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N° RG 21/01442 – N° Portalis DBVM-V-B7F-KZSP
C1
N° Minute :
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 23 MAI 2023
Appel d’un Jugement (N° R.G. 19/00225)
rendu par le Tribunal judiciaire de Vienne
en date du 25 février 2021
suivant déclaration d’appel du 25 mars 2021
APPELANTES :
S.A.R.L. MEDICONSEIL agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité au siège situé :
[Adresse 1]
[Localité 4]
S.A.R.L. ORTHO-SANTE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité au siège situé :
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentées par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Dominique VAL de la SELARL AVOJURIS, avocat au barreau de BRIVE
INTIMÉ :
Me [D] [G]
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 5]
représenté par Me Catherine GOARANT de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE postulant et plaidant par Me Maïté ROCHE de la SCP JURI-EUROPE, avocat au barreau de LYON.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Mme Catherine Clerc, présidente,
Mme Joëlle Blatry, conseiller,
Mme Véronique Lamoine, conseiller,
Assistées lors des débats de Anne Burel, greffier
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 mars 2023, Madame Lamoine, conseiller, a été entendue en son rapport.
Les avocats ont été entendus en leurs observations.
Et l’affaire a été mise en délibéré à la date de ce jour à laquelle l’arrêt a été rendu.
RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société AMPLITUDE dirigée par M. [C] [H] a pour objet la fabrication et la commercialisation d’implants et de prothèses orthopédiques.
Pour la représentation et la commercialisation de ses produits sur des territoires déterminés, elle avait conclu des contrats d’agent commercial notamment :
le 18 juillet 2006 avec M. [F] [T], aux droits de laquelle est venue la SARL MEDICONSEIL dont ce dernier est gérant,
le 1er février 2012 avec la SARL ORTHO SANTÉ dont le gérant est M. [U] [X].
Par avenants du 30 octobre 2013, le taux de commission des sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ avait été réduit de 30 % à 28,5 %.
Par courrier en date du 31 mars 2016 à la société ORTHO SANTÉ et par courriel du 1er avril 2016 à la société MEDICONSEIL, la société AMPLITUDE a fait part à ces dernières de la baisse annoncée des tarifs LPP (liste des produits et prestations remboursables par l’assurance maladie) des prothèses de hanche et de genoux. Par ces courriers, elle proposait à ses représentants, en prévision de la baisse consécutive de son propre chiffre d’affaires, une nouvelle réduction de leur taux de commission à 28 %, en précisant que cette baisse de 0,5 % était selon elle “quelque chose d’acceptable”, et que les efforts qu’elle leur demandait ainsi seraient “largement compensés par la croissance du chiffre d’affaires réalisée” par chacun d’eux sur leurs secteurs respectifs “avec sa collaboration”.
Suite à ce courrier, plusieurs réunions de négociation se sont tenues jusqu’au 21 juin 2016 mais n’ont pas abouti, le désaccord et le mécontentement des agents commerciaux portant notamment :
d’une part sur le commissionnement,
d’autre part sur la disponibilité de nouveaux produits et sur la rupture de fourniture de produits existants, en présence d’une interdiction de ces agents de distribuer certains produits d’entreprises concurrentes.
C’est dans ces conditions que les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ, ainsi que quatre autres agents commerciaux concernés par les mêmes demandes de leur mandante, se sont rapproches de Maître Jean-Michel RAYNAUD, avocat au barreau de Lyon, afin de les assister dans leurs rapports avec la société AMPLITUDE.
Aucun mandat écrit n’a été établi. Il ressort néanmoins des mails échangés les 4 et 5 juillet 2016 entre d’une part Me [G], d’autre part M. [X], gérant de la société ORTHO SANTÉ qui avait accepté de colliger les avis et commentaires des autres agents commerciaux concernés, que Me [G] était chargé d’établir un courrier au nom de l’ensemble de ces agents listant notamment leurs griefs à l’attention de la société AMPLITUDE.
Suite à un dernier échange de mails les 6 et 7 juillet, Me [G] a adressé à la société AMPLITUDE une lettre recommandée aux noms de ses clients datée du 7 juillet 2016, dans laquelle, après avoir listé cinq séries de griefs, il indique : “Il résulte des éléments préalablement exposés que la société AMPLITUDE a unilatéralement rompu pendant leur exécution, les contrats d’agents commerciaux les liant avec (…) la société ORTHO SANTÉ (…) l’EURL MEDICONSEIL (…) qui sont aujourd’hui bien fondées à solliciter pour chacun d’eux le versement d’une indemnité de rupture de nature à compenser le préjudice subi” (sic en ce compris le caractère gras et le soulignement).
Par courrier recommandé daté du 8 juillet 2016 adressé à Me [G], la société AMPLITUDE a indiqué prendre acte de cette décision de rupture unilatérale à ses torts, en émettant toutes réserves sur le bien-fondé des motifs énoncés.
Après des échanges de mails avec ses clients suivant l’envoi de sa lettre recommandée du 7 juillet, Me [G] a écrit :
par mail à ces derniers le 8 juillet 2016 qu’il s’avérait qu’en l’état de leurs retours du même jour, il n’aurait pas dû adresser le courrier du 7 juillet 2016 à la société AMPLITUDE sans tenir compte des dernières modifications reçues par mail le jour même de cet envoi,
par courrier postal le 12 juillet 2016 à la société AMPLITUDE que la version du courrier recommandé qu’elle avait reçue lui avait été adressée par erreur par son secrétariat, et qu’elle aurait dû en recevoir la version finalisée se terminant ainsi : ” (….) il résulte des éléments préalablement exposés que les griefs précités pourraient constituer des éventuelles fautes opposables à la société AMPLITUDE. Toutefois dans l’objectif principal de les solutionner inutilement, mes clients souhaitent, sous toutes les réserves usuelles de responsabilité, qu’une discussion amiable et constructive soit privilégiée avec la société AMPLITUDE”, en lui demandant de prendre en compte ce seul dernier courrier.
Par télécopie et mail du 15 juillet 2016, Me TESTON du cabinet Lexxon Avocats, conseil de la société AMPLITUDE, répondait à Me [G] au nom de sa cliente que, nonobstant l’erreur de secrétariat invoqué, cette dernière ne pouvait pas ‘tirer un trait’ (sic) sur les échanges intervenus et sur le mode opératoire, mais que, compte-tenu de l’ancienneté des relations contractuelles, elle était prête à rencontrer chaque agent pour discuter de sa situation, en écartant toute possibilité d’une rencontre collective.
Dès le 12 juillet, M. [T] avait contacté M. [H] dirigeant de la société AMPLITUDE par courriel, aux noms des sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ ainsi des quatre autres représentants concernés, en proposant de le rencontrer ensemble à [Localité 7], ville proche du siège social de la société AMPLITUDE.
Suite à la réception de la lettre du cabinet Lexxon du 15 juillet précitée, M. [T] répondait le 18 juillet par mail à M. [H], toujours au nom des six agents commerciaux concernés, qu’ils souhaitaient continuer de traiter en groupe les problèmes rencontrés, et proposaient de le rencontrer ensemble le lendemain 19 juillet.
Par lettre recommandée avec avis de réception doublé d’un mail en date du 29 juillet 2016, M. [H] au nom de la société AMPLITUDE a rappelé à la société ORTHO SANTÉ les termes de sa lettre du 8 juillet prenant acte de la résiliation unilatérale des contrats et, par conséquent, la cessation de son mandat à compter de cette date.
Par la suite, les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ ont renégocié leurs contrats d’agents commerciaux avec la société AMPLITUDE avec signature de nouveaux contrats le 31 août 2016 comprenant notamment une clause de fluctuation du montant de la commission en cas de baisse des tarifs LPP.
Par acte du 8 février 2019, les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ ont assigné Me [G] devant le tribunal de grande instance de Vienne pour voir :
constater qu’il a commis une faute propre à engager sa responsabilité civile professionnelle par l’envoi du courrier recommandé du 7 juillet 2016 dépassant le mandat qui lui avait été confié,
dire et juger que cette faute est la conséquence directe et certaine du préjudice subi par elles, à savoir la signature de nouveaux contrats beaucoup moins favorables avec une perte financière conséquente,
condamner par conséquent Me [G] à leur payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
à la société MEDICONSEIL la somme de 882 569 € et à la société ORTHO SANTÉ celle de 1 236 876 € au titre de pertes du montant des commissions et perte de la valeur de leur carte d’agent commercial en cas de revente,
à chacune la somme de 5 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Me [G] a dénié toute faute, faisant valoir que les manquements reprochés, à les supposer établis, n’étaient pas en relation de causalité directe avec les préjudices allégués, et que ces derniers ne pouvaient tout au plus s’analyser que comme une perte de chance.
Par jugement du 25 février 2021, le tribunal judiciaire de Vienne a :
rejeté l’intégralité des demandes formées par les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ à l’encontre de Me [G],
dit qu’il n’y avait pas lieu de faire droit aux demandes de condamnations formées en application de l’article 700 du code de procédure civile au profit de l’une ou l’autre des parties,
condamné in solidum les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ aux dépens,
dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du jugement.
Par déclaration au greffe en date du 25 mars 2021, les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ ont interjeté appel de ce jugement.
Par dernières conclusions notifiées le 9 décembre 2021, elles demandent à cette cour d’infirmer le jugement déféré en ce qu’il les a déboutées de toutes leurs demandes et, statuant à nouveau, de :
juger que Me [G] a commis une faute propre à engager sa responsabilité,
juger que cette faute est la cause directe et certaine du préjudice subi par elles,
condamner en conséquence Me [G] à payer :
à la société ORTHO SANTÉ la somme totale de 675 550,62 € soit :
12 268,56 € au titre de pertes sur frais de gestion,
293 859,06 € au titre des pertes de chiffre d’affaires sur les 5 exercices écoulés,
168 978,86 € au titre des pertes à venir sur deux exercices,
150 444,14 € au titre de perte de valeur de la carte,
50 000 € au titre de son préjudice moral
à la société MEDICONSEIL la somme totale de 515 103,55 € soit :
8 520 € au titre de pertes sur frais de gestion,
231 913,29 € au titre des pertes de chiffre d’affaires sur les 5 exercices écoulés,
114 006,16 au titre des pertes à venir sur deux exercices,
110 664,10 € au titre de perte de valeur de la carte,
50 000 € au titre de son préjudice moral,
à chacune la somme de 10 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elles font valoir :
que dans le cadre du mandat qui lui est confié, l’avocat est tenu d’un devoir général de compétence, de prudence et de diligence tout au long de sa mission,
que, pour satisfaire à son devoir de conseil, il doit donner à son client des conseils adaptés à sa situation et analyser celle-ci de façon factuelle et juridique ainsi que ses conséquences,
que s’il est amené à rédiger certains actes, il doit s’assurer de leur validité et de leur efficacité et apporter en tous points à ses clients une information précise et complète sur ses effets,
que, plus précisément, rédiger un courrier dont la tournure acte la résiliation d’un contrat, sans informer les clients du risque que la partie adverse s’en prévale pour constater que le constat est résilié et sans évaluer les conséquences de cette démarche, ne peut qu’engager la responsabilité de l’avocat rédacteur,
qu’en l’espèce Me [G] a outrepassé sa mission en envoyant sans leur aval sa lettre recommandée du 7 juillet 2016 actant la résiliation des contrats, ce qu’aucun d’entre eux ne recherchait, et ce pour quoi il n’avait pas reçu mandat,
que, nonobstant les dénégations actuelles de Me [G], ils lui avaient bien fait part de leur souci de négocier et non pas de voir résilier leurs contrats, ainsi qu’il ressort du mail de M. [X] du 7 juillet 2016 à 16 h répondant au dernier projet de lettre de Me [G], en indiquant que les agents qu’il représentait souhaitaient que le courrier à venir “soit plus axé sur(leur) volonté de négocier et de rétablir un véritable partenariat ; peut-être conclure que, sans négociation, mes clients seront contraints d’user d’autres moyens (…)”,
que d’ailleurs, dans son courriel du 8 juillet, suite à un appel de l’un de ses clients, Me [G] reconnaît qu’il a envoyé son courrier le 7 juillet sans attendre la validation de ses clients en invoquant une prétendue urgence, et reconnaît en toute hypothèse : “il s’avère que je n’aurais pas dû adresser en l’état ledit courrier sans vos dernières modifications”,
que c’est donc pas pure affirmation et contre la matérialité des faits que Me [G] prétend dans ses écritures que les modifications demandées par eux étaient mineures, et qu’il n’allait pas à l’encontre de la volonté de ses clients en envoyant la lettre litigieuse actant la résiliation des contrats,
qu’enfin en aucun cas il n’a attiré l’attention de ses clients sur le risque que la société AMPLITUDE utilise son courrier pour considérer que la rupture des contrats était acquise,
que contrairement à ce qu’a jugé le tribunal, la faute ainsi commise par Me [G] est directement à l’origine du préjudice consistant, pour eux, à devoir négocier un nouveau contrat, en se trouvant dès lors en position de faiblesse et contraints d’accepter des conditions défavorables alors que, sans la lettre litigieuse, ils se trouveraient toujours dans les liens du contrat de mandat existant, alors que, si la société AMPLITUDE estimait qu’elle ne pouvait plus poursuivre dans ces conditions, elle aurait été contrainte de rompre les contrats en contrepartie d’une indemnité conséquente vu l’ancienneté des relations et les chiffres d’affaires en cause,
que Me [G] est totalement malvenu à invoquer la transaction ultérieurement conclue avec la société AMPLITUDE en vertu de laquelle ils seraient empêchés d’agir en responsabilité contre lui, dès lors que c’est précisément par la faute de leur conseil qu’ils se sont trouvés impuissants à opposer à leur mandante la poursuite d’un contrat rompu par les effets du courrier litigieux,
qu’ils ont donc perdu une chance, qui doit être estimée à 100 % en l’espèce, de poursuivre l’exécution de leurs contrats aux conditions qu’ils contenaient alors, et qui auraient toujours cours s’ils n’avaient pas été rompus.
que leur préjudice résulte, selon les termes des nouveaux contrats négociés :
dans les frais de gestion facturés par les établissements, désormais partagés par moitié entre mandante et mandataire alors que, jusqu’alors seule la société AMPLITUDE les supportait,
dans la modification du taux des commissions désormais fluctuant en cas de baisse des tarifs LPP, ce qu’ils se refusaient à admettre dans la phase de négociation préalable à la mission confiée à Me [G],
que les pertes qui en résultent sont très importantes ainsi qu’elles en justifient par la production de leurs comptes pour les exercices antérieurs à 2016, puis de 2016 à 2021,
que, dans ces conditions, leur carte de représentant a perdu une partie de sa valeur en cas de revente.
Me [G], par uniques conclusions notifiées le 22 septembre 2021, demande la confirmation du jugement déféré en ce qu’il a rejeté l’intégralité des demandes des sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ, mais sa réformation en ce qu’il a retenu sa faute.
Il demande :
qu’il soit jugé qu’il n’a pas commis de faute,
à titre subsidiaire que le jugement soit confirmé en ce qu’il a estimé que le préjudice invoqué apparaissait incertain et qu’il n’était pas justifié ni dans son principe ni dans son montant,
qu’il soit jugé que les préjudices invoqués doivent de toute façon s’analyser en termes de perte de chance, mais que les sociétés appelantes n’en rapportent pas la moindre preuve.
Il conclut au débouté des sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ de toutes leurs demandes, moyens, fins, et prétentions, et demande leur condamnation à lui payer, chacune, la somme de 1 500 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Il soutient :
qu’il n’a commis aucune faute et respecté le mandat qui lui était confié,
que ses mandants ont changé de position ainsi qu’il ressort du mail du 11 juillet 2016 de M. [X],
qu’ils souhaitaient, par leur mise en demeure avec menace de rompre le contrat, inciter la société AMPLITUDE à revoir le montant de ses commissions et à remédier à ses manquements,
qu’en réalité, au vu des nouvelles conditions tarifaires LPP, aucune des parties ne souhaitait poursuivre les contrats en l’état,
que la société AMPLITUDE était défaillante dans la disponibilité de certains produits, et refusait d’indemniser ses agents à ce titre,
que, dans ces conditions, le préjudice invoqué de pertes de commissions était incertain ainsi que l’a retenu le tribunal,
qu’en toute hypothèse, les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ disposaient de voies de recours en demandant des indemnités de rupture devant les juridictions compétentes, ou encore en réfutant le fait que la lettre litigieuse du 7 juillet 2016 ait valablement résilié les contrats d’agents,
qu’au lieu de cela, elles ont préféré transiger avec la société AMPLITUDE et que ces transactions n’ont pas été remises en cause,
qu’elles ne peuvent par conséquent revenir sur leur renonciation aux droits que renferment ces transactions.
L’instruction a été clôturée par une ordonnance rendue le 21 février 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la faute de Me [G]
L’avocat est contractuellement tenu, envers ses clients, d’une obligation générale de prudence et de diligence et, s’il est chargé de la rédaction d’un acte ou d’un courrier, il doit veiller à ce que celui-ci reflète clairement la volonté de ses clients, et mettre en oeuvre les moyens propres à assurer l’efficacité de ce document selon la volonté de ces derniers.
En l’espèce, il ressort des échanges de courriels entre Me [G] et ses clients produits aux débats, échelonnés entre le 23 juin et le 6 juillet 2016, que Me [G] était chargé d’établir en leur nom un courrier adressé à la société AMPLITUDE listant quatre séries de griefs à l’égard de cette dernière suite à des réunions tenues dans un climat de tension et d’incompréhension mutuelle, les points d’achoppement majeurs portant sur :
la volonté de la kamp de baisser le taux de commission des agents à 28 % tandis que ces derniers souhaitaient qu’il soit remonté à 30 % comme à l’origine en faisant valoir que la baisse à 28,5 % décidée en 2013 et 2014 était conjoncturelle en raison d’une baisse du prix des implants laquelle n’était, selon eux, plus d’actualité,
des difficultés d’approvisionnement et de qualité de certains produits.
Il ressort encore de ces échanges de courriels que, dans ce cadre, Me [G] a adressé à ses clients un premier projet de lettre le 4 juillet 2016, lequel a fait l’objet de diverses remarques des agents concernés, M. [X] écrivant notamment le 5 juillet à Me [G] que, ayant accepté de colliger les commentaires de tous, il souhaitait s’entretenir avec lui de divers points que ceux-ci ne comprenaient pas et qu’ils souhaitaient modifier avec son accord.
Le mercredi 6 juillet à 14 h 02, Me [G] adressait à M. [X] par mail un projet de courrier modifié daté du 7 juillet, suite au courriel de ce dernier et à leur discussion du même jour selon les termes du mail, ce dernier précisant encore, à propos du montant de ses honoraires que ceux-ci devraient être affinés “en fonction des souhaits de chacun et du nombre de plaignants. J’ai bien noté que pour 2 entités, une sortie amiable était envisagée impliquant la fin du contrat d’agent commercial. En cas de protocole, il faudra rédiger un acte et mener les discussions”
M. [X] transmettait le même jour à 16 h 32 le mail et le projet de courrier aux autres agents en sollicitant leurs commentaires, en indiquant qu’il était assez pris et lirait la lettre le lendemain en faisant une synthèse.
Dès le lendemain 7 juillet à 16 h 16, M. [X] réagissait auprès de Me [G] par mail en lui manifestant sa surprise sur l’absence, dans le projet de lettre, de plusieurs éléments pourtant ajoutés en rouge après leur entretien, et en précisant que le souhait des agents était que la fin de la lettre soit plus axée sur leur volonté de négocier et de rétablir un vrai partenariat, en précisant : ‘peut-être conclure par sans négociation mes clients seront contraints d’user d’autres moyens (ou autre je ne sais pas). En effet, certains d’entre nous trouvent que c’est un peu fort pour un premier courrier’. (sic).
Or ce même jour, 7 juillet 2016, Me [G] a adressé à la société AMPLITUDE la lettre litigieuse en recommandé avec avis de réception, cette lettre se terminant par la phrase suivante ainsi que rappelé en tête de l’arrêt : “Il résulte des éléments préalablement exposés que la société AMPLITUDE a unilatéralement rompu pendant leur exécution, les contrats d’agents commerciaux les liant avec (…) la société ORTHO SANTÉ (…) l’EURL MEDICONSEIL (…) qui sont aujourd’hui bien fondées à solliciter pour chacun d’eux le versement d’une indemnité de rupture de nature à compenser le préjudice subi” (sic en ce compris le caractère gras et le soulignement).
L’envoi de cette lettre a eu pour effet que, dès le lendemain 8 juillet, le dirigeant de la société AMPLITUDE répondait à Me [G] par lettre recommandée avec avis de réception doublée d’un mail qu’il ‘prenait acte de la décision’ de ‘rupture immédiate des contrats d’agents de (ses) clients’, en émettant toutes réserves sur les motifs énoncés.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments en premier lieu que Me [G] n’avait pas reçu mandat de ses clients, notamment des sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ, de rompre en leur nom, par l’envoi d’une lettre à la société AMPLITUDE, leurs contrats d’agents, ce qui est révélé en particulier :
par les termes de son mail du 6 juillet transmettant le projet de courrier daté du 7 juillet ci-dessus rappelés, par lesquels il indique avoir : ‘ noté que pour 2 entités, une sortie amiable était envisagée impliquant la fin du contrat d’agent commercial. En cas de protocole, il faudra rédiger un acte et mener les discussions”, ce qui, a contrario, montre qu’il savait que la fin du contrat n’était pas souhaitée par la totalité des agents concernés, et qu’il y aurait lieu en toute hypothèse, pour les deux entités concernées le cas échéant, à négociation sur les conditions de rupture,
par les termes de son mail du 8 juillet en réponse à celui de M. [X] du 7 juillet à 16 h 16 évoqué ci-dessus, dans lequel Me [G] écrit : ‘dans tous les cas, il y aura des échanges ensuite de ce courrier qui vont nous conduire à affiner nos griefs. Le courrier évoque bien à la fin une possibilité de négociation afin d’ouvrir la discussion. C’est une formulation qui est juridique afin que cette proposition ne nuise pas au dossier et à une éventuelle reconnaissance de responsabilité’, ce qui révèle qu’il n’estimait pas que les contrats devaient être brutalement rompus.
Or la rédaction de son courrier daté du 7 juillet dans les termes ci-dessus rappelés a eu pour effet que, par une lettre envoyée dès le 8 juillet, la société AMPLITUDE a pris acte de la rupture des contrats ainsi clairement annoncée, en accompagnant cette prise d’acte de mesures de nature à priver les agents des moyens de poursuivre leur mission ainsi qu’il ressort d’un échange de mails du 21 juillet entre d’une part M. [T], d’autre part Mme [I] de la société AMPLITUDE (pièce n° 3-2 des appelantes).
Me [G] est donc mal fondé à prétendre, sans l’établir en aucune manière, que ses clients auraient changé d’avis ou évolué dans leurs demandes, ou encore, ce qui vient d’ailleurs en contradiction avec l’affirmation précédente, que son courrier envoyé le 7 juillet n’était qu’une mise en demeure et qu’il ne s’agissait pas d’un courrier de résiliation.
Il ressort en second lieu de la chronologie ci-dessus rappelée que Me [G] a procédé à l’envoi de la lettre datée du 7 juillet sans avoir reçu l’aval définitif de ses clients quant à son contenu, sans intégrer les dernières modifications que ces derniers avaient souhaité y voir figurer, sans leur laisser le temps d’en prendre connaissance à tête reposée et de lui faire retour de leurs remarques et de leurs questions, enfin et surtout sans les informer du risque que comportait, dans la formulation de cette lettre, la mention d’une rupture unilatérale des contrats d’agents à l’initiative de la mandante ou par sa faute.
Cette double faute est directement à l’origine de la situation dans laquelle se sont trouvés, à leur corps défendant, les clients de Me [G] en particulier les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ, après l’envoi de la première lettre recommandée de la société AMPLITUDE du 8 juillet prenant acte de la rupture des contrats, puis de sa seconde lettre du 29 juillet 2016 rappelant les termes de la précédente et confirmant la cessation du mandat à la date du 8 juillet, à savoir que leurs contrats d’agents commerciaux ont été brutalement rompus, et sans perspective immédiate de paiement d’une indemnité compensatrice puisque leur mandante leur imputait l’origine de la rupture en émettant toutes réserves sur les griefs qui étaient évoqués à son encontre.
Sur les préjudices
# sur la perte d’une chance
Il ressort de la chronologie ci-dessus rappelée que les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ qui étaient, avant l’envoi de la lettre du 7 juillet de Me [G], dans les liens de contrats d’agents dont la société AMPLITUDE ne pouvait unilatéralement modifier les conditions, ont vu ces contrats brutalement rompus, ce qui les a contraintes, sous peine, en raison de l’exclusivité attachée à leur mandat, de cessation totale d’activité avec toutes les conséquences économiques, financières et humaines qui en seraient résultées, de négocier dans l’urgence avec leur ancienne mandante de nouveaux contrats d’agents commerciaux ce qu’elles ont fait par deux nouveaux contrats en date du 31 août 2016.
Me [G] est donc mal fondé à soutenir que ces nouveaux contrats auraient été signés librement et en parfaite connaissance de cause et qu’il s’agirait de transactions faisant obstacle à ce que les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ lui réclament l’indemnisation d’un préjudice, dès lors que c’est précisément sa double faute qui a placé ses clientes dans une situation de dépendance vis-à-vis de leur ancienne mandante, les conduisant à accepter des clauses défavorables notamment de fluctuation du taux de commission en fonction de la baisse des tarifs LPP, alors que, dans la phase de négociation préalable à l’envoi de la lettre litigieuse, elles entendaient voir leur taux de commission remonter à 30 %.
Par ailleurs, si la chronologie et le rappel des faits permettent de considérer qu’il existait certes un aléa sur la poursuite effective des contrats d’agents en raison des positions apparemment inconciliables des cocontractants quant au taux de commission telles qu’elles résultent de la phase de négociation préalable à la lettre du 7 juillet, la rupture de ceux-ci se serait accompagnée d’une indemnité compensatrice soit négociée comme c’était le souhait de deux des agents clients de Me [G] tel que cela ressort du mail de ce dernier du 6 juillet 2016, soit calculée sur deux années de commissions selon les dispositions applicables si la société AMPLITUDE avait été à l’initiative de la rupture.
Enfin, les arguments de Me [G] selon lesquels les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ disposaient de voies de recours pour contester la rupture des contrats d’agents actée par la société AMPLITUDE, se heurtent à la réalité économique par laquelle les appelantes se sont trouvées dans la nécessité de reprendre au plus vite leur activité commerciale, sans être en mesure, en raison de cette contrainte, de supporter ni la durée ni l’aléa de procédures judiciaires.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que la double faute de Me [G] est directement à l’origine, pour les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ d’une perte de chance, qui peut être estimée à 60 % au vu de l’ensemble des circonstances ci-dessus rappelées, de poursuivre leurs contrats d’agents dans les conditions des avenants de 2012 et 2013, cette perte ne pouvant être égale à 100 % comme soutenu par les appelantes en raison des divergences majeures qui affectaient les négociations antérieures à la rupture litigieuse, contexte propice à l’aléa d’une rupture unilatérale par la mandante contre indemnité.
C’est donc dans ce cadre que les éléments de leur préjudice doivent être appréciés.
# sur les préjudices matériels de la société MEDICONSEIL
pertes sur frais de gestion
Il ressort des pièces produites que le nouveau contrat d’agent conclu entre la société AMPLITUDE et la société MEDICONSEIL le 31 août 2016 prévoit, en son article 6.4.9, que les frais de gestion facturés par les établissements ou tout groupement quelle qu’en soit la forme seront partagés à parts égales entre l’agent et le mandant, alors qu’une telle clause ne figurait pas dans le contrat initial en date du 18 juillet 2006 ni dans aucun des avenants successifs.
La société MEDICONSEIL établit, par la production de trois factures des 24 octobre 1016, 18 janvier 2007 et 13 avril 2017, que la société AMPLITUDE lui a facturé à ce titre les sommes de 679,26 € TTC, 1 102,57 € TTC et 1 256,71 €TTC, soit une somme totale de 3 038,54 € TTC.
Compte-tenu de la perte de chance ci-dessus déterminée, son préjudice indemnisable de ce chef s’élève à 1 823,13 €.
pertes de commissions
Au stade du dernier avenant signé par la société MEDICONSEIL avant la lettre litigieuse, le taux de ses commissions s’établissait à :
20 % pour le produit ‘cotyle saturne à cimenter’,
pour tous les autres produits :
25 % pour le client ‘clinique Saint Coeur’ (avenant du 1er juin 2007),
28,5 % pour tous les autres clients à compter du 1er septembre 2014.
Le nouveau contrat signé le 31 août 2016 après la lettre de rupture litigieuse prévoit un taux :
fixe de 20 % pour le produit ‘cotyle saturne à cimenter’ (donc sans changement avec le taux précédent pour ce produit),
de 28,5 % pour les autres produits, avec une clause de variation à la baisse en cas de baisse des tarifs LPP sur la base du tarif de référence à la date de signature du contrat.
Elle justifie, par la production aux débats de la convention signée entre le comité économique des produits de santé et l’association des fabricants importateurs distributeurs européens d’implants orthopédiques et traumatologiques publiée au journal officiel, ainsi que du courriel d’information de la société AMPLITUDE à ses agents, de la baisse de 10 % du tarif PLV des prothèses de genoux et de hanches à compter du 21 août 2017, entraînant une baisse de ses commissions, selon la clause de fluctuation du nouveau contrat d’agent, à 27,78 % pour les premières et 26,47 % pour les secondes.
Au vu du tableau récapitulatif par catégorie de matériels établi par la Directrice administrative et financière de la société AMPLITUDE pour les exercices 2016 à 2021, d’où il ressort que les ventes de prothèses de genoux représentent de l’ordre de 58 % du chiffre d’affaires annuel de la société MEDICONSEIL et les prothèses de hanches 39 % soit au total 97 % de son chiffre d’affaires, étant souligné qu’elle justifie, par la production aux débats d’une attestation du fournisseur, que ses ventes du ‘cotyle saturne à cimenter’ dont le taux est fixe, n’ont représenté que 0,6 % de son chiffre d’affaires total pour l’exercice 2018/2019 et 0,5 % pour l’exercice 2019/2020 ce qui est négligeable, la perte réelle de son chiffre d’affaires directement consécutive à la clause de fluctuation du taux de commission doit être calculée selon la formule suivante :
1/ pour les prothèses de genoux :
A [correspondant au chiffre d’affaires cumulé réalisé sur ce produit pour la période du 1er juillet 2016 au 31 mai 2021 (seul chiffre d’affaires réel établi par nature de produit)] x (28,5 – 27,78) % soit 0,72 % ce qui conduit à :
11 534 953 € x 0,72 % = 83 051,66 € (l’absence de prise en compte du mois de juin 2021 dans le calcul étant compensé par la circonstance que la baisse du taux ne s’est appliquée qu’à compter du 21 août 2016 tandis que la totalité du chiffre d’affaires de l’exercice 2016/2017 est ici prise en compte).
La demande de la société MEDICONSEIL portant sur 5 exercices écoulés au 31 décembre 2021, la perte à ce titre est donc de 83 051,66 €.
Elle porte aussi sur deux exercices à venir pour lesquels :
il est justifié de tenir compte d’une croissance annuelle moyenne de 2 % qui ressort des bilans et comptes de résultats produits (hors exercice 2019/2020 impacté par la crise sanitaire),
la perte moyenne doit être calculée sur les quatre exercices réels hors ce dernier impacté par la crise sanitaire, soit une moyenne annuelle de 17 054,96 €.
La perte de chiffre d’affaires à venir peut donc être chiffrée à 17 396,59 € pour la première année, et 17 743,98 € pour la seconde année soit une perte totale sur 7 années de 118 192,23 €.
2/ pour les prothèses de hanches :
A [correspondant au chiffre d’affaires cumulé réalisé sur ce produit pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mai 2021 (seul chiffre d’affaires réel établi par nature de produit)] x (28,5 – 26,47) % soit 2,03 % ce qui conduit à :
8 250 190 € x 2,03 % = 167 478,86 € (l’absence de prise en compte du mois de juin 2021 dans le calcul étant compensé par la circonstance que la baisse du taux ne s’est appliquée qu’à compter du 21 août 2016 tandis que la totalité du chiffre d’affaires de l’exercice 2016/2017 est ici prise en compte).
La demande de la société MEDICONSEIL portant sur 5 exercices écoulés au 31 décembre 2021, la perte à ce titre est donc de 167 478,86 €.
Elle porte aussi sur deux exercices à venir pour lesquels :
il est justifié de tenir compte d’une croissance annuelle moyenne de 2 % qui ressort des bilans et comptes de résultats produits (hors exercice 2019/2020 impacté par la crise sanitaire),
la perte moyenne doit être calculée sur les quatre exercices réels hors ce dernier impacté par la crise sanitaire, soit une moyenne annuelle de 34 232,57 €.
La perte de chiffre d’affaires à venir peut donc être chiffrée à 34 917,22 € pour la première année, et 35 615,56 € pour la seconde année soit une perte totale sur 7 années de 238 011,64 €.
La perte totale de chiffre d’affaires (prothèses de genoux et prothèses de hanches) s’élève donc à la somme de 356 203,87 € soit une perte de chance indemnisable de 213 722,32 €.
perte de valeur de la carte d’agent
Ainsi que souligné par les appelantes, la valeur d’une carte d’agent commercial est, lors de sa revente, généralement estimée à deux années de commissions. En l’espèce, la perte de valeur est donc égale à deux années de pertes de commissions par différence des taux résultant de la signature des nouveaux contrats, soit :
au titre des prothèses de genoux : 17 054,96 x 2 = 34 109,92 €,
au titre des prothèses de hanches : 34 232,57 x 2 = 68 465,14 €,
soit la somme totale de 102 575,06 € et une perte de chance indemnisable de 61 545,03 €.
# sur les préjudices matériels de la société ORTHO SANTÉ
pertes sur frais de gestion
Il ressort des pièces produites que le nouveau contrat d’agents conclu entre la société AMPLITUDE et la société ORTHO SANTÉ le 31 août 2016 prévoit, en son article 6.4.9, que les frais de gestion facturés par les établissements ou tout groupement quelle qu’en soit la forme seront partagés à parts égales entre l’agent et le mandant, alors qu’une telle clause ne figurait pas dans le contrat initial en date du 1er février 2012 ni dans son avenant du 30 octobre 2013.
La société ORTHO SANTÉ établit, par la production de six factures s’échelonnant du 16 novembre 2016 au 19 janvier 2018, que la société AMPLITUDE lui a facturé à ce titre les sommes de 2 056,90 € TTC, 2 488,64 € TTC, 2 758,08 € TTC, 2 309,38 € TTC, 2 086,69 € TTC et 3 022,58 €TTC, soit une somme totale de 14 722,27 € TTC.
Compte-tenu de la perte de chance ci-dessus déterminée, son préjudice indemnisable de ce chef s’élève à 8 833,36 €.
pertes de commissions
Au stade du dernier avenant signé par la société ORTHO SANTÉ avant la lettre litigieuse, le taux de ses commissions s’établissait à :
20 % pour le produit ‘cotyle saturne à cimenter’,
28,5 % pour tous les autres produits à compter du 1er juillet 2014.
Le nouveau contrat signé le 31 août 2016 après la lettre de rupture litigieuse prévoit un taux :
fixe de 20 % pour le produit ‘cotyle saturne à cimenter’ (donc sans changement avec le taux précédent pour ce produit),
de 28,5 % pour les autres produits, avec une clause de variation à la baisse en cas de baisse des tarifs LPP sur la base du tarif de référence à la date de signature du contrat.
Pour les mêmes motifs et au vu des mêmes justificatifs que ceux concernant le préjudice de la société MEDICONSEIL à ce titre, la société ORTHO SANTÉ justifie que la baisse du tarif PLV des prothèses de genoux et de hanches à compter du 21 août 2017 a entraîné une baisse des commissions, selon la clause de fluctuation du nouveau contrat d’agent, à 27,78 % pour les premières et 26,47 % pour les secondes.
Au vu du tableau récapitulatif par catégorie de matériels établi par la Directrice administrative et financière de la société AMPLITUDE pour les exercices du 1er juillet 2016 au 31 mai 2021, d’où il ressort que les ventes de prothèses de genoux représentent de l’ordre de 57 % du chiffre d’affaires annuel de la société ORTHO SANTÉ, et les prothèses de hanches 36 %, étant souligné qu’elle justifie, par la production aux débats d’une attestation du fournisseur, que ses ventes du ‘cotyle saturne à cimenter’ dont le taux est fixe, n’ont représenté que 0,6 % de son chiffre d’affaires total pour l’exercice 2018/2019 et 0,5 % pour l’exercice 2019/2020 ce qui est négligeable, la perte réelle de son chiffre d’affaires directement consécutive à la clause de fluctuation du taux de commission doit être calculée selon la formule suivante :
1/ pour les prothèses de genoux :
A [correspondant au chiffre d’affaires cumulé réalisé sur ce produit pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mai 2021 (seul chiffre d’affaires réel établi par nature de produit)] x (28,5 – 27,78) % soit 0,72 % ce qui conduit à :
15 541 035,20 € x 0,72 % = 111 895,45 € pour cinq exercices (l’absence de prise en compte du mois de juin 2021 dans le calcul étant compensé par la circonstance que la baisse du taux ne s’est appliquée qu’à compter du 21 août 2017 tandis que la totalité du chiffre d’affaires de l’exercice 2017/2018 est ici prise en compte).
La demande de la société ORTHO SANTÉ portant sur 5 exercices écoulés au 31 décembre 2021, la perte à prendre en compte est donc de 111 895,45 €.
Elle porte aussi sur deux exercices à venir pour lesquels :
il est justifié de tenir compte d’une croissance annuelle moyenne de 2 % qui ressort des bilans et comptes de résultats produits (hors exercice 2019/2020 impacté par la crise sanitaire),
la perte moyenne doit être calculé sur les quatre exercices réels hors ce dernier impacté par la crise sanitaire, soit une moyenne de 23 216,63 €.
La perte de chiffre d’affaires à venir peut donc être chiffrée à 23 680,95 € pour la première année, et 24 154,58 € pour la seconde année soit une perte totale sur 7 années de 159 730,98 €.
2/ pour les prothèses de hanches :
A [correspondant au chiffre d’affaires cumulé réalisé sur ce produit pour la période du 1er juillet 2017 au 31 mai 2021 (seul chiffre d’affaires réel établi par nature de produit)] x (28,5 – 26,47) % soit 2,03 % ce qui conduit à :
9 423 862,77 € x 2,03 % = 191 304,41€ (l’absence de prise en compte du mois de juin 2021 dans le calcul étant compensé par la circonstance que la baisse du taux ne s’est appliquée qu’à compter du 21 août 2017 tandis que la totalité du chiffre d’affaires de l’exercice 2017/2018 est ici prise en compte).
La demande de la société ORTHO SANTÉ portant sur 5 exercices écoulés au 31 décembre 2021, la perte à prendre en compte est donc de 191 304,41€.
Elle porte aussi sur deux exercices à venir pour lesquels :
il est justifié de tenir compte d’une croissance annuelle moyenne de 2 % qui ressort des bilans et comptes de résultats produits (hors exercice 2019/2020 impacté par la crise sanitaire),
la perte moyenne doit être calculée sur les quatre exercices réels hors ce dernier impacté par la crise sanitaire, soit une moyenne de 38 948,22 €.
La perte de chiffre d’affaires à venir peut donc être chiffrée à 39 727,19 € pour la première année, et 40 521,73 € pour la seconde année soit une perte totale sur 7 années de 271 553,33 €.
La perte totale de chiffre d’affaires (prothèses de genoux et prothèses de hanches) s’élève donc à la somme de 431 284,31€ soit une perte de chance indemnisable de 258 770,58 €.
perte de valeur de la carte d’agent
Ainsi que souligné par les appelantes, la valeur d’une carte d’agent commercial est, lors de sa revente, généralement estimée à deux années de commissions. En l’espèce, la perte de valeur est donc égale à deux années de pertes de commissions par différence des taux résultant de la signature des nouveaux contrats, soit :
au titre des prothèses de genoux : 23 216,63 x 2 = 46 433,26 €,
au titre des prothèses de hanches : 38 948,22 x 2 = 77 896,44 €,
soit la somme totale de 124 329,70 € et une perte de chance indemnisable de 74 597,82 €.
# sur les demandes au titre d’un préjudice moral
La rupture brutale de leur contrat d’agent par la faute de leur conseil et sans contrepartie a, sans que cela puisse être sérieusement contesté, causé aux sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ un préjudice moral tenant à la perturbation subie et l’inquiétude générée par la perte des liens contractuels avec nécessité de renégocier avec leur ancienne mandante dans des conditions d’urgence et dans une position défavorable.
Ces éléments justifient que Me [G] soit condamné à leur payer, à chacune, la somme de 10 000 € en réparation de leur préjudice moral.
Sur les demandes accessoires
Me [G], succombant en sa défense, devra supporter les dépens de première instance et d’appel en application de l’article 696 du code de procédure civile et il n’y a pas lieu de faire application de l’article 700 du code de procédure civile en sa faveur.
Il est équitable de faire application de l’article 700 du code de procédure civile au profit des sociétés appelantes.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement par arrêt contradictoire,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement déféré.
Statuant à nouveau :
Dit que Me [D] [G] a commis une faute directement à l’origine d’une perte de chance de 60 %, pour les sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ, de poursuivre leurs contrats de mandataires dans les conditions en cours lors de l’envoi de la lettre litigieuse de leur conseil en date du 7 juillet 2016.
Condamne en conséquence Me [D] [G] à payer les sommes suivantes à titre de dommages-intérêts :
à la société MEDICONSEIL :
au titre de pertes sur frais de gestion : 1 823,13 €
au titre des pertes de commissions sur cinq exercices écoulés plus deux exercices à venir : 213 722,32 €
au titre de la perte de valeur de la carte d’agent : 61 545,03 €,
au titre de son préjudice moral : 10 000 €,
à la société ORTHO SANTÉ :
au titre de pertes sur frais de gestion : 8 833,36 €,
au titre des pertes de commissions sur cinq exercices écoulés plus deux exercices à venir : 258 770,58 €,
au titre de la perte de valeur de la carte d’agent : 74 597,82 €,
au titre de son préjudice moral : 10 000 €.
Condamne Me [D] [G] à payer aux sociétés MEDICONSEIL et ORTHO SANTÉ unies d’intérêts la somme de 8 000 € en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Rejette toutes les autres demandes.
Condamne Me [D] [G] aux dépens de première instance et d’appel.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par madame Clerc, président, et par madame Burel, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT