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Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 4 – Chambre 13
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
(n°1 , 11 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 20/06922 – N° Portalis 35L7-V-B7E-CB2AD
Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Février 2020 -Tribunal judiciaire de PARIS – RG n° 18/14017
APPELANTE
Madame [Y] [W]
née le [Date naissance 4] 1973 à [Localité 15]
[Adresse 5]
[Localité 11]
Représentée par Me Christel BOISSEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1695
INTIMÉES
Madame [M] [J]
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représenté par Me Frédéric INGOLD, SELARL INGOLD &THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B105 et ayant pour avocat plaidant Me Florence ACHACHE, VALLUET-ACACHE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R088
et
Madame [T] [F]
[Adresse 2]
[Localité 10]
Représenté par Me Frédéric INGOLD, SELARL INGOLD &THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B105 et ayant pour avocat plaidant Me Florence ACHACHE, VALLUET-ACACHE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R088
et
Société ODINOT
S.E.L.A.R.L. immatriculée au RCS de PARIS sous le numéro 432 828 942
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 3]
[Localité 8]
Représenté par Me Frédéric INGOLD, SELARL INGOLD &THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B105 et ayant pour avocat plaidant Me Florence ACHACHE, VALLUET-ACACHE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R088
et
MMA IARD
Compagnie d’assurance immatriculée au RCS de LE MANS sous le numéro 440 048 882,
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Frédéric INGOLD, SELARL INGOLD &THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B105 et ayant pour avocat plaidant Me Florence ACHACHE, VALLUET-ACACHE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R088
et
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
Immatriculée au RCS de LE MANS sous le numéro 775 652 126
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité
[Adresse 1]
[Localité 7]
Représenté par Me Frédéric INGOLD, SELARL INGOLD &THOMAS, avocat au barreau de PARIS, toque B105 et ayant pour avocat plaidant Me Florence ACHACHE, VALLUET-ACACHE & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque R088
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 19 Octobre 2022, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre, chargée du rapport et Madame Estelle MOREAU, Conseillère.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre
Madame Marie-Françoise D’ARDAILHON MIRAMON, Présidente de chambre
Madame Estelle MOREAU, Conseillère
Greffier, lors des débats : Madame Dorothée RABITA
ARRÊT :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Première Présidente de chambre et par Madame Justine FOURNIER, greffière présente lors de la mise à disposition.
***
[Y] [W], embauchée le 1er mai 2017 par la société G4S devenue Neo Security, en qualité d’assistante relations sociales pour la région Ile-de-France, a saisi, le 15 octobre 2010, le conseil de prud’hommes de Rouen aux fins de contester son licenciement économique intervenu le 20 avril 2010.
Elle avait chargé, dès la procédure de licenciement, la Selarl Odinot et associés, avocat au barreau de Paris, de la défense de ses intérêts laquelle a été confiée à Mme [M] [J], collaboratrice puis associée du cabinet à compter du 1er janvier 2013.
Par jugement du 29 novembre 2011, le conseil de prud’hommes a débouté Mme [W] de toutes ses demandes et celle-ci en a interjeté appel.
A l’audience de plaidoirie du 6 juin 2012, la cour d’appel de Rouen a ordonné la radiation de la procédure, l’appelante ayant sollicité un renvoi en raison de la communication tardive de pièces adverses.
Le 1er juillet 2014, l’assemblée générale des associés de la société Odinot et associés (la société Odinot) a décidé du retrait de Mme [J] à effet au 30 juin 2014.
Mme [W] ayant interrogé la société Odinot sur le sort de son affaire, le 24 août 2014, elle apprenait la péremption de l’instance, l’affaire n’ayant pas été valablement réinscrite dans le délai de deux ans prévu par l’article 386 du code de procédure civile.
Par acte du 9 novembre 2018, Mme [W] a fait assigner devant le tribunal de grande instance de Paris Mme [J] et la société Odinot et associés aux fins d’engager leur responsabilité civile professionnelle.
Par acte du 13 mai 2019, Mme [W] a également fait assigner Mme [T] [F], associée de la société Odinot et associés aux mêmes fins.
Les sociétés MMA Iard SA et MMA Iard Assurances mutuelles sont intervenues volontairement à l’instance.
Par un jugement rendu le 26 février 2020, le tribunal judiciaire de Paris a :
– rejeté les demandes,
– condamné Mme [W] aux dépens qui pourront être recouvrés selon les modalités prévues par les dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 30 mars 2020, Mme [W] a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 30 juin 2021, Mme [W] demande à la cour de :
– confirmer le jugement en ce qu’il a reconnu la faute de Mme [J] et Mme [F],
– infirmer partiellement le jugement en ce qu’il a jugé que le préjudice n’était pas appréciable du fait de l’absence des conclusions et pièces versées par la Société Neo Security lors de la première instance,
– condamner conjointement et solidairement Mme [J], Mme [F] et la société Odinot à lui verser la somme de 154 018,70 euros au titre de la perte de chance d’obtenir l’infirmation du jugement du conseil de prud’hommes de Rouen du 29 novembre 2011,
– condamner conjointement et solidairement Mme [J], Mme [F] et la société Odinot au remboursement des honoraires perçus dans le cadre de la procédure d’appel pour un montant de 6 272,40 euros,
– condamner conjointement et solidairement Mme [J], Mme [F] et la société Odinot au paiement de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,
– ordonner l’exécution provisoire de la décision à intervenir (sic).
Dans leurs dernières conclusions notifiées et déposées le 11 juillet 2022, Mme [J], Mme [F], la société Odinot, les sociétés MMA Iard Sa et MMA Iard assurances mutuelles demandent à la cour de :
– juger que tant l’existence d’une faute que la preuve d’une perte de chance ne sont pas rapportées,
– confirmer le jugement en ce qu’il a débouté purement et simplement Mme [W] de l’intégralité de ses demandes,
en conséquence
– débouter Mme [W] de ses demandes,
– à titre subsidiaire, juger, dans l’hypothèse où la cour estimerait qu’un préjudice découle de cette perte de chance, que celui-ci ne peut être que symbolique,
en tout état de cause,
– condamner Mme [W] au paiement d’une somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, dont distraction au profit de la Selarl Ingold & Thomas.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 6 septembre 2022.
SUR CE,
Sur la faute
Le tribunal a reconnu que :
– la péremption de l’instance est acquise en raison de l’absence de diligences accomplies par Mme [J] et Mme [F] dans le délai de deux ans prévu à l’article 386 du code de procédure civile,
– Mme [J] et Mme [F] ont manifestement manqué à leurs devoirs de diligence et de conseil en ne justifiant pas avoir tenté d’accomplir un acte interruptif ou, à tout le moins, avoir appelé l’attention de leur cliente quant au risque de péremption et sollicité ses instructions.
Mme [W] soutient que Mme [F] et Mme [J], associées au sein du cabinet Odinot, ont manqué à leur obligation de diligence en ce que :
– elles avaient toutes deux la responsabilité de son dossier, ayant travaillé conjointement à la préparation de ses conclusions d’appelante en juin et juillet 2012,
– elles n’ont pas déposé de conclusions dans son intérêt auprès de la cour d’appel de Rouen, afin de permettre le rétablissement de l’affaire dans le délai de deux ans à compter de sa radiation administrative en date du 6 juin 2012, et ce, en dépit de diverses relances,
– elles l’ont privée du bénéfice du double degré de juridiction.
Les intimées répondent que, si en application de l’article 16 de la loi du 31 décembre 1990, la société est solidairement responsable avec son associé, Mme [F] et la société Odinot n’ont commis aucune faute dans ce dossier, les reproches se concentrant sur le défaut de diligences de Mme [J] qui était la seule interlocutrice de Mme [W].
Le mandat de représentation en justice emporte, sauf convention contraire, mission d’assistance.
Cette mission fait peser sur l’avocat une obligation de diligence, l’avocat étant tenu d’accomplir les actes de procédure nécessaires et d’assurer la défense de son client, dans les délais prescrits et de sa propre initiative, en préservant au mieux ses intérêts.
Mme [W] soutient à juste titre que Mme [J] et Mme [F] étaient toutes deux en charge de son dossier puisque juqu’en 2013, Mme [J] agissait en qualité de collaboratrice de Mme [F] ainsi qu’en témoignent ses courriels de juin et juillet 2012 adressé aux deux avocates.
Or, il apparaît qu’alors que l’affaire avait été radiée le 6 juin 2022, Mme [J] a sollicité la réinscription de l’affaire à la cour d’appel de Rouen en adressant ses conclusions de reprise d’instance à la cour le 4 décembre 2012 par lettre recommandée avec accusé de réception. Cette modalité de saisine de la cour était irrégulière puisque selon l’article 930-1 du code de procédure civile dans sa version issue du décret n°2009-1524 du 9 décembre 2009 applicable au 1er janvier 2011, les actes de procédure devaient être remis à la juridiction par voie électronique, à peine d’irrecevabilité relevée d’office.
Par la suite, Mme [J] n’a pas répondu à sa cliente qui sollicitait un point sur l’état d’avancement de son dossier en novembre 2013 et mai 2014, laquelle n’a appris le départ de son conseil du cabinet d’avocat que par mail automatique du 28 août 2014.
Mme [F] ayant repris la charge de son dossier l’a informée le 8 septembre suivant que la cour d’appel de Rouen lui avait confirmé que l’affaire n’avait pas été valablement réinscrite par Mme [J] et que la péremption de deux ans était acquise.
Il s’en déduit que tant Mme [J] que Mme [F] dont Mme [J] était la collaboratrice jusqu’en janvier 2013 ont commis un manquement à leur obligation de diligence quant à la réinscription de l’affaire devant la cour d’appel en décembre 2012, manquement qui s’est perpétué, pour Mme [J] jusqu’en juin 2014, date de péremption de l’instance.
Dès lors, le jugement est confirmé en ce qu’il a retenu la faute des deux avocates à ce titre et la responsabilité in solidum de la société Oudinot.
Sur le lien de causalité et le préjudice
1. Sur le préjudice relevant de la perte de chance
Le tribunal a rejeté les demandes de Mme [W] au titre de sa perte de chance d’obtenir en appel une décision plus favorable en retenant qu’elle ne versait à l’appui de sa démonstration de perte de chance que ses seules conclusions n°2 produites devant la cour d’appel de Rouen et les pièces qu’elle avait communiquées à l’appui à l’exclusion des conclusions et pièces adverses, ne lui permettant pas de reconstituer utilement le procès qui se serait déroulé devant la cour d’appel de Rouen et d’évaluer la certitude de la perte de chance subie.
Mme [W] fait valoir que :
– les premiers juges ont inversé la charge de la preuve,
– les pièces non produites en première instance ne lui ont été communiquées par la société Odinot que lors de l’incident soulevé le 18 janvier 2021 devant le conseiller de la mise en état,
– elle a perdu une chance de voir le jugement de première instance infirmé en appel dès lors que :
– la cour d’appel de Rouen n’aurait pu que constater l’absence de motivation de la lettre de licenciement et juger celui-ci sans cause réelle et sérieuse,
– la société Neo Security, d’une part, ne démontrait pas l’existence de difficultés économiques dans la mesure où elle a eu une croissance externe très importante l’année de son licenciement, marquée par une succession d’acquisitions (dont celle de la société Brink’s) et d’autre part, n’a pas rempli son obligation de reclassement, aucun descriptif de poste n’ayant été attaché aux deux propositions de poste qui étaient de catégorie inférieure à son statut de cadre, de sorte que la cour d’appel de Rouen aurait relevé l’absence de motif économique sérieux du licenciement,
– pour tenter de justifier son licenciement, la société Neo Security prétendait que la suppression de son poste d’assistante responsable affaires sociales relevait d’une restructuration alors qu’après son licenciement, la société diffusait dès juillet 2010 une offre d’emploi concernant un poste d’assistant ressources humaines basé en Ile-de-France, dont les missions et le lieu d’exercice correspondaient aux siens, ce qui aurait amené la cour d’appel de Rouen à requalifier son licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– la société Neo Security n’a pas communiqué les critères d’ordre du licenciement, malgré sa demande du 22 juillet 2010, violant ainsi les articles L1233-17 et R1233-1 du code du travail qui disposent que l’employeur doit communiquer au salarié qui en fait la demande, les critères d’ordre du licenciement dans les 10 jours suivant la présentation de la demande du salarié, ce qui lui a nécessairement causé un préjudice selon la jurisprudence dont l’indemnisation se cumule avec l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
– Mme [J] avait chiffré ses demandes à la somme totale de 154 018,70 euros et son préjudice au titre de la perte de chance perdue doit être chiffré à cette somme,
– le lien de causalité entre la faute de ses avocates et ses préjudices ne peut être contesté et cela d’autant plus que Mme [J] lui avait indiqué qu’elle estimait nécessaire d’interjeter appel du jugement du conseil de prud’hommes.
Les intimés répondent que :
– le préjudice ne peut être consistué que d’une perte de chance de voir le jugement infirmé, laquelle est inexistante en ce que :
– le licenciement économique est intervenu dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), non contesté devant les juridictions administratives et notifié le 20 avril 2010,
– le jugement, parfaitement motivé, a estimé que le licenciement reposait sur une cause économique, réelle et sérieuse et à ce sujet, les conclusions de la société Neo Security produites par Mme [W] sont particulièrement motivées et ont justement emporté la conviction des premiers juges, notamment concernant les difficultés économiques traversées par la société à l’époque du licenciement, laquelle a enregistré une perte de 16 millions d’euros au cours du 1er semestre 2010 et a été placée ainsi que toutes les sociétés du groupe en procédure de sauvegarde pendant plus de 9 mois à compter du 14 mars 2011, la société Neo Security ayant été contrainte de faire une déclaration de cessation des paiements le 27 avril 2012,
– le recrutement d’un nouveau directeur des ressources humaines en 2009 se justifiait par la croissance externe du groupe et son périmètre d’intervention était beaucoup plus large que celui de Mme [W] qui était limité à l’établissement de [Localité 14],
– le jugement a débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour non communication des critères d’ordre de licenciement aux motifs qu’elle a quitté son emploi le 28 avril 2010 et n’a demandé la communication des critères de licenciement que le 22 juillet 2010, soit au-delà du délai de dix jours prévu aux articles L 1233-17, L1233-43 et R 1233-1 du code du travail,
– le jugement a débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts pour violation des critères d’ordre des licenciements en retenant que la société a bien respecté lesdits critères fixés par l’établissement en application d’un accord d’entreprise et Mme [W] ne produit aucune pièce permettant de justifier d’une infirmation éventuelle du jugement sur ce point,
– les chances de voir le jugement prud’homal infirmé, en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande de prime de libération dont l’avenant à son contrat de travail rappelait le principe d’une prime discrétionnaire et les rappels de salaires et autres demandes ne sont pas davantage établis dont celle d’obtenir des dommages et intérêts pour non-respect des obligations de l’employeur dans le cadre du congé de reclassement, Mme [W] ayant refusé les deux propositions de reclassement de l’employeur,
– à titre subsidiaire, Mme [W] n’établit aucun lien de causalité entre la faute et le préjudice et réclame les montants sollicités devant le conseil des prud’hommes sans tenir compte de l’aléa judiciaire inhérent à toute procédure, de sorte que le préjudice découlant de la perte de chance ne peut qu’être symbolique.
L’engagement de la responsabilité de l’avocat, sur le fondement de l’article 1147 du code civil dans sa version applicable aux faits, nécessite la démonstration d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité.
Le préjudice relevant de la perte d’une voie d’accès au juge constitue nécessairement une perte de chance, liée à la disparition actuelle et certaine d’une éventualité favorable, celle d’obtenir gain de cause. Il convient d’évaluer les chances de succès du recours manqué en reconstituant le procès qui n’a pas eu lieu, à l’aune des dispositions légales qui avaient vocation à s’appliquer au regard des prétentions et demandes respectives des parties ainsi que des pièces en débat.
Il appartient à l’appelante d’apporter la preuve que la perte de chance est réelle et sérieuse et si une perte de chance même faible est indemnisable, la perte de chance doit être raisonnable et avoir un minimum de consistance.
En toute hypothèse, la réparation de la perte de chance doit être mesurée en considération de l’aléa jaugé et ne saurait être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée.
La cour est en mesure d’évaluer la perte de chance alléguée au vu des conclusions de la société Neo Security déposées en juin 2012 et de celles de Mme [W] qui n’ont pas été déposées régulièrement en décembre 2012 et des pièces communiquées par les parties , étant précisé que seule une nouvelle pièce, intitulée ‘ tableau d’analyse des entrées de la société Neo Security’ était produite en appel par Mme [W].
– s’agissant du grief relatif au licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le conseil de prud’hommes s’est fondé sur l’existence de résultats dégradés depuis plusieurs années au vu des liasses fiscales et des bilans et l’absence d’effet positif des mesures prises pour enrayer les difficultés économiques du groupe pour retenir la cause réelle et sérieuse du licenciement et a estimé que la lettre de licenciement était suffisament motivée et l’obligation de reclassement respectée.
En vertu de l’article L1233-16 du code du travail, la lettre de licenciement doit mentionner les motifs économiques invoqués par l’employeur et selon la jurisprudence, l’insuffisance de motivation rend le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Toutefois, la Cour de cassation (chambre sociale 16 décembre 2008) considérait comme suffisamment motivée la lettre précisant la cause économique du licenciement et sa conséquence sur l’emploi du salarié concerné.
Mme [W] relevait que la lettre de licenciement se limitait à indiquer : “la restructuration de l’entreprise entraîne la suppression de votre poste” sans expliquer en quoi cette restructuration avait une incidence sur son poste.
Toutefois, la société Neo Security rétorquait à juste titre que la lettre contenait à la fois la description des difficultés économiques et financières rencontrées par la société Neo Sécurity et le groupe auquel elle appartenait et l’indication que ces difficultés avaient conduit à une restructuration de l’entreprise ayant entraîné la supression de son poste, la lettre visant une structure administrative inadaptée et le fait que ‘ Neo n’avait d’autre choix que de réduire ses effectifs à un juste niveau, afin de lui permettre de satisfaire les besoins de la clientèle, dans de bonnes conditions, sans avoir à supporter un sureffectif engendré et entretenu par des pertes significatives de contrats, facteur premier de la baisse du chiffre d’affaires de la société’.
Mme [W] ne justifie pas d’une perte de chance réelle et sérieuse de voir le jugement infirmé sur ce point.
Selon l’article L.1233-3 du même code, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.
L’examen des bilans de la société Neo Security (anciennement G4S jusqu’en mars 2009), de l’exercice 2006 à celui de l’exercice arrêté en juin 2010, démontre que, de manière régulière, le chiffre d’affaires a baissé de 206 429 000 à 90 861 euros et le résutat net d’exploitation de moins 2 925 000 à moins 15 980 000 euros et les licenciements dont celui de Mme [W] ont été envisagés dans le plan de sauvegarde de l’entreprise qui a été accepté par les organes représentatifs des salariés.
Mme [W] se prévaut inutilement tant du projet de plan de restructuration et du business plan établi lequel n’était qu’une projection des résultats espérés, que de l’ annonce de la société dans son journal interne indiquant que ‘ Neo Security renforce ses positions et prépare sa croissance en 2010″ laquellle faisait référence à de nouvelles acquisitions du groupe fin 2009, alors que ces acquisitions qui avaient pour but de développer la croissance externe du groupe afin de rétablir son équlibre financier ne sont pas de nature à remettre en cause le motif économique de son licenciement et que le placement de la société Neo Security et de toutes les autres sociétés du groupe Neo sous sauvegarde en 2011 démontre que la situation économique a continué de s’aggraver postérieurent à son licenciement.
Dans ses conclusions devant la cour d’appel de Rouen, la société Neo Security indiquait que le plan de sauvegarde de l’emploi communiqué et approuvé par les organes de représentation du personnel prévoyait la suppression d’un poste d’assistante du responsable des affaires sociales au sein de l’établissement de Montrouge/Boulogne et qu’il précisait qu’une profonde réorganisation de la direction des ressources humaines était nécessaire.
Mme [W] échoue à prouver son allégation selon laquelle son poste n’a pas été supprimé. En effet, elle occupait un poste d’assistante du responsable des relations sociales, en qualité de cadre, alors que le poste offert en juillet 2010 par la société Neo Security est un poste d’assistante ressources humaines destiné à un agent de maîtrise dont la mission (suivi des dossiers individuels des salariés, élaboration et gestion des supports de suivi et gestion des ressources humaines etc) est très différente de celle de Mme [W] telle qu’elle ressort de son contrat de travail ( gestion des envois de convocations aux différentes réunions des CE, CHSCT, CEE etc, gestion des désignation des organisations syndicales, suivi des heures de délégation, etc), étant précisé que la société Neo Security, dans ses conclusions devant la cour d’appel de Rouen, relevait que son poste comprenait des missions limitées aux relations sociales et que Mme [W] ne rapporte pas la preuve contraire.
Enfin, contrairement à ce que soutient Mme [W], les deux propositions de reclassement adressées par lettres du 7 avril 2020, à savoir un poste d’assistante ressources humaines à [Localité 12] et un poste de secrétaire administrative à [Localité 13], comportaient une fiche de description d’emploi très détaillée sur les missions confiées et elle ne peut reprocher à la société de lui avoir fait des propositions de catégorie inférieure à son statut de cadre alors que l’article L.1233-4 du code du travail en prévoit la possibilité sous réserve de l’accord du salarié.
Mme [W] échoue à démontrer l’existence d’une perte de chance sérieuse de voir dire le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
– s’agissant du grief relatif à l’absence de communication des critères d’ordre du licenciement
Selon l’article L.1233-17 du code du travail, sur demande écrite du salarié, l’employeur indique par écrit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements.
L’article R.1233-1 du même code précise :
Le salarié qui souhaite connaître les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements adresse sa demande à l’employeur, en application des articles L.1233-17 et L.1233-43, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, avant l’expiration d’un délai de dix jours à compter de la date à laquelle il quitte effectivement son emploi.
L’employeur fait connaître les critères qu’il a retenus pour fixer l’ordre des licenciements, en application de l’article L.1233-5, par lettre recommandée avec avis de réception ou remise contre récépissé, dans les dix jours suivant la présentation ou de la remise de la lettre du salarié.
Ces délais ne sont pas des délais francs. Ils expirent le dernier jour à vingt-quatre heures.
Le conseil de prud’hommes a relevé que Mme [W] a quitté son emploi le 28 avril 2010 et qu’elle n’a demandé la communication des critères d’ordre des licenciements que le 22 juillet suivant soit largement hors du délai prévu pour ce faire et Mme [W] apparaît dès lors mal fondée à prétendre que l’absence de réponse de la société Neo Security est fautive et lui a causé un préjudice. Elle ne justifie d’aucune perte de chance d’obtenir satisfaction à ce titre.
– s’agissant du grief relatif à la violation des critères d’ordre des licenciements
Le conseil de prud’hommes a considéré que Mme [W] était la seule personne de son établissement dans la catégorie professionnelle visée par la suppression de poste et que même si
l’employeur avait appliqué les critères d’ordre des licenciements de façon plus large au sein de l’établissement, les documents fournis au dossier démontrent qu’ils lui auraient été défavorables.
Mme [W] fait valoir que l’employeur viole ses obligations lorsqu’il ne respecte pas les critères fixés par le texte conventionnel ou par lui-même, ou en fait une mauvaise application, volontairement ou involontairement, ou ne respecte par l’ordre des licenciements établis selon ces critères et que le non respect de ces règles constitue un préjudice pour le salarié pouvant avoir pour conséquence de rendre son licenciement injustifié.
Elle reproche au conseil de prud’hommes d’avoir retenu qu’elle était rattachée à l’établissement de Montrouge alors qu’elle n’a jamais été rattachée administrativement à cet établissement, ses bulletins de salaires, documents sociaux liés à son départ tels que l’attestation Pôle Emploi démontrant qu’elle était rattachée au siège social. Elle fait valoir que la société Neo Security a manipulé les documents afin de déguiser son licenciement alors que de nombreux postes correspondant à ses compétences ont été identifiés, tous objet de recrutements, internes ou externes.
Tant le contrat de travail que les bulletins de salaires de Mme [W] la ratttachaient administrativement au siège de sorte qu’elle ne dépendait effecitvement pas de l’établissement de Montrouge dans lequel elle est restée seule à travailler lorsque les services du siége ‘administratif’ de la société, en ce compris le service des ressources humaines, ont déménagé de Montrouge à Paris, ainsi qu’il ressort des conclusions de Mme [W] qui devaient être déposées devant la cour d’appel de Rouen.
Il résulte du projet de licenciement collectif pour motif économique soumis au comité central d’entreprise et aux comités d’établissements de la société Neo Security que les critères d’ordre des licenciements retenus étaient l’ancienneté, la réinsertion professionelle, la charge de famille et les qualités professionnelles.
La société Neo Security a mentionné dans ses conclusions d’appel que par accord du 7 août 2009, les organisations représentatives dans l’établissement ont convenu d’appliquer les critères d’ordre des licenciements établissement par établissement, les salariés ayant obtenu le moins de points dans leur catégorie professionnelle au sein de leur établissement ou ceux relevant d’une catégorie de leur établissement où tous les postes sont supprimés faisant l’objet d’un licenciement.
La catégorie professionnelle est définie selon la jurisprudence comme un groupe de salariés qui exercent au sein de l’entreprise des fonctions de même nature supposant une formation professionnelle commune.
La société Neo Security soutenait devant la cour d’appel de Rouen que les fonctions des postes cités par Mme [W] étaient différentes de celles qu’elle occupait et qu’elle n’avait pas forcément les compétences pour les exercer et que s’il devait être admis que Mme [K] et elle qui occupaient toutes deux un poste d’assistante au sein de la direction des ressources humaines relevaient de la même catégorie professionnelle, Mme [W] aurait été désignée par les critères d’ordre puisque Mme [K] aurait obtenu davantage de points en application des critères d’ordre en raison de son ancienneté plus importante et des deux enfants qu’elle avait à charge.
Mme [W] ne pouvait prétendre être dans la catégorie professionnelle des res ponsables ressources humaines région Ile de France ni dans celle des assistants de directeur des ressources humaines, de directeur général opération ou de directeur de région ou encore de chargé de développement des ressources humaines.
Par ailleurs, elle ne prétend aucunement que la société Neo Security aurait violé les critères d’ordre s’agissant du maintien du poste de Mme [K].
Dès lors, elle ne justifie pas que son employeur aurait fait volontairement une mauvaise application des critères d’ordre ni qu’il ne les aurait pas respectés en la licenciant plutôt qu’un autre salarié.
Elle ne justifie donc pas d’une perte de chance réelle et sérieuse de réformation du jugement du conseil des prudd’hommes sur ce point.
– s’agissant de la ‘prime libération’, des rappels de salaire pour jours de RTT, du complément d’indemnité compensatrice de congés payés, le rappel d’indemnité de congé de reclassement et la demande de dommages et intérêts pour non respect des obligations de l’employeur dans le cadre du congé de reclassement et de l’organisation d’une visite médicale
Mme [W] qui a été déboutée du paiement des sommes réclamées à ces titres par le conseil de prud’hommes et qui les inclut dans l’assiette du préjudice dont elle réclame l’indemnisation au titre d’une perte de chance, ne développe aucun moyen qui tendrait à l’infirmation du jugement dont elle n’a pu obtenir une décision en appel de sorte qu’elle n’établit pas avoir perdu une chance d’obtenir gain de cause en appel s’agissant de ces demandes, étant souligné au surplus que le conseil des prud’hommes avait relevé que la prime libération avait été réglée et que le versement de la prime complémentaire était accordé de manière discrétionnaire par l’employeur, que ce dernier avait respecté son obligation de reclassement en proposant deux postes et que pour les autres demandes, Mme [W] n’apportait aucune explication ni aucun justificatif.
Il s’en déduit que l’appelante ne justifie d’aucune perte de chance réelle et sérieuse d’obtenir l’infirmation du jugement du conseil de prud’hommes et d’obtenir une quelconque indemnisation.
Le jugement est confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de ses demandes, par substitution de motifs.
2. Sur le préjudice causé par le paiement de factures d’honoraires
Le tribunal a débouté Mme [W] de sa demande à ce titre au motif qu’elle n’établissait pas que des honoraires ont bien été versés par elle dans le cadre de la procédure d’appel.
Mme [W] prétend que son préjudice s’étend au remboursement des frais d’honoraires versés à Mme [J] dans le cadre de la procédure d’appel et les intimés rétorquent qu’elle tente vainement d’obtenir un remboursement d’honoraires en violation de l’article 174 du décret du 27 novembre 1991.
Les premiers juges ont considéré à bon droit que la réclamation du montant des honoraires versés en pure perte en raison des fautes imputées à l’avocat ne s’analyse pas en une demande de taxation soumise aux dispositions des articles 174 et suivants du décret du 27 novembre 1971.
Toutefois, Mme [W] réclame à tort le remboursement des deux provisions sur honoraires qu’elle a versées en 2009 et 2010 correspondant aux conseils et assistances dans le cadre de ses relations avec son employeur dans le contexte du plan de restrucuration puis dans la procédure de licenciement, en l’absence de lien de causalité entre la faute et le préjudice.
Par ailleurs, si la convention d’honoraire signée par Mme [W] en février 2011 mentionnait deux provisions de 2 000 euros HT à verser, l’une en première instance et l’autre en cas d’appel, Mme [W] ne justifie aucunement de leur paiement et notamment de celle prévue en cas d’appel qui seule aurait pu faire l’objet d’une indemnisation en lien de causalité avec la faute commise par les avocats en appel.
Le jugement est donc confirmé en ce qu’il a débouté Mme [W] de sa demande de dommages et intérêts à ce titre.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions relatives aux dépens de première instance sont confirmées.
Les dépens d’appel doivent incomber à Mme [W], partie perdante et pourront être recouvrés selon les modalités de l’article 699 du code de procédure civile.
La faute des intimées étant confirmée en appel, il n’y a pas lieu de faire droit à leur demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour,
Confirme le jugement en toutes ses dispositions,
Condamne Mme [Y] [W] aux dépens, dont distraction au profit de la Selarl Ingold & Thomas,
Dit n’y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
LE GREFFIERE LA PRÉSIDENTE