Constitution du contrat de location-accessionLe 17 février 2017, la société Nouveau logis de l’Est, devenue CDC Habitat social, a signé un contrat de location-accession avec Mme [Z] [V], épouse [M], et M. [I] [M] pour un logement situé à [Adresse 6]. Les époux [M] ont pris possession des lieux le 22 février 2017, avec un procès-verbal de livraison mentionnant des réserves. Levée d’option et transfert de propriétéLe 2 novembre 2017, les époux [M] ont notifié leur intention de lever l’option d’achat. Le transfert de propriété a été officialisé par acte notarié le 18 avril 2018, moyennant un prix de 235 254 euros. Après la prise de possession, ils ont demandé à CDC Habitat social de remédier aux réserves signalées lors de la livraison. Litige et action en justiceLes époux [M] ont reproché à CDC Habitat social de ne pas avoir agi pour réparer les désordres dans le cadre de la garantie de parfait achèvement. Ils ont saisi le tribunal de grande instance de Strasbourg le 4 novembre 2019, demandant la condamnation de la société à leur verser 20 869 euros pour les travaux nécessaires. Jugement du tribunal judiciaireLe 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a débouté les époux [M] de leurs demandes, considérant que la clause d’exclusion de garantie était opposable, car les désordres étaient apparents au moment de l’acquisition. Les époux [M] ont interjeté appel le 17 mars 2023. Arguments des époux [M] en appelDans leurs conclusions, les époux [M] ont soutenu que la clause limitative de responsabilité était abusive et que CDC Habitat social avait manqué à ses obligations contractuelles. Ils ont demandé l’infirmation du jugement et la condamnation de la société à leur verser des sommes pour préjudice matériel et moral. Position de CDC Habitat socialCDC Habitat social a demandé le rejet de l’appel, affirmant que la clause d’exonération était licite et que les époux [M] pouvaient toujours agir contre les entrepreneurs. Elle a également contesté la responsabilité pour la perte de chance et a soutenu avoir pris des mesures pour lever les réserves. Décision de la cour d’appelLa cour a infirmé le jugement du tribunal judiciaire, reconnaissant la responsabilité de CDC Habitat social pour sa carence dans la mise en œuvre de la garantie de parfait achèvement. Elle a condamné la société à verser aux époux [M] 11 644,28 euros pour préjudice matériel et 3 000 euros pour préjudice moral, ainsi qu’à couvrir les dépens de la procédure. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
aux avocats
Le 24 octobre 2024
La greffière,
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE COLMAR
DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 24 OCTOBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général : 2 A N° RG 22/01121 –
N° Portalis DBVW-V-B7G-HZNS
Décision déférée à la cour : 11 Janvier 2022 par le tribunal judiciaire de Strasbourg
APPELANTS et INTIMÉS SUR APPEL INCIDENT :
Monsieur [I] [M] et
Madame [Z] [V] épouse [M]
demeurant tous deux [Adresse 4] à [Localité 2]
représentés par la SELARL ACVF ASSOCIES, Avocats à la cour
plaidant : Me FIROBIND, Avocat au barreau de Strasbourg
INTIMÉE et APPELANTE SUR APPEL INCIDENT :
La S.A. CDC HABITAT SOCIAL, société anonyme d’habitations à loyer modéré prise en la personne de son représentant légal
ayant siège [Adresse 1] à [Localité 3]
représentée par Me Joseph WETZEL, Avocat à la cour
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 15 Février 2024, en audience publique, devant la cour composée de :
Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente de chambre
Madame Myriam DENORT, Conseillère
Madame Murielle ROBERT-NICOUD, Conseillère
qui en ont délibéré.
Greffière lors des débats : Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE
ARRÊT contradictoire
– prononcé publiquement, après prorogation le 13 juin 2024, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile.
– signé par Madame Isabelle DIEPENBROEK, Présidente, et Madame Corinne ARMSPACH-SENGLE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le 17 février 2017, la société Nouveau logis de l’Est, devenue par la suite la société CDC Habitat social, a conclu avec Mme [Z] [V], épouse [M], et M. [I] [M] un contrat de location-accession d’un logement pour une durée de 24 mois à compter de la constatation de l’achèvement du bien objet du bail, situé [Adresse 6], dans l’ensemble immobilier « [Adresse 5].
Les époux [M] sont entrés dans les lieux le 22 février 2017. À cette occasion, un procès-verbal de livraison et de remise des clés faisant état de réserves a été dressé.
Par lettre recommandée du 2 novembre 2017, les époux [M] ont notifié à la société CDC Habitat social leur souhait de lever l’option et d’acquérir le bien immobilier.
Selon acte notarié du 18 avril 2018, le transfert de propriété est intervenu au profit des époux [M] suite à la levée d’option, contre paiement d’un prix de 235 254 euros.
Suite à la prise de possession des lieux, les époux [M] ont demandé à la société CDC Habitat social de remédier aux réserves précisées dans le procès-verbal de livraison du 22 février 2017, en sa qualité de maître d’ouvrage à cette époque.
Reprochant à la venderesse de ne pas avoir agi à l’encontre des entrepreneurs afin d’obtenir la réparation de désordres réservés dans l’année de la garantie de parfait achèvement de l’immeuble, les époux [M] ont, par acte d’huissier du 4 novembre 2019, fait attraire cette dernière devant le tribunal de grande instance de Strasbourg aux fins, notamment, de voir constater qu’aucune remise de prix ne leur avait été accordée et d’obtenir la condamnation de la défenderesse à leur payer la somme de 20 869 euros correspondant au montant des travaux de reprise.
*
Par jugement contradictoire du 11 janvier 2022, le tribunal judiciaire de Strasbourg a :
– débouté Mme [Z] [V], épouse [M], et M. [I] [M] de leurs prétentions et les a condamnés aux dépens de la procédure ;
– dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile ;
– dit n’y avoir lieu à ordonner l’exécution provisoire de la présente décision.
Au visa de l’article 1103 du code civil et après examen de l’acte de transfert de propriété, suite à la levée d’option des accédants du 18 avril 2018, le tribunal a d’abord considéré que la clause d’exclusion de garantie pour quelque cause que ce soit et notamment de la garantie des vices cachés n’était pas opposable aux époux [M], s’agissant de cette garantie, dès lors que la société CDC Habitat social était un professionnel.
Toutefois, le tribunal a ajouté qu’en l’espèce, il s’agissait de désordres/non-conformités apparents ou connus au moment de l’acquisition du bien par les époux [M], le 18 avril 2018, pour avoir été signalés par ces derniers lors de la prise de
possession du bien le 22 février 2017, voire avant la signature de l’acte portant transfert de propriété. Dès lors, cette clause de non recours était valable et opposable aux époux [E], de sorte que leurs demandes à l’encontre de la société CDC devaient être rejetées.
*
Les époux [M] ont interjeté appel de ce jugement le 17 mars 2023, en toutes ses dispositions.
La clôture de l’instruction a été prononcée par ordonnance du 5 septembre 2023.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de leurs dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 avril 2023, les époux [M] demandent à la cour de les déclarer recevables et bien fondés en leur appel, d’infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau :
– de condamner la société CDC Habitat social :
* au paiement de la somme de 20 869 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 4 novembre 2019 ;
* au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts complémentaires, assortie des intérêts au taux légal à compter de l’assignation du 4 novembre 2019 ;
* au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Ils sollicitent également que la cour déboute la société CDC Habitat social de l’ensemble de ses moyens, fins et prétentions, et la déboute de son appel incident.
Au soutien de leur appel, les époux [M] font valoir, au visa des articles L. 212-1 et R. 212-1, 6° du code de la consommation, que la clause limitative de responsabilité litigieuse, en page 12 de l’acte du 18 avril 2018, est nulle pour être, de manière irréfragable, présumée abusive par le premier de ces textes, dès lors qu’elle a pour objet ou pour effet de « supprimer ou réduire le droit à réparation du préjudice subi par le consommateur, en cas de manquement par le professionnel à l’une quelconque de ses obligations », selon le second de ces textes, et sans qu’il soit nécessaire de distinguer entre vices cachés et vices apparents.
Ils soulignent que le contrat conclu entre les parties oblige le vendeur à l’ensemble des garanties légalement dues au titre des vices cachés ou apparents, dès lors qu’en pages 15 et 16 de l’acte du 18 avril 2018, il est prévu que le vendeur doit garantir l’accédant des vices cachés des articles 1792 et suivants, et « s’obliger à faire tout ce qui sera nécessaire dans le meilleur délai pour que tout désordre apparu puisse être réparé dans le cadre de la garantie de parfait achèvement », tout comme l’article 10 du contrat de location accession du 17 février 2017 prévoyant que le vendeur répond des garanties des vices et défauts de conformité apparents (article 1642-1 du code civil) et des vices cachés (article 1648 du code civil).
Ils concluent, au regard de ces stipulations, que la clause limitative de responsabilité en page 12 « Etat de l’immeuble ‘ Termites » ne semble donc concerner que la question des termites et se trouve au demeurant nulle pour contrevenir aux dispositions légales empêchant le vendeur professionnel de s’exonérer de la garantie des vices cachés.
Au visa des articles 1217 et 1231-1 du code civil, les époux [M], qui indiquent être devenus propriétaires de l’immeuble le 18 avril 2018, soit selon eux deux mois après l’expiration de la garantie de parfait achèvement, reprochent à la société CDC Habitat social de pas avoir exercé d’action à l’encontre des entrepreneurs afin de lever les désordres qu’ils avaient signalés dans l’année de cette garantie, au moment où elle était encore propriétaire du bien, et ce alors même qu’elle s’était obligée contractuellement à leur égard à s’assurer de la reprise des désordres signalés, relevant de l’article 1792-6 du code civil. Subsidiairement, ils entendent demander réparation d’une perte de chance de n’avoir pu actionner eux-mêmes la garantie de parfait achèvement auprès des entrepreneurs, sur le fondement de l’article 1240 du code civil.
Ils critiquent le moyen adverse selon lequel l’intimée se serait engagée à activer la garantie de parfait achèvement, sans pour autant garantir la reprise effective par les entrepreneurs ; ils font valoir qu’elle était tenue d’une obligation de résultat à leur égard concernant la reprise desdits désordres et qu’elle ne rapporte pas la preuve de ce qu’elle aurait entrepris des diligences à l’encontre des entrepreneurs. Ils reprochent à la société CDC Habitat Social de pas avoir fait intervenir d’entreprises tierces, alors même qu’elle leur avait indiqué envisager cette éventualité en cas d’inertie des entrepreneurs responsables.
Ils critiquent également le moyen selon lequel ils auraient toujours la possibilité d’agir à l’encontre des entrepreneurs et soulignent que le délai de prescription d’un an propre à cette garantie est expiré.
Ils précisent que la société CDC Habitat social ne peut contester l’existence des désordres non repris, puisqu’elle les a reconnus dans divers écrits, notamment dans des courriers du 15 mai 2019, puis du 25 juillet 2019. Ils ajoutent, concernant ce dernier courrier d’après lequel l’intimée aurait résolu certains désordres, selon quitus de levée de réserves du 23 septembre 2018 appuyant ses allégations, qu’il ne saurait valoir levée de réserves concernant des désordres non réparés de peinture et dans la salle de bain.
Ils soulignent que le geste commercial allégué par l’intimée, d’un montant de 1 346,88 euros, ayant eu pour objet selon elle de permettre la reprise du carrelage, correspondrait en réalité à un trop-perçu au titre de la redevance versée pour le mois de décembre 2017 dans le cadre de la phase jouissance du contrat location-accession, avant la levée d’option.
Concernant leur préjudice, ils versent aux débats plusieurs devis et critiquent la discussion des montants par l’intimée, tenue selon eux à une obligation de résultat et qui s’était engagée à reprendre les désordres dans les nombreux courriers échangés. Ils invoquent un préjudice moral en raison des tracas inhérents à la procédure et également de l’annulation d’un voyage en prévision d’une intervention qui n’a finalement pas eu lieu.
*
Aux termes de ses dernières conclusions transmises par voie électronique le 28 février 2023, la société CDC Habitat social demande à la cour de rejeter l’appel et de confirmer le jugement entrepris, sauf en ce qu’il a dit n’y avoir lieu à faire application de l’article 700 du code de procédure civile, de débouter les époux [M] de leurs demandes et de les condamner in solidum aux dépens ainsi qu’à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle estime que c’est à juste titre que le tribunal a retenu qu’elle n’engageait pas sa responsabilité pour les désordres liés à l’état du bien acquis, tel que le prévoyait l’acte de transfert de propriété du 18 avril 2018 en page 12.
Elle ajoute que cette clause est licite et opposable aux époux [M], qu’elle ne relève pas des clauses abusives visées à l’article R. 212-1, 6° du code de la consommation, puisque la clause d’espèce n’a nullement pour effet de réduire ou supprimer leur droit à réparation du préjudice allégué, dès lors que les appelants peuvent toujours engager des voies de recours à l’encontre des entrepreneurs, en vue d’obtenir l’entière réparation dudit préjudice sur le fondement du droit commun.
Elle fait valoir qu’elle a, selon une lettre du 14 mars 2019, relancé avec vigueur les prestataires à plusieurs reprises pour lever la totalité des réserves dans l’année de parfait achèvement. En outre, elle a bien réalisé un geste commercial à leur égard et conteste le moyen des appelants selon lequel cette somme aurait été le remboursement d’un trop perçu de redevance.
Elle soutient qu’elle ne s’était nullement engagée à reprendre elle-même les désordres, mais simplement à mettre en ‘uvre la garantie de parfait achèvement, tel que cela ressort de l’acte du 18 avril 2018, et qu’elle ne peut être tenue responsable de l’inertie des entrepreneurs.
Elle conteste sa responsabilité délictuelle à raison d’une perte de chance de n’avoir pu actionner la garantie de parfait achèvement auprès des différents entrepreneurs, estimant que sa faute ne peut résulter du fait de ne pas avoir pu convaincre les entrepreneurs d’intervenir pour reprendre les désordres allégués. Elle précise que la situation aurait été similaire si les époux [M] avaient pu actionner eux-mêmes cette garantie.
En outre, elle indique que les époux [M] ne démontrent pas, faute d’expertise judiciaire en ce sens, que les désordres allégués résulteraient d’une mauvaise réalisation des travaux de construction et non d’un mauvais usage par les acquéreurs, de sorte que la cause des désordres n’est pas justifiée et qu’aucune faute délictuelle ou contractuelle n’est démontrée. Elle souligne à ce titre que la liste des réserves émises à la livraison n’est pas produite.
Par ailleurs, elle critique le quantum des devis, qui témoigne de la volonté des époux [M] de remettre à neuf leur maison et qui semble disproportionné. Enfin, elle estime que le préjudice moral allégué est insuffisamment établi par les attestations adverses produites.
Pour l’exposé complet des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions notifiées et transmises aux dates susvisées.
I ‘ Sur la demande en indemnisation des époux [M]
A) Sur la responsabilité de la société CDC Habitat Social
En préalable, il convient de relever que les développements des époux [M] sur la clause d’exonération de garantie relative à l’état du bien et des vices cachés contenue à la page 12 de l’acte de transfert de propriété du 18 avril 2018 sont sans
emport, dans la mesure où cette clause ne prive pas de son effet les engagements pris par la venderesse à la page 16 du même acte concernant les désordres relevant de la garantie de parfait achèvement.
Or, la demande en indemnisation des appelants, fondée à titre principal sur la responsabilité civile contractuelle et à titre subsidiaire sur la responsabilité civile délictuelle de la société CDC Habitat Social, tend à voir reconnue la faute de cette dernière pour sa carence dans la mise en ‘uvre de la garantie de parfait achèvement, laquelle porte sur les désordres apparents, ayant fait l’objet de réserves à la réception.
À ce titre, l’acte de transfert de propriété du 18 avril 2018 stipule précisément, en page 16, dans le paragraphe relatif à la garantie de parfait achèvement, dont les règles légales sont rappelées : « L’accédant s’engage à signaler au vendeur les désordres apparaissant pendant la garantie de parfait achèvement dans les meilleurs délais, de manière à permettre au vendeur de mettre en ‘uvre la garantie de parfait achèvement due par l’entrepreneur. De son côté, le vendeur s’oblige à faire tout ce qui sera nécessaire dans le meilleur délai pour que tout désordre apparu puisse être réparé dans le cadre de la garantie de parfait achèvement ».
Pour la période antérieure, il convient de rappeler que l’acte de location-accession à la propriété du 17 février 2017 stipulait, en page 10, que, pour lui permettre d’exécuter son obligation d’achever les ouvrages, le vendeur conserverait jusqu’à leur réception la qualité de maître de l’ouvrage.
Or, la garantie de parfait achèvement court à compter de la réception, dont la date, dans la situation présente, n’est pas connue et qui est distincte de la livraison du bien aux acquéreurs, la réception étant un acte du maître de l’ouvrage vis-à-vis des intervenants à la construction. Toutefois, il peut être déduit des stipulations rappelées ci-dessus qu’en tout état de cause, le délai de garantie de parfait achèvement n’était pas écoulé lors de la signature de l’acte de transfert de propriété du 18 avril 2018, sauf à vider cette clause de toute portée.
Il est établi qu’à l’occasion de la livraison de leur logement, le 22 février 2017, les époux [M] avaient émis des réserves. Si celles-ci ne sont pas jointes au procès-verbal de livraison versé aux débats, il résulte des nombreux courriels échangés entre les parties dans les mois qui ont suivi et également après l’acte du 18 avril 2018, notamment dès les 7 et 18 juin 2018 qu’elles ont été portées à la connaissance de la société CDC Habitat Social, de manière à la mettre très largement en mesure de reprendre ces réserves lors de la réception des travaux avec les entrepreneurs concernés et d’exercer la garantie de parfait achèvement à l’encontre de ces derniers, auxquels elle a transmis de façon réitérée les réclamations des acquéreurs, au vu des courriels produits. D’ailleurs, l’intimée ne se plaint nullement de ce que les époux [M] n’auraient pas rempli leur engagement contractuel à lui signaler dans les meilleurs délais les désordres apparus pendant la durée de la garantie de parfait achèvement.
Dans l’acte du 18 avril 2018, la venderesse s’obligeait à « faire tout ce qui sera(it) nécessaire dans le meilleur délai pour que tout désordre apparu puisse être réparé dans le cadre de la garantie de parfait achèvement », y compris en mettant en ‘uvre cette garantie. C’est donc ce qu’il lui appartenait de faire en cas de défaillance ou de carence des entreprises concernées.
Or, si elle a relayé les réclamations des époux [M] auprès de ces dernières par différents courriels, elle n’a adressé une mise en demeure qu’à une seule entreprise, la société Trau, concernant l’évacuation de la douche, et seulement le 6 février 2019, après une intervention très tardive et sans effet de cette dernière. Elle n’a cependant tiré aucune conclusion de la carence de cette entreprise après cette mise en demeure. En particulier, dans un courriel du 20 mars 2019, suite au non-respect d’un rendez-vous avec les époux [M] par cette entreprise, elle n’a fait que menacer la société Trau de faire intervenir aux frais de cette dernière une autre entreprise, mais sans y procéder.
Or, l’absence de mise en demeure adressée aux autres entreprises responsables des désordres dénoncés par les acquéreurs, l’absence d’initiative de sa part, face à la carence de celles-ci, pour faire appel à d’autres entrepreneurs afin de réparer ces désordres, dont à plusieurs reprises, elle a évoqué l’éventualité, constituent des manquements à ses engagements rappelés plus haut, destinés à la mise en ‘uvre de la garantie de parfait achèvement. D’ailleurs, elle ne justifie pas même des réserves qu’elle a émises lors de la réception des travaux, dont elle ne produit aucun procès-verbal, n’en précisant même pas la date.
Dès lors, l’intimée n’a pas permis « que tout désordre apparu puisse être réparé dans le cadre de la garantie de parfait achèvement », comme elle s’y était contractuellement engagée. Par cette carence, la société CDC Habitat Social a donc commis une faute contractuelle engageant sa responsabilité vis-à-vis des acquéreurs et justifiant que soit mise à sa charge l’indemnisation de leurs préjudices en résultant.
B) ‘ Sur l’indemnisation du préjudice matériel des époux [M]
Le préjudice des époux [M] causé par la défaillance de la société CDC Habitat Social consiste en une perte de chance d’obtenir la réparation des désordres par les entrepreneurs concernés dans le cadre de la garantie de parfait achèvement, dont il peut être rappelé que sa mise en ‘uvre est indépendante de toute faute. Compte tenu des éléments du dossier qui ne font aucunement apparaître un risque quelconque de défaillance de ces entrepreneurs, qu’il appartiendrait en tout état de cause à la société CDC Habitat Social de démontrer, cette perte de chance doit être évaluée à 80 %.
S’agissant des désordres en cause, il résulte d’une lettre de la société CDC Habitat Social aux époux [M] du 15 mai 2019 que cette dernière, suite à une visite de l’appartement du 13 mai 2019, a proposé de prendre en charge les réparations de certains désordres déjà signalés dans la livraison de leur logement « ou pris en charge par la garantie de parfait achèvement », à savoir :
– dans la salle de bain du rez-de-chaussée, le problème d’évacuation des eaux : passage d’une caméra et intervention d’une entreprise en remplacement de la société Trau,
– dans le séjour : des traces de rouille sur la partie visible du conduit d’évacuation du poêle à bois : remplacement de la partie concernée du conduit,
– dans le séjour également : des traces en forme de cercles sur le sol pvc : remplacement du sol pvc au niveau de ces traces,
– sur la façade extérieure : remplacement d’une latte de bois fissurée (à gauche de l’entrée).
Il en résulte que, si la réponse qu’elle propose à chacun de ces désordres a pu apparaître incomplète aux yeux des époux [M], elle admet qu’ils n’ont pas été réparés et qu’elle doit les prendre en charge. Elle ajoute que « les autres désordres constatés, et entre autres le carrelage au sol dont la couleur ne satisfait pas » les époux [M], « ne seront pas traités car ils représentent des désordres esthétiques. » Elle affirme avoir consenti un geste commercial de 1 346 euros en contrepartie de ce désordre au sujet duquel les appelants ne fournissent pas d’explication précise et d’élément probant.
Les époux [M] sollicitent un montant de 20 869 euros en réparation de leur préjudice matériel, soit 17 171 euros correspondant au montant du devis d’une société Déco Peint et 3 698,35 euros au titre du remplacement du conduit du poêle à bois.
Le devis de la société Déco Peint inclut des travaux de réfection importants, qu’il convient d’examiner successivement.
S’agissant, dans la salle de bains du rez-de-chaussée, du remplacement du bac à douche et de l’évacuation, avec raccordement, ainsi que du remplacement du carrelage au sol, des plinthes de l’enduit et du revêtement du mur sur 20 m², il résulte de nombreux courriels, y compris de celui du 20 mars 2019 adressé par l’intimée à la société Trau, mais aussi de son courrier évoqué ci-dessus, que le défaut d’évacuation de la douche n’a jamais été résolu. A ce stade et après leurs multiples réclamations restées vaines, l’intimée n’étant jamais allée au bout de ses démarches aux fins d’investigations et de réparation de ce désordre, elle doit prendre en charge le remplacement du bac à douche et de l’évacuation, mais aussi les raccords de carrelage et reprises de peinture que ces travaux peuvent nécessiter.
En revanche, elle n’a pas à assumer la réfection totale de cette salle de bain, prévue par le devis produit par les appelants. C’est pourquoi la réparation de ce désordre doit être évaluée au montant de 3 450 euros HT, incluant le remplacement du bac à douche et de l’évacuation (3 000 euros HT), ainsi que des raccords de carrelage à hauteur de 200 euros HT et la reprise de la peinture à hauteur de 250 euros HT.
Ce même devis inclut le remplacement du revêtement de sol dans le salon. La société CDC Habitat Social a admis l’existence du désordre affectant ce revêtement de sol et rien ne permet d’établir qu’un remplacement partiel soit possible et suffisant pour le réparer. C’est pourquoi il y a lieu de prendre en compte son remplacement total, dont le coût s’élève à 1 750 euros HT.
Ce devis prévoit également la réfection de la peinture des murs, plafonds et plinthes du séjour, de la cage d’escalier et de la chambre 1. Il est exact qu’après intervention de la société Les Peintures réunies le 8 juin 2018, aux fins de reprise des fissures, les époux [M] avaient indiqué que, même après 10 jours de séchage, le résultat était toujours le même et qu’il fallait repeindre le mur.
Une nouvelle intervention a manifestement eu lieu, dans la mesure où un document intitulé « quitus de levée des réserves » a été signé par l’un d’eux le 28 septembre 2018. Cependant, ce document est ambigu et il en ressort qu’en dépit d’une nouvelle intervention de l’entreprise concernée, d’une part les fissures sont toujours apparentes dans la chambre et d’autre part « que la peinture fraîche ne permet pas de lever à 100 % les réserves ». Enfin, ainsi que le soulignent les appelants, il n’évoque pas le salon, où des fissures avaient également été dénoncées. Il en résulte que doit être retenu, s’agissant du coût des reprises de la peinture du séjour, de la chambre 1 et de la cage d’escalier, le montant total de 4 040 euros HT.
Ce devis inclut encore les peintures de deux portes. Effectivement, les époux [M] ont obtenu, après de nombreuses réclamations et diverses interventions inadaptées de l’entreprise concernée, l’installation de deux portes manquantes et, vu la tardiveté de leur pose, il n’est pas contestable et pas contesté que leur mise en peinture reste à faire, représentant un coût de 630 euros HT.
Ce même devis inclut aussi la reprise d’éclats sur un auvent, à l’aide d’un enduit résine et application de peinture polysiloxane. Or, il n’apparaît sur aucune des pièces versées aux débats que ces éclats aient fait l’objet de réserves quelconques de la part des époux [M], si bien qu’il n’y a pas lieu de retenir le coût de cette reprise.
Par ailleurs, s’agissant des traces de rouille sur le conduit d’évacuation du poêle à bois, reconnues par la société CDC Habitat Social, les appelants produisent un devis de remplacement total du conduit, d’un montant de 7 859,06 euros TTC, sollicitant cependant un montant inférieur, de 3 698,35 euros. Il convient de retenir effectivement ce montant, compte tenu de ce qu’un remplacement seulement partiel du conduit apparaît suffisant.
Le coût total des travaux à prendre en compte s’élève à 9 870 euros HT, soit 10 857 euros TTC + 3 698,35 euros, ce qui représente au total 14 555,35 euros TTC, auquel il convient d’appliquer le taux de perte de chance retenu, de 80 %, ce qui conduit à une évaluation du préjudice matériel des époux [M] au montant de 11 644,28 euros.
Dès lors, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a déboutés les époux [M] de leur demande en réparation de leur préjudice matériel et la société CDC Habitat Social sera condamnée à leur payer la somme de 11 644,28 euros à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
C) Sur la demande d’indemnisation du préjudice moral
Il est indéniable que la faute de la société CDC Habitat Social a contraint les époux [M] à des démarches répétées, interminables, à poser de nombreux jours de congés en raison d’interventions des entreprises, parfois en vain, pour obtenir la réparation des désordres ayant fait l’objet de réserves. Les appelants produisent une attestation de M. [P] [H] d’après laquelle ils ont « annulé leur réservation dans sa famille au Maroc, du 3 au 10 mars 2018, du fait de désordres en attente de « réalisation » (vraisemblablement de réparation) dans leur logement ». Ils justifient également de difficultés médicales, sans démontrer toutefois de lien de causalité avec les désordres en cause.
Toutefois, le stress engendré, pour les époux [M], par la carence de la société CDC Habitat Social dans la mise en ‘uvre de la garantie de parfait achèvement apparaît évident et transparaît à travers leurs différents courriels. Dès lors, l’indemnisation qui leur est due par l’intimée en réparation de leur préjudice moral doit être fixée au montant de 3 000 euros.
En conséquence, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a débouté les époux [M] de leur demande en réparation de leur préjudice moral et la société CDC Habitat Social sera condamnée à leur payer la somme de 3 000 euros à ce titre, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt.
III – Sur les dépens et les frais non compris dans les dépens
Le jugement déféré étant infirmé en ses dispositions principales, il le sera également en ses dispositions relatives aux dépens et aux frais exclus des dépens de première instance.
Dans la mesure où il est fait droit, partiellement, aux demandes des époux [M], la société CDC Habitat Social assumera les dépens de première instance et d’appel et leur réglera, sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, la somme totale de 4 000 euros au titre des frais exclus des dépens qu’ils ont engagés en première instance et en appel. Pour les mêmes motifs, l’intimée sera déboutée de sa demande fondée sur les dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.
La cour, statuant contradictoirement, publiquement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe, conformément aux dispositions de l’article 450, alinéa 2 du code de procédure civile,
INFIRME le jugement du tribunal judiciaire de Strasbourg du 11 janvier 2022 en toutes ses dispositions, dans la limite de l’appel ;
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,
CONDAMNE la société CDC Habitat Social à payer à M. [I] [M] et Mme [Z] [V], épouse [M], la somme de 11 644,28 euros (onze mille six cent quarante-quatre euros et vingt-huit centimes) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en réparation de leur préjudice matériel,
CONDAMNE la société CDC Habitat Social à payer à M. [I] [M] et Mme [Z] [V], épouse [M], la somme de 3 000,00 euros (trois mille euros) avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, en réparation de leur préjudice moral,
CONDAMNE la SA d’HLM CDC Habitat Social aux dépens de première instance et d’appel,
CONDAMNE la SA d’HLM CDC Habitat Social à payer à M. [I] [M] et Mme [Z] [V], épouse [M], la somme de 4 000,00 euros (quatre mille euros) sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les demandes présentées par SA d’HLM CDC Habitat Social sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, au titre des frais exclus des dépens qu’elle a engagés en première instance et en appel.
La greffière, La présidente,