il n’a apporté aucune réponse à l’envoi du document établi par Mme [Y] et comportant des réserves.

Alors que la volonté d’une seule partie ne suffit pas à procéder à une réception expresse, dont le caractère contradictoire est requis, le refus de l’entreprise de signer ce document exclut ainsi que le document invoqué s’analyse comme une réception valable.

En outre, ainsi que l’a noté le premier juge, la réception tacite des travaux réalisés sur un ouvrage préexistant n’avait pas davantage vocation à s’appliquer, alors que dans la jurisprudence applicable à la date de la perte de chance invoquée, l’absence de paiement intégral du marché y faisait obstacle. Un rapport d’expertise judiciaire ne s’analyse pas davantage comme une réception avec réserves, alors qu’il est l’oeuvre de l’expert et ne résulte pas d’une expression de volonté par les parties.

En définitive, la question d’une telle réception est en réalité indifférente : en effet, il n’était pas envisageable, sous peine de contradiction de motifs, qu’au sein du même arrêt du 16 mai 2019, les mêmes faits générateurs soient qualifiés de dommages de droit commun dans les rapports entre les époux [Y] et la Sarl Tommes et de désordres de nature décennale dans les rapports de cette dernière avec son assureur.

La faute commise par [W] [L] n’a par conséquent causé au liquidateur de l’entreprise aucune perte de chance d’invoquer le bénéfice de son assurance de garantie décennale à l’encontre de la Maaf pour obtenir une indemnisation dans le cadre du procès engagé par cet avocat.

=> sur la perte de chance d’invoquer une garantie au titre d’une assurance de responsabilité civile professionnelle :

Me [O] ne produit pas les conditions générales et particulières du contrat d’assurance de responsabilité civile professionnelle qu’il invoque pour établir que la garantie de la Maaf était acquise de ce chef pour prendre en charge les condamnations prononcées au profit des époux [Y].

Alors qu’une telle qualification de contrat de responsabilité civile professionnelle n’est pas contestée par les parties, la garantie qu’offre ce type de contrat ne se confond pas avec celle résultant d’un contrat couvrant les désordres de nature décennale, dont l’objet est totalement distinct. D’une façon générale, un tel contrat d’assurance RCP permet en effet de couvrir l’assuré lorsqu’il sera responsable de dommages matériels, immatériels ou corporels causés à autrui dans l’exercice de son activité, et non de couvrir le professionnel s’agissant des résultats et de la qualité des travaux qu’il a effectués comme constructeur.

Plus spécifiquement, le courrier adressé le 24 mai 2017 par la Maaf à [W] [L] constitue le seul élément comportant des indications sur le contrat RCP souscrit par la Sarl Tommes père et fils : il en résulte qu’au titre de sa clause 5-13, ce contrat ne couvre pas le remplacement, la remise en état ou le remboursement des biens que l’assuré a fournis, et/ou pour la reprise des travaux exécutés par ses soins, cause ou origine du dommage, ainsi que les frais de dépose et repose et les dommages immatériels qui en découlent.

Il en résulte que la faute commise par [W] [L] n’a causé aucune perte de chance d’obtenir l’indemnisation des désordres affectant les travaux réalisés par l’entreprise, en l’absence de couverture de ce type de dommages au titre du contrat d’assurance RCP.

En l’absence de la moindre perte de chance, même faible, résultant de la faute commise par [W] [L], le jugement ayant débouté Me [O], ès qualités, de l’ensemble de ses demandes est par conséquent confirmé.

Sur l’opposabilité de l’arrêt aux MMA :

Les MMA étant parties à l’instance, il n’y a pas lieu de leur déclarer opposable le présent arrêt.

Sur les dépens et les frais irrépétibles de l’article 700 du code de procédure civile :

Le sens du présent arrêt et l’équité conduisent :

– d’une part à confirmer le jugement attaqué sur ses dispositions relatives aux dépens et à l’article 700 du code de procédure civile,

– et d’autre part, à condamner la Selarl [O] & associés, ès qualités, outre aux entiers dépens d’appel, à payer respectivement à la Sarl WRA, en qualité de liquidateur judiciaire de [W] [L] et aux MMA la somme de 1’500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’instance d’appel. En revanche, il convient de débouter les héritiers de [Z] [L] et la Selarl [O] & associés de leurs propres demandes au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS,

La cour,

Dit que la demande de recevabilité d’une intervention volontaire de MM. [V], [B], et [U] [L], et Mme [J] [D], veuve [L] à l’instance d’appel, est sans objet ;

Confirme le jugement rendu le 23 mars 2021 par le tribunal judiciaire de Dunkerque en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant’:

Condamne la Selarl [O] & associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Entreprise générale Tommes père et fils aux dépens d’appel ;

Condamne la Selarl [O] & associés, en qualité de liquidateur judiciaire de la Sarl Entreprise générale Tommes père et fils à payer à la somme de 1’500 euros, respectivement à la Sarl WRA, en qualité de liquidateur judiciaire de [W] [L] et à la SA MMA Iard, au titre de leurs frais irrépétibles exposés en appel, en application de l’article 700 du code de procédure civile’;

Déboute les autres parties de leurs demandes respectives d’indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Dit n’y avoir lieu à déclarer opposable le présent arrêt à la SA MMA Iard.

Le Greffier

Fabienne Dufossé

Le President

Guillaume Salomon

 


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