Responsabilité de l’Avocat : 23 mai 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 21/02274

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Responsabilité de l’Avocat : 23 mai 2023 Cour d’appel de Pau RG n° 21/02274
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PhD/ND

Numéro 23/1725

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRET DU 23/05/2023

Dossier : N° RG 21/02274 – N° Portalis DBVV-V-B7F-H5NT

Nature affaire :

Demande en paiement du prix et/ou tendant à faire sanctionner le non-paiement du prix

Affaire :

S.E.L.A.R.L. JURIS CONSULTANT-JEAN-CHRISTOPHE ROUGE ET ASSOCIÉS

C/

[U] [R]

[X] [R]

[M] [O]

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 23 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 07 Mars 2023, devant :

Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l’appel des causes,

Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

S.E.L.A.R.L. JURIS CONSULTANT – Jean-Christophe ROUGE & Associés

avocats au barreau de Bayonne

[Adresse 7]

[Localité 4]

Représentée par Me Sophie CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU

Assistée de Me Nicolas LARRAT (SCP LARRAT), avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMES :

Monsieur [U] [R]

né le 05 Décembre 1991 à [Localité 8] (33)

de nationalité française

[Adresse 2]

[Localité 6]

Monsieur [X] [R]

né le 01 Février 1987 à [Localité 8] (33)

de nationalité française

[Adresse 3]

[Localité 5]

Représenté par Me Emmanuel TANDONNET de la SCP TANDONNET – LIPSOS LAFAURIE, avocat au barreau de TARBES

SELARL MJPA

représentée par la SCP [C] [G], prise en la personne de Monsieur [G] [C], administrateur provisoire de la SELARL MJPA, mandataire judiciaire

prise en sa qualité de liquidateur à la liquidation ludiciaire de la SARL BOULANGERIE DU MOULIN, intervenant volontaire

[Adresse 1]

[Localité 5]

Représenté par Me Paul CHEVALLIER de la SCP CHEVALLIER-FILLASTRE, avocat au barreau de TARBES

sur appel de la décision

en date du 01 JUIN 2021

rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE TARBES

FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

La société à responsabilité limitée Boulangerie du moulin exploitait, sur la commune de [Localité 5], un fonds de commerce de boulangerie-pâtisserie dans un local pris à bail commercial en date du 6 mars 2003.

Par jugement du 20 février 2017, le tribunal de commerce de Tarbes a prononcé la résolution du plan de redressement de la société Boulangerie du moulin et ouvert une procédure de liquidation judiciaire à son égard.

M. [X] [R] et M. [U] [R], son frère, (ci-après les consorts [R]) ont confié à la société d’exercice libéral à responsabilité limitée Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés, avocat au barreau de Bayonne, (ci-après l’avocat rédacteur) l’élaboration et la rédaction d’une offre de reprise du fonds de commerce de la liquidation judiciaire.

Le 26 avril 2017, les consorts [R] ont remis à Me [O], liquidateur judiciaire, une offre de reprise, datée du 24 avril, du fonds de commerce moyennant un prix de 110.000 euros payable au comptant le jour de la signature de l’acte de cession au moyen d’un prêt du même montant souscrit auprès de la Banque Populaire Occitane, l’accord de celle-ci étant annexé à l’offre de reprise, et l’acte de cession devant être régularisé par l’entremise de Mme [S] [L], représentant la selarl Juris consultant, rédactrice de l’offre.

Par ordonnance définitive du 9 mai 2017, le juge-commissaire a autorisé la cession de gré à gré du fonds de commerce au profit des consorts [R] conformément aux termes de l’offre de reprise.

Le 23 mai 2017, l’avocat rédacteur a transmis le projet d’acte de cession au liquidateur judiciaire.

Cependant, courant juillet 2017, le cessionnaire et leur conseil ont avisé le liquidateur judiciaire des difficultés rencontrées pour obtenir un prêt de 40.000 euros nécessaire au déblocage du prêt de la banque populaire occitane et de l’impossibilité de régulariser, en l’état, l’acte de cession.

Le 28 août 2017, la bailleresse a fait délivrer au liquidateur judiciaire un commandement de payer visant la clause résolutoire pour défaut de paiement des loyers postérieurs au jugement de liquidation judiciaire d’un montant total de 13.404,48 euros.

Ne disposant d’aucun fonds, et le cessionnaire ne pouvant régulariser l’acte de cession faute de disposer du financement requis, le liquidateur judiciaire a résilié le bail commercial, vendu le matériel d’exploitation et restitué les locaux le 29 novembre 2017.

Estimant que le cessionnaire avait failli à ses obligations contractuelles en ne régularisant l’acte de cession du fonds de commerce, et suivant exploit du 11 décembre 2018, Me [O] ès qualités a fait assigner les consorts [R] par devant le tribunal de grande instance de Tarbes en responsabilité et indemnisation du préjudice subi par la liquidation judiciaire de la société Boulangerie du moulin d’un montant de 115.061,38 euros, égal au prix de cession majoré des loyers impayés et déduction faite du prix de vente du matériel, au visa des articles L. 642-19 du code de commerce et 1103 et suivants du code civil.

Suivant exploit du 11 décembre 2018, les consorts [R] ont appelé en intervention forcée, aux fins de garantie, la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés.

Les deux instances ont été jointes.

Par jugement contradictoire du 1er juin 2021, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal judiciaire de Tarbes, anciennement tribunal de grande instance, a :

– condamné in solidum les consorts [R] à payer à Me [O] ès qualités la somme de 115.061,38 euros

– débouté Me [O] ès qualités de ses demandes contre la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés

– condamné in solidum les consorts [R] à payer à Me [O] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– condamné in solidum les consorts [R] aux dépens

– condamné la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés à garantir et relever indemnes les consorts [R] de l’ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, y compris celles au titre des frais irrépétibles et des dépens.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 5 juillet 2021, la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés a relevé appel de ce jugement.

La selarl MJPA, représentée par la SCP [G] [C], prise en la personne de M. [G] [C], administrateur provisoire de la selarl MJPA, en qualité de liquidateur judiciaire de la société Boulangerie du moulin est intervenue volontairement aux débats pour reprendre l’instance suivie à l’égard de Me [O], puis de la selarl MJPA représentée par Me [O], à la suite du décès de Me [O].

La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2023.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 31 janvier 2023 par la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés qui a demandé à la cour de réformer partiellement le jugement en ce qu’il l’a condamnée à garantir et relever indemne les consorts [R] et, statuant à nouveau, de :

– révoquer l’ordonnance de clôture du 11 janvier 2023

– débouter les consorts [R] de l’ensemble de leurs demandes dirigées à son encontre

– débouter en tout état de cause la selarl MJPA ès qualités de son appel incident tel que dirigé à son encontre

– les condamner in solidum au paiement d’une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 2 février 2023 par les consorts [R] qui ont demandé à la cour, au visa du règlement intérieur national de la profession d’avocat, du décret 2005-790 du 12 juillet 2005 relatif aux règles de déontologie de la profession d’avocat, des articles 1103, 1231-1 et suivants du code civil et L. 642-2 du code de commerce, de :

– débouter l’appelante de sa demande de révocation de l’ordonnance de clôture et d’écarter, en conséquence, les conclusions récapitulatives n°2 et 3

– confirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a condamnés à payer au liquidateur judiciaire la somme de 115.061,38 euros à titre de dommages et intérêts

– débouter la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés de son appel et confirmer le jugement entrepris à l’égard de celle-ci

– statuer comme il appartiendra sur l’appel incident de la selarl MJPA ès qualités dirigé contre la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés recherchée sur le fondement de la responsabilité délictuelle

– débouter la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile

– débouter la selarl MJPA de sa demande fondée sur l’article 700 du code de procédure civile

– condamner la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés à leur payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 18 octobre 2021 par la selarl MJPA ès qualités qui a demandé à la cour, au visa des articles L. 642-19 du code de commerce, 1103 et suivants et 1231 et suivants du code civil et 1240 et suivants du code civil, de :

A l’égard des consorts [R] :

– confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

A l’égard de la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés :

– Au principal, réformer le jugement et, statuant à nouveau, condamner la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés solidairement avec les consorts [R] à lui payer la somme de 115.061,38 euros, outre les dépens et celle de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile

– Subsidiairement, confirmer le jugement entrepris

En cause d’appel, condamner in solidum les consorts [R] et la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS

sur la révocation de l’ordonnance de clôture

Il convient de révoquer l’ordonnance de clôture et d’admettre les conclusions et pièces du 31 janvier 2023 de l’appelante, dans les suites de ses précédentes conclusions du 11 janvier 2023, jour de la clôture, en réponse aux conclusions du 6 janvier 2023, proches de la clôture, des consorts [R] dès lors qu’elles ne comportent pas de prétentions ou moyens nouveaux et que la pièce n°11, censée justifier de l’envoi du courriel du 4 avril 2017, a pu être examinée et débattue par les consorts [R] dans leurs conclusions du 2 février 2023, leur conseil ayant indiqué, sur question de la cour, que, en cas de révocation de l’ordonnance de clôture, il ne sollicitait pas un délai pour conclure mais s’en tenait à ses mêmes dernières écritures du 2 février 2023, tandis que le conseil de l’appelante précisait également s’en tenir à ses dernières conclusions du 31 janvier 2023.

sur la responsabilité contractuelle du cessionnaire défaillant

Les consorts [R], en leur qualité de cessionnaire, ne contestent pas être tenus d’indemniser le préjudice subi par la liquidation judiciaire du fait de leur abstention fautive de régulariser l’acte de cession du fonds de commerce, à défaut de disposer du financement nécessaire à cette fin, alors que la vente était devenue parfaite en exécution de l’ordonnance du juge-commissaire du 9 mai 2017, passée en force de chose jugée, ni le montant du préjudice consécutif liquidé à la somme de 115.061,38 euros à titre de dommages et intérêts, correspondant à la perte du prix de cession, soit la somme de 110.000 euros, majorée des loyers impayés nés entre ladite ordonnance et le 30 septembre 2017, date de résiliation du bail, soit la somme de 15.061,38 euros et déduction faite du prix de vente du matériel du fonds de commerce, soit la somme de 10.000 euros.

Le jugement sera confirmé de ce chef, conformément à la demande du liquidateur judiciaire et des consorts [R].

sur la responsabilité contractuelle de l’avocat rédacteur de l’offre d’acquistion

L’appelante fait grief au jugement entrepris d’avoir retenu sa responsabilité professionnelle, notamment en ne prévoyant pas l’insertion d’une condition suspensive d’obtention du prêt qui aurait permis au cessionnaire de se libérer de son offre de reprise, alors que :

– elle avait informé et mis en garde messieurs [X] et [U] [R], par mail du 4 avril 2017, sur le fait que l’offre de reprise ne pourrait être utilement présentée que pour autant qu’ils puissent justifier de l’apport personnel exigé par la Banque Populaire Occitane pour débloquer le prêt de 110.000 euros et que, à défaut, le prix de cession ne pourrait pas être payé au liquidateur

– les consorts [R] n’ont jamais établi auprès de leur avocat qu’ils avaient pu mobiliser l’apport personnel attendu

– cette situation semble résulter de la non-obtention du prêt par leurs parents auprès du Crédit Agricole, même si aucune explication sérieuse n’a jamais été donnée ni aucun refus de prêt

– lors d’un entretien téléphonique, les consorts [R] ont insisté pour que l’offre soit rapidement établie, faisant leur affaire personnelle de l’apport exigé par la BPO, et c’est en toute connaissance de cause qu’ils l’ont requise d’établir l’offre

– ils ont accepté en réalité de prendre tous les risques afin de présenter, coûte que coûte, l’offre d’achat devenue litigieuse, et dont ils savaient que, une fois déposée, elle serait irrévocable, comme en atteste le visa, dans l’offre de reprise, des dispositions de l’article L. 642-2 du code de commerce

– la clause de validité de l’offre jusqu’au 31 mai 2017, insérée dans celle-ci, démontre encore, a contrario, que les consorts [R] savaient qu’en cas d’acceptation, ils seraient contraints de régler le prix stipulé et qu’il ne pourrait s’acquitter de cette obligation qu’en disposant de l’apport personnel exigé par la BPO

– les consorts [R] ont souhaité prendre un risque qu’ils avaient pu parfaitement appréhender, en escomptant manifestement dans l’intervalle séparant l’offre de sa soumission au juge-commissaire pouvoir mobiliser l’apport personnel, ce qu’ils ne sont pas parvenus à faire

– en conséquence, l’avocat rédacteur n’a pu commettre aucun manquement en accompagnant ses clients dans un processus certes risqué mais dont la concrétisation n’était pas définitivement impossible

– dans ces circonstances, il n’était pas concevable d’assortir l’offre de reprise d’une condition suspensive d’obtention du prêt BPO alors que, d’une part, une telle condition est contraire à la nécessité de présenter une offre ferme et irrévocable au sens de l’article L. 642-2 du code de commerce, ainsi qu’à l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du juge-commissaire, les offres de reprise conditionnelles étant systématiquement rejetées par les juges-commissaires, et, d’autre part, que déterminés à présenter leur offre coûte que coûte, les consorts [R] n’auraient pas accepté de présenter une offre conditionnelle vouée à l’échec.

Les consorts [R] contestent avoir été informés par leur avocat des risques encourus en cas de non-obtention du financement nécessaire à l’opération d’acquisition et lui font grief d’avoir fautivement manqué à son obligation de conseil et de garantir la sécurité juridique des actes établis sous sa responsabilité en n’assortissant pas leur offre d’une condition suspensive d’obtention a minima du prêt BPO, ce dernier manquement les ayant privés de la faculté de rétracter leur offre s’ils n’obtenaient pas le prêt et, par voie de conséquence, étant à l’origine de leur obligation d’indemniser la liquidation judiciaire du fait de la perte financière subie suite à la non-réitération de la vente.

En droit, l’avocat rédacteur d’un acte, tenu d’une obligation d’information et de conseil, assure la validité et la pleine efficacité de l’acte selon les prévisions des parties, ce qui lui impose, le cas échéant, une obligation de mise en garde et de conseil sur les risques et les effets des stipulations engageant celles-ci afin qu’elles puissent s’engager en pleine connaissance de cause.

En cas de manquement à ses obligations, l’avocat rédacteur engage sa responsabilité contractuelle à l’égard des parties à l’acte litigieux, sur le fondement de l’article 1231-1 du code civil.

Par ailleurs, il est constant que si la vente de gré à gré d’un élément de l’actif mobilier du débiteur en liquidation judiciaire n’est réalisée que par l’accomplissement d’actes postérieurs à la décision du juge-commissaire qui ordonne la cession du bien, celle-ci n’en est pas moins parfaite dès l’ordonnance, sous la condition suspensive que la décision acquière force de chose jugée, dès lors que le cessionnaire ne peut ensuite refuser de procéder à la vente ordonnée en retirant l’offre d’achat retenue par le juge-commissaire, sauf à justifier, le cas échéant, d’un motif légitime tiré de la non-réalisation des conditions dont il avait pu l’assortir.

En l’espèce, il est constant que l’offre de reprise du fonds de commerce présentée par les consorts [R] n’était assortie d’aucune condition et que l’ordonnance du juge-commissaire l’ayant acceptée est passée en force de chose jugée.

Or, tout au long du processus de préparation de l’offre de reprise, l’appelante n’a jamais informé le cessionnaire que l’acceptation de l’offre valait vente sans faculté de rétractation même en cas de non-obtention du prêt BPO qu’ils avaient sollicité pour financer l’intégralité du prix de cession alors même que le montage financier de l’opération était assorti de nombreuses conditions qui n’étaient pas réalisées à la date de la présentation de l’offre, ce que savait l’appelante.

En effet, si la pièce annexée à l’offre fait état de l’accord de la BPO sur l’octroi du prêt de 110.000 euros, l’appelante savait qu’il s’agissait d’un accord de principe subordonné à plusieurs conditions consistant en la justification d’un apport de 30.000 euros en comptes courants d’associés, nécessaires au démarrage de l’activité, outre un apport de 10.000 euros en numéraire pour libérer la première tranche du capital social de 20.000 euros de la future société à constituer entre les consorts [R].

Les consorts [R], alors salariés d’une boulangerie, profanes en matière juridique et financières, ont communiqué à leur avocat l’accord de principe du Crédit Agricole sur l’octroi d’un prêt de 30.000 euros à leurs parents qui devaient ensuite mettre ces fonds à la disposition de leurs fils.

Le courriel du 4 avril 2017, dont se prévaut l’appelante, invite les destinataires, à prendre connaissance notamment de la lettre en pièce jointe expliquant, notamment :

« Je vous remercie de me confirmer par retour que vous souhaitez que nous établissions une offre de reprise et ses particularités (prix offert, contrats poursuivis…).

La présentation de cette offre suppose notamment que vous disposiez de l’apport personnel nécessaire au paiement des frais d’actes.

Il faut obtenir la confirmation écrite du Crédit Agricole et de vos parents pour mettre à disposition la partie des fonds qu’ils avanceront et de faire préciser au Crédit Agricole quel délai prendra la mise à disposition des fonds à compter de la décision du Tribunal (si elle vous est favorable).

Je vous rappelle que la BPO ne libérera pas le prêt de 110.000 euros tant que vous n’aurez pas « mobilisé » votre apport personnel (notamment les 20.000 euros permettant la constitution du capital de votre société). »

Ce courriel ne saurait exonérer l’appelante de sa responsabilité professionnelle pour plusieurs raisons.

En premier lieu, à défaut d’accusé de réception électronique, la seule production de l’écran d’envoi du mail (pièce 11) ne permet pas d’établir l’envoi effectif ni, a fortiori, la réception, de ce mail.

Ensuite, seul M. [U] [R] est désigné comme destinataire de ce mail, avec l’expert-comptable et le meunier, alors que l’appelante ne justifie pas d’un accord de M. [X] [R] pour élire domicile chez son frère ou à l’adresse mail de celui-ci afin de recevoir les courriers de leur avocat, de sorte que ce mail est inopposable à M. [X] [R].

Enfin, et en tout état de cause, d’une part, la teneur de mail révèle un défaut de maîtrise des caractéristiques du financement de l’opération et des conditions posées par la BPO, qui exigeait un apport en comptes courants d’associés, outre un apport en numéraire, conformément au prévisionnel qui lui avait été transmis à l’appui de la demande de financement, ce que la banque rappellera dans son courrier du 20 juillet 2017 justifiant son refus de débloquer le prêt tant que ces conditions ne seraient pas remplies.

L’avocat rédacteur, associé depuis l’origine à l’ensemble du processus d’acquisition, sur le plan comptable, juridique et financier, devait veiller à éclairer précisément ses clients sur ces conditions.

D’autre part, ce courriel se borne à attirer l’attention sur le risque d’un refus d’octroi du prêt BPO en cas de défaut d’apport personnel, au demeurant en des termes équivoques puisque l’apport personnel nécessaire à la présentation de l’offre est limité au règlement des « frais d’acte », et non sur les risques encourus par le cessionnaire qui présente une offre inconditionnelle qui serait acceptée par le juge-commissaire en cas de refus du prêt BPO.

L’appelante a transmis l’offre de reprise au cessionnaire, par un mail du 20 avril 2017, en se bornant encore à indiquer : « j’ai bien noté que vous feriez votre affaire de la question des priorités de réembauche et de la mobilisation de vos apports personnels ».

L’appelante a donc rédigé une offre de reprise inconditionnelle, alors même qu’elle n’avait pas obtenu de réponse précise aux questions posées dans son mail du 4 avril concernant le prêt du Crédit Agricole, et que le cessionnaire n’avait pas répondu qu’il disposait des fonds nécessaires pour effectuer les apports personnels requis par la BPO, l’indication de ce qu’il en « ferait son affaire personnelle » laissant persister un aléa en cas d’échec que l’avocat rédacteur se devait de prendre en considération lors de la préparation de l’offre de reprise en prévoyant une condition suspensive d’obtention du prêt BPO, seule à même de préserver les intérêts du cessionnaire, sauf à mettre en garde le cessionnaire sur les conséquences d’un engagement inconditionnel.

L’appelante ne peut donc se prévaloir de ces deux mails pour s’exonérer de sa responsabilité dès lors que l’offre d’acquisition du fonds de commerce engageait ses clients dans un processus d’acquisition irrévocable alors que les conditions d’obtention du prêt BPO n’étaient pas levées à la date de la présentation de l’offre, exposant le cessionnaire à de graves conséquences juridiques et financières en cas d’acceptation de leur offre dont il n’avait pas été informé des risques et qu’il pouvait penser, en sa qualité de profane, que le défaut d’obtention du prêt BPO, visé dans l’offre, entraînait simplement la caducité de celle-ci.

Il est établi que la BPO a refusé d’accorder le prêt sollicité, les consorts [R] n’ayant pu réunir leur apport personnel.

L’appelante ne peut soutenir utilement que le paragraphe n°5 de l’offre intitulé « prévision de cessions d’actifs » énonçant « en application de l’article L. 642-2 du code de commerce, le candidat repreneur déclare qu’il n’envisage de procéder à aucune cession d’actifs au cours des deux années suivant la cession » vaudrait information du cessionnaire sur le caractère irrévocable de l’offre résultant des dispositions de l’article L. 642-2, la simple mention de ce texte ne pouvant éclairer un acquéreur profane sur l’étendue et la portée de son engagement d’acquisition, et alors que l’avocat rédacteur doit, même en présence d’une clause claire, informer son client sur les conséquences qui s’y attachent.

De même, c’est à tort que l’appelante soutient que les dispositions de l’article L. 642-2, applicable à la cession d’une entreprise par le tribunal, comme l’autorité de la chose jugée attachée à l’ordonnance du juge-commissaire seraient incompatibles avec la présentation d’une offre assortie d’une condition suspensive, l’existence d’une telle condition ne privant pas l’offre de son caractère définitif et l’acquéreur n’étant libéré de son engagement d’acquérir qu’en cas de non-réalisation de la condition suspensive, ce fait constituant un motif légitime de retrait de l’offre acceptée par le juge-commissaire.

C’est donc à bon droit que le premier juge a retenu que l’appelante avait failli à ses obligations contractuelles en n’assurant pas à l’offre la sécurité juridique nécessaire à la préservation des intérêts de ses clients qui commandait d’assortir l’offre d’une condition suspensive relative à l’obtention du prêt BPO, sauf accord contraire des clients dûment informés des risques encourus.

L’appelante fait alors grief au jugement entrepris d’avoir fait droit à la demande de réparation intégrale du préjudice subi par les consorts [R] alors qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la faute et le préjudice allégué et que, celui-ci ne peut s’analyser qu’en une perte de chance de pouvoir décider de soumettre à la décision du juge-commissaire une offre de reprise assortie d’une condition suspensive d’obtention de prêt, perte de chance inexistante puisque les consorts [R], déterminés à acquérir, auraient renoncé à l’insertion d’une telle clause.

Mais, d’une part, il ne résulte pas des faits de la cause que les consorts [R] avaient la volonté de se porter acquéreur en acceptant les conséquences juridiques et économiques d’une impossibilité de régulariser l’acte de vente faute de financement, et, d’autre part, seule l’insertion d’une condition suspensive était de nature à garantir l’efficacité et la sécurité juridique de l’offre de reprise des consorts [R], de sorte que la faute de l’avocat rédacteur est en lien direct avec le préjudice subi par le cessionnaire et ouvre droit à la réparation intégrale du préjudice subi par celui-ci , tenu d’indemniser le liquidateur judiciaire des pertes consécutives à la non-réitération de la vente devenue irrévocable en l’absence de condition suspensive.

Les chefs du préjudice n’étant pas contestés, le jugement sera confirmé en ce qu’il a condamné la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés à garantir et relever indemnes les consorts [R] de l’ensemble des condamnations prononcées à leur encontre, y compris celles au titre des frais irrépétibles et des dépens.

sur la responsabilité de l’avocat rédacteur à l’égard du liquidateur judiciaire

Le liquidateur judiciaire fait grief au jugement d’avoir rejeté son action directe contre l’avocat rédacteur de l’offre de reprise, sur le fondement de la responsabilité délictuelle de l’article 1240 du code civil, au motif qu’il était un tiers au contrat liant les consorts [R] à leur conseil alors que la présentation fautive de « l’offre incomplète n’a pas été menée à son terme » est à l’origine du préjudice subi par la liquidation judiciaire.

En droit, il est de jurisprudence constante que, nonobstant l’effet relatif des conventions, le manquement par un contractant à une obligation contractuelle est de nature à constituer un fait illicite à l’égard d’un tiers au contrat lorsqu’il lui cause un dommage et, dans ce cas, il n’est pas tenu de démontrer une faute délictuelle ou quasi-délictuelle distincte de ce manquement (voir en ce sens Cass, ass. Plén 13 janvier 2020 n°17-19.963).

Mais, en l’espèce, la faute tirée du défaut de stipulation de la condition suspensive d’obtention du prêt dans l’intérêt de l’acquéreur n’a pas de lien de causalité avec le préjudice subi par la liquidation judiciaire du fait de la non-réitération de la vente par les acquéreurs.

Par ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu’il a débouté la selarl MJPA ès qualités de ses demandes contre la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés.

sur les frais de justice

Le jugement entrepris sera entièrement confirmé sur les dépens et les frais irrépétibles.

L’appelante sera condamnée aux dépens d’appel et à payer aux consorts [R] une indemnité complémentaire de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

La selarl MJPA ès qualités sera déboutée de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile tant à l’égard des consorts [R] que de l’appelante.

L’appelante sera déboutée de ses demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REVOQUE l’ordonnance de clôture,

ADMET aux débats les conclusions et pièces remises et notifiées le 31 janvier 2023 par l’appelante et les conclusions remises et notifiées le 2 février 2023 par les consorts [R],

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,

y ajoutant,

CONDAMNE la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés aux entiers dépens d’appel,

CONDAMNE la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés à payer aux consorts [R] une indemnité complémentaire de 3.000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la selarl MJPA ès qualités et la selarl Juris consultant Jean-Christophe Rougé & associés de leurs demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière La Présidente

 


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