Responsabilité de l’Avocat : 13 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/12314

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Responsabilité de l’Avocat : 13 décembre 2022 Cour d’appel d’Aix-en-Provence RG n° 21/12314
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COUR D’APPEL D’AIX-EN-PROVENCE

Chambre 1-1

ARRÊT AU FOND

DU 13 DÉCEMBRE 2022

N° 2022/390

Rôle N° RG 21/12314 – N° Portalis DBVB-V-B7F-BH7FG

[G] [X]

C/

[U] [J]

Copie exécutoire délivrée

le :

à :

– Me Stéphane GALLO

– Me – Nathalie DAMMAN

Décision déférée à la Cour :

Jugement du tribunal judiciaire d’Aix-en-Provence en date du 01 Juillet 2021 enregistré au répertoire général sous le n° 19/04323.

APPELANT

Monsieur [G] [X]

né le [Date naissance 2] 1952, demeurant [Adresse 3]

représenté par Me Stéphane GALLO de la SELARL ABEILLE & ASSOCIES, avocat au barreau de MARSEILLE

INTIME

Monsieur [U] [J]

né le [Date naissance 1] 1967 à [Localité 8], demeurant [Adresse 5]

représenté par Me Nathalie DAMMAN, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE substituée par Me Ingrid SALOMONE, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE

*-*-*-*-*

COMPOSITION DE LA COUR

L’affaire a été débattue le 07 Novembre 2022 en audience publique devant la cour composée de :

Monsieur Olivier BRUE, Président

Mme Danielle DEMONT, Conseiller

Madame Louise DE BECHILLON, Conseillère

qui en ont délibéré.

Greffier lors des débats : Mme Colette SONNERY.

Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2022.

ARRÊT

contradictoire,

Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 Décembre 2022,

Signé par Monsieur Olivier BRUE, Président et Mme Colette SONNERY, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

***

EXPOSE DU LITIGE

Le 30 août 2011, M. [U] [J] a été victime d’un accident alors qu’il travaillait sur un chantier à [Localité 7], en sa qualité de poseur de sols souples pour la société Modernes Revêtements.

La colle Néoprène qu’il utilisait s’est enflammée à la suite de projection d’étincelles provenant d’un soudeur à proximité, lui occasionnant des brûlures et nécessitant son hospitalisation au centre hospitalier de [Localité 7] avant d’être transféré, le 1er septembre 2011, au centre régional des grands brûlés à [Localité 6], dont il est sorti le 29 septembre suivant.

Il a été placé en arrêt de travail jusqu’au 30 janvier 2012.

M. [U] [J] a confié la défense de ses intérêts à Me Patrick Wilson, avocat au barreau de Marseille, au mois de janvier 2012 et celui-ci a adressé trois courriers entre le 27 janvier et le 27 avril 2012, pour solliciter des précisions quant à l’adresse du chantier sur lequel se trouvait son client lors de l’accident.

Par courrier du 29 octobre 2015, Me [X] a infructueusement tenté d’exercer un recours amiable auprès de la caisse primaire d’assurance maladie de [Localité 4] (CPAM) après que M. [U] [J] lui ait transmis un courrier envoyé par cette même caisse le 21 mai 2015, lui indiquant que sa consolidation avait été datée au 30 juillet 2012 et dont la notification avait été effectuée à la mauvaise adresse.

Ayant appris par l’intermédiaire d’un nouvel avocat, au mois d’avril 2017, que son accident avait fait l’objet d’un classement sans suite par le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier, M. [U] [J] a fait délivrer une assignation à son ancien conseil, Me [G] [X] en date du 19 août 2019, devant le tribunal de grande instance d’Aix en Provence, lui reprochant de lui avoir fait perdre une chance de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et d’obtenir réparation de ses préjudices.

Par jugement rendu le 1er juillet 2021, le tribunal judiciaire d’Aix en Provence a :

– dit que la responsabilité contractuelle de Me [G] [X] est engagée à l’encontre de M. [U] [J];

– condamné Me [G] [X] à lui payer la somme de 10.000 euros à titre provisionnel à valoir sur l’indemnisation des préjudices subis ;

– ordonné une mesure d’expertise judiciaire et commis pour y procéder le Dr [N] [M] avec pour mission:

-se faire remettre par M. [U] [J] tous les documents et examens médicaux en sa possession et plus généralement tous les documents utiles et nécessaires à la résolution du litige,

-décrire de manière détaillée les lésions initiales, les modalités de traitement et de prise en charge et préciser les durées exactes d’hospitalisation et, pour chaque période, le lieu et le nom de l’établissement d’hospitalisation, les services concernés et la nature des soins prodigués,

-recueillir les observations et doléance de la victime quant à l’importance, la répétition et la durée des douleurs la gêne subie ainsi que les conséquences de celles-ci,

-préciser, dans le respect de la déontologie médicale, l’état antérieur de la victime dans l’hypothèse où celui-ci a une incidence directe sur les lésions et leurs séquelles,

-procéder à un examen clinique détaillé des lésions initiales et recueillir les déclarations et observations de la victime sur les circonstances de l’accident, les suites de celui-ci et les soins reçus,

-recueillir les déclarations et doléances des proches de la victime sur les suites et conséquences de l’accident,

-entendre tout sachant et consulter le dossier médical de la victime, si nécessaire;

À l’issue de cet examen et des renseignements et informations médicales recueillies, après avoir recueilli, si nécessaire, l’avis d’un sapiteur d’une autre spécialité, analyser de manière précise et synthétique:

1°les lésions initiales,

2°) l’ état séquellaire,

3°) l’imputabilité certaine des séquelles aux lésions initiales, en précisant, au besoin, l’incidence d’un état antérieur,

4°) indiquer si I ‘état de la victime est susceptible de modifications dans le sens d’une aggravation,

5°) établir un état récapitulatif de l’ n emble des postes énumérées dans la mission,

6°) déterminer et indiquer:

1. I ‘arrêt des activités professionnelles: la ou les périodes durant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle,

2. le déficit fonctionnel temporaire: la ou les périodes durant lesquelles la victime a été, du fait de son déficit fonctionnel temporaire dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles et dans I ‘hypothèse d’une incapacité partielle, en pré iser le taux et la durée,

3. la date de consolidation, et, le cas échéant, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime et préciser, dans cette hypothèse, les dommages prévisibles pour l’évaluation d’une éventuelle provision,

4. le déficit fonctionnel permanent : indiquer si la victime subit un déficit fonctionnel permanent, le décrire, évaluer l’altération permanente. d’une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales ou psychiques en en chiffrant le taux, indiquer s’il persiste des douleurs permanentes et les modalités de prise en compte dans le taux retenu, et dans l’hypothèse où ces douleurs n’auraient pas été prises en compte, indiquer la majoration du taux qu’il convient d’appliquer au regard de leur incidence sur les fonctions psychologiques, sensorielles, mentales et psychiques et donner toutes précisions sur les conséquences des altérations permanentes et des douleurs endurées par la victime sur sa qualité de vie,

5. L’assistance d ‘une tierce personne : si l’assistance d’un tiers a été nécessaire de manière constante ou occasionnelle pour accomplir les actes de la vie quotidienne et préciser, dans l’affirmation ; la nature des besoins en tierce personne ainsi que leur durée,

6. dépenses de santé futures : préciser si des soins futurs et/ou les aides techniques compensatoires du handicap de la victime seront nécessaires et en préciser la fréquence de renouvellement,

7.les préjudices permanents exceptionnels : indiquer si la victime subit des préjudices permanents exceptionnels correspondant à des préjudices atypiques en relation directe avec le ou les handicaps permanents subis;

– dit que l’expertise sera mise en oeuvre et que l’expert accomplira sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile sous le contrôle du magistrat chargé du contrôle des expertises qui pourra procéder à son remplacement par simple ordonnance;

– dit que le recours à l’application OPALEXE, permettant la dématérialisation des opérations

d’expertise, est désormais possible au sein du tribunal judiciaire d’ Aix-en-Provence afin de faciliter les échanges entre experts, avocat et juge chargé du contrôle ;

– dit que l’expert pourra adjoindre tout spécialiste de son choix, à charge pour lui d’en informer préalablement le magistrat chargé du contrôle des expertises ;

-dit qu’il appartiendra à chacune des parties de répondre aux demandes de l’expert et de produire dans le délai imparti par celui-ci les documents réclamés à défaut de quoi elles pourraient se voir déclarées irrecevables à contester le rapport ultérieurement déposé;

– dit que l’expert devra adresser une copie de son rapport à chacune des parties, accompagné de

la copie de sa demande d’évaluation de rémunération, qui pourra donner lieu à toutes observations des conseils des parties auprès du juge taxateur dans les 15 jours suivants, l’expert devant préciser sur la demande de taxe adressée au juge taxateur, la date de l’envoi aux parties;

– dit que M. [U] [J] devra consigner entre les mains du régisseur d’avances et de recettes de ce tribunalla somme de 2000 euros T.T.C. à valoir sur la rémunération de l’expert, qui pourra le cas échéant être augmentée de la TVA si l’expert y est assujetti, et ce dans un délai de trois mois à compter de la présente décision, à peine de caducité de la mesure d’ expertise ;

– dit que l’expert déposera le rapport de ses opérations au service du contrôle des expertises dans un délai de 10 mois à compter de l’acceptation de la mesure ;

– dit que la mesure s’exercera sous le contrôle du juge de la mise en état du cabinet 2 de la chambre généraliste A ;

– renvoyé la cause et les parties à l’audience de mise en état de la chambre civile généraliste A de ce tribunal du lundi 11 octobre 2021 à 14h pour vérification du versement de la consignation;

– dit que le dossier sera rappelé en conférence de mise en état sur avis par le service de contrôle des expertises du dépôt du rapport ;

– déclaré prématurées les demandes présentées au titre de l’article 700 du code de procédure civile;

– rejeté le surplus de toutes les demandes des parties plus amples ou contraires ;

– réservé les entiers dépens de la procédure ;

– ordonné l’exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 13 août 2021, Me [G] [X] a interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 4 octobre 2022, Me [G] [X] demande à la cour de :

– juger qu’il n’y a pas lieu d’évoquer les demandes relatives à la fixation du préjudice et renvoyer de ce chef la cause des parties devant le premier juge qui en demeure saisi ;

– réformer la décision querellée qui a considéré que les fautes reprochées à Me [X] étaient en lien avec l’indemnisation totale du préjudice de M. [U] [J] ;

– réformer la décision querellée qui a considéré que la perte de chance de voir reconnaître la faute inexcusable de l’employeur était certaine ;

Statuant à nouveau,

– juger que si la prescription de l’action a été encourue, c’est par la faute de M. [U] [J] qui n’a pas averti son conseil ni de la date de notification de la CPAM ni de l’arrêt de versement des prestations ;

– juger que cette erreur est exclusivement imputable à M. [U] [J] ;

– juger en tout état de cause que les critères de reconnaissance de la faute inexcusable ne sont pas réunis en l’espèce ;

– débouter M. [U] [J] de l’intégralité de ses demandes faute d’établir une quelconque faute et une perte de chance ;

– Subsidiairement, juger que la perte de chance ne peut être égale à l’indemnisation totale de M. [U] [J] ;

– très subsidiairement, et vu le rapport d’expertise judiciaire ;

– ne pas homologuer ce rapport dont l’étendue de la mission excédait le cadre de l’indemnisation auquel M. [U] [J] aurait pu prétendre ;

– réduire, avant déduction d’un coefficient au titre d’une éventuelle perte de chance quasi nulle le montant des indemnité réclamées ;

– juger ainsi que les préjudices au titre des souffrances endurées, le préjudice esthétique temporaire et permanent ne saurait excéder 20.000 € ;

– juger que le montant de la rente ne peut être calculée comme le fait l’intimé ;

– juger qu’il n’est justifié d’aucun préjudice d’agrément ;

– débouter et en tout état de cause réduire les demandes de M. [U] [J] ;

– reconventionnellement le condamner à payer à Me [G] [X] la somme de 5.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens distraits au profit de Me Stéphane Gallo.

Au soutien de ses prétentions, Me [G] [X] conteste avoir commis une faute dans l’exercice de sa mission. Il indique en effet que l’action en faute inexcusable était prescrite indépendemment de toute diligence de sa part, M. [U] [J] ne l’ayant pas informé de sa consolidation intervenue, il ne pouvait pas avoir connaissance du point de départ de la prescription.

Il estime par ailleurs que la perte de chance n’est pas démontrée en ce que contrairement à ce qui a été jugé, la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur n’était pas acquise. Il relève à cet égard que l’enquête préliminaire ordonnée suite à l’accident a fait l’objet d’un classement sans suite.

Subsidiairement, il expose que la perte de chance ne peut être indemnisée totalement.

Très subsidiairement, il s’oppose à ce que la cour évoque l’intégralité du litige, considérant que cela lui ferait perdre un degré de juridiction.

Enfin il indique qu’en matière d’accidents du travail et de maladies professionnelles, le code de la sécurité sociale pose comme principe la réparation forfaitaire, par le régime de sécurité sociale, des préjudices subis par le salarié, indiquant qu’il est de jurisprudence constante que les préjudices qui sont déjà couverts, même de manière partielle, dans le cadre de la prise en charge de droit commun de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, ne peuvent pas donner lieu à réparation au titre de la faute inexcusable.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 6 octobre 2022, M. [U] [J] demande à la cour de:

– confirmer le jugement,

– juger que les fautes de Me [X] lui ont fait perdre une chance sérieuse de se voir attribuer une indemnité au titre de son incapacité permanente et de voir reconnaître la faute inexcusable de son employeur et d’obtenir la majoration de l’indemnité ainsi que la réparation des préjudices de ‘droits communs’,

– juger que cette perte de chance est égale à 100%,

– condamner Me [X] à lui payer la somme de 153 478,50 euros et subsidiairement, la somme de 127 438,44 euros,

– condamner Me [X] à lui régler la somme de 5 000 euros, en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi que les dépens.

L’intimé sollicite, en premier lieu, l’évocation du litige, en application de l’article 568 du code de procédure civile, compte tenu de l’ancienneté de l’accident et en l’état du dépôt du rapport d’expertise le 28 février 2022.

Il rappelle ensuite les règles d’indemnisation en matière d’accident du travail et de faute inexcusable de l’employeur et indique que ces actions se prescrivent, conformément aux dispositions de l’article L431-2 du code de la sécurité sociale, par deux ans à compter du jour de l’accident ou du jour de la cession de paiement des indemnités journalières, mais que ce délai est interrompu, en cas d’accident susceptible d’être qualifié de faute inexcusable, par l’exercice de l’action pénale ou de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident.

En l’espèce, M. [U] [J] expose qu’ayant repris le travail le 1erfévrier 2022, les indemnités journalières ont cessé d’être versées à cette date, qui constitue donc le point de départ du délai de prescription. Il observe que bien qu’ayant rencontré Me [X] à cette période, celui-ci ne lui a communiqué aucun courrier l’informant de la procédure à suivre pour faire valoir ses droits, en dépit du bref délai de prescription.

Il indique n’avoir jamais reçu le courrier de la CPAM daté du 19 septembre 2012 par lequel lui était notifiée la fin de sa prise en charge au titre d’un accident du travail en raison d’une erreur d’adresse commise par la CPAM, mais précise avoir découvert ce courrier lors d’un refus de prise en charge d’un traitement, en mai 2015.

Il expose que Me [X] a tenté un recours amiable auprès de la CPAM, par courrier du 29 octobre 2015, mais ignore quelle a été la réponse de l’organisme social, ou ce qu’a fait ensuite son avocat d’alors.

Il estime ainsi avoir perdu une chance de bénéficier d’une indemnité au titre de son incapacité permanente et d’obtenir une majoration de cette indemnité par la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur.

Il évalue à 100% sa perte de chance d’obtenir une reconnaissance d’incapacité permanente, compte tenu de la gravité de ses blessures et à 100% également, la perte de chance d’obtenir la reconnaissance d’une faute ienxcusable de son employeur, se fondant pour cela sur les conclusions de l’inspection du travail. Il ajoute que le fait que le ministère public ait procédé à un classement sans suite de l’enquête préliminaire est sans incidence sur le caractère inexcusable, ce dernier étant régulièrement admis malgré des relaxes.

Enfin, il indique que bien que l’expert ait évalué ses préjudices par référence au droit commun, il ne réclame réparation que sur le fondement des règles applicables aux fautes inexcusables.

MOTIFS

Sur le droit à indemnisation

La responsabilité de l’avocat obéit aux règles de droit commun de la responsabilité contractuelle et suppose donc, pour être engagée, la démonstration d’un fait fautif générateur de responsabilité, et d’un préjudice réparable imputable à ce fait.

Il est acquis que l’avocat doit veiller à la défense des intérêts de son client, en mettant en oeuvre les moyens adéquats et qu’il lui incombe de prendre toutes les initiatives qu’il juge conformes à l’intérêt de son client.

L’avocat doit par ailleurs effectuer avec diligence les formalités qui lui incombent dans le cadre de son mandat, et cela même si son client ne l’alerte pas sur une urgence particulière.

L’avocat a également un devoir de contrôle, il doit ainsi vérifier que l’action de son client est fondée et que les conditions de recevabilité de la demande sont réunies.

En l’espèce, il est démontré et au demeurant non contesté que Me [G] [X] a reçu à son cabinet M. [U] [J] à une date non précisée, le conduisant ensuite à rédiger un premier courrier, le 27 janvier 2012, à la société Moderne de Revêtement, afin de connaître l’adresse du chantier sur lequel se trouvait son salarié au moment de son accident, précisant que ‘ce renseignement (était) indispensable pour l’ouverture des droits de (son) client’.

Il a ensuite adressé un courrier au Ministère du Travail, de l’Emploi et de la Santé le 17 février 2012, signalant l’erreur dans l’adresse du chantier lieu de l’accident de M. [U] [J] et indiquant qu’il restait à la disposition de son interlocuteur, puis un courrier de rappel adressé le 27 avril 2012.

Une réponse a été adressée à Me [G] [X], en date du 1er août 2012, par l’inspecteur du travail en charge de l’accident subi par M. [U] [J], faisant état de la difficulté à mener l’enquête en raison de la tardiveté de la saisine de son service, et par voie de conséquence, de l’impossibilité de procéder aux auditions de la victime et des témoins.

L’inspecteur du travail indique, en conclusion, avoir transmis son dossier au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Montpellier, considérant incontestable que ‘nous sommes en présence de manquements à une obligation de sécurité ou de prudence’.

Il est acquis que pèse sur l’avocat, soumis à un devoir de conseil, la charge de la preuve de ce qu’il a rempli cette obligation.

Me [G] [X] ne démontre, ni n’allègue au demeurant, avoir effectué aucune autre démarche dans l’intérêt de son client pour connaître l’issue de cette procédure pénale, ni avoir renseigné M. [U] [J] sur une action civile en reconnaissance de faute inexcusable de l’employeur.

L’appelant évoque justement le délai de prescription applicable à cette dernière action, et les événements susceptibles d’en interrompre le cours, mais ne démontre pas davantage avoir informé son client des règles applicables ni du point de départ du délai de prescription.

La nature même de l’obligation reposant sur l’avocat doit conduire la cour à écarter le moyen tiré de la faute de la victime tel qu’exposé par Me [G] [X].

En effet, d’une part, il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir informé son avocat de l’arrêt des versements de ses indemnités journalières, dès lors qu’il n’est pas démontré par l’avocat qu’il a informé son client de ce que cet arrêt constituait le point de départ du délai de prescription ; d’autre part, M. [U] [J] démontre que le courrier de notification adressé par la Caisse primaire d’assurance maladie lui a envoyé à une adresse erronée, de sorte qu’il ne l’a pas reçu, ne peut pas davantage lui être reproché.

A l’inverse, il doit être observé que Me [X] ne justifie d’aucune démarche auprès de l’organisme social de son client avant le 29 octobre 2015, à l’occasion duquel il a formé un recours amiable après que M. [U] [J] ait reçu, le 21 mai 2015, un courrier joignant en copie la décision de guérison daté du 19 septembre 2012 et qui n’a jamais été réceptionné.

Il convient donc de retenir un manquement de Me [G] [X] dans l’exercice de sa mission, celui-ci échouant à rapporter la preuve de l’exercice de son devoir de conseil et ayant manqué de diligence dans le suivi de la situation de son client, en n’effectuant aucun acte entre le 27 avril 2012 et le 29 octobre 2015, de sorte que toute action était entâchée de prescription.

Le droit à indemnisation du client de l’avocat fautif est néanmoins subordonné à la démonstration d’une perte de chance sérieuse d’obtenir gain de cause en l’absence de ce manquement.

Le fait que l’enquête pénale ait fait l’objet d’un classement sans suite le 22 novembre 2012 au motif que l’infraction était insuffisamment caractérisée, (ce dont M. [J] a pu avoir connaissance par le biais d’un nouvel avocat sollicité en 2017) est inopérant en ce que les conditions d’engagement de la responsabilité pénale en matière d’atteintes involontaires ne répondent pas aux mêmes critères que les conditions d’engagement de la responsabilité civile de l’employeur en matière de faute inexcusable, outre les règles d’indemnisation spécifiques en matière d’accident du travail.

La qualité de l’enquête a de surcroît été affectée, comme indiqué plus avant, par la tardiveté de la saisine de l’inspection du travail, et l’impossibilité d’entendre la victime et les témoins.

Aux termes de l’article L431-1 du code de la sécurité sociale, en cas de survenance d’un accident du travail, le salarié bénéficie d’une indemnisation spécifique et forfaitaire, consistant, outre la prise en charge totale des soins et le versement d’indemnités journalières de travail, dont a pu bénéficier M. [U] [J], au versement d’une rente ou d’un capital selon le quantum de l’incapacité en cas d’incapacité permanente.

En présence d’une incapacité permanente, Monsieur [U] [J] a perdu une chance très sérieuse de bénéficier de cette rente.

Le salarié peut en outre bénéficier de la réparation intégrale des préjudices subis, conformément aux dispositions de l’article L451-1 du même code, en cas de faute inexcusable de l’employeur.

Cette dernière est caractérisée, par application de la jurisprudence applicable à l’époque des faits, si l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et n’avait pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.

Par ailleurs, les articles L4121-1 du code du travail, dans leur rédaction applicable à la date des faits, mettent à la charge de l’employeur la prise de mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des travailleurs, afin d’éviter les risques.

En l’espèce, la déclaration d’accident du travail mentionne au titre des circonstances que le salarié ‘finissait la pose de sols, au RDC, en utilisant de la colle néoprène, un éclat de métal en fusion provenant du 2ème étage est tombé dans le bidon de colle, l’enflammant. En voulant évacuer le bidon, il a glissé et tombé et a été aspergé.’

Il est établi, par les seules pièces versées au dossier, que M. [U] [J] était chargé de procéder à la pose de sols, par l’utilisation de colle néoprène. Aucun élément contenu dans ces pièces ne remet en question la pertinence ou la légitimité de son activité, ni d’ailleurs, celle du salarié procédant à une soudure à proximité, alors même que le caractère hautement inflammable de la colle utilisée est connu de tous et ne peut être ignoré par un employeur dans le domaine du bâtiment.

Ces éléments sont corroborés par les termes employés par l’inspecteur du travail, lequel se fonde sur ‘les conditions dans lesquelles est survenu l’accident’ pour considérer dans son rapport adressé à Me [G] [X] qu’en raison ‘de la gravité des blessures de votre client et des conditions dans lesquelles est survenu l’accident. Il apparaît incontestable, sous réserve de l’appréciation contraire de la juridiction compétente, que nous sommes en présence de manquements à une obligation de sécurité ou de prudence imposée par la loi qui ont abouti à l’accident dont a été victime votre client.’

L’évocation par ce professionnel de l’analyse des risques professionnels, des ‘conditions’ dans lesquelles est survenu l’accident permet en effet d’écarter tout manquement imputable au salarié.

Il convient par ailleurs d’écarter le moyen tiré de la prescription de l’action, celle-ci résultant précisément de l’inaction fautive de Me [G] [X].

Il convient donc de considérer que par la faute de Me [G] [X], M. [U] [J] a perdu une chance réelle et sérieuse d’obtenir gain de cause devant la juridiction sociale et par conséquent, de bénéficier d’une indemnisation de son préjudice.

Compte tenu de ces éléments, et rappelant que seule la chance perdue peut être indemnisée en pareilles circonstances et non l’entier préjudice, il convient d’évaluer la perte de chance de M. [U] [J] à 90%.

Il convient donc de confirmer le jugement ayant retenu la responsabilité civile professionnelle de l’avocat, et d’ajouter que la perte de chance subie par M. [U] [J] doit être évaluée à 90%.

Le tribunal a par ailleurs ordonné à bon droit le versement d’une provision de 10 000 €, au profit de M. [J].

Sur l’indemnisation

Le tribunal judiciaire d’Aix en Provence dans son jugement n’a pas statué sur l’indemnisation de M. [U] [J] mais a justement ordonné une expertise qui a été déposée en cours d’appel, conduisant ce dernier à solliciter de la cour l’évocation de ses demandes indemnitaires.

L’article 568 du code de procédure civile dispose que lorsque la cour d’appel infirme ou annule un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, ou qui, statuant sur une exception de procédure, a mis fin à l’instance, elle peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l’affaire une solution définitive, après avoir ordonné elle-même, le cas échéant, une mesure d’instruction.

Le pouvoir d’évocation sur appel d’un jugement qui a ordonné une mesure d’instruction, ne peut être exercé que dans les hypothèses où la cour infirme ou annule le jugement attaqué. Tel n’est pas le cas en l’espèce, le jugement soumis au présent appel ayant été confirmé.

Il importe par ailleurs de permettre à Me [G] [X] d’assurer sa défense sur ces demandes indemnitaires suite au dépôt du rapport d’expertise, ce qui implique de ne pas le priver d’un double degré de juridiction.

Il convient donc de dire n’y avoir lieu à évocation du litige quant à l’indemnisation.

Sur les frais du procès

Succombant, Me [G] [X] sera condamné aux entiers dépens de l’instance.

Il sera par ailleurs condamné à régler à M. [U] [J] la somme de 3 000 euros, au titre des frais irrépétibles exposés en vue de la présente instance

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire, en matière civile et en dernier ressort,

Confirme le jugement rendu le 1er juillet 2021 par le tribunal judiciaire d’Aix en Provence en toutes ses dispositions soumises à la cour ;

Y ajoutant,

Dit que la perte de chance subie par M. [U] [J] du fait du manquement de Me [G] [X] doit être évaluée à 90% ;

Dit n’y avoir lieu à évocation du litige quant à l’indemnisation ;

Condamne Me [G] [X] aux entiers dépens de l’instance ;

Condamne Me [G] [X] à régler à M.[U] [J], la somme de 3 000 euros, en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

 


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