Responsabilité de l’Avocat : 27 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/01309

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Responsabilité de l’Avocat : 27 septembre 2022 Cour d’appel de Rennes RG n° 21/01309
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1ère Chambre

ARRÊT N°308/2022

N° RG 21/01309 – N° Portalis DBVL-V-B7F-RMRK

S.A.S. TRANSPORTS [T]

C/

S.A. CONSULTORES SAYNA

S.E.L.A.R.L. [E] ET ASSOCIÉS

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE RENNES

ARRÊT DU 27 SEPTEMBRE 2022

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :

Président : Monsieur Fabrice ADAM, Premier Président de chambre entendu en son rapport

Assesseur : Madame Véronique VEILLARD, Présidente de chambre,

Assesseur : Madame Caroline BRISSIAUD, Conseillère,

GREFFIER :

Madame Marie-Claude COURQUIN, lors des débats et lors du prononcé

DÉBATS :

A l’audience publique du 24 Mai 2022

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 27 Septembre 2022 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

****

APPELANTE :

La société TRANSPORTS [T], SAS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 6]

[Localité 3]

Représentée par Me Yann RUMIN de la SELARL VILLAINNE-RUMIN, Postulant, avocat au barreau de NANTES

Représentée par Me Xavier BOREL, plaidant, avocat au barreau de la ROCHE SUR YON

INTIMÉE :

La société [E] AVOCATS, SELARL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Caroline RIEFFEL de la SCP BG ASSOCIÉS, avocat au barreau de RENNES

INTERVENANTE ASSIGNÉE EN APPEL PROVOQUÉ :

La société CONSULTORES SAYNA SA, société de droit espagnol, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité au siège

[Adresse 4]

[Localité 7]

[Localité 7] (ESPAGNE)

Représentée par Me Marie VERRANDO de la SELARL LEXAVOUE RENNES ANGERS, Postulant, avocat au barreau de RENNES

Représentée par Me Antoine MOUTON de la SCP GARMENDIA MOUTON, Plaidant, avocat au barreau de BAYONNE

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS :

En 2012, la société Transports [T] a absorbé par fusion simplifiée transfrontalière sa filiale espagnole, la société [T] Iberica, et a bénéficié pour cette opération de l’assistance juridique du cabinet d’avocats Selarl A. Conseils, aux droits duquel se trouve la société [E] Avocats.

Courant 2013, elle a licencié l’un des salariés (chef de service) de cette filiale, M. [S] [V], convaincu de détournements de fonds. La lettre de licenciement a été préparée par un avocat espagnol (la société Consultores Sayma) que la société A. Conseils a consultée.

Toutefois, ce licenciement a été invalidé pour vice de procédure (non respect du délai de trois jours accordé au salarié, suivant l’article 45 du II de l’Accord général pour les entreprises de transport routier de marchandises, pour faire valoir ses droits) par jugement rendu le 18 octobre 2013 par le tribunal des affaires sociales n°’1 de [Localité 7] qui a condamné la société Transports [T] soit à réintégrer le salarié soit à lui verser une indemnité de 64’640,52 euros, cette somme devant être consignée dans l’intervalle.

L’employeur ayant opté pour la réintégration, le tribunal l’a condamné, par jugement du 6’octobre 2014, à verser au salarié la somme de 16’215,72 euros correspondant aux salaires dus pendant le cours de la procédure et a ordonné la restitution de la différence à la société Transports [T].

Les sociétés Consultores Sayma et A. Conseils s’étant rejeté la responsabilité de l’échec de la procédure de licenciement, la société Transports [T] qui les avait préalablement saisies d’une demande d’indemnisation de son préjudice estimé à la somme de 34’622,38 euros, a, en octobre 2016, fait assigner la société [E] Avocats, venant aux droits de la société A. Conseils, devant le tribunal de grande instance de Nantes.

Le 5 juin 2017, la société [E] Avocats a appelé en intervention forcée la société Sayma et Me [N] [C]. Les deux affaires ont été jointes par ordonnance du juge de la mise en état rendue le 5 septembre 2017.

Par jugement du 11 février 2021, le tribunal de grande instance de Nantes a :

– mis hors de cause Me [N] [C],

– débouté la société Transports [T] de l’intégralité de ses demandes,

– condamné la société Transports [T] à verser à la Selarl [E] et Associés une somme de 3’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– débouté Me [N] [C] et la société Consultores Sayma de leur demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamné la société Transports [T] aux dépens, qui pourront être recouvrés directement par Me [W] [R] conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.

Le tribunal a considéré, pour rejeter la demande, que la société Transports [T] ne rapportait pas suffisamment la preuve que la société A. Conseils Audran avait été chargée de la procédure de licenciement de M. [V].

La société Transports [T] a interjeté appel de cette décision par déclaration en date du 24’février 2021 intimant la Selarl [E] Avocats.

La Selarl [E] Avocats a, par acte du 3 juin 2021, assigné en appel provoqué la société Consultores Sayma.

Aux termes de ses dernières conclusions (1er février 2022), la société Transports [T] demande à la cour de :

– infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de l’intégralité de ses demandes, l’a condamnée aux dépens et au paiement de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

statuant à nouveau :

– dire et juger la société [E] et Associés responsable de la faute commise à l’occasion de la conception et de la rédaction de la lettre de licenciement de M. [S] [V],

– en conséquence condamner la société [E] et Associés à lui payer une somme de 34’622,28 euros à titre de dommages et intérêts ;

– dire et juger qu’en cherchant à conserver la maîtrise du recours en responsabilité contre son sous-traitant dans le dessein d’éluder sa propre responsabilité à l’égard de sa cliente, la société [E] et Associés, violant son devoir d’indépendance, a commis une faute cause d’un préjudice moral distinct du préjudice matériel sus visé,

– condamner la société [E] et Associés au paiement de 10’000 euros de dommages et intérêts à ce titre,

– dire et juger que les sommes allouées produiront intérêts à compter de la mise en demeure du 6 janvier 2016 ;

– dire et juger que les intérêts des capitaux échus depuis au moins une année entière en produiront eux-mêmes ainsi qu’il est dit à l’article 1154 du code civil,

– condamner la société [E] et Associés aux entiers dépens en ce compris les coûts de traduction et au paiement de 15’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle fait valoir que si aucune convention n’a été signée que ce soit avec la société Consultores Sayma ou avec la société A. Conseils Audran ou encore entre ces sociétés, cette dernière lui a facturé 2’800 euros une prestation «’d’assistance juridique à dossier [V]’» ce qui confirme qu’elle avait bien été mandatée. Elle ajoute que dans le cadre de ce mandat, celle-ci a sollicité le concours d’un avocat espagnol.

Elle soutient que, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, la société A. Conseils Audran n’avait pas simplement pour mission d’entrer en contact avec un avocat espagnol (en l’occurrence) la société Sayma, la facture faisant état d’un travail «’d’analyse du dossier et des pièces’» et «’d’examen du dossier et de rédaction’». Elle relève que la société Consultores Sayma a rédigé la lettre de licenciement à la demande et sur les indications techniques du cabinet A. Conseils Audran, selon un schéma de sous-traitance de service.

Elle fait également valoir que si la société Audran Conseils a pu conclure un contrat de sous-traitance avec la société Sayma, elle ne saurait se défausser de sa responsabilité contractuelle en invoquant une erreur qu’elle n’a pas détectée commise par son sous-traitant. Elle fait valoir qu’elle n’a jamais été en relation avec la société Sayma et soutient donc que sa contractante doit répondre de la faute commise par celle-ci.

Quant au préjudice, elle précise avoir bien consigné à la banque Caixa la somme de 16’215,72 euros due à M. [V]. Elle explique que cette consignation représente bien un préjudice actuel, certain et définitif. À cette somme s’ajoute, selon elle, les différents frais qu’elle a dû avancer dans cette affaire. Le compte total s’établit à la somme de 34’622,38 euros.

Enfin, elle estime que le comportement de la société [E] Avocats, qui a pour seul dessein d’échapper à sa responsabilité, justifie le paiement d’une somme de 10’000 euros au titre des dommages et intérêts.

Elle réclame que le coût des traductions des pièces soit expressément inclus dans les dépens.

Aux termes de ses dernières conclusions (27 avril 2022), la Selarl [E] Avocats demande à la cour de :

– confirmer le jugement entrepris,

– débouter l’appelante de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner l’appelante à lui verser la somme de 17’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

subsidiairement :

– condamner la société Consultores Sayma à la garantir et la relever indemne de toute éventuelle condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre au profit de la société Transports [T], appelante, en ce compris toute éventuelle condamnation accessoire au titre des dépens, intérêts et au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– condamner la société Consultores Sayma à lui verser la somme de 17’000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Elle réaffirme tout d’abord avoir eu pour seule mission de mettre en relation son client, la société Transports [T], avec un avocat espagnol compétent en droit du travail à savoir la société Consultores Sayma.

Elle soutient que «'(l)’analyse du dossier et des pièces» était nécessaire à la prise de contact, l’information et la transmission des éléments utiles au cabinet Sayma. Elle relève que d’ailleurs, la société Transports [T] s’est d’abord adressée à la société Sayma pour être indemnisée.

Son rôle étant limitée, elle précise ne pas s’être immiscée dans ce dossier très technique pour lequel elle n’avait pas les compétences requises. Surtout, elle estime que les conditions de l’article 1994 du code civil relative à l’engagement de la responsabilité du mandataire initial ne sont pas réunies puisque le mandant l’avait autorisée à se substituer quelqu’un.

En tout état de cause, elle sollicite la garantie de la société Consultores Sayma qui omet de préciser les informations erronées qu’elle lui aurait communiquées et qui n’a jamais indiqué que sa lettre n’était «’qu’un simple projet’» dans la mesure où la procédure de licenciement du salarié a été entièrement prise en charge par elle.

Elle conteste tant le préjudice matériel que moral allégué par l’appelant.

Aux termes de ses dernières conclusions (13 avril 2022), la société Consultores Sayma demande à la cour de :

– confirmer le jugement rendu le 11 février 2021 par le tribunal judiciaire de Nantes en toutes ses dispositions, et notamment en ce qu’il a débouté la société Transports [T] de l’intégralité de ses demandes,

– débouter les sociétés Transports [T] et [E] Avocats de l’intégralité de leurs demandes fins et conclusions dirigées à son encontre,

à titre subsidiaire, si par impossible la cour réformait le jugement entrepris et condamnait la société [E] et Associés :

– juger que ni la société Transports [T] ni la société [E] Avocats ne lui ont confié une quelconque mission d’assistance et de conseil,

– juger que la relation nouée entre elle même et la société [E] Avocats est uniquement un simple service non rémunéré, non créateur d’obligations autres que celles de rédiger un simple « proyecto de correo », à savoir un « projet de courrier’»,

– juger que le cabinet [E] Avocats est resté seul « maître du dossier », et qu’il a assumé seul la responsabilité de la procédure litigieuse vis-à-vis de la société Transports [T]

– juger qu’elle n’a commis aucun manquement en relation avec le préjudice prétendument subi par la société Transports [T],

– la mettre hors de cause, et débouter la société [E] Avocats, et au besoin toute autre partie, de toutes leurs demandes dirigées à son encontre,

à défaut, si un principe quelconque de responsabilité était retenu à son encontre :

– juger que les sommes réclamées par la société Transports [T] ne sont nullement justifiées dans leur principe ou dans leur quantum,

– la débouter de l’intégralité de ses demandes,

– débouter la société [E] Avocats de toute demande de condamnation à être relevée indemne en ce qu’elle est dirigée à son encontre,

– à défaut, juger que sa condamnation ne pourra excéder 20% du total des sommes qui seraient attribuées à la société Transports [T], et rejeter toutes prétentions plus amples,

– condamner la société [E] Avocats à la garantir et la relever indemne de toutes condamnations susceptibles d’être mise à sa charge, dans un pourcentage qui ne saurait être inférieur à 80%,

en toute hypothèse :

– condamner la société [E] Avocats à lui payer une juste indemnité de 7’500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens dont distraction au profit de Me Marie Verrando Cabinet Lexavoue Rennes Angers.

Elle sollicite la confirmation de la décision de première instance en ce qu’elle a débouté la société Transports [T] de ses demandes et dit n’y avoir lieu à statuer sur sa mise en cause.

Elle conteste les demandes présentées par la société [E] Avocats à son encontre faisant valoir qu’elle n’a entretenu aucune relation contractuelle avec la société Transports [T] et rappelle qu’elle n’a pas facturé de prestation que ce soit à la société A. Conseils Audran ou à la société Transports [T].

Elle soutient donc que la société A. Conseils Audran demeurait seule responsable à l’égard de son mandant en sa qualité de «’maître du dossier’». Enfin, elle indique s’être contentée de rédiger un projet de lettre de licenciement qui n’avait pas pour objectif d’être définitif et qui dépendait entièrement des informations, par ailleurs erronées, transmises par la société A. Conseils Audran. Elle prétend que cette rédaction constituait un simple service entre confrères étrangers. Le fait que la société Transports [T] ait confié sa défense devant les juridictions sociales espagnoles à un autre conseil prouve, selon elle, que l’échec de la procédure prud’homale ne peut lui être imputée.

S’agissant des préjudices subis par la société Transport [T], elle estime que la consignation d’une somme de 16’215,72 euros ne peut être considérée comme un dommage certain, ce dépôt n’étant pas définitif. Elle ajoute que cette société pourra réclamer le paiement du montant de la tramitacion devant la juridiction pénale, une procédure étant en cours à l’encontre de M.'[V]. Elle prétend en tout état de cause que les pièces fournies par la société Transports [T] sont insuffisantes pour justifier un préjudice à hauteur d’une somme de 34’622,38 euros ou pour justifier l’existence d’un préjudice moral.

Elle conteste l’utilité des traductions.

Subsidiairement, elle demande à la cour de limiter sa garantie à 20 %, la responsabilité de la société A. Conseils Audran, seule contractante avec la cliente, étant primordiale.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 3 mai 2022.

SUR CE :

Sur l’action en responsabilité de la société Transports [T] à l’encontre de la Selarl A. Conseils aux droits de laquelle intervient la Selarl [E] Avocats’:

L’avocat est tenu à l’égard de son client d’un devoir de conseil et doit, en sa qualité de rédacteur d’un acte juridique, assurer, aux termes de l’article 9 du décret du 12 juillet 2005, «’la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties’».

La mise en ‘uvre de sa responsabilité par le client obéit aux conditions communes de la responsabilité contractuelles qui supposent la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.

La faute s’apprécie en considération de la mission confiée à l’avocat. Celle-ci résulte notamment de la convention d’honoraires liant les parties lorsqu’il en a été rédigé une.

En l’espèce, et pour regrettable que ce soit, aucune convention ou lettre de mission n’a été signée entre la société Transports [T] et la Selarl A. Conseils (mais à l’époque des faits, elle n’était pas encore obligatoire en cette matière).

Si la société A. Conseils conteste avoir été chargée de la procédure de licenciement de M.'[S] [V], elle admet cependant que la société Transport [T] lui avait demandé de trouver un avocat espagnol ce qui, selon elle, a justifié sa facture d’honoraires du 30 juin 2013 (page 9/18 de ses écritures).

En l’espèce, il ressort des pièces produites aux débats que’:

– à une date non précisée (mais qui, au vu du décompte détaillé joint à la facture d’honoraires correspond au 17 juin 2013 ‘ ligne intitulée courrier [S]), la Selarl A. Conseils, sous les signatures de [K] [E] et [M] [B], a adressé à Mme [L] [A] (société Transports [T]) le courriel suivant’: «’Dans cette affaire nous vous prions de bien vouloir trouver ci-joint la reconnaissance de dette qu’il convient de faire signer à Monsieur [S] [D] [V]. Nous restons à votre disposition pour toute information complémentaire…’»,

– le mardi 18 juin à 14h28, Mme [A] a adressé à Me [E] la reconnaissance de dette (établie sur le modèle transmis) signée par M. [V] (reconnaissance de dette d’un montant de 186’972,28 euros, pièce n°’2 de la société Selarl [E] et Associés),

– le même jour, la Selarl A. Conseils a recherché un confrère espagnol (décompte détaillé joint à la facture d’honoraires ‘ facturé deux heures de travail, pièce 3-2 Transports [T]),

– le mercredi 19 juin à 10h23, Mme [A] a adressé à Me [E] (Selarl A. Conseils) le courriel suivant’: «’Re bonjour, comme convenu, je vous transmets les identités des personnes de la comptabilité de [T] iberica pour lesquelles nous estimons que leurs responsabilités sont susceptibles d’être engagées dans le cadre du détournement avéré du gérant [S] [V]…’», complété à 12h31 par un second courriel «’…Je vous envoie les quelques factures d’achat faits à ses fins personnels et payés par la carte. S’agissant de l’achat du quad (Jet spirit) il a fait comptabiliser pour la société pour lui facturer. Nous avons plusieurs jours pour tout récupérer. C’est inimaginable…’», puis à 12h37 par un troisième courriel auquel une photo (non communiquée) a été jointe’: «’comme vous pouvez constater habitant à [Localité 5] il y a de la thalassothérapie à [Localité 5], les frais du X5 voiture personnelle facturés à Siberica. Et comptabilisé en frais divers (Gastos varios). L’équipement de sa maison a été fait aux frais de la société’»,

– le même jour, la Selarl A’. Conseils a écrit un courrier (non produit aux débats) au correspondant espagnol et a procédé à une analyse du dossier et des pièces, cette prestation étant facturée quatre heures de travail, suivant le décompte détaillé joint à la facture d’honoraires, pièce 3-2 Transports [T]),

– le jeudi 20 juin à 9h16, Me [B] (avocate bilingue du cabinet A. Conseils) a adressé, en espagnol, à Me [N] [C] du cabinet Sayma un courriel dont la traduction (pièce n° 1 bis de la société Consultores Sayma) est la suivante’: «’Nous vous envoyons les documents que nous avons pu récupérer pour démontrer les actions déloyales et l’abus de confiance de M.'[S] [V], employé de la société [T] Iberica. [T] Iberica SL est une société qui a une activité de transport de marchandises. Comme nous en avons discuté cet après-midi, [T] Iberica (‘) a fait l’objet d’une opération de fusion de la part de la société Transports [T] (‘). M. [I] [T] est le président de Transports [T]’; M. [S] [V] est le chef de service de [T] Iberica. Son contrat de travail a été signé le 28’avril 2005. Nous vous confirmons que M. [S] [V], dont les informations apparaissent dans le contrat de travail, a utilisé l’argent des comptes bancaires de [T] Iberica (par le biais d’achats par carte bancaire, virements bancaires, etc…) pour effectuer des achats personnels sans aucune autorisation. Il apparaît que le montant total pourrait être approximativement 500’000 euros pour la période 2010 à 2013. M. [V] a signé hier un document reconnaissant les faits délictueux pour un montant de 185’000 euros. Pour ces raisons nous considérons comme absolument nécessaire que M. [V] soit licencié disciplinairement selon la réglementation espagnole. C’est pourquoi nous vous prions d’avancer dans la rédaction de la lettre de licenciement pour que M. [T] puisse la remettre dès demain. (Comme convenu au téléphone) nous vous envoyons les documents que nous avons pu obtenir ces derniers jours afin que les faits découverts puissent être incorporés au sein de la lettre de licenciement. Nous restons dans l’attente que (dès la rédaction du projet de courrier) vous nous le remettiez, s’il vous plaît, afin de pouvoir le (soumettre) au client. Nous restons à votre disposition pour aborder et éclaircir toute question que vous pourriez avoir’»,

– le même jour à 12h38, Me [N] [C] a adressé à Me [B] en espagnol le courriel suivant'(suivant traduction produite aux débats) : «’je vous envoie le texte de la lettre de licenciement disciplinaire. Comme je l’ai mis en première ligne en rouge, s’il y avait des délégués, vous devriez leur donner une copie et s’il n’y en avait pas rien. Je joins les factures que vous m’avez envoyées à titre d’exemple, ainsi que la lettre où il reconnaît les faits et qu’il conserve une copie signée par le sanctionné. S’il ne veut pas signer le reçu, demandez à deux témoins de signer pour attester qu’il lui a été remis. J’ai mis la date de demain sur la lettre, si vous comptez la lui donner aujourd’hui, changez-la et elle pourra partir’» (pièce n° 6 Selarl [E] & Associés),

– le même jour à 13h12, Me [M] [B] a transmis à Mme [A] (Transports [T]) le projet de lettre de licenciement’: «’Dans cette affaire, je vous adresse la lettre de licenciement rédigée par notre confrère espagnol, [N] [C] du cabinet Sayma, qu’il convient que M. [I] [T] remette à M. [S] [V] en main propre contre décharge ainsi qu’au délégué du personnel (également contre décharge). Vous devrez y annexer les documents (factures, reconnaissances de dettes) que vous nous avez transmis hier…’».

Le lettre de licenciement a été notifiée, telle que rédigée par Me [C], le 20 juin 2013 à M. [V] (pièce n° 4 de l’appelante).

La société A. Conseils a facturé sa prestation le 30 juin 2013 (facture n° 13F62) ayant pour objet «’notre assistance juridique à [V]’» à la somme de 3’241,01 euros HT dont 2’700 euros HT à titre d’honoraires.

Le décompte détaillé (pièce 3-2 de l’appelante), fait état de 15 heures de travail (soit 180 euros HT/heure) pour des prestations effectuées entre le 17 et le 28 juin 2013 dont 4h30 postérieurement au 20 juin (les 24, 25, 26 et 28 juin). Ces prestations ont vraisemblablement trait à la plainte pénale dont la Selarl [E] Avocats fait état dans ses écritures.

Il en résulte que, pour le licenciement de M. [V], cette société a facturé 10h30 de travail.

Il ressort de ces éléments (incomplets puisque manquent notamment le courrier de saisine adressé le 19 juin 2013 par la Selarl A. Conseils au cabinet Sayma et, bien sûr, le contenu des échanges téléphoniques) que la société Transports [T], une fois découverts, courant juin 2013, les détournements de fonds reprochés à l’ancien gérant de sa filiale espagnole, a pris contact avec son avocat qui l’a manifestement assisté dans le cadre de la préparation du licenciement puisqu’il a rédigé la reconnaissance de dette signée par le salarié, qu’il a été destinataire des différents éléments recueillis par l’employeur, a analysé le dossier, recherché un confrère espagnol avec lequel il a été seul en contact (ne s’étant nullement contenté d’en transmettre les coordonnées à la cliente pour qu’elle entre en relations avec lui) et auquel il a confié le soin de rédiger un projet de lettre de licenciement, projet qu’il a ensuite transmis à la société Transports [T], assorti de certaines directives, l’ensemble de ces prestations ayant été facturé, au titre des seuls honoraires, 1’890 euros HT, somme en adéquation avec la rédaction d’une lettre de licenciement d’un salarié fût-il employé par une filiale étrangère.

S’il est bien sûr tout à fait possible (mais non démontré) que la Selarl A. Conseils ait informé sa cliente de ce qu’elle allait prendre attache avec un avocat espagnol, elle ne s’est pas pour autant déchargée du dossier mais est, au contraire, demeuré le seul interlocuteur de celui-ci, la société Consultores Sayma n’ayant jamais été en contact avec la société Transports [T].

Contrairement à ce que l’intimée prétend, le dossier ne présente pas de difficulté particulière, sous réserve de respecter la procédure applicable (c’est à dire, en l’espèce, le droit espagnol), raison pour laquelle elle a consulté un avocat espagnol sans pour autant se dessaisir du dossier, ayant été la seule à facturer des honoraires dans cette affaire.

La circonstance retenue par le tribunal tirée du fait que le commissaire aux comptes de la société Transports [T], M. [H] [U], ait pu écrire le 3 juillet 2013 au procureur de la République que la procédure de licenciement avait été réalisée par un juriste espagnol est indifférente puisque ce courrier n’émane pas de la société Transports [T] et qu’il est, de surcroît, établi qu’elle ne correspond pas exactement à la réalité.

De même, il ne peut être tiré argument de ce qu’après l’échec du licenciement (invalidé en octobre 2013 pour non respect du délai de trois jours accordé au salarié pour contester les faits et se défendre, ce point n’ayant pas été porté à la connaissance de l’employeur qui a donc méconnu cette obligation), la société Transports [T] ait tenté d’obtenir réparation tant de la société Consultores Sayma (lettre du 14 mai 2014 mettant en cause sa responsabilité pour ne pas l’avoir informé de l’obligation du II de l’Accord général pour les entreprises de transport routier de marchandises) que de la Selarl A. Conseils (lettre du 22 septembre’: «’nous vous faisons responsables des préjudices subis en juin dernier, suite au licenciement disciplinaire de M. [S] [V] pour lequel vous avez rédigé la lettre de licenciement en question. Dans cette lettre, vous avez suivi la procédure prévue dans la convention collective’ au lieu de suivre celle qui est prévue au II Accord Général… La différence est substantielle… la deuxième prévoit et oblige l’entreprise à accorder au travailleur sanctionné un délai de trois jours afin qu’il puisse (se défendre)’», après que la société Sayma eût contesté toute responsabilité, ayant, selon elle, seulement rédigé un brouillon de lettre pour rendre service à Me [B], sans réunion, sans contact avec le client, sans documentation et gracieusement, lettre du 16 mai 2014), avant d’exprimer à nouveau, le 25 septembre 2014, le souhait de rechercher la responsabilité de la société Sayma, ce à l’instigation, selon l’appelante, de la Selarl A. Conseils (pièces n° 8 à 13 de l’appelante).

Aussi, est-ce à tort que le premier juge (auquel le décompte détaillé des prestations de l’avocat n’avait toutefois pas été communiqué) a considéré que la preuve de ce que la Selarl A Conseils avait été chargée de la rédaction d’une lettre de licenciement et de la procédure à suivre était insuffisamment établie.

Ayant transmis à sa cliente un projet de courrier de licenciement «’disciplinaire’» (pour faute grave) dépourvu d’efficacité puisque la procédure a été censurée en raison du non respect d’une obligation protectrice du salarié, la société A. Conseils, aux droits de laquelle se trouve la Selarl [E] & Associés, a commis une faute et engagé sa responsabilité civile à l’égard de sa cliente.

Elle ne saurait s’exonérer de cette faute en prétendant qu’elle a été commise par la société Sayma et que son mandant l’avait autorisé à se substituer un tiers (article 1994 «’Le mandataire répond de celui qu’il s’est substitué dans la gestion 1° quand il n’a pas reçu le pouvoir de se substituer quelqu’un…’»), ce dont elle ne rapporte nullement la preuve.

Cette faute se trouve directement à l’origine du préjudice subi résultant de l’annulation du licenciement.

Compte tenu de la gravité des faits reprochés à M. [V] ‘ dont il convient de rappeler qu’il était le gérant de la filiale espagnole de la société Transports [T] ‘ il est évident que si la procédure avait été observée, le licenciement disciplinaire aurait été validé, s’agissant de détournements importants de fonds commis par le responsable de l’entreprise dans l’exercice de ses fonctions.

Le préjudice recouvre deux éléments, d’une part, les frais que la société Transports [T] a été contrainte d’exposer devant les juridictions espagnoles pour se défendre sur la demande introduite par M. [V] et, d’autre part, les salaires qu’elle a été contrainte de lui verser.

Sur le premier point, la société Transports [T] justifie des frais qu’elle a exposés (ses pièces 7 à 7-18, honoraires d’avocat’: Legeka 2’830 euros HT, frais de traduction’: 1100 euros non soumis à la TVA), soit 3’930 euros HT.

Sur le second point, la société a, ayant fait le choix de réintégrer M. [V], versé en exécution de la décision du 6 juin 2014 au salarié une somme de 16’215,72 euros. Le fait allégué par la Selarl [E] & Associés que cette somme pourrait venir en compensation des sommes dues par l’intéressé en raison des détournements qu’il a commis est évidemment sans conséquence sur la responsabilité de l’avocat (et aurait pour effet à suivre ce raisonnement de faire supporter à la cliente les conséquences de la faute de l’avocat).

S’ajoutent à cette somme, les salaires dont il est justifié entre mars et juin 2014, soit la somme de 12’226,63 euros, soit au total pour ce poste la somme de 28’442,35 euros.

Le surplus des demandes, afférents à la souscription d’un prêt, sera rejeté, le lien de causalité étant insuffisamment caractérisé.

La société [E] Avocats sera donc condamnée à verser à la société Transports [T] les sommes de 3’930 euros HT pour les frais d’avocat et de traduction exposés et de 28’442,35 euros pour les conséquences du licenciement annulé.

La société Transports [T] sollicite, en outre, une somme de 10’000 euros en réparation de l’attitude déloyale de son ancien conseil qui a tout fait pour éluder sa responsabilité, cherchant à conserver la maîtrise du dossier pour l’orienter dans un sens qui lui était favorable. Cette attitude, établie, permet de caractériser le préjudice allégué. De ce chef, il sera allouée à l’appelante une somme de 3 000 euros.

Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et seront capitalisées par périodes annuelles.

Sur l’appel en garantie de la société Consultores Sayma’:

Il est établi que la Selarl A. Conseils a demandé à la société Sayma la rédaction d’un projet de lettre de licenciement disciplinaire ce que cette dernière a accepté gracieusement de faire dans le cadre d’une entraide entre confrères de nationalité étrangère et, ce dans un délai particulièrement contraint.

Il est constant que dans la transmission qu’elle a effectuée, cette société n’a pas fait état du délai donné au salarié par le II de l’Accord général, délai que l’employeur devait respecter, faute de quoi la procédure pouvait être annulée. De ce fait, la société Consultores Sayma a engagé sa responsabilité.

Cependant sa responsabilité doit être appréciée en tenant compte des circonstances de son intervention (informations communiquées, délai, rémunération). Or, en l’espèce, la société Sayma n’avait qu’une connaissance très partielle du dossier n’ayant jamais été mise en relation avec la cliente. La société A. Conseil a sollicité un retour particulièrement court afin que sa cliente puisse remettre la lettre de licenciement au salarié concerné dès le lendemain. Enfin, et comme il a été précisé, la société Sayma a effectué sa prestation gratuitement.

Au regard de ces éléments, la garantie à laquelle la société Sayma sera condamnée doit être limitée à une proportion que la cour estime à 25 %, la société A. Conseils ayant largement concouru à la réalisation du sinistre faisant le choix de ne pas solliciter une véritable consultation juridique rémunérée.

Il convient de préciser que la garantie ne portera que sur les frais d’avocat et de traduction et dues les sommes versées à M. [V], mais non sur la somme allouée au titre du préjudice moral.

Sur les dépens et les frais irrépétibles’:

Partie succombante, la société [E] Avocats supportera la charge des dépens de première instance et d’appel.

Elle devra, en outre, verser sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile une somme de 10 000 euros à la société Transports [T].

La société Consultores Sayma sera condamnée à garantir la société [E] Avocats de ces condamnations à concurrence de 25 %.

L’équité exclut que la société Consultores Sayma soit condamnée à verser à la société [E] Avocats une somme sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La demande de la société Consultores Sayma sur ce même fondement sera également rejetée.

PAR CES MOTIFS’:

La Cour,

Statuant par arrêt rendu publiquement et contradictoirement’:

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Nantes le 11 février 2021 dans le litige opposant la société Transports [T] à la société [E] & Associés et la société [E] Avocats à la société Consultores Sayma.

Statuant à nouveau’:

Dit que la Selarl A. Conseils, aux droits de laquelle intervient la Selarl [E] & Associés, a commis une faute de nature à engager sa responsabilité à l’égard de la société Transports [T].

Condamne la société [E] Avocats à verser à la société Transports [T] des sommes de’:

– 3’930 euros HT au titre des frais d’avocat et de traduction engagés pour se défendre notamment devant les juridictions espagnoles,

– 28’442,35 euros au titres sommes versées à M. [S] [V] ou pour son compte,

– 3’000 euros en réparation du préjudice moral,

ces sommes avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.

Dit que ces sommes seront capitalisées par périodes annuelles.

Rejette le surplus des demandes.

Dit que la société Consultores Sayma a commis une faute de nature à engager sa responsabilité et la condamne à garantir la Selarl [E] Avocats à hauteur de 25 % des sommes allouées au titre des frais d’avocats et de traduction et au titre des sommes versées à ou pour le compte de M. [S] [V].

Condamne la Selarl [E] Avocats aux dépens de première instance et d’appel.

Autorise les avocats qui en ont fait la demande à recouvrer directement contre elle ceux des dépens dont ils auraient pu faire l’avance sans avoir reçu provision.

Condamne la Selarl [E] & Associés à verser à la société Transports [T] une somme de 10’000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

Condamne la société Consultores Sayma à garantir la Selarl [E] Avocats à hauteur de 25 % des condamnations prononcées au titre des dépens et des frais irrépétibles.

Déboute la Selarl [E] Avocats et la société Consultores Sayma de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIERLE PRÉSIDENT

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