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Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 1 – Chambre 9
ORDONNANCE DU 25 OCTOBRE 2022
Contestations d’Honoraires d’Avocat
(N° /2022, 6 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 18/00260 – N° Portalis 35L7-V-B7C-B5MR5
NOUS, Laurence CHAINTRON, Conseillère à la Cour d’Appel de PARIS, agissant par délégation de Monsieur le Premier Président de cette Cour, assistée de Eléa DESPRETZ, greffière présente lors des débats ainsi que lors du prononcé de l’ordonnance.
Vu le recours formé par :
Maître [H] [E]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Comparante en personne,
Demandeur au recours,
contre une décision du Bâtonnier de l’ordre des avocats de [Localité 5] dans un litige l’opposant à :
Maître [I] [S]
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représenté par Me Pierre CHAUFOUR de l’AARPI AARPI CCVH, avocat au barreau de PARIS, toque : R109
Défendeur au recours,
Par décision contradictoire, statuant par mise à disposition au greffe, après avoir entendu les parties présentes à notre audience du 15 Septembre 2022 et pris connaissance des pièces déposées au Greffe,
L’affaire a été mise en délibéré au 25 Octobre 2022 :
Vu les articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1991 ;
****
Au mois d’octobre 2016, Me [H] [E], avocat au barreau de [Localité 1], a confié à Me [I] [S] la défense de ses intérêts dans le cadre d’une procédure disciplinaire engagée à son encontre par le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de [Localité 1] par acte du 9 février 2017, pour atteinte au respect des principes d’honneur, de probité et de loyauté et infraction aux dispositions de l’article 183 du décret du 27 novembre 1991 et de l’article 1.3 du règlement intérieur national, devant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d’appel de Montpellier.
Aucune convention d’honoraires n’a été signée entre les parties.
Par courrier recommandé avec avis de réception reçu le 21 novembre 2017, Me [S] a saisi le bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de [Localité 5] d’une demande de fixation de la totalité de ses honoraires d’un montant de 5 246 euros HT.
Par décision contradictoire du 6 mars 2018, la déléguée du bâtonnier a :
– fixé à la somme de 4 560 euros HT le montant total des honoraires dus à Me [S] par Me [E] ;
– dit en conséquence que Me [E] devra payer à Me [S] la somme de 4 560 euros HT, avec intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision, outre la TVA au taux de 20 % ainsi que les frais d’huissier de justice en cas de signification de la décision ;
Vu l’article 1244-1 du code civil,
– dit que Me [E] pourra s’acquitter de sa dette en trois mensualités égales et régulières, pour la première à intervenir dans le mois de la notification de la décision ;
– dit que faute par Me [E] de s’acquitter régulièrement aux échéances prévues, l’intégralité de la dette deviendra immédiatement exigible de plein droit, augmentée des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision.
La décision a été notifiée aux parties par lettres recommandées avec avis de réception en date du 6 mars 2018.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 4 avril 2018, le cachet de la poste faisant foi, Me [E] a formé un recours contre la décision précitée.
Les parties ont été convoquées à l’audience du 23 juin 2022 par lettres recommandées avec avis de réception en date du 12 mai 2022 dont Me [E] a signé l’AR le 16 mai 2022 et qui est revenue avec la mention ‘pli avisé et non réclamé’ pour Me [S].
A cette audience, l’affaire a été contradictoirement renvoyée au 15 septembre 2022.
A l’audience du 15 septembre 2022, Me [E] a comparu en personne et Me [S] était représenté par Me [G].
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, Me [E] demande de :
– infirmer l’ordonnance déférée,
Statuant à nouveau,
– fixer le montant des honoraires de Me [S] à 2 000 euros TTC.
Par conclusions déposées et soutenues oralement à l’audience, Me [S] demande de :
– infirmer la décision rendue par le conseil de l’ordre du barreau de [Localité 5],
– condamner Me [E] à lui payer au titre de ses honoraires la somme de 5 246 euros HT,
– la condamner au paiement de la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et en tous les dépens,
– ordonner l’exécution provisoire de l’arrêt à intervenir.
SUR CE
Sur les honoraires
A l’appui de ses prétentions, Me [E] expose qu’elle entretenait des relations d’amitié avec Me [S] et que ce dernier lui avait laissé penser que, à titre confraternel, il ne facturerait pas d’honoraires. Elle relève l’absence de convention d’honoraires entre les parties et d’information quant au tarif horaire de Me [S]. Elle estime que le montant des honoraires facturés est excessif au regard des diligences réalisées. Elle relève en premier lieu que sur les 19 correspondances produites, 13 concernent des e mails succincts échangés entre les parties qui doivent être considérés comme faisant partie de la gestion administrative, Me [S] n’a produit devant le conseil de discipline et le bâtonnier en première intention qu’un mémoire succinct de 3 pages et non de 28 pages, dont le contenu est identique au courrier qu’elle avait remis à Me [S], celui-ci a facturé la frappe de ce mémoire au tarif horaire de 240 euros, le temps facturé au titre du dossier de plaidoirie est excessif alors que Me [S] se présente comme un avocat spécialisé et ne justifie pas avoir déposé un dossier de plaidoirie de 61 pages, il est d’usage pour un avocat de facturer son temps de déplacement à un taux horaire moindre, l’audience à Montpellier a duré 2 heures. Elle estime que le temps de travail consacré à ce dossier doit être ramené à 4,5 heures de travail et non comme l’a retenu le bâtonnier à 8 heures de travail.
En réplique, Me [S] forme un appel incident à l’encontre de la décision du bâtonnier qu’il entend voir infirmer en ce qu’elle a réduit ses honoraires à la somme de 4 560 euros HT, alors qu’il avait déjà consenti à sa cliente un avoir de 2 365,68 euros et réclamait, après déduction de cet avoir, la somme de 5 246 euros HT au titre de ses honoraires de diligences. Il indique qu’il ne facture pas les correspondances ou e mails reçus, les courriels adressés correspondaient tous soit à des diligences effectuées, soit à l’état de l’étude du dossier, soit encore aux nécessités de la procédure et il n’y a eu aucune facturation de la gestion administrative du dossier. Il affirme avoir rédigé 2 mémoires, l’un de 3 pages et l’autre de 28 pages et allègue que c’est uniquement dans l’intérêt de sa cliente et pour des raisons de stratégie que seul le mémoire de 3 pages a été déposé, le mémoire de 28 pages ayant servi de base à la rédaction du dossier de plaidoirie de 61 pages. Il souligne que, s’il s’est nécessairement fondé sur les faits relatés par Me [E] dans ses écrits, son mémoire auquel il a apporté un enrichissement important, n’en est pas la simple reproduction. Il affirme que, contrairement à ce que soutient la requérante, il n’a facturé aucun travail de secrétariat, mais le temps consacré au dossier par une collaboratrice chevronnée ayant 10 ans d’expérience qui a été facturé au taux horaire de 240 euros HT. Il expose que le dossier confié relatif à un problème personnel de conflit d’intérêts nécessitait des recherches de jurisprudence et affirme avoir développé lors de l’audience disciplinaire un dossier de plaidoirie de 61 pages. Il précise qu’il a pour habitude de facturer la totalité de son temps de déplacement car durant ce temps, il ne peut traiter d’autres dossiers.
Le recours de Me [E] qui a été effectué dans le délai d’un mois prévu par l’article 176 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 modifié par le décret n° 2007-932 du 15 mai 2007 est recevable.
Les pièces communiquées par les parties établissent que Me [S] est intervenu pour le compte de Me [E] entre le 24 octobre 2016 et le 27 mars 2017 afin d’assurer sa défense.
Il convient en premier lieu de rappeler que les griefs de Me [E] qui renvoient à la responsabilité de l’avocat dans l’accomplissement de sa mission, tenant notamment au manquement à son devoir d’information sur le montant de ses honoraires, ne relèvent pas de l’appréciation du bâtonnier, ni du premier président statuant dans le cadre de l’article 174 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991.
Pour connaître les conditions financières de l’intervention de Me [S] pour le compte de Me [E], et les diligences que l’avocat revendique, il y a lieu de se reporter aux documents suivants :
– une facture n° 201770076 en date du 28 mars 2017 d’un montant de 7 217,40 euros HT, soit 8 660,88 euros TTC au titre des honoraires et frais, déduction faite d’une remise exceptionnelle de 1 021,71 euros HT, portant les mentions ‘Suivi du dossier’, ‘1 rendez-vous le 21 février 2017″, ‘Etude des pièces’, ‘Rédaction d’un mémoire’, ‘Rédaction du dossier de plaidoiries’, ‘Déplacement à [Localité 1] le 24 mars 2017″, ‘Audience à [Localité 1]’, ’19 correspondances’, ‘Frais SNCF + Parking : 217,40 euros HT’ à laquelle est jointe un document détaillant les diligences effectuées sur lequel figurent, la date de ces diligences, les initiales de l’avocat les ayant réalisées, leur intitulé, le temps de travail et le montant facturé pour chacune de ces diligences (pièce de l’intimé n° 9),
– un avoir n° 20170247 du 6 octobre 2017 sur facture 20170076 du 28 mars 2017 d’un montant de 1 971,40 euros HT, soit 2 365,68 euros TTC (pièce de l’intimé n° 10),
– une fiche de diligences dressée pour le bâtonnier, le 27 novembre 2017, dans laquelle Me [S] a notamment indiqué que :
– il a 55 années d’exercice professionnel,
– l’affaire traitée était de nature déontologique,
– il a eu avec sa cliente un rendez-vous de 45 minutes le 21 février 2017,
– il n’a pas facturé les entretiens téléphoniques,
– il a adressé 19 correspondances,
– il a consacré à l’étude du dossier et à des recherches (2h45 + 1h50),
– il a établi un mémoire auquel il a consacré 7 heures15 de travail et un dossier de plaidoirie représentant 3 heures 30 de travail,
– il y a eu une audience à [Localité 1] (8 heures avec déplacement),
– il a consacré au dossier un nombre d’heures total de travail de 25 heures 51,
– les diligences ont été accomplies pendant la période du 24 octobre 2016 au 27 mars 2017,
– le montant total des honoraires facturées est de 5 246, euros HT dont 217,40 euros HT de frais de déplacement.
Me [S] ne produit aucun document démontrant que Me [E] ait accepté les conditions financières de son intervention, de sorte qu’il est retenu qu’aucune convention d’honoraires n’a été signée, ni conclue par les parties.
La requérante soutient vainement que l’intimé lui aurait laissé penser que ses prestations étaient réalisées à titre gratuit, alors qu’elle indique par ailleurs (page 2 de ses écritures) que ‘elle n’a jamais demandé à ce que cette défense soit gratuite et elle a immédiatement demandé quel serait son coût’ et propose de régler à Me [S] un honoraire de 2 000 euros TTC.
A défaut de convention d’honoraires, il convient pour fixer les honoraires dus à Me [S] à compter du 24 octobre 2016 jusqu’au 27 mars 2017, de faire application des dispositions de l’article 10 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifié par la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 qui dispose notamment que :’ Les honoraires tiennent compte, selon les usages, de la situation de fortune du client, de la difficulté de l’affaire, des frais exposés par l’avocat, de sa notoriété et des diligences de celui-ci.’
Force est de constater que l’application littérale de l’article 10 de la loi précitée dans ce dossier présente des difficultés dès lors que Me [S] ne justifie pas avoir communiqué à sa cliente son taux horaire HT habituel et n’a communiqué aucune information sur la situation de fortune de sa cliente.
Pour ces motifs, nous fixerons les honoraires en ne tenant compte que des diligences que Me [S] justifie dans la présente instance.
Les parties admettent que :
– un rendez-vous s’est tenu entre elles au cabinet de Me [S] le 21 février 2017,
– Me [S] a dû examiner le dossier de sa cliente,
– Me [S] a assisté Me [E] au cours de l’audience de plaidoirie du 24 mars 2017 devant le conseil de discipline des barreaux du ressort de la cour d’appel de Montpellier.
Par ailleurs, Me [S] justifie avoir rédigé pour le compte de Me [E] pendant la période considérée :
– 19 courriels (pièce de l’intimé n° 12),
– deux mémoires à l’attention des membres du conseil de discipline des barreaux, l’un de 3 pages (pièce de l’intimé n° 13) et l’autre de 28 pages (pièce de l’intimé n° 14),
– un dossier de plaidoirie de 61 pages (pièce de l’intimé n° 15).
S’agissant de la facturation des échanges entre les parties, il y a lieu de relever que Me [S] n’a facturé à sa cliente que les correspondances adressées, à l’exclusion des correspondances reçues, et n’a facturé aucun honoraire, ni au titre de la gestion administrative du dossier, ni au titre des entretiens téléphoniques, de sorte que le temps facturé au titre des échanges entre les parties n’apparaît pas excessif.
S’agissant de la rédaction des deux mémoires et du dossier de plaidoirie, il ressort de la fiche de diligences annexée à la facture n° 201770076 en date du 28 mars 2017 que Me [S] a effectué personnellement la rédaction des mémoires et du dossier de plaidoirie ainsi que le démontrent les initiales figurant sur ce document. La requérante soutient vainement que le mail que lui a envoyé Me [S] le 22 mars 2017 afin de lui communiquer copie ‘du mémoire très synthétique’ qu’il adressait au Bâtonnier [M] démontrerait que Me [S] n’aurait rédigé qu’un mémoire succinct de 3 pages, alors qu’il ressort de ce mail que l’intimé a adressé ce mémoire succinct au bâtonnier pour que ce dernier ne puisse pas lui ‘reprocher de l’avoir empêché de préparer l’audience’, n’a ‘volontairement rien développé de plus’ et que s’agissant d’une procédure orale, il rappelait à sa cliente qu’il réservait ses ‘développements pour l’audience’. Comme le relève pertinemment l’intimé, Me [S] s’est nécessairement fondé sur les faits relatés par sa cliente, ce qui n’exclut pas la réalisation de ses propres diligences. A cet égard, il ressort des actes versés aux débats que, comme l’a retenu à juste titre le bâtonnier de [Localité 5], Me [S] a effectué un travail important et argumenté, deux mémoires et un dossier de plaidoirie, le mémoire de 28 pages participant du processus intellectuel qui s’achève dans la soutenance du dossier à l’audience. L’argumentation développée par Me [S] est appuyée par des recherches de jurisprudence. Enfin, il ressort de la fiche de diligences précitée que Me [S] a facturé les diligences de sa collaboratrice au taux horaire de 240 euros HT, alors que ses propres diligences ont été facturées au taux horaire de 380 euros HT, qui n’apparaît pas excessif au regard de la durée de son exercice professionnel de 55 années. Le montant des honoraires facturés au titre de la rédaction de ces actes n’apparaît donc pas excessif.
Enfin, comme le relève pertinemment l’intimé, le temps consacré à son déplacement à [Localité 1], est du temps que l’avocat ne consacre pas à son cabinet et à d’autres dossiers, de sorte qu’il n’y a pas lieu de réduire le temps facturé à ce titre.
Il résulte de l’ensemble de ces éléments que la mission confiée à Me [S] présentait un caractère sensible s’agissant de poursuites disciplinaires diligentées à l’encontre de Me [E] relatives à un problème de conflit d’intérêts personnel.
Enfin, il apparaît que Me [S] a déjà consenti à sa cliente un avoir de 2 365,68 euros HT.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, il est justifié de fixer à la somme de 5 028,60 euros HT le montant des honoraires dus par Me [E] à Me [S] au titre des diligences effectuées, outre 217,40 euros HT au titre des frais de déplacement de l’intimé à [Localité 1], qui ne sont pas contestés, et de la condamner au paiement de cette somme, outre la TVA au taux de 20 %. La décision déférée est donc infirmée en ce qu’elle a fixé les honoraires dus à Me [S] à la somme de 4 560 euros HT et condamné la requérante au paiement de cette somme.
Sur les autres demandes
Le pourvoi en cassation n’ayant pas d’effet suspensif, il convient de débouter Me [S] de sa demande aux fins d’ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.
Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de Me [S] les frais irrépétibles qu’il a été contraint d’engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts.
Il sera par conséquent débouté de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Me [E], partie perdante, sera condamnée aux dépens en application des dispositions de l’article 696 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, en dernier ressort, par ordonnance contradictoire, et par mise à disposition de la décision par le greffe,
Infirme la décision déférée rendue par la déléguée du bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de [Localité 5] du 6 mars 2018 ;
Statuant à nouveau des chefs de la décision infirmée et y ajoutant,
Fixe les honoraires dus par Me [H] [E] à Me [I] [S] à la somme de 5 028,60 euros HT et le montant des frais dus à Me [I] [S] à la somme de 217,40 euros HT ;
Condamne Me [H] [E] à payer à Me [I] [S] la somme de 5 028,60 euros HT au titre de ses honoraires et de 217,40 euros HT au titre des frais, outre la TVA au taux de 20 % ;
Condamne Me [H] [E] aux dépens de la présente instance ;
Rejette toutes autres demandes ;
Dit qu’en application de l’article 177 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991, l’ordonnance sera notifiée aux parties par le greffe de la cour suivant lettre recommandée avec accusé de réception.
LA GREFFIERE LA PRÉSIDENTE