Le 26 novembre 2020, Madame [K] [H] a déposé une plainte pour viol contre X, concernant sa fille [P] [B], au centre de loisirs de l’école élémentaire [9]. Une enquête a été ouverte, et Monsieur [I] [T], directeur adjoint des temps périscolaires, a été identifié par la fillette comme son agresseur. Le 15 février 2021, la plainte a été classée sans suite par le procureur de Versailles, faute de preuves suffisantes. En réponse à cette plainte, Monsieur [I] [T] a assigné Madame [K] [H] en réparation de son préjudice, arguant que la plainte était téméraire et préjudiciable. Il a demandé 10 000 euros pour préjudice moral et 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Il a expliqué que l’intervention des parents de [P] avait conduit à son identification erronée et a décrit les conséquences psychologiques et professionnelles de cette accusation. Madame [K] [H] a contesté les demandes de Monsieur [I] [T], affirmant qu’elle n’avait pas désigné ce dernier comme l’agresseur et qu’elle avait simplement rapporté des éléments à l’enquête. Le tribunal a finalement rejeté la demande de dommages et intérêts de Monsieur [I] [T] et a condamné ce dernier aux dépens, tout en rejetant également les demandes au titre de l’article 700 pour les deux parties.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES
Quatrième Chambre
JUGEMENT
13 SEPTEMBRE 2024
N° RG 22/06697 – N° Portalis DB22-W-B7G-Q6SU
Code NAC : 64B
DEMANDEUR :
Monsieur [I] [T]
né le [Date naissance 5] 1988 à [Localité 10]
[Adresse 2]
[Localité 11]
représenté par Me Renaud GANNAT, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat plaidant/postulant
DEFENDERESSE :
Madame [K] [H]
Avocat au Barreau de Paris
[Adresse 3]
née le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 8]
[Adresse 6]
[Localité 7]
représentée par Me Perrine WALLOIS, avocat au barreau de VERSAILLES, avocat postulant, Me Marie GRIMAUD, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
Copie exécutoire à Me Renaud GANNAT, Me Perrine WALLOIS
Copie certifiée conforme à l’origninal à
délivrée le
ACTE INITIAL du 15 Décembre 2022 reçu au greffe le 20 Décembre 2022.
DÉBATS : A l’audience publique tenue le 14 Juin 2024 Mme DUMENY, Vice Présidente, siégeant en qualité de juge unique, conformément aux dispositions de l’article 812 du Code de Procédure Civile, assistée de Madame GAVACHE, Greffier, a indiqué que l’affaire sera mise en délibéré au 13 Septembre 2024.
Le 26 novembre 2020, Madame [K] [H] a déposé plainte au commissariat de [Localité 12] contre X pour des faits de viol commis sur sa fille, [P] [B], née le [Date naissance 4] 2017, au centre de loisirs de l’école élémentaire [9] à [Localité 11].
Une enquête pénale a été ouverte par la sureté départementale des Yvelines.
Monsieur [I] [T] exerçant les fonctions de directeur adjoint des temps périscolaires à l’école élémentaire [9] a été entendu dans le cadre d’une audition libre après avoir été désigné par la fillette comme étant son présumé agresseur au moyen d’une photographie présentée par son père.
Le 15 février 2021, la plainte a été classée sans suite par le procureur de la République de Versailles faute de preuves suffisantes de l’existence d’une infraction (classement 21 « infraction insuffisamment caractérisée »).
Invoquant le caractère téméraire et préjudiciable de la plainte portée à son encontre, Monsieur [I] [T] a, par acte de commissaire de justice du 15 décembre 2022, fait assigner Madame [K] [H] devant le tribunal judiciaire de Versailles en réparation de son préjudice.
La clôture de la procédure a été fixée au 5 septembre 2023 par ordonnance du même jour et l’affaire a été renvoyée pour plaidoirie à l’audience du 14 juin 20214.
PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures notifiées par voie électronique le 2 juin 2023, Monsieur [I] [T] demande au tribunal de
– condamner Madame [K] [H] à lui verser les sommes de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral et de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamner Madame [K] [H] aux entiers dépens ;
– écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir.
Au soutien de sa demande de dommages et intérêts, Monsieur [I] [T] se fonde sur l’article 1240 du code civil et invoque sa mise en cause injustifiée par Madame [K] [H] dans le cadre de l’enquête pénale ouverte pour des faits de viol sur mineur de 15 ans. Il explique que c’est l’intervention des parents d’[P] qui a conduit cette dernière à l’identifier sur planche photographique comme étant son agresseur présumé. Sans l’intervention imprudente des parents d’[P], Monsieur [I] [T] considère qu’il n’aurait jamais été suspecté ni fait l’objet d’investigations par les services d’enquête. Pour démontrer la légèreté blâmable dont font preuve les parents d’[P] à l’égard des dénonciations de leur fille, Monsieur [I] [T] indique qu’au mois de janvier 2021, ces derniers ont de nouveau dénoncé des faits revêtant une qualification pénale prétendument commis sur leur fille par un éducateur au sein de sa nouvelle école, sans que ces faits soient vérifiés. S’agissant des préjudices allégués du fait de sa mise en cause injustifiée, il précise avoir été contraint de renoncer à son activité professionnelle par peur d’être visé par de nouvelles fausses accusations et souffrir d’insomnies et d’anxiété depuis qu’il a été entendu par les enquêteurs. Il indique être suivi médicalement et avoir augmenté sa consommation de tabac pour lutter contre ses angoisses. Il ajoute être toujours inscrit au FIJAIS malgré la décision de classement sans suite.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 6 avril 2023, Madame [K] [H] conclut au rejet des demandes de Monsieur [I] [T] et réclame sa condamnation à la somme de 4 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Elle soutient que Monsieur [I] [T] ne démontre pas le caractère téméraire ou la légèreté blâmable avec laquelle cette dernière a déposé plainte de sorte qu’il échoue à rapporter la preuve d’une faute délictuelle. Elle indique que contrairement à ce que soutient Monsieur [I] [T], elle n’a jamais désigné ce dernier comme étant l’agresseur de sa fille mais a simplement rapporté l’ensemble des éléments pouvant être mis en relation avec l’enquête avec pour unique objectif, la manifestation de la vérité. Elle ajoute avoir attendu le 26 novembre 2020 pour déposer plainte contre X sans viser nommément Monsieur [I] [T]. En tout état de cause, elle indique que Monsieur [I] [T] ne justifie pas que les préjudices allégués seraient en lien avec sa mise en cause dans l’enquête pénale.
Sur la demande de dommages et intérêts de Monsieur [I] [T]
En application de l’article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.
La témérité d’une plainte pénale permet d’engager la responsabilité civile de son auteur à charge pour celui qui s’en prévaut d’établir le caractère fautif de la plainte, un préjudice et un lien de causalité entre la faute et le dommage.
Le droit d’agir en justice suppose la liberté d’avoir juridiquement tort, de sorte que la témérité d’une action ne saurait être évincée de ce seul fait, mais doit être analysée au regard du contenu de la plainte confortée aux éléments concrets avérés et de la connaissance qu’en avait le plaignant, en prenant en considération le contexte et la perception qu’il pouvait en avoir.
La dénonciation téméraire est constitutive d’une faute civile dont les éléments se distinguent du délit de dénonciation calomnieuse et de l’abus d’ester en justice, en ce que la mauvaise foi est indifférente.
Pour caractériser la témérité d’une plainte, il suffit d’établir que les faits dénoncés étaient inexacts et que le plaignant a agi avec une légèreté blâmable sans étayer ses accusations par des éléments sérieux et sans égards aux éventuels dommages qu’elles peuvent causer.
En l’espèce, il ressort des pièces produites, que le 29 octobre 2020, les policiers étaient requis au domicile de Madame [K] [H] expliquant que sa fille, [P] âgée de 3 ans, venait de lui révéler des faits d’agression sexuelle dont elle aurait été victime de la part d’un animateur du centre de loisirs.
L’examen gynécologique pratiquait sur la fillette se révélait négatif.
Il n’était pas possible de recueillir la parole de la fillette, cette dernière n’étant pas en capacité de s’exprimer au vu de son très jeune âge.
L’expertise génétique réalisée sur les vêtements de la fillette ne permettait pas de caractériser d’empreinte génétique masculine.
Questionnée par les enquêteurs sur les personnes travaillant au centre de loisirs de l’école maternelle de [9] la journée du 29 octobre 2020, Madame [K] [H] indiquait aux enquêteurs que sa fille avait identifié « le méchant monsieur » sur une planche photographique présentée par son mari affichant les responsables du centre de loisirs de [9]. Elle indiquait ne pas savoir quoi en penser et ne pas souhaiter déposer plainte contre personne dénommée voulant laisser « l’enquête se dérouler ».
Le 26 novembre 2020, Madame [K] [H] se rendait à nouveau au commissariat de [Localité 12] pour faire état d’une dégradation de l’état psychique de sa fille depuis la révélation des faits, évoquant des crises de colère et un refus de se rendre à l’école. Elle déposait plainte contre X pour les faits de viol commis sur sa fille.
Auditionnée par les services de police la maîtresse d’[P], Madame [E] [Y], indiquait avoir constaté un changement brutal de comportement chez la fillette au retour des vacances de la toussaint.
Madame [U] [X], déclarait avoir été témoin de propos inquiétants de la part de sa nièce lors de la lecture d’un ouvrage sur le corps humain, cette dernière ayant désigné le sexe masculin en indiquant « ça fait mal » à plusieurs reprises.
Entendu en audition libre le 8 décembre 2020, Monsieur [I] [T], contestait les faits expliquant aux enquêteurs ne pas avoir été présent au centre de loisirs [9] lors des vacances de la toussaint et leur livrant le nom de deux hommes ayant pu être en contact avec [P] le 29 octobre 2020.
Au regard de l’ensemble de ces éléments, il apparaît que Madame [K] [H] disposait à tout le moins d’élément sérieux lorsqu’elle a dénoncé les faits auprès du commissariat de [Localité 12] et le classement sans suite intervenu à l’issue de l’enquête pénale ne saurait faire conclure qu’elle a agi avec légèreté, mauvaise foi ou malveillance, d’autant qu’il n’est pas motivé par l’absence totale d’infraction.
Il sera insisté sur le fait que Madame [K] [H] a déposé une plainte pénale contre X sans jamais nommément viser Monsieur [T].
A titre surabondant, Monsieur [I] [T] ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice moral résultant des investigations menées à son encontre par les services d’enquête suite au dépôt de plainte de Madame [K] [H]. En effet, Monsieur [I] [T] ne démontre pas que sa réorientation professionnelle, dont il ne justifie au demeurant pas, serait liée à sa mise en cause dans l’enquête pénale. Par ailleurs, les pièces versées aux débats attestant de son suivi médical ne précisent pas les raisons d’un tel suivi ni ne font référence à la dégradation de son état de santé. Enfin, il convient d’indiquer que l’inscription au FIJAIS dont se plaint Monsieur [I] [T], et qui n’est au demeurant nullement justifiée, ne saurait résulter de sa simple mise en cause dans le cadre d’une enquête pénale.
A défaut de rapporter la preuve d’une faute de nature à engager la responsabilité de Madame [K] [H], Monsieur [I] [T] sera débouté de sa demande dommages et intérêts.
Sur les frais du procès et l’exécution provisoire
Sur les dépens
En application de l’article 696 du code procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie.
Monsieur [I] [T], partie perdante au procès, sera condamné aux dépens de l’instance.
Sur les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile
En vertu de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
En l’espèce, l’équité commande de ne pas faire droit à la demande de ce chef formulée par Madame [K] [H], qui en sera dès lors déboutée.
Monsieur [I] [T], partie perdante et condamnée aux dépens, sera pareillement débouté de sa demande de ce même chef.
Sur l’exécution provisoire
Aux termes de l’article 515 du code de procédure civile dans sa rédaction issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019, les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement.
En l’espèce, compte tenu de l’absence de motif dérogatoire, il sera rappelé que la présente décision est exécutoire de plein droit par provision.
Le tribunal, statuant publiquement par décision contradictoire et susceptible d’appel,
REJETTE la demande de dommages et intérêts de Monsieur [I] [T] à l’encontre de Madame [K] [H] ;
CONDAMNE Monsieur [I] [O] aux dépens ;
REJETTE la demande de Monsieur [I] [T] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE la demande de Madame [K] [H] au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
RAPPELLE que l’exécution provisoire est de droit.
Prononcé par mise à disposition au greffe le 13 SEPTEMBRE 2024 par Mme DUMENY, Vice Présidente, assistée de Madame GAVACHE, greffier, lesquelles ont signé la minute du présent jugement.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT