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CD/SH
Numéro 22/04367
COUR D’APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 13/12/2022
Dossier : N° RG 20/00968 – N° Portalis DBVV-V-B7E-HRFH
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par l’activité des auxiliaires de justice
Affaire :
[W] [V] [F] [M]
S.A.R.L. PROMOTION J2L
C/
S.E.L.A.S. FIDAL
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 13 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l’audience publique tenue le 18 Octobre 2022, devant :
Madame DUCHAC, Présidente, magistrate chargée du rapport conformément à l’article 785 du Code de procédure civile
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l’appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
Le dossier a été communiqué au Ministère Public le 11 février 2022
dans l’affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [W] [V] [F] [M]
né le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
S.A.R.L. PROMOTION J2L agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représentés par Maître MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU
assistés de Maître BABIN, de la SELARL ABR & ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEE :
S.E.L.A.S. FIDAL
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître ETESSE, de la SELARL ETESSE, avocat au barreau de PAU
assistée de Maître DUPUY, du cabinet H & A, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 22 JANVIER 2020
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 15/01033
La SCI J2L a vendu à la SCI JEANNENEY un terrain destiné à la construction, par acte du 2 octobre 2007. La SCI JEANNENEY a agi contre son vendeur sur le fondement des vices cachés, se plaignant de ce que le terrain devait faire l’objet d’une dépollution coûteuse.
Dans le cadre de ce litige la SARL PROMOTION J2L a confié la défense de ses intérêts à la SELAS FIDAL entre mai 2008 et janvier 2012.
Par arrêt rendu le 27 décembre 2011, la cour d’appel de Bordeaux, infirmant partiellement le jugement du tribunal de grande instance de Bordeaux a condamné la SCI J2L à payer à la SCI JEANNENEY la somme de 723.528,57 € qui correspondait au montant des travaux de dépollution, TTC, qu’elle avait fait réaliser.
Le pourvoi interjeté par la SARL PROMOTION J2L a été rejeté par arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 octobre 2013.
Les procédures tendant à l’interprétation de la décision au regard de la condamnation incluant la TVA, initiées par la SARL PROMOTION J2L devant le JEX et devant la cour d’appel ont été rejetées.
Par acte en date du 16 juillet 2015, la SARL PROMOTION J2L a fait assigner la SELAS FIDAL devant le tribunal grande instance de Mont-de-Marsan, aux fins d’indemnisation de ses préjudices résultant du défaut de conseil, d’information et de diligences dans l’exécution du mandat en représentation et assistance, et avant dire droit d’expertise pour déterminer le quantum du préjudice lié à l’absence de demande d’expertise.
M. [W] [M] est intervenu volontairement.
Suivant jugement contradictoire en date du 22 janvier 2020, le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan a :
– déclaré l’intervention volontaire de M. [W] [M] recevable ;
– condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTION J2L les sommes de :
* 17.785,65 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil ;
* 1.862,95 euros avec intérêts au taux légal à compter de la décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– débouté la SARL PROMOTION J2L du surplus de ses demandes.
– débouté M. [W] [M] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral ;
– ordonné l’exécution provisoire ;
– condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTION J2L la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SELAS FIDAL aux dépens.
La SARL PROMOTION J2L a relevé appel par déclaration du 8 avril 2020, critiquant le jugement dans chacune de ses dispositions.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 06 janvier 2021, la SARL PROMOTION J2L et M. [W] [M], appelants, demandent à la cour sur le fondement des articles 1147, 1351, 1382 et suivants du code civil en leur version en vigueur jusqu’au 1er octobre 2016, 1231-1, 1240, 1355 et suivants du code civil en leur version en vigueur à compter du 1er octobre 2016 et les articles 47, 146, 378, 397 et 700 du code de procédure civile :
– in limine litis de faire droit aux demandes de sursis à statuer,
– de déclarer l’appel recevable,
– de réformer le jugement en ce qu’il a :
* condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTlON J2L les sommes de :
– 17.785,65 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
– 1.862,95 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil,
*débouté la SARL PROMOTION J2L du surplus de ses demandes,
* débouté Monsieur [W] [M] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral,
*ordonné l’exécution provisoire de la présente décision,
* condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTlON J2L la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
– juger que la SELAS FIDAL a manqué à ses obligations de conseil, d’information et de diligence dans l’exécution du mandat de représentation et d’assistance confié par la SARL PROMOTION J2L et accepté par elle.
Et statuant à nouveau,
Sur la taxe sur la valeur ajoutée et les procédures subséquentes
– de déclarer que la SELAS FIDAL a commis une faute en s’abstenant de conclure à la limitation du préjudice indemnisable au seul montant hors TVA des devis et factures communiquées par la SCI JEANNENEY, dont il était établi et non contestable qu’elle récupérait la taxe sur la valeur ajoutée, et ce alors même que son attention avait été attirée sur ce point par la SARL PROMOTION J2L.
– de déclarer que pour limiter les conséquences de cette faute commise par la SELAS FIDAL, tout a été fait par la SARL PROMOTION J2L tant dans le cadre d’une requête en interprétation devant la cour d’appel de Bordeaux, que du débat devant le juge de l’exécution puis d’un pourvoi devant la Cour de cassation, juridictions devant lesquelles il lui a systématiquement été opposé le défaut de conclusions sur ce point devant la cour d’appel de Bordeaux, le préjudice étant certain et lié intégralement au défaut de conclusions qui auraient dû être prises et qui auraient nécessairement amené la cour de Bordeaux à prononcer des condamnations hors TVA pour peu que la demande lui en été faite,
– de déclarer que les procédures judiciaires qui ont dues être engagées par la SARL PROMOTION J2L susvisés, pour tenter de faire juger que la TVA ne constituait pas un élément de préjudice, sont la conséquence directe de la faute de la SELAS FIDAL, pour tenter d’en écarter les conséquences,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 118.571 euros au titre de la perte de chance d’obtenir une condamnation sur la base des devis « hors taxes », outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, à compter du 23/01/2012 date du règlement des condamnations et jusqu’à parfait paiement,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 12.419,67 euros au titre des honoraires d’avocats et états de frais qui ont dû être supportés dans le cadre de la procédure en interprétation devant la cour d’appel de Bordeaux, du débat devant le juge de l’exécution et du pourvoi devant la Cour de cassation, outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil à compter du 16 juillet 2015 date de l’assignation, jusqu’à parfait paiement,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 14.224,90 euros au titre des honoraires et frais acquittés auprès du cabinet SELAS FIDAL, outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil à compter du 16 juillet 2015 date de l’assignation, jusqu’à parfait paiement,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 4.745,06 euros au titre des frais d’exécution forcée de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Bordeaux, frais qui auraient été évités si la SELAS FIDAL avait normalement accompagnée son client à réception de l’arrêt de la cour d’appel, outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil à compter du 16 juillet 2015 date de l’assignation, jusqu’à parfait paiement ;
Sur l’absence de demande d’expertise et de critique étayée quant à la réalité, l’imputabilité et l’ampleur du préjudice invoqué par la SCI JEANNENEY
– de déclarer que la SELAS FIDAL a commis une faute, en ne demandant pas d’expertise judiciaire pour apprécier tant la réalité de la pollution alléguée par la SCI JEANNENEY que son ampleur et les moyens raisonnables pour y remédier, alors même que son attention avait été attirée sur ce point par sa cliente, la SARL PROMOTION J2L, et qu’elle s’imposait au regard de l’importance et de la nature des travaux de dépollution imputés à la charge de sa cliente, constitue une faute qui a nécessairement causé un préjudice à la SARL PROMOTION J2L, préjudice qu’il lui appartient aujourd’hui de réparer,
– de déclarer à la lecture des rapports Teréo établis les 06 août 2013 et 2 juin 2016 qu’une expertise aurait à l’évidence conduit à une décision radicalement différente dans l’instance ayant opposé la SCI JEANNENEY à la SARL PROMOTION J2L,
– de déclarer que pour évaluer le préjudice subi par la SARL PROMOTION J2L consistant en une perte de chance, il convient désormais d’évaluer les conséquences qui auraient résulté d’une telle expertise, dont la SARL PROMOTION J2L a été privée ;
A titre principal et avant dire droit : sur la demande d’expertise :
– d’ ordonner une expertise judiciaire qui permettra à l’expert de mener toutes les analyses sur pièces requises, après s’être fait remettre par les tiers et au besoin par la société AIS Grand sud et/ou la société Valgo Remédiation tous documents nécessaires à la détermination de la responsabilité de la SELAS FIDAL,
– de désigner tel expert en pollution des sols qu’il plaira, étant précisé qu’outre la mission habituelle en la matière, il incombera en particulier à l’expert de procéder à certaines démarche que la SARL PROMOTION J2L décrit ;
En ce cas :
Dans l’attente du dépôt du rapport de l’expert judiciaire, de surseoir à statuer sur l’évaluation du préjudice tenant à la perte de chance d’avoir vu ordonner une expertise judiciaire,
– de surseoir à statuer sur la demande de condamnation de la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 9.895,76 euros qu’elle a dû supporter au titre de l’état de frais devant la cour d’appel outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil à compter du 11 juin 2012 jusqu’à parfait paiement ;
à titre subsidiaire : à défaut d’ordonner une expertise
au vu des rapports établis les 6 août 2013 et 2 juin 2016 par la société Teréo, lesquels ont pu être débattus dans le cadre de la présente instance,
– de déclarer que le préjudice subi par la SARL PROMOTION J2L du fait de l’absence de demande d’expertise portée par la SELAS FIDAL doit être a minima fixée à la différence entre d’une part les sommes HT acquittées au titre des condamnations prononcées par la cour d’appel de Bordeaux soit 723.528,57 euros TTC, et d’autre part la somme de 211.470,96 euros HT qui aurait pu à la rigueur être mise en charge de la SARL PROMOTION J2L si la cour d’appel de Bordeaux avait été normalement éclairée, outre les frais acquittés auprès de la société Teréo pour l’établissement des rapports d’expertise,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 459.795 euros (604.957 ‘ 211.470,96 = 393.486 euros HT, majorée des intérêts à compter du 11 mars 2008 avec capitalisation des intérêts jusqu’au 23 janvier 2012 date de règlement des condamnations), outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1154 du code civil, à compter du 23 janvier 2012 date du règlement des condamnations et jusqu’à parfaitement paiement,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 3.150 euros au titre des montants HT acquittés auprès de la société Teréo pour les rapports d’expertise établis, outre les intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir jusqu’à parfait règlement,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 9.895,76 euros qu’elle a dû supporter au titre de l’état de frais devant la cour d’appel outre les intérêts au taux légal sur cette somme avec capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article du code civil à compter du 11 juin 2012, jusqu’à parfait paiement,
en tout état de cause,
– de débouter la SELAS FIDAL de l’ensemble de ses demandes,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à M. [W] [M], gérant de la SARL PROMOTION J2L, et à tout le moins à la SARL PROMOTION J2L, la somme de 10.000 euros au titre du préjudice moral subi du fait du manquement de la SELAS FIDAL à son devoir de conseil,
– de condamner la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L une indemnité de 10.000 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner la SELAS FIDAL aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par conclusions déposées le 6 octobre 2020, la SELAS FIDAL, demande à la cour :
– d’ infirmer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan, en ce qu’il a :
* condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTION J2L les sommes de :
– 17.785,65 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– 1.862,95 euros avec intérêts au taux légal à compter de la présente décision et capitalisation des intérêts dus pour une année entière en application de l’article 1343-2 du code civil ;
– condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTION J2L la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
Et statuant à nouveau,
– de juger que la SARL PROMOTION J2L ne démontre pas l’existence d’une faute de la SELAS FIDAL ayant un lien de causalité direct et certain avec le montant de la condamnation prononcée à son encontre par la cour d’appel de Bordeaux le 27 décembre 2011,
– de rejeter la demande de la SARL PROMOTION J2L tendant à la condamnation de la SELAS FIDAL à lui verser une somme de 118.574 €,
– de juger que la SELAS FIDAL n’est pas responsable du fait que la cour d’appel n’ait pas ordonné d’expertise judiciaire, qu’une telle mesure n’aurait pas modifié les termes de l’arrêt et que la demande d’expertise judiciaire qu’elle forme aujourd’hui est irrecevable et dénuée d’intérêt,
– de rejeter la demande d’expertise judiciaire présentée par la SARL PROMOTION J2L,
– de rejeter la demande de la SARL PROMOTION J2L tendant à la condamnation de la SELAS FIDAL à lui verser une somme de 459.795 €, tant dans son principe que son chiffrage, en principal et intérêts,
– de rejeter la demande de la SARL PROMOTION J2L tendant à l’application d’intérêts de retard, et de la capitalisation de ces intérêts, sur des sommes non justifiées, à des dates antérieures à toute condamnation et /ou réclamation,
– de juger que la SELAS FIDAL n’a pas manqué à son obligation d’information et de conseil à l’encontre de la SARL PROMOTION J2L et que cette dernière ne démontre pas l’existence d’un préjudice moral,
– de rejeter les demandes de la SARL PROMOTION J2L tendant à la condamnation de la SELAS FIDAL à lui verser (14.224,90 + 9.895,76 + 4.745,06 + 12.419,67 + 3.150 =) 44.438,39 €,
– de rejeter la demande de M. [W] [M], gérant de la SARL PROMOTION J2L, au versement d’une somme de 10.000 € au titre d’un préjudice moral qui n’est démontré ni dans son principe ni dans son quantum,
– de juger que la SARL PROMOTION J2L ne prouve pas l’existence d’une perte de chance d’obtenir une décision plus favorable que l’arrêt rendu le 17 décembre 2011 par la cour d’appel de Bordeaux,
– de débouter la SARL PROMOTION J2L de l’ensemble de ses demandes et mettre hors de cause la SELAS FIDAL,
à titre subsidiaire,
– de dire et juger que le préjudice de la SARL PROMOTION J2L ne saurait s’analyser qu’en une perte de chance, infime, appliquée sur la somme de 54.957 € HT correspondant à la différence entre le montant des travaux réglés par la SCI JEANNENEY et la juste évaluation des travaux de dépollution selon le cabinet Vering,
en tout état de cause,
– de condamner la SARL PROMOTION J2L à verser à la SELAS FIDAL une somme de 10.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l’instance, dont distraction au profit de Maître Gadarch, avocat aux offres de droit sur le fondement de l’article 699 du même code.
Le dossier a été communiqué au parquet le 11 février 2022.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 9 mars 2022 et l’affaire, appelée à être plaidée à l’audience du 12 avril 2022 a été renvoyée à l’audience du 18 octobre 2022.
MOTIFS
En résumé des écritures de l’appelante, les griefs formés contre la SELAS FIDAL s’articulent autour de deux axes, qu’elle qualifie de manquements au devoir de conseil et de diligence :
– de n’avoir pas demandé l’organisation d’une mesure d’expertise relative au coût des travaux de dépollution,
– de n’avoir pas demandé à la cour d’appel de fixer l’indemnisation de la SCI JEANNENEY hors taxes, les deux parties à ce litige étant soumises à la TVA, outre des développements au titre du suivi du dossier.
La demande d’expertise est sollicitée devant la cour par les appelants, pour apprécier les préjudices.
La responsabilité de l’avocat relève de la responsabilité contractuelle.
L’avocat qui représente une partie en justice est tenu à une obligation de conseil, de prudence et de diligence. Il doit veiller à la défense des intérêts de son client en mettant en oeuvre les moyens et en prodiguant les conseils adéquats.
En ce qui concerne le devoir de suivi et d’information, le premier juge a fait une juste appréciation des faits de la cause pour retenir que le conseil habituel de la SARL PROMOTION J2L, au sein de la SELAS FIDAL à qui le mandat avait été donné, avait suivi l’ensemble de la procédure jusqu’aux plaidoiries ; que le suivi a été assuré dès le 2 janvier 2012 (pour une décision rendue le 27 décembre 2011) et les diligences pour envisager un pourvoi entreprises dès le 11 janvier. Le tribunal a donc à juste titre considéré qu’aucune faute ne peut être reprochée à la SELAS FIDAL dans le suivi et l’information du client sur le déroulement de la procédure.
Sur le grief tenant à l’absence de demande d’une mesure d’expertise
La SARL PROMOTION J2L avance qu’une mesure d’expertise judiciaire lui aurait permis de discuter et voir réduire le préjudice réclamé et obtenu par la SCI JEANNENEY.
Il est constant que la SELAS FIDAL n’a pas demandé devant la cour l’organisation d’une mesure d’expertise.
Contrairement à ce qu’elle avance, la SARL PROMOTION J2L n’avait pas sollicité de son avocat la demande d’ une expertise judiciaire. Elle avait envisagé de faire examiner les pièces relatives aux travaux réalisés par la SCI JEANNENEY par un expert dans un cadre privé, non contradictoire (courrier du 24 janvier 2011).
La lecture des écritures établies devant la cour par la SELAS FIDAL, préalablement approuvées par la SARL PROMOTION J2L, montrent que la question de l’expertise judiciaire n’a pas été oubliée ou négligée par l’avocat, mais qu’au contraire l’absence de demande en ce sens procède de la stratégie de défense adoptée d’un commun accord entre l’avocat et son client.
En effet, le conseil de la SARL PROMOTION J2L faisait reproche à la SCI JEANNENEY de n’avoir pas fait constater les vices, ni évaluer leur réparation dans le cadre d’une expertise judiciaire, de se fonder sur un rapport non contradictoire, et de mettre les parties devant le fait accompli, empêchant toute investigation en ayant pris l’initiative de faire réaliser les travaux sur le terrain vendu.
Il aurait alors été contradictoire pour la SELAS FIDAL de solliciter une expertise après avoir développé que l’adversaire avait empêché toute mesure d’investigation.
La cour d’appel de Bordeaux a relevé, au titre de l’évaluation du préjudice, que la SARL PROMOTION J2Lreprochait à la SCI JEANNENEY ‘ de ne pas démontrer son préjudice et d’avoir rendu impossible et en définitive empêché tout respect du contradictoire dans son appréciation ‘.
La cour d’appel a néanmoins considéré que le principe du contradictoire avait été respecté et que les éléments produits par la SCI JEANNENEY permettaient d’évaluer son préjudice. La Cour de cassation a jugé que la cour d’appel avait statué dans le cadre de son pouvoir souverain d’appréciation.
Dans ce contexte, dès lors que la cour d’appel, qui pouvait d’office ordonner une mesure d’instruction, s’est estimée suffisamment informée et a évalué le préjudice de la SCI JEANNENEY, une demande d’expertise formée par la SELAS FIDAL n’aurait de toute évidence pas prospéré.
Par conséquent, non seulement l’absence de demande d’expertise de la SELAS FIDAL ne constitue pas un manquement de l’avocat, mais à supposer qu’elle eût été fautive, aucun lien de causalité avec le préjudice allégué n’en serait résulté puisqu’une telle demande était vouée à l’échec.
En l’absence de faute et par conséquent de préjudice réparable, l’expertise sollicitée par la SARL PROMOTION J2L est sans objet. Cette demande sera rejetée.
Ajoutant au jugement dont appel, la cour rejettera les demandes indemnitaires formées par la SARL PROMOTION J2Lau titre du défaut de demande d’expertise, à savoir la somme de 459.795 € pour des travaux de dépollution, ainsi que 3.150 € pour le rapport TEREO qui n’a pas été utile à la solution du présent litige.
Sur le grief tenant à l’absence de demande de condamnation hors TVA
La SCI JEANNENEY était soumise à la TVA.
La SELAS FIDAL n’a pas formé de demande subsidiaire tendant à la réduction de l’indemnisation à un montant évalué hors taxe.
Le premier juge a justement considéré que l’approbation des conclusions par le client ne dispense pas l’avocat de son devoir de conseil et de diligence, notamment sur la question technique de l’incidence sur la fixation de l’indemnisation du statut fiscal de son créancier au regard de la TVA.
Il est acquis que le mécanisme de récupération de la TVA a pour effet de conduire la juridiction qui statue sur le préjudice matériel d’une personne soumise à la TVA, cet impôt ne constituant alors pas un préjudice, de fixer la condamnation au montant hors taxe de la réparation.
Si la cour d’appel pouvait, de son initiative et dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, réduire le montant de l’indemnisation réclamée au montant hors taxe des travaux, il incombait à l’avocat, dans le cadre de son obligation de diligence, d’attirer l’attention des juges sur cet aspect en formant une demande subsidiaire de réduction des sommes allouées à des montants hors TVA.
La SELAS FIDAL, en s’abstenant de formuler une telle demande a commis une faute qui a fait perdre à sa cliente une chance de voir réduire le montant de sa condamnation.
Sur les préjudices
La fixation d’un préjudice hors taxe lorsque la victime est soumise à la TVA constitue une pratique courante et connue des juridictions civiles. Par suite, si la SELAS FIDAL avait attiré l’attention de la cour sur le fait que la SCI JEANNENEY était soumise à la TVA et demandé une condamnation hors taxe, la chance que la juridiction y fasse droit doit être évaluée à 90 % .
Le jugement sera donc réformé sur l’appréciation du préjudice subi par la SARL PROMOTION J2L.
La faute de la SARL PROMOTION J2L a fait perdre une chance à la SELAS FIDAL à hauteur de 90 % :
– de voir réduire sa condamnation au montant HT des travaux.
Le montant de la TVA affectée à la somme retenue par la cour d’appel à titre d’indemnisation, fixée sur la base des factures produites par la SCI JEANNENEY s’élève à 118.571 €.
La perte de chance est donc de 118.571 x 90 % = 106.713,90 €
– d’éviter les procédures postérieures devant le JEX et en interprétation devant la cour d’appel, dont les frais d’élèvent à la somme de 7’511,64 € (pièce 12 de l’appelante).
La perte de chance est donc de 7.511,64 x 90 % = 6.760,47 €
La SELAS FIDAL sera donc condamnée à payer ces sommes à la SARL PROMOTION J2L, avec intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 16 juillet 2015, outre la capitalisation des intérêts échus pour au moins une année entière.
La demande au titre des frais exposés devant la cour de cassation (2.926,42 € + 1.981,61 €) n’est pas en lien de causalité avec la faute puisque la SARL PROMOTION J2L à l’appui de son pourvoi critiquait l’arrêt pour avoir retenu le principe de l’existence du vice caché de pollution (moyens 1 à 4), l’absence d’expertise (5ème moyen), la question relative à la TVA n’étant abordée que dans le 6ème moyen. Si la cour d’appel avait réduit le montant de l’indemnité, la SARL PROMOTION J2L aurait néanmoins soumis à la cour de cassation les 5 premiers moyens et exposé les mêmes frais.
Les frais et honoraires de la SELAS FIDAL (14.224,90 €) correspondent au travail de l’avocat en première instance et en appel, ils sont sans lien avec l’absence de demande de réduction de la condamnation.
L’état des frais d’appel (9.895,76 €) sont sans lien avec la faute retenue contre l’avocat, puisque même s’il avait sollicité la réduction de l’indemnité, la SARL PROMOTION J2L restait condamnée à indemniser un vice caché dans le cadre d’une vente immobilière, elle aurait donc dû supporter ces frais.
Les frais d’exécution (4.745,06 €) ne sont pas la conséquence de la faute de l’avocat mais de l’absence d’exécution spontanée de la décision.
La SARL PROMOTION J2Lsera déboutée de ses demandes de ces chefs, ajoutant au jugement dont appel.
M. [W] [M], gérant de la SARL PROMOTION J2L ne justifie pas d’un préjudice moral en lien avec la faute retenue contre la SELAS FIDAL . Le jugement sera confirmé de ce chef.
La SARL PROMOTION J2L, personne morale, ne justifie pas non plus d’un préjudice immatériel (improprement qualifié de moral). Elle sera déboutée de cette demande.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La SELAS FIDAL supportera les dépens d’appel, le jugement étant confirmé pour ceux de première instance.
Au regard de l’équité, elle sera condamnée à payer à la SARL PROMOTION J2Lla somme de 2.000 € au titre des frais exposés en appel, la somme allouée par le premier juge étant en outre confirmée.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Confirme le jugement en ce qu’il a :
– débouté M. [W] [M] de sa demande d’indemnisation au titre du préjudice moral ;
– condamné la SELAS FIDAL à verser à la SARL PROMOTION J2L la somme de 3.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la SELAS FIDAL aux dépens ,
Le réforme sur l’évaluation du préjudice subi par la SARL PROMOTION J2L,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L les sommes suivantes :
– 106.713,90 € au titre de la perte de chance de voir diminuer le montant de sa condamnation par la cour d’appel de Bordeaux à l’encontre de la SCI JEANNENEY
– 6.760,47 € au titre de la perte de chance d’éviter les procédures postérieures devant le juge de l’exécution et en interprétation devant la cour d’appel,
Dit que ces sommes produiront intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 16 juillet 2015, outre la capitalisation des intérêts échus pour au moins une année entière,
Déboute la SARL PROMOTION J2L de sa demande d’expertise,
Déboute la SARL PROMOTION J2L de ses demandes tendant au paiement des indemnités suivantes :
– 2.926,42 € + 1.981,61 € au titre des frais exposés devant la cour de cassation
– 14.224,90 € au titre des frais et honoraires de la SELAS FIDAL
– 9.895,76 € au titre de l’ état des frais d’appel
– 4.745,06 € au titre des frais d’exécution
– 10.000 € au titre du préjudice immatériel
Condamne la SELAS FIDAL à payer à la SARL PROMOTION J2L la somme de 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la SELAS FIDAL aux dépens, dont distraction au profit des avocats de la cause qui en ont fait la demande.
Le présent arrêt a été signé par Mme DUCHAC, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline DUCHAC