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N° RG 20/03145 – N° Portalis DBV2-V-B7E-ISFE
COUR D’APPEL DE ROUEN
1ERE CHAMBRE CIVILE
ARRET DU 14 SEPTEMBRE 2022
DÉCISION DÉFÉRÉE :
18/00895
Tribunal judiciaire de Rouen du 16 mars 2020
APPELANTS :
Monsieur [N] [H]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représenté et assisté par Me Jérôme HERCE de la Selarl HERCE MARCILLE POIROT-BOURDAIN, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me POIROT-BOURDAIN
Sarl [H] MARINE
RCS de Caen 393 727 839
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentée et assistée par Me Jérôme HERCE de la Selarl HERCE MARCILLE POIROT-BOURDAIN, avocat au barreau de Rouen plaidant par Me POIROT-BOURDAIN
INTIMES :
Maître [Z] [C]
[Adresse 6]
[Localité 3]
représenté par Me Marc ABSIRE de la Selarl DAMC, avocat au barreau de Rouen
et assisté par Me Laurent CAZELLES de la Scp RAFFIN et Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Christophe LAVERNE
Selarl JURIADIS
[Adresse 5]
[Localité 3]
représentée par Me Marc ABSIRE de la Selarl DAMC, avocat au barreau de Rouen
et assistée par Me Laurent CAZELLES de la Scp RAFFIN et Associés, avocat au barreau de Paris plaidant par Me Christophe LAVERNE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été plaidée et débattue à l’audience du 6 avril 2022 sans opposition des avocats devant Mme Julie VERA, vice-présidente placée auprès de la première présidente de la cour d’appel de Rouen, rapporteur,
Le magistrat rapporteur a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour composée :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Julie VERA, vice-présidente placée,
GREFFIER LORS DES DEBATS :
Mme Catherine CHEVALIER,
DEBATS :
A l’audience publique du 6 avril 2022, où l’affaire a été mise en délibéré au 29 juin 2022, date à laquelle le délibéré a été prorogé au 14 septembre 2022.
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU PRONONCÉ :
Mme Edwige WITTRANT, présidente de chambre,
M. Jean-François MELLET, conseiller,
Mme Magali DEGUETTE, conseillère,
ARRET :
CONTRADICTOIRE
Rendu publiquement le 14 septembre 2022, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
signé par Mme WITTRANT, présidente et par Mme CHEVALIER, greffier.
*
* *
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCEDURE
Par jugement du 1er octobre 1992, le tribunal de commerce de Caen a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l’égard de la Société nouvelle des chantiers normands réunis, la SNCNR. La liquidation judiciaire a été prononcée par jugement du 16 décembre 1992. Par ordonnance du 30 juin 1994, le juge commissaire de la procédure a autorisé la cession d’un immeuble sis à [Localité 7] de cette société au profit de M. [N] [H].
Par délibération du 8 juillet 1994, la commune de [Localité 7] a décidé d’exercer son droit de préemption sur l’immeuble et l’a acquis par actes des 23 et 25 novembre 1994. Par jugement du 11 juillet 1995, le tribunal administratif de Caen a annulé cette délibération et par jugement du 12 novembre 1997, a condamné la commune de [Localité 7] à payer à la société [H] Marine la somme de 100 000 francs en réparation du préjudice subi. Par arrêt du 26 avril 2000, la cour administrative d’appel de Nantes a annulé cette décision.
Par jugement du 30 octobre 1999, le tribunal de grande instance de Caen a déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir la demande de la société [H] Marine tendant à l’annulation de la vente des 23 et 25 novembre 1994. Par arrêt du 22 mai 2001, la cour d’appel de Caen a annulé la vente conclue les 23 et 25 novembre 1994.
Par lettre du 9 septembre 1999, la société [H] Marine a saisi le tribunal administratif de Caen d’une demande tendant à obtenir l’exécution du jugement rendu par cette juridiction le 11 juillet 1995 ; par ordonnance du 7 juin 2000, le vice-président de la juridiction saisie a dit n’y avoir lieu à statuer sur la requête présentée par la société.
Par exploits d’huissier du 1er mars 2018, M. [H] et la société [H] Marine ont fait assigner Me [Z] [H], avocat honoraire au barreau de Caen, et la Selarl Juriadis, société d’avocats en ce qu’elle viendrait aux droits de Me [C], en réparation des préjudices subis en raison des fautes commises par ces professionnels.
Par jugement du 16 mars 2020, le tribunal judiciaire de Rouen a :
– déclaré irrecevable l’action engagée par M. [N] [H] et la société [H] Marine à l’encontre de Me [Z] [C],
– déclaré irrecevable l’action engagée par M. [N] [H] et la société [H] Marine à l’encontre de la Selarl Juriadis,
– débouté Me [Z] [C] et la Selarl Juriadis de leur demande de dommages et intérêts pour procédure abusive,
– condamné M. [N] [H] et la société [H] Marine in solidum à payer à Me [Z] [C] et à la Selarl Juriadis la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [N] [H] et la société [H] Marine in solidum aux dépens,
– accordé à Me Absire le bénéfice des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration au greffe du 16 mars 2020, M. [N] [H] et la Sarl [H] Marine ont formé appel du jugement.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 22 juin 2021, M. [N] [H] et la Sarl [H] Marine demandent à la cour, au visa des articles 411, 412, 413 du code de procédure civile, 1147 ancien du code civil, de réformer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de :
– condamner conjointement et solidairement Me [C] et la Selarl Juriadis à payer la somme de 1 597 795,37 euros à M. [H], de 1 164 918 euros euros à la Sarl [H] Marine,
– juger mal fondée la demande incidente formées par les intimés au titre de la procédure abusive et les débouter,
– condamner conjointement et solidairement Me [C] et la Selarl Juriadis à leur payer à chacun une somme de 20 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et à supporter les dépens.
Par dernières conclusions notifiées le 13 août 2021, Me [Z] [C] et la Selarl Juriadis demandent à la cour, au visa des articles 1240 et 2225 du code civil, 31 et 32 du code de procédure civile, de :
– juger irrecevable les actions dirigées à leur encontre, en raison de la prescription de l’action à leur encontre, du défaut de qualité à défendre également à l’encontre de la Selarl Juriadis,
– débouter M. [H] et la Sarl [H] Marine de leurs demandes,
– condamner in solidum ces derniers à leur payer la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles,
– infirmer le jugement entrepris en ce qu’il les a déboutés de leurs demandes à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et condamner les appelants in solidum à payer la somme de 15 000 euros à Me [C] et de 10 000 euros à la Selarl Juridis la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
à titre subsidiaire sur le fond,
– débouter M. [H] et la Sarl [H] Marine de leurs demandes,
– condamner M. [H] et la Sarl [H] Marine in solidum aux dépens en application de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner ces derniers in solidum à leur payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, prétentions et moyens des parties en application de l’article 455 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 9 mars 2022.
MOTIFS
Sur la recevabilité de l’action à l’encontre de la Selarl Juriadis
L’article 31 du code de procédure dispose que l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d’agir aux seules personnes qu’elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
L’article 32 dudit code précise qu’est irrecevable toute prétention émise par ou contre une personne dépourvue du droit d’agir.
Le tribunal a retenu que la Selarl Juriadis avait été créée en janvier 2009 soit postérieurement aux agissements reprochés à Me [C] de sorte que l’action était irrecevable à défaut de qualité à défendre de la partie.
M. [H] et la Sarl [H] Marine font valoir l’article 16 de la loi du 31 décembre 1990 qui dispose que si chaque associé répond de ses actes sur son patrimoine, la société est solidairement responsable avec lui. Ils rappellent que Me [C] a apporté son activité à la Selarl d’avocats le 1er mars 2009 et que celle-ci a mis fin à la mission en leur remettant leur dossier le 6 mars 2013 ; que la société vient aux droits de l’avocat.
Me [C] et la Selarl Juriadis contestent l’analyse en soulignant que les faits reprochés au professionnel mis en cause datent de la période écoulée de 1994 à 1999 alors que la responsabilité de l’avocat est personnelle et ne se transmet pas passivement à son successeur.
Dans le dossier communiqué par les appelants, Me [C] apparaît pour la dernière fois dans un acte juridictionnel comme défenseur de M. [H] et de la Sarl [H] Marine dans la décision du tribunal administratif du 23 novembre 2006 ; les décisions postérieures en 2008 et 2009 mettent en évidence l’intervention d’un autre conseil, notamment en la personne de Me [E], avocat au barreau de Caen.
La dernière facturation établie au nom de Me [C] a été formalisée le 28 juillet 2005.
La Selarl Juriadis a été immatriculée le 11 mai 2009.
Les appelants ne démontrent pas que lors de la création de la Selarl Juriadis, ils étaient encore clients de Me [C] et contrairement à ce qu’ils affirment, que ce dernier avait, le cas échéant, apporté sa clientèle à la société d’avocats. Aucune pièce n’est produite en ce sens. La Selarl Juriadis ne peut dès lors voir sa responsabilité engagée pour des actes accomplis antérieurement alors que Me [C] exerçait la profession libérale à titre individuel et n’avait aucun lien juridique avec la structure sociale.
L’action engagée à l’encontre de la Selarl Juriadis qui n’a pas qualité à défendre est irrecevable. Le jugement sera confirmé au titre de cette fin de non-recevoir.
Sur la recevabilité de l’action à l’encontre de Me [C]
L’article 2225 du code civil pose le principe selon lequel l’action en responsabilité dirigée contre les personnes ayant représenté ou assisté les parties en justice, y compris à raison de la perte ou de la destruction des pièces qui leur ont été confiées, se prescrit par cinq ans à compter de la fin de leur mission.
L’assignation en responsabilité à l’encontre de Me [C] a été délivrée le 1er mars 2018.
Le tribunal a retenu les effets de la prescription de l’action entreprise puisque Me [C] avait terminé sa mission nécessairement lors de son départ à la retraite le 31 mars 2010 et que plus de cinq ans s’étaient écoulés lors de la délivrance de l’acte introductif d’instance.
Les appelants font valoir que la fin de mission de l’avocat a eu lieu le 6 mars 2013 lors de la remise de leur dossier. Les intimés contestent cette analyse en soulignant qu’il ne faut pas confondre la fin du mandat et la remise du dossier.
Le seul acte matériel de remise d’archives au client d’un confrère honoraire de la société n’est pas de nature à caractériser la fin de la mission, ce d’autant plus qu’il est acquis qu’à cette date, M. [H] et la Sarl [H] Marine n’étaient plus les clients du professionnel. La remise du dossier ne s’inscrit pas dans une relation professionnelle contemporaine à laquelle il est mis fin.
M. [H] et la Sarl [H] Marine soutiennent encore que l’avocat bénéficiait d’un mandat dans la gestion de l’ensemble des procédures et que la dernière facture a été rédigée le 10 juin 2011 et concernait la procédure entre la commune de [Localité 7] à propos du certificat d’urbanisme.
Les intimés rétorquent qu’il n’existe pas de mandat général comme décrit. Ils exposent ainsi que le point de départ de la prescription est fixé au jour du prononcé de la décision de justice à laquelle l’avocat a reçu mandat d’assister et de représenter son client ; que pour l’application de la prescription, il faut donc examiner chaque acte de représentation pour lequel l’avocat a été mandaté pour calculer le point de départ du délai.
Plus de cinq années se sont écoulées entre la dernière facture de 2011 qui en outre, ne constitue pas le dernier acte de représentation de l’avocat pertinent et n’émane pas de Me [C] à titre individuel, et l’assignation signifiée en 2018. La prescription est acquise même en retenant l’acte le plus récent allégué par les appelants.
Le jugement sera dès lors également confirmé en ce qu’il a retenu la fin de non-recevoir tiré de la prescription.
Sur les dommages et intérêts pour procédure abusive
L’article 32-1 du code de procédure civile indique que celui qui agit en justice de manière dilatoire ou abusive peut être condamné à une amende civile d’un maximum de 10 000 euros, sans préjudice des dommages-intérêts qui seraient réclamés.
L’action en responsabilité répond aux critères de l’article 1240 et suppose une faute de la part de son auteur. L’abus de droit suppose un acte de malice ou de mauvaise foi, d’une erreur équipollente au dol.
Les intimés dénoncent un acharnement judiciaire malgré l’évidente irrecevabilité de l’action, la mauvaise foi de M. [H] et de la Sarl [H] Marine et au titre des préjudices les désagréments causés par une longue procédure.
Les appelants soutiennent que la faute commise par les professionnels justifie pleinement leur action.
Malgré un jugement motivé sur les fins de non-recevoir, des dates non discutées dans les faits et les conclusions circonstanciées de la partie adverse, les appelants ont contraint Me [C], à la retraite depuis huit ans lors de l’assignation, la Selarl Juriadis, à se défendre amplement jusqu’en cause d’appel, à la fois sur l’irrecevabilité de l’action et sur le fond en réclamant une somme totale de 2 762 271,37 euros. Ils ne produisent aucun échange à l’intention de leur avocat au cours des années durant les procédures relatives au chantier naval, ne serait-ce qu’en vue d’obtenir des explications. Aucune correspondance n’a été émise de leur part pour annoncer l’instance en responsabilité.
Les appelants ont ainsi fait preuve de mauvaise foi dans la conduite de la procédure à l’égard des intimés.
Toutefois, pour réclamer la somme de 10 000 euros au titre du préjudice subi, seuls ‘les désagréments’ de la procédure sont évoqués sans autres précisions, sans pièces justificatives pour établir l’existence de dommages matériels ou moraux supportés, tant pour Me [C] que pour la Selarl Juriadis.
En conséquence, la demande de dommage et intérêts sera rejetée, le jugement confirmé.
Sur les dépens et frais irrépétibles
Le jugement entrepris n’appelle pas de critique. M. [H] et la Sarl [H] Marine succombent dans la présente procédure et supporteront in solidum les dépens dont distraction au profit de Me Absire en application de l’article 699 du code de procédure civile.
L’équité conduit à les condamner in solidum à payer aux intimés pris ensemble la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe et en dernier ressort,
Confirme le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Condamne in solidum M. [N] [H] et la Sarl [H] Marine à payer à Me [Z] [C] et la Selarl Juriadis la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne in solidum M. [N] [H] et la Sarl [H] Marine aux dépens dont distraction au profit de Me Marc Absire, avocat.
Le greffier,La présidente de chambre,