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N° RG 20/02595 – N° Portalis DBVM-V-B7E-KQUW
C2
N° Minute :
Copie exécutoire
délivrée le :
la SCP D’AVOCATS JURI-EUROP
Me Pierre Lyonel LEVEQUE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU MARDI 13 SEPTEMBRE 2022
Appel d’une décision (N° RG 18/00240)
rendue par le Tribunal judiciaire de VIENNE
en date du 23 juillet 2020
suivant déclaration d’appel du 19 Août 2020
APPELANT :
Me [S] [Z]
né le [Date naissance 3] 1968 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Catherine GOARANT de la SCP MONTOYA PASCAL-MONTOYA DORNE GOARANT, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me Maïté ROCHE, avocat au barreau de LYON
INTIME :
M. [V] [T]
né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 6]
représenté par Me Pierre lyonel LEVEQUE, avocat au barreau de VIENNE postulant et plaidant par Me Caroline BRUMM-GODET, avocat au barreau de LYON
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Mme Hélène COMBES, Président de chambre,
Mme Joëlle BLATRY, Conseiller,
M. Laurent GRAVA, Conseiller,
DÉBATS :
A l’audience publique du 20 juin 2022 Madame BLATRY, Conseiller chargé du rapport en présence de Madame COMBES, Président de chambre, assistées de Mme Valérie RENOUF, Greffier, ont entendu les avocats en leurs observations, les parties ne s’y étant pas opposées conformément aux dispositions des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile.
Elle en a rendu compte à la Cour dans son délibéré et l’arrêt a été rendu ce jour.
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES:
Suivant acte sous seing privé du 20 décembre 2002, Monsieur [V] [T] a prêté à Monsieur [U] [X] la somme de 120.000,00€ remboursable en 8 annuités au taux de 6%. Le 9 septembre 2005, Monsieur [X] a signé une reconnaissance de dette au profit de Monsieur [T] pour la somme de 100.000,00€ avec remboursement en une ou plusieurs fois, au plus tard le 30 septembre 2006.
En l’absence de règlement des sommes susvisées, Monsieur [T], avec l’assistance de Maître [S] [Z], a obtenu, le 8 septembre 2014, une ordonnance de référé condamnant Monsieur [X] à verser à Monsieur [T] :
une provision de 49.500,00€ en principal,
28.626,50€ au titre des intérêts contractuels outre intérêts contractuels à compter du dernier décompte du 31 mai 2014,
100.000,00€ en principal avec intérêts au taux légal à compter du 13 juin 2014, date de l’assignation.
Le 12 septembre 2014, Maître [Z] a mandaté un huissier en vue de la signification de cette décision.
Le 24 juin 2015 Maître [Z] a fait inscrire au profit de Monsieur [T] une hypothèque judiciaire provisoire sur l’immeuble de Monsieur [X] sis sur la commune de [Localité 8].
Par jugement du 8 décembre 2016 rectifié par décision du 15 décembre 2016, le juge de l’exécution du tribunal de grande instance de Roanne a constaté la vente amiable de ce bien immobilier dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière introduite par la société Caisse d’Epargne et de Prévoyance Loire Drôme Ardèche.
En raison de son rang hypothécaire, Monsieur [T] ne s’est vu distribuer aucune somme.
Suivant exploit d’huissier du 22 janvier 2018, Monsieur [T] a poursuivi Maître [Z] à l’effet d’obtenir sa condamnation au paiement de diverses sommes au titre de sa responsabilité.
Par jugement du 23 juillet 2020, le tribunal de grande instance de Vienne a, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, condamné Maître [Z] à payer à Monsieur [T] la somme de 60.000,00€ au titre de la perte de chance de recouvrer sa créance avec capitalisation annuelle des intérêts outre une indemnité de procédure de 2.000,00€.
Suivant déclaration en date du 19 août 2020, Maître [Z] a relevé appel de cette décision.
Au dernier état de ses écritures en date du 17 novembre 2020, Maître [Z] demande à la cour de débouter Monsieur [T] de l’ensemble de ses prétentions et de le condamner à lui payer une indemnité de procédure de 3.500,00€.
Il fait valoir que :
il appartient au demandeur de démontrer l’étendue de la mission de l’avocat,
Monsieur [T] n’a demandé aucune garantie pour les prêts d’un montant conséquent et a attendu plusieurs années avant de saisir la justice,
Monsieur [T] ne peut se prévaloir de sa légèreté blâmable,
Monsieur [T] a également tardé à lui donner mandat de poursuivre une mesure d’exécution forcée,
Monsieur [T] ne lui a donné mandat de prendre une inscription hypothécaire qu’à la mi-avril 2015 en dépit du courrier qui lui avait été adressé 4 mois plus tôt pour solliciter ses instructions,
le jour même, il a pris attache avec l’huissier pour cette inscription,
il a relancé l’huissier qui lui a finalement confirmé avoir procédé aux diligences fin juin 2015,
il n’a donc commis aucune faute,
Monsieur [T] ne démontre aucunement avoir donné des instructions après l’ordonnance de référé,
dès le 11 septembre 2014, il a demandé à l’huissier de procéder à la saisie des comptes bancaires qui s’est avérée infructueuse,
le 7 octobre 2014, l’huissier l’a avisé être en attente de renseignements sur d’éventuelles inscriptions sur les biens,
en l’absence de tous éléments, il ne pouvait conseiller utilement Monsieur [T],
le 12 novembre 2014, il a été informé des divers mandats de vente de Monsieur [X] pour réaliser son patrimoine immobilier,
le 18 novembre 2014, il a relancé l’huissier pour avoir des éléments sur l’affectation hypothécaire qui avait été proposée à Monsieur [X],
l’huissier ne lui a adressé le relevé de propriété et les renseignements sommaires que le 30 décembre 2014,
avant cette date, il ne pouvait conseiller à Monsieur [T] de procéder à une inscription hypothécaire dès lors qu’il ignorait combien de suretés grevaient le bien immobilier,
dès le 12 janvier 2015, il informait Monsieur [T] et lui demandait ses instructions,
Monsieur [T] n’a pas répondu à son courrier et ce n’est que le 24 avril 2015 que Monsieur [T] s’est décidé à prendre une inscription hypothécaire,
une demande en ce sens a été faite par son collaborateur le jour même avec relance le 19 juin 2015,
Monsieur [T] s’est montré très hésitant pour inscrire les hypothèques,
Monsieur [T] lui a indiqué, par courrier du 15 juin 2016, que s’il avait su que le bien immobilier à vendre était en indivision, il n’aurait jamais inscrit d’hypothèques,
ainsi, le reproche que formule à son encontre Monsieur [T] n’est pas le retard dans l’inscription mais d’avoir dû régler une hypothèque inutile,
c’est à tort que le tribunal lui a imputé le retard de l’huissier et le délai de réponse de Monsieur [T],
il ne pouvait conseiller dès octobre 2014 à Monsieur [T] d’inscrire une hypothèque alors qu’il n’a été informé du patrimoine de Monsieur [X] que le 30 décembre 2014,
si une faute était retenue à son encontre, Monsieur [T] ne démontre pas de préjudice,
en tout état de cause, Monsieur [T] a participé à celui-ci,
Monsieur [T] ne justifie pas avoir procédé à d’autres mesures pour obtenir le paiement de ses créances et ne démontre aucune impossibilité de le faire,
Monsieur [T] a reconnu que s’il a avait été informé de la situation de Monsieur [X], il n’aurait pas procédé à l’inscription d’une hypothèque,
la perte de chance est donc nulle.
Par conclusions récapitulatives du 15 juillet 2021, Monsieur [T] demande à la cour la confirmation du jugement déféré sauf à majorer le montant de la condamnation de Maître [Z] à la somme de 76.515,79€ et, y ajoutant, la condamnation de celui-ci à lui payer la somme supplémentaire de 3.500,00€ au titre de ses frais irrépétibles.
Il expose que :
Maître [Z] a commis des manquements successifs en ne prenant pas d’hypothèque judiciaire avant le 31 décembre 2014,
le 7 octobre 2014, Maître [Z] a été informé de l’existence d’un patrimoine de Monsieur [X] mis à la vente,
il lui avait d’ores et déjà donné carte blanche pour recouvrer sa créance et s’en remettait à lui pour entreprendre toute action de nature à y parvenir,
la Caisse d’Epargne, créancier de quatrième rang bénéficiait d’une inscription d’hypothèque judiciaire provisoire du 28 juillet 2014 convertie en hypothèque définitive le 2 octobre 2015,
le Trésor Public, créancier de cinquième rang, bénéficiait d’une inscription d’hypothèque légale en date du 31 décembre 2014,
si Maître [Z] avait fait diligence, l’hypothèque provisoire aurait pu être inscrite avant le 31 décembre 2014, ce qui lui aurait permis de se voir distribuer un solde de 75.084,31€,
au lieu de cela, Maître [Z] ne proposera une inscription d’hypothèque qu’au mois de janvier 2015,
l’état hypothécaire produit par Maître [Z] est daté du 22 octobre 2014,
Maître [Z] ne peut se retrancher derrière l’attitude de l’huissier qui ne lui aurait transmis l’état hypothécaire que le 30 décembre 2014 et sur la difficulté de faire inscrire une hypothèque judiciaire en période de congés alors qu’une seule relance en novembre 2014 est insuffisante à prouver sa diligence,
si Maître [Z] estimait que l’huissier manquait de réactivité, il lui appartenait, soit de le relancer plus vigoureusement, soit de lever l’état hypothécaire lui-même,
Maître [Z] ne pouvait ignorer que, dans des contentieux semblables, la célérité était indispensable,
son attitude lors de l’octroi des prêts est sans incidence sur l’attitude fautive de Maître [Z],
Maître [Z] ne pouvait ignorer l’urgence de la situation,
il avait la maîtrise de l’exécution ayant été mandaté par lui,
même en l’absence de réponse de sa part, il avait la possibilité de procéder à l’inscription d’une hypothèque judiciaire,
si une inscription d’hypothèque judiciaire avait été réalisée avant l’inscription de l’hypothèque légale du Trésor public, il restait la somme de 75.084,31€ à distribuer,
ainsi la condamnation de Maître [Z] à la seule somme de 60.000,00€ est insuffisante,
il a également engagé en pure perte des frais d’inscription d’hypothèque pour la somme de 1.431,48€.
La clôture de la procédure est intervenue le 17 mai 2022.
SUR CE
1/ sur la demande en responsabilité de Maître [Z]
La responsabilité de l’avocat, pour être retenue, suppose la démonstration d’une faute de celui-ci en lien de causalité avec les préjudices allégués.
S’il n’est pas contestable que la mission de l’avocat était de recouvrer la créance de Monsieur [T], il n’est pas justifié que Maître [Z] pouvait procéder, de son propre chef, à l’inscription d’une hypothèque judiciaire.
A cet égard à la demande d’instruction de Maître [Z] au sujet de l’inscription d’hypothèque judiciaire, Monsieur [T] a expressément demandé cette démarche le 24 avril 2015, ce dont il s’ensuit que l’avocat n’était pas missionné pour réaliser cette inscription de sa seule initiative, ne serait ce qu’au regard des coûts à acquitter.
Pour apprécier si Maître [Z] a été ou non négligent dans le suivi du dossier de Monsieur [T], il convient de retracer l’historique des diligences effectuées.
L’ordonnance de référé condamnant Maître [X] à paiement a été rendue le 8 septembre 2014 et :
Maître [Z] a demandé, le 10 septembre 2014, à l’huissier de procéder à sa signification, ce qui a été effectif le 12 septembre 2014,
le 11 septembre 2014, Maître [Z] a adressé à l’huissier copie des divers chèques émis par Monsieur [X] avec pour mission de tenter des saisies-attributions sur les deux comptes bancaires renseignés sur les dits chèques,
le 7 octobre 2014, l’huissier a indiqué à Maître [Z] avoir rencontré Maître [X] qui lui a fait part de sa situation professionnelle très dégradée au regard de sa suspension, de son absence de revenus et de la mise en vente de l’ensemble de son patrimoine,
le 12 novembre 2014, l’huissier a fait parvenir à Maître [Z] les trois mandats de vente des immeubles de Maître [X],
le 18 novembre 2014, Maître [Z] a relancé l’huissier sur l’affectation hypothécaire des biens,
le 30 décembre 2014, l’huissier a adressé le relevé de propriété et les renseignements sommaires concernant les biens de Maître [X] dont il est établi, en pièce 13 de Maître [Z], que l’huissier en avait été destinataire le 22 octobre 2014,
le 12 janvier 2015, Maître [Z] a adressé un courrier à Monsieur [T] listant les diverses hypothèques grevant les biens immobiliers de Maître [X] et lui demandant ses instructions sur l’inscription d’une hypothèque judiciaire provisoire,
le 24 avril 2015, Monsieur [T] a demandé d’inscrire une hypothèque judiciaire,
le 19 juin 2014, un avocat du cabinet de Maître [Z] a relancé l’huissier pour savoir si l’inscription hypothécaire avait bien été réalisée,
le 24 juin 2015, l’huissier a demandé de lui faire parvenir de toute urgence une provision de 1.400,00€ pour régler le service de la publicité foncière,
par courrier du 21 septembre 2015, l’huissier a fait valoir que ni les frais hypothécaires ni les frais de signification de l’ordonnance de référé n’avaient été réglés par Monsieur [T] pour la somme de 1.483,49€,
par jugement du 7 juillet 2016, sur procédure de saisie-immobilière introduite par la société Caisse d’Epargne, la vente immobilière de l’immeuble saisi de Maître [X] a été autorisée,
l’immeuble a été vendu le 15 octobre 2016 pour la somme de 153.000,00€,
le 12 avril 2017, un projet de distribution du prix a été notifié aux créanciers dont il ressort que Monsieur [T], occupant le huitième rang, n’a rien obtenu.
Dans un premier temps, Maître [Z] a utilisé les seules informations à sa disposition, à savoir les comptes bancaires de Monsieur [X], pour tenter des saisies-attributions, ce qui a permis à l’huissier de contacter celui-ci et d’être informé de l’existence d’un patrimoine immobilier.
Un seul mois s’est écoulé entre l’ordonnance de référé et l’information donnée à Maître [Z] de la situation très obérée de Maître [X] et de la mise en vente de son patrimoine immobilier.
Maître [Z] ne pouvait pas conseiller à Monsieur [T] une inscription hypothécaire avant de savoir si les biens immobiliers de Maître [X] étaient ou non grevés d’hypothèques et pour quel montant.
Il est établi que l’huissier, bien qu’ayant été destinataire du relevé hypothécaire dès le 22 octobre 2014 et malgré relance de Maître [Z] du 18 novembre 2014, a attendu le 30 décembre 2014 pour le transmettre à l’avocat.
Si à partir du 22 octobre 2014, une inscription hypothécaire aurait été possible permettant à Monsieur [T] de percevoir la somme de 75.084,31€ en passant avant l’inscription légale réalisée le 31 décembre 2014 par le Trésor Public, Maître [Z] n’a commis aucune faute alors qu’il a relancé l’huissier et qu’il lui était impossible d’obtenir l’autorisation nécessaire de Monsieur [T] pour intervenir avant le Trésor Public.
Il est également établi que Monsieur [T] n’avait toujours pas réglé les frais d’huissier au 21 septembre 2015, ce qui pourrait avoir contribué au retard de transmission des éléments nécessaires à l’intervention de l’avocat et qu’il a également fait preuve d’un manque certain de réactivité pour donner son autorisation à l’hypothèque judiciaire.
Dès lors, non seulement il n’est pas caractérisé un manquement de Maître [Z] mais encore Monsieur [T] a participé à la réalisation de son propre préjudice.
Par voie de conséquence, c’est à tort que le tribunal a retenu la responsabilité de Maître [Z] et l’a condamné à payer à Monsieur [T] diverses sommes.
Le jugement déféré sera donc infirmé et Monsieur [T] sera débouté de l’ensemble de ses prétentions.
2/ sur les mesures accessoires
L’équité justifie de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile au seul bénéfice de Maître [Z] .
Enfin, Monsieur [T] supportera les entiers dépens de la procédure avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré,
Statuant à nouveau,
Déboute Monsieur [V] [T] de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de Maître [S] [Z],
Condamne Monsieur [V] [T] à payer à Maître [S] [Z] la somme de 2.000,00€ par application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne Monsieur [V] [T] aux dépens de la procédure tant de première instance qu’en cause d’appel avec distraction conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile,
Signé par Madame BLATRY, faisant fonction de président, et par Madame BUREL, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT