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Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRET DU 10 MAI 2023
(n° , 9 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/04413 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CBTDW
Décision déférée à la Cour : Jugement du 14 Février 2020 -Tribunal Judiciaire d’Evry-Courcouronnes – RG n°
APPELANT
Monsieur [I] [X]
[Adresse 4]
[Localité 1]
Représenté par Me Jean-marc DESCOUBES de la SELEURL DESCOUBES AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0969
INTIMEE
S.E.L.A.S. PWC
[Adresse 2]
[Localité 3]
Ayant pour avocat postulant Me Jeanne BAECHLIN de la SCP SCP Jeanne BAECHLIN, avocat au barreau de PARIS, toque : L0034
Ayant pour avocat plaidant Me Guilllaume REGNAULT, avocat au barreau de Paris
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 08 mars 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre, et devant Mme Estelle MOREAU, Conseillère chargée du rapport.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Mme Marie-Françoise d’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Mme Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Mme Victoria RENARD
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 10 mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Mme Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Victoria RENARD, Greffière, présente lors de la mise à disposition.
***
M. [I] [X] était salarié et associé au sein de la Sas Agram à hauteur d’environ 10% du capital social. M. [O], président directeur général de ladite société détenant environ 90% du capital social, a souhaité vendre l’entreprise au cours de l’année 2007.
La société d’avocats Landwell et associés, devenue la Scp Pwc, est intervenue en qualité de conseil tant de la société Agram que de ses actionnaires, M. [X] et M. [O].
Le 23 janvier 2008, la société Cobalt Capital, gestionnaire du fonds commun de placement à risques Cobalt Investment, projetant de reprendre la société Agram, a constitué la société financière Agram-devenue société Financière Lucia-.
Le 31 janvier 2008, la société Cobalt Capital représentant la société Cobalt Investment, M. [O] et M. [X], notamment, ont conclu un protocole d’investissement dans la société financière Agram, laquelle a conclu avec les actionnaires de la société Agram un protocole de cession de 100% du capital de ladite société à un prix de base dont le plancher était fixé à 33 000 000 euros.
Le 20 février 2008, un pacte d’associés a été signé et, dans ce cadre, M. [X] a consenti à la société Cobalt Capital représentant le fonds d’investissement Cobalt Investment une promesse unilatérale de vente de ses titres de la société financière Agram reçus en rémunération de son apport dans cette société, et la société Cobalt Capital ès qualités a signé une promesse de rachat de ces titres sous la condition d’un départ de M. [X] qualifié de ‘non hostile’.
Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 2 mars 2011, M. [X], indiquant avoir fait valoir ses droits à la retraite le 28 février 2011 avec effet au 1er mars 2011, a sollicité de la société Cobalt Capital représentant le fonds d’investissement Cobalt Investment qu’il soit procédé à la cession de ses titres.
La société Cobalt Capital lui a répondu le 14 mars 2011 que la décision de partir à la retraite ne constituant pas un départ non hostile au sens de la promesse d’achat, celle-ci ne saurait être mise en application.
Ayant assigné la Sas Cobalt Capital représentant le fonds commun de placement à risques Cobalt Investment devant le tribunal de commerce de Paris pour contester l’interprétation faite des accords signés, M. [X] a été débouté de ses demandes par jugement du 4 mai 2012 au motif que sa décision de départ en retraite ne constitue pas un départ ‘non hostile’ au sens de la promesse unilatérale d’achat. Ce jugement a été confirmé par arrêt de la cour d’appel de Paris le 15 mai 2014 et par arrêt du 19 janvier 2016, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi de M. [X].
C’est dans ces circonstances que par acte du 14 mars 2017, M. [X] a assigné la société Pwc devant le tribunal de grande instance de Nanterre aux fins d’engagement de sa responsabilité civile professionnelle sur le fondement de l’article 1147 du code civil.
Par décision du 31 janvier 2018, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Nanterre a renvoyé la cause et les parties devant le tribunal de grande instance d’Evry en application de l’article 47 du code de procédure civile.
Par jugement rendu le 14 février 2020, le tribunal judiciaire d’Evry-Courcouronnes a :
– déclaré prescrite et donc irrecevable l’action en responsabilité civile professionnelle introduite par acte d’huissier de justice délivré le 14 mars 2017 par M. [X] à l’encontre de la société d’avocats Landwell et associés devenue la société Pwc,
– dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné M. [X] aux entiers dépens,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.
Par déclaration du 28 février 2020, M. [X] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions notifiées et déposées le 31 janvier 2023, M. [I] [X] demande à la cour de :
– infirmer le jugement en toutes ses dispositions,
et statuant à nouveau,
– le recevoir en ses demandes,
– débouter la société Pwc de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– condamner la société Pwc à lui verser la somme de 1 829 940, 40 euros, à parfaire, avec intérêts légaux de retard depuis le 2 mars 2011, en réparation du préjudice financier subi,
– condamner la société Pwc à lui verser la somme de 150 000 euros en réparation de son préjudice moral,
– condamner la société Pwc à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner la société Pwc aux entiers dépens.
Par conclusions notifiées et déposées le 30 septembre 2022, la société Pwc société d’avocats (ci-après, la société Pwc) demande à la cour de :
à titre principal,
– déclarer M. [X] irrecevable en son instance et son action par acquisition de la prescription quinquennale,
en conséquence,
– confirmer le jugement prononcé, en toutes ses dispositions,
subsidiairement, au fond,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’une faute commise dans le cadre du mandat qui lui a été donné, reçu et accepté,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un préjudice né, certain et actuel caractérisant une perte de chance indemnisable,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un lien de causalité direct et exclusif entre la faute invoquée et le préjudice allégué,
en conséquence,
– débouter M. [X] de toutes ses demandes,
y ajoutant,
– condamner M. [X] aux entiers dépens tant de première instance que d’appel sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner M. [X] au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 31 janvier 2023.
Par conclusions notifiées et déposées le 8 février 2023, la société Pwc demande à la cour de:
– révoquer l’ordonnance de clôture rendue par le conseiller de la mise en état le 31 janvier 2023 sans qu’elle ait pu être mise en mesure de répliquer aux conclusions de M. [X],
à défaut,
– rejeter des débats ces écritures et pièces,
à titre principal,
– déclarer M. [X] irrecevable en son instance et son action par acquisition de la prescription quinquennale,
en conséquence,
– confirmer le jugement prononcé en toutes ses dispositions,
subsidiairement, au fond,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’une faute commise dans le cadre du mandat qui lui a été donné, reçu et accepté,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un préjudice né, certain et actuel caractérisant une perte de chance indemnisable,
– juger qu’il n’est pas rapporté la preuve d’un lien de causalité direct et exclusif entre la faute invoquée et le préjudice allégué,
en conséquence,
– débouter M. [X] de toutes ses demandes,
y ajoutant,
– condamner M. [X] aux entiers dépens tant de première instance que d’appel sur le fondement de l’article 699 du code de procédure civile,
– condamner M. [X] au paiement d’une somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
SUR CE :
Sur le rabat de l’ordonnance de clôture :
La société Pwc sollicite le rabat de l’ordonnance de clôture rendue le 31 janvier 2023 sur le fondement de l’article 803 du code de procédure civile, M. [X] ayant communiqué de nouvelles pièces et conclusions à cette même date sans qu’il ait pu y répondre et alors même que le report a été sollicité par la société Pwc et M. [X] lui-même, afin de pouvoir y répliquer et de respecter le contradictoire, à défaut les conclusions et pièces tardivement communiquées par M. [X] devront être rejetées.
M. [X], qui s’est associé à la demande de report de clôture, ne réplique pas.
M. [X] a conclu le 31 janvier 2023 en faisant valoir de nouveaux moyens et en communiquant de nouvelles pièces, nécessitant que la société Pwc puisse être en mesure d’y répondre.
Le respect des droits de la défense justifie le rabat de l’ordonnance de clôture afin de pouvoir accueillir aux débats les nouvelles conclusions régularisées par la société Pwc le 8 février 2023, et le prononcé de la clôture.
Sur la prescription :
Le tribunal a jugé que l’action en responsabilité contre la société Pwc était prescrite sur le fondement de l’article 2224 aux motifs que :
– le point de départ du délai de prescription est le jour où M. [X] a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’agir à l’encontre du cabinet d’avocats, soit le 14 mars 2011, date à laquelle le dommage résultant d’un manquement éventuel au devoir de conseil dudit cabinet s’est réalisé, la société Cobalt Investment ayant refusé de racheter les titres de M. [X] après son départ volontaire à la retraite,
– la responsabilité des professionnels du droit ne présentant pas un caractère subsidiaire, la mise en oeuvre de la responsabilité du cabinet d’avocats n’était pas subordonnée à l’introduction d’instance contre la société Cobalt Investment et M. [X] pouvait engager l’action en responsabilité contre son ancien conseil dès le 14 mars 2011,
– l’action introduite le 14 mars 2017 est donc prescrite.
M. [X] conteste l’acquisition de la prescription, aux motifs que :
– le point de départ du délai de prescription d’une action en responsabilité contractuelle contre les professionnels du droit intervenant dans la rédaction et la signature d’actes ayant donné lieu à un contentieux entre les parties est la décision de justice définitive ayant tranché le contentieux préalable entre les parties quant à l’acte litigieux, c’est-à-dire le jour de la réalisation du dommage qu’il a causé par son manquement constaté judiciairement, et non pas le jour de la réalisation probable d’un dommage futur,
– la société Pwc n’ayant jamais reconnu dans ses écritures de première instance et d’appel la commission d’une faute dans sa mission d’assistance et de conseil, ni même un préjudice, le dommage était incertain et la recherche de la responsabilité de la société Cobalt Investment était un préalable nécessaire à la mise en oeuvre de la responsabilité de son ancien conseil,
– le refus opposé par la société Cobalt Investment le 14 mars 2011 ne peut constituer le point de départ du délai de prescription, le dommage n’étant pas certain à cette date,
– le dommage s’étant réalisé à l’occasion de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 mai 2014 ayant jugé que la clause litigieuse devait être lue et interprêtée dans le sens où la société Cobalt Investment l’entendait, la prescription a commencé à courir à la date de cet arrêt, voire le 19 janvier 2016, date à laquelle le pourvoi contre cet arrêt a été rejeté,
– l’action n’était pas prescrite au jour de l’assignation, le 14 mars 2017.
L’intimée fait siens les motifs du jugement tout en soulignant que :
– la responsabilité des avocats n’est pas subsidiaire et le dommage subi par la faute d’un avocat est certain quand bien même la victime disposerait contre un tiers d’une action consécutive à la situation dommageable née de cette faute et propre à assurer la réparation du préjudice, en sorte que l’action en responsabilité contre l’avocat rédacteur d’actes doit être engagée dès la connaissance des faits dommageables, sans attendre l’issue éventuelle d’une action exercée contre un tiers,
– M. [X] était en mesure d’introduire l’action dès le 14 février 2011, date du refus de la société Cobalt Investment et à laquelle le dommage en lien avec la faute alléguée était certain, l’existence d’une créance différant de son exigibilité,
– M. [X] aurait pu demander le sursis à statuer au vu de la procédure engagée contre la société Pwc s’il estimait que l’étendue de son préjudice n’était pas déterminée.
Selon l’article 2224 du code civil, ‘Les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer’.
Le point de départ de la prescription de l’action en responsabilité contractuelle exercée à l’encontre de l’avocat court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il s’est révélé à la victime.
M. [X] recherche la responsabilité professionnelle de la société Pwc pour manquement à son devoir de conseil quant au sens et la portée de la clause prévue dans la promesse subordonnant le rachat des titres à la condition de départ non hostile de M. [X].
Le dommage allégué par M. [X], tiré de l’impossibilité de mise en oeuvre de la promesse d’achat, ne s’est entièrement matérialisé qu’à l’occasion de l’arrêt confirmatif de la cour d’appel de Paris du 15 mai 2014 ayant jugé que le départ volontaire à la retraite de M. [X] ne constituait pas un départ non hostile au sens de la promesse de rachat. Jusqu’à cet arrêt se prononçant sur la nature et la portée de la clause litigieuse, et indépendamment du principe de non subsidiarité de l’action en responsabilité professionnelle exercée contre l’avocat, le dommage allégué par M. [X] demeurait incertain en sorte qu’il ne saurait lui être fait grief de ne pas avoir alors exercé l’action en responsabilité. Cet arrêt fixant définitivement l’étendue du dommage de M. [X] étant devenu irrévocable le 19 janvier 2016, date à laquelle le pourvoi en cassation a été rejeté, cette date constitue le point du départ du délai de la prescription.
La prescription n’est donc pas acquise, en infirmation de la décision.
Sur la responsabilité :
L’engagement de la responsabilité de l’avocat nécessite la démonstration par celui qui s’en prévaut d’une faute, d’un lien de causalité et d’un préjudice.
Sur la faute :
M. [X] soutient que la société Pwc a manqué à son devoir de conseil et à son obligation de moyens en sa qualité de rédacteur d’acte en ce que:
– elle ne pouvait ignorer que sa doléance essentielle était que la société Cobalt Investment acquière ses titres lors de son départ à la retraite car ses droits devant être liquidés moins de trois ans après la signature de leur contrat, l’investissement dans le fonds Cobalt Investment n’avait de sens qu’à la condition d’être récupéré lorsqu’il cesserait son activité au sein de la société Agram et il n’a jamais été question d’investir cette somme sans contrepartie,
– n’étant pas juriste, il n’a pu s’apercevoir que l’insertion de la mention ‘mise à la retraite’ comme condition de la levée d’option de la promesse d’achat de ses titres par la société Cobalt Capital représentant la société Cobalt Investment impliquait que le seul décisionnaire de la levée d’option était son employeur, la société Agram, et non pas lui-même,
– la société Pwc aurait dû l’alerter sur le fait que seule une ‘mise à la retraite’ par son employeur et non pas un ‘départ à la retraite’ permettait la levée d’option et que l’acte n’était susceptible d’aucune efficacité puisqu’il suffisait à son employeur de ne jamais le mettre à la retraite pour que la promesse d’achat ne soit jamais exercée,
– la société Pwc ne justifie pas l’avoir mis en garde sur la portée des actes signés,
– la société Pwc a fait preuve d’une insuffisance professionnelle manifeste, l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 15 mai 2014 affirmant que la signification du document n’a pu lui échapper,
– en outre, la société Pwc ne justifie pas avoir négocié avec la société Cobalt Capital le rachat de ses titres en cas de départ à la retraite, qui ne pouvait d’ailleurs être considéré comme un départ hostile dans la mesure où la liquidation par un salarié de sa retraite est un droit exclusif de toute faute, manquant ainsi à son obligation de moyens,
– les manquements de la société Pwc sont aggravés par le fait qu’il s’agit d’un cabinet d’avocat important, à forte notoriété et supposé évoluer à un très haut niveau de compétence.
La société Pwc ne conteste pas les fautes et fait porter le débat sur le lien de causalité et les préjudice.
L’avocat est tenu en sa qualité de rédacteur d’acte à un devoir de conseil consistant à éclairer son client sur la nature et la portée de ses engagements ainsi que les risques encourus mais également à une obligation de diligence.
Ayant assisté M. [X] dans la négociation et la signature des actes, il appartenait à la société Pwc, qui ne conteste pas avoir contribué à la rédaction des actes, d’attirer l’attention de son client quant au sens et la portée de la promesse d’achat conclue le 20 février 2008 entre la société Cobalt Investment et M. [X], dont l’article 1 précise que la ‘date du départ désigne la date du départ non hostile du bénéficiaire étant entendu qu’en cas (i) de décès ou d’invalidité elle signifiera la date du décès ou de l’invalidité, (ii) d’une démission, elle signifiera la date de la réception de la lettre notifiant la démission, et (iii) de mise à la retraite, elle signifiera la date à laquelle le bénéficiaire ne figure plus dans les effectifs ni dans les organes sociaux de la société et/ou ses filiales’, et dont l’article 3.2 prévoit que la promesse d’achat pourra être levée par le bénéficiaire pendant la durée de la promesse et ‘seulement en cas de départ non hostile’, défini à l’article 1 de l’acte comme désignant ‘le décès, l’invalidité permanente de 2ème et 3ème catégorie au sens de l’article L.314-4 du code de la sécurité sociale ou la mise à la retraite’. Elle devait d’autant plus éclairer M. [X] sur la portée de ses engagements que la promesse unilatérale de vente du même jour, conclue entre les mêmes parties, et qui seule contient la définition du ‘départ hostile’ n’y intègre pas le départ à la retraite, et que M. [X] était susceptible de faire valoir ses droits à la retraite trois ans après la conclusion des actes et que la promesse de vente consentie le jour même par M. [X] prévoyait trois prix de cession possibles, soit en cas de départ hostile, volontaire ou non hostile. Le manquement à son devoir de conseil est ainsi établi.
De même, la société Pwc, qui ne conteste pas que son client lui a indiqué souhaiter que le rachat de ses titres soit prévu quand il partirait à la retraite, ne justifie pas avoir négocié dans l’intérêt de son client le rachat de ses titres en cas de départ à la retraite et non pas seulement de mise à la retraite, manquant ainsi de diligence.
Sa double faute est donc caractérisée.
Sur le lien de causalité et le préjudice :
M. [X] soutient que :
– s’il avait réalisé que ses titres ne seraient pas rachetés au moment de son départ à la retraite, il n’aurait jamais conclu dans ces conditions,
– le départ à la retraite ne figure pas dans les cas listés comme étant hostiles dans la promesse de vente de ses titres et n’a donc pas été jugé déterminant pour la société Cobalt Capital représentant le fonds d’investissement Cobalt Investment en sorte qu’il avait bien la possibilité de conclure à des conditions différentes, étant rappelé que le départ à la retraite d’un salarié en mesure de liquider ses droits est d’essence légale et ne peut dégénérer en abus,
– si cette doléance avait été défendue par la société Pwc, la société Cobalt Capital aurait accepté une levée d’option de la promesse d’achat des titres en cas de départ à la retraite,
– son préjudice matériel correspond au montant qu’il aurait dû percevoir lors de son départ à la retraite en exécution de la promesse d’achat de ses titres, soit 1 829 940,40 euros, à parfaire des intérêts légaux de retard depuis le 2 mars 2011,
– il a également subi un préjudice moral, évalué à 150 000 euros, pour avoir été mal conseillé par un cabinet d’avocats rompu au droit des affaires.
La société Pwc réplique que :
– le préjudice en lien causal avec un manquement à l’obligation de conseil ne peut constituer qu’une perte de chance laquelle n’est pas justifiée dès lors que:
– il a été définitivement jugé que la décision de départ à la retraite de M. [X] ne correspond pas à la cause visée à la promesse unilatérale d’achat,
– M. [X] n’établit pas le caractère déterminant du rachat de ses titres à l’occasion de son départ à la retraite,
– M. [X] ne démontre pas qu’il aurait pu effectivement conclure à des conditions différentes alors que la société Cobalt Investment a précisément conditionné le rachat de ses titres à l’hypothèse d’un départ non hostile, notion limitative expressément définie et n’incluant pas le départ à la retraite,
– l’appelant n’a subi aucun préjudice, étant toujours titulaire des titres, dont il ne démontre pas l’impossibilité de les vendre, étant rappelé que le pacte du 31 janvier 2008 portait sur une durée de 15 années soit jusqu’en 2023, et une quelconque indemnisation au titre de l’action en responsabilité professionnelle constituerait un enrichissement sans cause de M. [X],
– le lien de causalité avec le préjudice allégué n’est pas établi puisque M. [X] a décidé de partir à la retraite sans attendre que son employeur décide d’une mise à la retraite alors qu’il connaissait depuis le 14 mars 2011 la position de refus de la société Cobalt Capital représentant le fonds d’investissement Cobalt Investment et aurait pu revenir sur sa décision,
– il ne démontre ni le principe de son préjudice moral, ni son montant, et sollicite une double indemnisation en fondant ce préjudice également sur un mauvais conseil du cabinet,
– les intérêts de retard ne peuvent courir depuis le 2 mars 2011alors que l’article 1231-7 du code civil fixe le point de départ des intérêts au prononcé du jugement à moins que le juge n’en décide autrement.
L’avocat ayant commis des manquements à son obligation de conseil et à son devoir de diligence est tenu de réparer le préjudice direct, certain et actuel en relation de causalité avec les manquements commis.
Le préjudice dont se prévaut une partie en raison du manquement par son avocat à son devoir de conseil et à son obligation de négocier les clauses contractuelles dans l’intérêt de son client, laquelle est une obligation de moyens, ne peut consister qu’en une perte de chance. Ce préjudice doit être réel et certain.
Il incombe à celui qui entend obtenir réparation d’une perte de chance de démontrer la réalité et le sérieux de la chance perdue en établissant que la survenance de l’événement dont il a été privé était certaine avant la survenance du fait dommageable, le caractère hypothétique d’une telle perte de chance excluant toute indemnisation.
La réparation de la perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
Il est évident que dûment conseillé par son avocat, M. [X] n’aurait pas accepté de conclure la promesse d’achat dans des conditions excluant toute levée d’option en cas de départ à la retraite alors qu’il pouvait faire valoir ses droits moins de trois ans après la conclusion du contrat et que sa qualité d’actionnaire était en lien avec son statut de salarié.
Les manquements de l’avocat à son devoir de conseil et à son obligation de négocier les clauses contractuelles dans l’intérêt de son client ont fait perdre à M. [X] une chance de bénéficier de la mise en oeuvre de la promesse d’achat en cas de départ à la retraite.
Cette chance est réelle et sérieuse dès lors que la promesse de vente prévoit la possibilité de cession des titres même en cas de départ hostile, défini comme étant ‘(i) la violation d’une stipulation du pacte à laquelle il n’a pas été remédié dans le délai de 15 jours à compter de sa survenance, (ii) la révocation, le licenciement ou le non renouvellement du mandat social pour faute grave ou faute lourde ou (iii) la démission non agréée par le conseil d’administration’, et que le départ en retraite ne figure pas parmi les cas de départ hostile.
En outre, la promesse d’achat réserve la levée d’option en cas de départ non hostile défini comme étant ‘le décès, l’invalidité permanente de 2ème et 3ème catégorie au sens de l’article L.314-4 du code de la sécurité sociale ou la mise à la retraite’ tout en reproduisant la définition de la date du départ figurant à la promesse de vente prévoyant également le cas de la démission, cette clause indiquant que ‘la date du départ désigne la date du départ non hostile du bénéficiaire étant entendu qu’en cas (…) d’une démission [le bénéficiaire de la promesse] signifiera la date de la réception de la lettre notifiant la démission (…)’. Ces élements établissent que la société Cobalt Capital entendait surtout exclure de la levée d’option de la promesse d’achat les cas de départ hostile lié à un manquement de M. [X], alors que le départ à la retraite, qui constitue un droit, n’est en rien fautif.
Au vu de l’ensemble de ces éléments, M. [X] a ainsi perdu une forte chance d’obtenir l’extension des cas de levée d’option de la promesse d’achat à l’hypothèse de départ à la retraite et non pas seulement de mise à la retraite si la société Pwc avait correctement accompli son devoir de conseil et son obligation de négociation. Sa perte de chance corrélative d’obtenir la levée d’option d’achat de ses titres en cas de départ en retraite et non pas seulement de mise en retraite est de même intensité et doit être évaluée à 90%.
La circonstance que M. [X] soit encore détenteur des titres compte tenu de la faute de l’avocat n’est pas de nature à réduire son préjudice, ce d’autant plus que le pacte et les promesses ont été conclus pour une durée de 15 ans à compter de leur signature du 20 février 2008 et sont donc devenus caduques.
Le préjudice de perte de chance de M. [X] doit donc être évalué à la somme de 1 646 946 euros (1 829 940, 40 euros x 90%), laquelle doit être assortie des intérêts au taux légal à compter de la présente décision s’agissant de la mise en oeuvre de la responsabilité de l’avocat, et non pas de la lettre adressée à la société Cobalt Capital le 2 mars 2011.
M. [X] ne justifiant d’aucun préjudice moral au titre des mauvais conseils de son avocat, distinct du préjudice matériel réparé, est débouté de sa demande indemnitaire de ce chef.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile :
La société Pwc échouant en ses prétentions est condamnée aux dépens de première instance et d’appel et à payer à M. [X] une indemnité de procédure que l’équité commande de fixer à 10 000 euros.
PAR CES MOTIFS :
La cour,
Ordonne le rabat de l’ordonnance de clôture pour accueillir les conclusions notifiées et déposées par la société Pwc société d’avocats le 8 février 2023, et prononce la clôture,
Infirme le jugement en toutes ses dispositions,
Statuant de nouveau,
Dit recevable comme non prescrite l’action,
Condamne la société Pwc société d’avocats à payer à M. [I] [X] une somme de 1 646 946 euros en réparation de son préjudice de perte de chance,
Dit que cette somme produira intérêts au taux légal à compter de la présente décision,
Déboute M. [I] [X] de sa demande au titre du préjudice moral,
Condamne la société Pwc société d’avocats à payer à M. [I] [X] une somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Pwc société d’avocats aux dépens de première instance et d’appel.
LA GREFFI’RE LA PR”SIDENTE