Madame [F] [D], née le 27 janvier 1962, a engagé une procédure contre les sociétés S.A.S. QUANTE et S.A.S. DECONSTRUCTAM suite à des malfaçons et des retards dans les travaux de reconstruction de sa maison, après un incendie. Un contrat de maîtrise d’œuvre avait été signé avec la société QUANTE, qui a délégué les travaux de démolition à la société DECONSTRUCTAM, cette dernière étant radiée du registre du commerce avant le début des travaux. Un arrêté préfectoral a bloqué la déclaration préalable de construction, nécessitant un permis de construire qui a été accordé par la mairie en février 2022. Des malfaçons ont été constatées lors d’une expertise amiable en janvier 2023, entraînant des mises en demeure pour obtenir des justificatifs d’assurance et des paiements. Madame [D] a assigné les deux sociétés en avril 2023, demandant des réparations financières pour les manquements contractuels et les préjudices subis. Le tribunal a condamné la société QUANTE à verser 78.139,77 euros et la société DECONSTRUCTAM à 66.000 euros, ainsi qu’une indemnisation pour préjudice de jouissance et des frais de justice. Les demandes supplémentaires de Madame [D] ont été rejetées.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE LYON
Chambre 3 cab 03 C
N° RG 23/03091 – N° Portalis DB2H-W-B7H-X24E
Jugement du 17 Octobre 2024
Notifié le :
Grosse et copie à :
Me Jacques LEROY – 1911
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Tribunal judiciaire de LYON, statuant publiquement et en premier ressort, a rendu, le 17 Octobre 2024 devant la Chambre 3 cab 03 C le jugement réputé contradictoire suivant,
Après que l’instruction eut été clôturée le 13 Novembre 2023, et que la cause eut été débattue à l’audience publique du 18 Juin 2024 devant :
Julien CASTELBOU, Président,
siégeant en formation Juge Unique,
Assisté de Anne BIZOT, Greffier,
DEMANDERESSE
Madame [F] [D]
née le 27 Janvier 1962 à [Localité 7],
demeurant [Adresse 5] – [Localité 6]
représentée par Maître Jacques LEROY, avocat au barreau de LYON
DEFENDERESSES
S.A.S. DECONSTRUCTAM,
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 2] – [Localité 4]
défaillante
S.A.S. QUANTE,
prise en la personne de son représentant légal
dont le siège social est sis [Adresse 1] – [Localité 3]
défaillante
Suite à l’incendie de son habitation, Madame [D] a conclu un contrat de mission OPC avec la société QUANTE ayant pour objet la maîtrise d’œuvre pour la reconstruction de sa maison.
Le 16 février 2021, une déclaration préalable à la réalisation de construction et travaux non soumis à permis de construire portant sur une maison individuelle a été déposée par la société QUANTE.
Au cours du mois d’avril 2021, les travaux de démolition, confiés à la société DECONSTRUCTAM par la société QUANTE, ont démarré, la société DECONSTRUCTAM ayant alors déjà été radiée d’office du RCS le 12 mai 2020 en application de l’article R123-136 du Code de commerce (absence de régularisation après expiration d’un délai de trois mois suivant mention d’office de cessation d’activité, cette dernière ayant été fixée au 10 février 2020).
Par arrêté préfectoral du 07 avril 2021, le Préfet du Rhône a fait opposition à la déclaration préalable, considérant que le projet devait être soumis à permis de construire.
Le 8 novembre 2021, une demande de permis de construire pour une maison individuelle a été déposée par la société QUANTE.
Par arrêté municipal du 03 février 2022, la mairie d’[Localité 6] a accordé le permis de construire.
Aucune déclaration d’ouverture de chantier n’a été déposée en mairie.
Le déroulement du chantier a entrainé de nombreux échanges entre Madame [D] et Monsieur [C] de la société QUANTE relativement au retard de travaux et aux malfaçons de toiture et de maçonnerie empêchant l’intervention des autres entreprises.
Une expertise amiable a été réalisée à la demande de Madame [D] le 24 janvier 2023, la société QUANTE dûment convoquée. Monsieur [X], expert, a rendu son rapport le 20 février 2023, constatant de nombreuses non-conformités aux règles de l’art.
Par courrier LRAR réceptionné le 20 mars 2023, le conseil de Madame [D] a mis en demeure la société QUANTE de lui transmettre les justificatifs d’assurance décennale et toutes autres assurances relatives au chantier et de régler la somme de 78.139,77 euros.
Par courrier LRAR du 17 mars 2023, le conseil de Madame [D] a mis en demeure la société DECONSTRUCTAM de lui transmettre ses justificatifs d’assurance, de justifier le traitement des déchets amiante du chantier et de lui régler la somme de 66.000 euros.
Ledit courrier a été retourné pour motif de destinataire inconnu à l’adresse indiquée.
Par exploits du 14 avril 2023 Madame [F] [D] a assigné la SAS QUANTE et la société DECONSTRUCTAM (PV 659) devant la présente juridiction.
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Aux termes de son assignation, Madame [F] [D] sollicite d’entendre le Tribunal, au visa des articles 1103, 1231-1, 1231-2, 1240 et 1241 du Code civil :
– Condamner la société QUANTE à lui régler la somme de 78.139,77 euros correspondant à sa défaillance dans sa mission OPC et aux malfaçons des planchers bois, de la charpente et de la couverture qui lui sont imputables,
– Condamner la société DECONSTRUCTAM à lui régler la somme de 66.000 euros correspondant aux malfaçons de la maçonnerie qui lui sont imputables, outre les intérêts légaux à compter de la mise en demeure du 17 mars 2023,
– Ordonner la capitalisation des intérêts en application de l’article 1343-2 du Code civil,
– Condamner solidairement la société QUANTE et la société DECONSTRUCTAM à régler à Madame [F] [D] la somme forfaitaire de 2.000 euros par mois depuis le 24 janvier 2023, à parfaire jusqu’à la décision à intervenir,
– Condamner solidairement la société QUANTE et la société DECONSTRUCTAM à l’indemniser à hauteur de 50.000 euros,
– Condamner solidairement la société QUANTE et la société DECONSTRUCTAM à lui verser la somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile, outre aux entiers dépens,
– Dire n’y avoir lieu d’écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
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Les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM, valablement assignées, n’ont pas constitué avocat.
En application des dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile, il est expressément renvoyé à l’assignation de Madame [D] pour l’exposé exhaustif de ses prétentions et moyens.
La clôture de la procédure a été prononcée au 13 novembre 2023.
I. Sur la demande de condamnation de la société QUANTE au titre des malfaçons
Au soutien de sa demande, Madame [D] fait valoir que la société QUANTE n’a pas respecté ses engagements contractuels résultant du contrat de mission OPC conclu le 12 février 2021 en ce que la coordination des entreprises sur le chantier a été défaillante, tout autant que le suivi de la réalisation des différents lots et, de fait, le respect du délai prévisionnel d’achèvement des travaux, le chantier ayant été finalement abandonné.
Elle relève ainsi l’existence de malfaçons concernant le plancher de bois, la charpente et la couverture, tous ces travaux ayant été facturés par la société QUANTE et nécessitant une reprise totale selon avis de l’expert.
Réponse du tribunal,
En application de l’article 1147 du Code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.
En l’espèce, il ressort du contrat de mission OPC conclu entre Madame [F] [D] et la société QUANTE que cette dernière avait une mission, facturée 14.139,77 euros, ainsi définie :
« La mission confiée à l’économiste OPC par le maître de l’ouvrage consiste, exclusivement en une mission d’économie de la construction en phase partielle de conception et en phase partielle de réalisation ainsi que des missions d’ordonnancement strict de planning ».
Il en résultait pour elle, notamment, la charge d’organiser le chantier avec chaque entreprise ; l’élaboration du planning détaillé des travaux en concertation avec les entreprises ; contrôle des délais d’exécution, constat des retards d’exécution pour le suivi de l’économie du chantier (…).
A l’inverse, il apparait qu’était expressément exclues des missions de la société QUANTE, ès qualités d’économiste OPC, la mission de direction de l’exécution des travaux et toutes prestations touchant aux aménagements extérieurs du bâtiment et autres avoisinants.
Partant, il est manifeste au regard des problèmes dans l’avancement du chantier, de l’absence de transmission des documents d’assurance, d’absence d’affichage du permis de construire ou encore de toute mention des entreprises ayant réalisés les travaux de charpente et de couverture facturés par la société QUANTE elle-même, que celle-ci a manqué à ses obligations résultant du contrat susmentionné et qu’il en est résulté une réalisation défectueuse et inachevée des travaux dont la reprise totale a été chiffrée par l’expert à la somme de 130.000 euros, répartie à hauteur de 66.000 € TTC pour les travaux de maçonnerie, 48.000 TTC pour les travaux de charpente planchers, 16.000 € TTC pour les travaux de couvertures.
Relevant que les travaux de maçonnerie, en ce compris le désamiantage, ont fait l’objet d’une facturation de la société DECONSTRUCTAM, il y a lieu au regard de la responsabilité et des manquements propres à la société QUANTE, de condamner cette dernière à payer à Madame [D] la somme de 78.139,77 euros au titre des travaux de reprise et de l’inexécution de ses obligations contractuelles, somme correspondant au montant de son contrat OPC et aux travaux de charpente planchers et couvertures par elle facturés.
II. Sur la demande de condamnation de la société DECONSTRUCTAM au titre des malfaçons
Au soutien de sa demande, Madame [D] fait valoir que la société DECONSTRUCTAM, qui a facturé les travaux de maçonnerie, comprenant le désamiantage, n’a pas réalisé les travaux qui lui incombaient de manière conforme aux règles de l’art et au DTU 20.1 et n’a pas procédé à la complète évacuation des déchets amiantés, la société ayant tout simplement abandonné le chantier.
Réponse du Tribunal,
Vu l’article 1147 du Code civil susmentionné ;
Il ressort du rapport d’expertise et des diverses constatations et échanges de courriers entre les parties, que les travaux réalisés par la société DECONSTRUCTAM n’ont pas été réalisés de manière conforme aux règles de l’art et aux diverses réglementations, empêchant l’intervention des autres corps de métier et conséquemment l’avancement correct du chantier.
En outre, alors même que la société DECONSTRUCTAM n’apparait pas dûment habilitée à réaliser des travaux de désamiantage, il ressort des mêmes éléments que de nombreux déchets amiantés subsistaient sur le chantier au jour de l’expertise, nécessitant l’intervention d’une entreprise spécialisée pour leur bon traitement.
Partant, et relevant que l’expert judiciaire chiffrait les travaux nécessaires à la bonne réalisation des travaux qui incombaient à la société DECONSTRUCTAM, au regard des nombreuses non-conformités et de l’inexécution complète de ses obligations, à la somme de 66.000 euros, il convient de condamner ladite société à payer à Madame [D] la somme de 66.000 euros au titre de la reprise des travaux de maçonnerie et de traitement des déchets amiantés, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 mars 2023 et application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil tendant à la capitalisation des intérêts échus.
III. Sur les demandes au titre des autres préjudices
Madame [D] fait valoir un préjudice de jouissance du fait du retard des travaux dont la réalisation devait initialement se faire dans un délai prévisionnel de six mois, l’obligeant à vivre depuis le 24 janvier 2023 dans des installations précaires au sein d’un camp de gens du voyage, préjudice qu’elle estime à hauteur de 2.000 € par mois depuis cette date et jusqu’à la présente décision.
En outre, elle sollicite une somme de 50.000 euros au regard de la perte de garantie dont elle aurait pu bénéficier, les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM n’ayant pas souscrit d’assurance dommage-ouvrage, ainsi qu’en considération de « la légèreté administrative » dont a fait preuve la société QUANTE pour l’obtention du permis de construire et son affichage, et enfin une absence de suivi de courrier par les deux sociétés susmentionnées.
Réponse du Tribunal,
Vu l’article 1147 du Code civil susmentionné ;
En l’espèce, il n’est pas contestable que l’inexécution de ses obligations par la société QUANTE a été à l’origine de la mauvaise conduite du chantier et de l’irrespect du délai prévisionnel arrêté par les parties, au même titre que les manquements de la société DECONSTRUCTAM qui a fini par abandonner le chantier.
Or, il ne peut être contesté que l’absence de réalisation de l’ouvrage, destiné à être occupé à titre d’habitation principale par Madame [D], a obligé cette dernière à solliciter sa proche famille et à trouver une solution d’urgence provisoire qui s’est anormalement inscrite dans le temps long, engendrant un préjudice de jouissance certain.
Pour autant, le chiffrage de son préjudice par Madame [D], dont le quantum n’est pas justifié, ne saurait être adopté par le Tribunal. Il n’en demeure pas moins qu’un préjudice dont l’existence a été constatée par le Juge oblige celui-ci à le chiffrer même en l’absence de tout élément ; il apparait dès lors qu’il est juste d’évaluer le préjudice de jouissance à une somme équitablement fixée à 10.000 € eu égard à la durée de celui-ci.
En conséquence, les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM seront condamnées à payer à Madame [D] la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice de jouissance.
A l’inverse, la demande tendant au paiement d’une somme de 50.000 € n’apparait fondée ni en fait ni en droit, ne reposant que sur des allégations ou étant l’objet d’indemnisation à un autre titre, sera rejetée.
IV. Sur les demandes de fin de jugement
Aux termes de l’article 696 du Code de procédure civile, les parties perdantes sont condamnées aux dépens, à moins que le Juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
En l’espèce, les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM supporteront in solidum les entiers dépens de l’instance.
Aux termes de l’article 700 du Code de procédure civile, le Juge condamne les parties tenues aux dépens ou qui perdent leur procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans tous les cas, le Juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d’office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu’il n’y a lieu à ces condamnations.
En l’espèce, la société QUANTE et la société DECONSTRUCTAM seront condamnées in solidum à payer à madame [F] [D], la somme qu’il est équitable de fixer à 1.500 euros, à défaut de production de justificatifs, au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
Il n’y a lieu d’écarter l’exécution provisoire de la présente décision.
Le Tribunal, statuant publiquement, par jugement réputé contradictoire et en premier ressort ;
CONDAMNE la société QUANTE à payer à Madame [F] [D] la somme de 78.139,77 euros au titre des travaux de reprise et de l’inexécution de ses obligations contractuelles ;
CONDAMNE la société DECONSTRUCTAM à payer à Madame [F] [D] la somme de 66.000 euros au titre de la reprise des travaux de maçonnerie et de traitement des déchets amiantés, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 mars 2023 et application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil tendant à la capitalisation des intérêts échus ;
CONDAMNE in solidum les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM à payer à Madame [F] [D] la somme de 10.000 € en réparation de son préjudice de jouissance ;
CONDAMNE in solidum les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM à payer à Madame [F] [D] la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNE in solidum les sociétés QUANTE et DECONSTRUCTAM aux entiers dépens de l’instance ;
DEBOUTE Madame [F] [D] de ses demandes plus amples ou contraires ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Remis au greffe en vue de sa mise à la disposition des parties, le présent jugement a été signé par le Président, M. CASTELBOU, et le Greffier présent lors du prononcé, Mme BIZOT.
Le Greffier Le Président,