Responsabilité bancaire : la concordance des bénéficiaires dans l’encaissement des chèques

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Responsabilité bancaire : la concordance des bénéficiaires dans l’encaissement des chèques

Les manquements de la banque ont permis le détournement d’un chèque de 7 277 264 dirhams, entraînant un préjudice de 1 785 399 euros pour M. [T] et la MCEM. Selon la jurisprudence, la réparation du préjudice doit être intégrale, sans perte ni profit, et aucune faute ne peut être reprochée à M. [T], qui a simplement confié le chèque à M. [S]. M. [T] a également tenté d’obtenir des informations sur l’encaissement du chèque auprès de la banque Chaabi, sans succès. L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2023, infirmant le jugement précédent et déclarant l’action de M. [T] contre la banque irrecevable et prescrite. M. [T] a été condamné aux dépens de l’instance.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

25 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/13485
Copies exécutoires RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRÊT DU 25 SEPTEMBRE 2024

(n° , 8 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13485 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGGD4

Décision déférée à la Cour : Jugement du 07 Juillet 2022 – tribunal de commerce de Paris – 3ème chambre – RG n° 2019069977

APPELANTE

S.A. BANQUE CHAABI DU MAROC

[Adresse 3]

[Localité 5]

N°SIRET : 722 047 552

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Représentée par Me Nicolay FAKIROFF de l’AARPI ROOSEVELT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1234

Ayant pour avocat plaidant Me Emmanuel TINLAND de l’AARPI ROOSEVELT AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : C1234

INTIMÉ

M. [F] [D] [T] exerçant par le prisme de son entreprise individuelle Makae Companies and Etablishments Management

né le [Date naissance 1] 1956

[Adresse 2]

[Localité 8] / Arabie Saoudite

Elisant domicile au cabinet de ses avocats : [Adresse 4]

Représenté par Me Carole SPORTES LEIBOVICI de la SELARL HAUSSMANN ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : P0443

Ayant pour avocat plaidant Me Laure PERRIN, avocat au barreau de PARIS, du même cabinet, toque : P0443

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 17 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

M. Vincent BRAUD, président

MME Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par M. Marc BAILLY, président, dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Yulia TREFILOVA

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

* * * * *

M. [F] [D] [D] [T] est un entrepreneur de nationalité koweitienne spécialisé dansl’import/export et dans le commerce de détail au Moyen-Orient. Il a créé une société individuelle à [Localité 6] sous le nom de Makae Companies and Establishments Management – ci-après  MCEM  -.

A la suite d’un litige avec l’exploitant d’un centre commercial de [Localité 6] en 2005, MCEM reçoit en avril 2009 un chèque de 7 277 264 dirhams, soit environ 1 785 399 euros, à titre de dédommagement.

Dans le même temps, M. [T] a fait l’objet d’une mesure d’interdiction de sortie du territoire par les autorités saoudiennes dans le cadre d’un litige l’opposant au Ministère du Commerce du Royaume d’Arabie Saoudite. Il confie le chèque à Monsieur [G] [S] (ci-après « M. [S] ») qui lui a été recommandé par des correspondants au Koweit du fait de sa supposée qualité d’avocat français, à charge pour celui-ci de l’encaisser en France.

M. [S] ouvre en juin 2009 un compte bancaire dans les livres de la banque Chaabi du Maroc au nom d’une société « Makae Compagnies and Establisments Management » (ci-après « MCEM 2 »), personne morale distincte de la société dubaïote MCEM nouvellement créée et immatriculée le 26 mai 2009 au registre du commerce et des sociétés de Bobigny par M. [U] [K] [S] fils de M. [S] alors âgé de 14 ans et M. [L] et remet le chèque à l’encaissement au nom de cette société.

Courant 2013, ne recevant plus de nouvelles de M. [S], M.[T] dépose plainte le 31 juillet 2014 auprès du procureur de la République contre X et contre M. [S], le fils de M. [S], M. [L] ainsi que la banque Chaabi du Maroc pour vol, escroquerie, recel et abus de confiance. A la suite de la désignation d’un juge d’instruction, une procédure judiciaire est engagée à l’encontre de M. [S].

Par arrêt du 10 décembre 2019, la cour d’appel de Paris condamne M. [S] et M. [L] à, entre autres, payer à M.[T] et MCEM la somme de 1 799 580 € à titre de dommages et intérêts.

Par exploit d’huissier du 9 décembre 2019, M. [T] a fait assigner la SA banque Chaabi du Maroc devant le tribunal de commerce de Paris en responsabilité

Par un jugement contradictoire du 7 juillet 2022 le tribunal de commerce de Paris a :

-Dit le droit français applicable ;

-Dit les demandes de M. [T] non prescrites et recevables ;

-Condamné la SA banque Chaabi du Maroc à verser à M. [T] la somme de 1 785 399 € à titre de dommages et intérêts ;

-Condamné la SA banque Chaabi du Maroc à verser à M. [T] la somme de 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 13 juillet 2022, la banque Chaabi du Maroc a interjeté appel de cette décision contre M. [T].

Par conclusions notifiées par voie électronique le 21 mai 2024, la banque Chaabi du Maroc demande à la cour d’infirmer le jugement entrepris et de :

Et statuant à nouveau,

-Constatant la péremption de l’action, de déclarer Monsieur [T] irrecevable en toutes ses demandes, fins et conclusions,

De l’en débouter.

A titre subsidiaire

-De débouter M. [T] de toutes ses demandes, fins et conclusions aux motifs qu’il ne rapporte pas l’existence de fautes que la banque Chaabi du Maroc aurait commise, et ne démontre pas davantage que les fautes alléguées auraient un lien de causalité avec le dommage qu’il invoque.

A titre plus subsidiaire encore

-De limiter, dans la proportion qu’il plaira à la Cour de fixer, le montant de l’indemnité qui sera allouée à M. [T] en raison de l’importance du risque qu’il a pris tant à titre personnel que pour la banque appelée à intervenir dans l’opération d’encaissement du chèque litigieux.

En tout état de cause

-De condamner M. [T] à payer à la Banque Chaabi la somme de 15.000 Euros au titre des dispositions de l’article 700 du NCPC » en faisant valoir :

-sur la prescription, que M. [T] avait, au plus tard, une connaissance suffisante des faits lui permettant d’engager une action en responsabilité à l’égard de la Banque Chaabi début 2014 car il ressort de la plainte du 31 juillet 2014 qu’il avait connaissance de la création en France en 2009 de MCEM 2 dont le gérant était M. [L], sans lien avec la société MCEM, du dépôt du chèque de 7 277 264,40 dirhams sur le compte MCEM 2 ouvert sur les livres de la banque Chaabi du Maroc, du virement le 29 juillet 2009 par la banque Islamique des Emirats à la Banque Chaabi du Maroc de la somme de 1 378 722,28 euros ainsi que du transfert ultérieur de cette somme vers un autre compte après la fermeture du compte de MCEM 2. De plus, M. [T] considérait dès cette date que la participation de la banque était fautive. De même, les courriers du conseil de M. [T] établissent qu’il a eu connaissance, antérieurement au dépôt des plaintes, du détournement par Monsieur [G] [S] des fonds payés au moyen du chèque litigieux ainsi que de la participation de la banque Chaabi du Maroc à la réalisation de l’opération, comme le confirme également sa plainte à l’encontre de la banque. Contrairement à ce qu’a retenu le tribunal de commerce, si les déclarations faites par les collaborateurs de la banque dans le cadre de l’enquête de police apportent des précisions sur le processus d’exécution des opérations litigieuses, ces précisions ne révèlent aucun élément dont la méconnaissance par M. [T] l’aurait empêché d’engager plus tôt la responsabilité de la banque. Les fautes qu’il a reprochées à la banque Chaabi du Maroc dès l’année 2013 étaient suffisamment caractérisées par les manquements allégués ayant servi à fonder sa plainte à l’encontre de la banque. Contrairement à ce qu’indique M. [T], il avait connaissance de l’encaissement des chèques avant 2014 puisqu’il l’a rapportée à plusieurs reprises dans la plainte qu’il a déposée le 31 juillet 2014. Par ailleurs, le fait que la Cour d’appel de Paris ait jugé que l’action n’était pas prescrite dans le volet pénal est sans intérêt dans le cadre de la présente instance, la prescription pénale et la prescription civile étant deux concepts distincts en droit français, soumis à des régimes différents,

– sur les devoirs de vigilance, de conformité et contrôle dans le cadre de la lutte contre le blanchiment, que contrairement à ce que fait valoir M. [T], la différence d’orthographe entre le bénéficiaire du chèque et l’identité du titulaire du compte était anodine car le chèque a été remis à la personne en charge de l’ouverture du compte en 2009 une traduction jurée d’un jugement rendu par la Cour Fédérale d’appel d’Alsharjah, sur laquelle le mot « Compagnies » faisant partie du nom de la société Makae Compagnies and Establishments Management est bien orthographié avec un « g » et qui était le jugement ayant conduit à la conclusion du protocole d’accord qui a été le fondement de l’indemnité de 7 277 264,40 dirhams. Dès lors, les collaborateurs de la banque ont pu considérer que le règlement effectué par le biais du chèque litigieux était bien destiné à MCEM 2. Par ailleurs, concernant la date de création de la société, en vertu du mandat remis par M. [T] à M. [S], le chèque litigieux était destiné à être remis à l’encaissement « à [Localité 7] sur le compte de la société ». Ce chèque étant établi à l’ordre d’une entité dénommée MCEM, il ne pouvait qu’être encaissé par une structure française devant être créée sous cette dénomination pour la circonstance puisque aucune immatriculation d’une entité commerciale française ou de bureau de représentation dénommé MCEM ou « Macay » ne peut être trouvé. M. [T] ne produit aucun justificatif d’existence d’une société, d’un établissement ou d’un bureau de représentation qui aurait été exploité en France sous cette enseigne et disposant d’un compte bancaire actif, de sorte que, dans le cadre de ce mandat, la création d’une ne structure idoine postérieurement à la date d’émission du chèque litigieux et du protocole d’accord était inévitable. Enfin, sur la composition du capital social, les statuts versées par M. [T] indiquent à son article 6 qu’il apporte une « somme de 100 000 euros, soit la totalité du capital social »,

– sur le préjudice, que les dommages-intérêts pour réparer le préjudice de M. [R] ne peuvent correspondre au montant du chèque litigieux car il a pris le risque de remettre à un tiers qu’il ne connaissait pas un chèque d’un montant particulièrement important établi à l’ordre d’une entité n’ayant alors aucune existence légale en France de sorte qu’il a commis une faute et contribué à la réalisation de son dommage. Si l’article 1245 du code civil n’était pas en vigueur au moment des faits, il s’est inscrit dans une évolution jurisprudentielle constante établissant le principe d’un partage de responsabilité entre l’auteur d’un dommage et la victime lorsque cette dernière a commis une faute ayant contribué à la réalisation du dommage. Dès lors, si un droit à réparation de M. [T] lui était reconnu, celui-ci devra être limité dans une proportion qu’il appartiendra à la cour d’apprécier mais qui ne devra couvrir qu’une proportion limitée du dommage retenu.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 mai 2024, M. [T] demande à la cour au visa des articles 1231-1, 1240, 1241 et 2224 du code civil, de l’article L131-19 du code monétaire et financier et des articles 515, 699 et 700 du code de procédure civile, de confirmer le jugement entrepris et de condamner la banque Chaabi du Maroc à payer à M. [T] la somme de 20.000 euros en cause d’appel en application de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens, en exposant :

– que l’article 2224 du code civil prévoit un délai de prescription quinquennal dont le point de départ est la révélation des fautes causales. Selon la doctrine et la jurisprudence de la Cour de cassation, cela ne s’entend pas de la seule « cognition » des faits pertinents, mais, plus généralement, de l’appréhension des éléments permettant d’agir. Or, M. [R] n’a eu connaissance des fautes de la Banque Chaabi du Maroc et de ses salariés, qu’après les révélations des employés lors de leurs auditions de novembre 2015. Contrairement à ce qu’allègue la banque Chaabi du Maroc, s’il avait eu des doutes sur les agissements de son prétendu « avocat », Monsieur [S], et le détournement du chèque par celui-ci fin 2013, il n’avait alors absolument pas connaissance de l’existence de la moindre faute qui aurait pu être commise par la Banque Chaabi. La seule mention du potentiel détournement d’un chèque par M. [S] dans des correspondances échangées ou dans la plainte déposée en 2014 contre X et non contre la banque, ne permet aucunement de mettre en lumière l’existence ou la connaissance de faute de la banque. M. [T] savait uniquement que M. [S] avait constitué une société avec d’autres personnes et que les sommes avaient transitées par un compte ouvert à la banque Chaabi. La seule mention de la banque Chaabi dans la plainte ne résulte que du silence de cette dernière lors des questionnements de M. [T] à propos de fonds lui ayant été soustraits frauduleusement par M. [S] et du fait que les fonds avaient transités par un compte ouvert dans cette banque, comme l’a retenu la cour d’appel de Paris dans le volet pénal. Ce sont lors de la connaissance des auditions des employés de la Banque Chaabi de l’époque en 2015, que M. [T] a pris la mesure de la situation et eu connaissance des causes permettant d’exercer son action en responsabilité délictuelle contre la Banque Chaabi pour les fautes de ses salariés. Par ailleurs, l’analyse de la prescription dans le cadre du jugement correctionnel est fondée sur l’abus de confiance et est distinct du fondement de la présente action civile. De plus la cour d’appel de Paris a jugé que l’action n’était pas prescrite dans le volet pénal. Il n’y a pas de contradiction entre la présentation des faits entre la plainte et l’assignation, puisque M. [T] n’avait alors pas accès au même niveau d’information, comme l’a jugé le tribunal de commerce. Contrairement à ce que fait valoir la banque, on ne peut considérer que la seule mention d’un potentiel détournement d’un chèque par M. [S] dans un courrier dans le cadre d’investigation privée sur le sort dudit chèque, ou que les plaintes déposées en 2014 contre X, constituent des faits pertinents puisqu’ils ne lui permettent à aucun moment d’avoir connaissance des fautes manifestement commises par la banque. Ces dernières ne se sont révélées qu’à la suite des auditions des employés de la Banque Chaabi en 2015 et 2016, ainsi en 2013, M. [T] n’avait connaissance d’aucune faute de la banque Chaabi et lui reprochait uniquement son silence,

– qu’en vertu des articles 1240 et 1241 du code civil, toute faute, même non intentionnelle entraine la responsabilité de son auteur, tout comme un manquement au devoir de conseil engage la responsabilité, ce manquement fût-il dénué de toute gravité. En matière bancaire, découle de ces dispositions et de la jurisprudence un devoir de vigilance qui impose au banquier de vérifier que l’identité du remettant correspond précisément à celle du bénéficiaire du chèque. La Cour de cassation fait peser ce devoir de vigilance sur le banquier présentateur, confronté à la présentation d’un chèque au bénéfice de son client. Celui-ci se doit de s’assurer que son client est le bénéficiaire effectif du chèque, et qu’il ne l’encaisse pas au détriment de la personne à laquelle il est réellement destiné. Plus encore, les banques sont tenues à des obligations strictes en matière de conformité et de prévention du blanchiment de capitaux et du terrorisme en vertu des articles L 561-1 et suivants du code monétaire et financier et de la directive UE 2015/849 et du règlement UE 648/2012. En vertu de ces textes, la banque doit procéder à une identification renforcée du client en particulier lorsque les opérations dépassent 15 000 euros. Or en l’espèce, la banque Chaabi du Maroc n’a pas vérifié le nom du bénéficiaire effectif du chèque puisqu’il existe une différence orthographique évidente entre la dénomination sociale de la société remettante, (Compagnies pour MCEM 2 et Compa[g]nies pour MCEM). Un examen du chèque réalisé par un banquier attentif aurait évidemment permis de relever cette différence et comme le confirme les auditions des salariés de la banque. Contrairement à ce qu’indique la banque, la différence n’est pas anodine et ce n’est pas parce que la simple traduction d’un arrêt fait état du terme « Compagnies » que la banque doit s’abstenir de procéder à toutes vérifications et d’appliquer son devoir de vigilance et la traduction du jugement est rendu en faveur de l’establishment MCEM à [Localité 6], qui opère en vertu de la licence du 9 juillet 2000, soit antérieurement à la constitution de la société en France. La MCEM 2 a été constitué postérieurement à la naissance du litige avec le Sahara Center et du jugement subséquent. De plus, c’est la société dubaïote MCEM qui était en relation avec le Sahara Center, et non l’entité française et c’est avec cette société dubaïote que le protocole d’accord a été conclu. Le fait que M. [T] ou sa société MCEM n’ait pas de compte ouvert à la Banque Chaabi n’a aucune incidence sur les fautes reprochées et le préjudice causé. De plus, le chèque a été émis près de deux mois avant la création de la société et trois mois avant l’ouverture du compte. Cette différence de date aurait dû alarmer la Banque Chaabi du Maroc puisque la société prétendait récupérer des fonds pour une activité antérieure à sa création ce qui aurait nécessité l’engagement d’une procédure contentieuse, nécessairement longue. L’argument de la banque selon lequel une société non encore constituée aurait pu gagner une telle somme dans le cadre d’un litige jugé plusieurs années auparavant est intenable. De plus, la partie dénommée « Macay pour gérer les établissement et entreprises » dans la version française du protocole conclu avec le Sahara Center en 2009 n’est que le résultat d’un problème de traduction de l’arabe vers le français, du nom de la société de M. [T] MCEM puisqu’il ressort du protocole que c’est bien M. [T] qui représente la société et la même problématique se pose pour le jugement initial de 2008. M. [T] n’a jamais donné de mandat ou d’accord pour la création de l’entité française MCEM 2. M. [S] a été reconnu coupable, par cette création notamment, d’un abus de confiance et d’escroquerie au préjudice de M. [T]. Les statuts de la MCEM 2 spécifiaient que son capital social se partageait entre M. [O] [L] (10%) et M. [U]-[K] [S] (90%), mineur lors de la constitution de la société. Les statuts sur lesquels se fonde la Banque Chaabi est une pièce issue d’une

saisie sur les ordinateurs de M. [S] dans le cadre de l’enquête pénale et ne correspond pas aux statuts effectivement déposés au greffe. Il s’agit d’un faux document n’ayant aucune valeur légale ou probatoire. M.[T] n’a jamais été ni associé ni gérant de la MCEM 2 et n’était même pas informé de l’existence de cette société. En tout état de cause, cette question n’a aucune incidence sur la faute de la Banque Chaabi qui aurait dû effectuer les vérifications de base nécessaires au moment de l’ouverture du compte et de l’encaissement du chèque en vérifiant les dates, sa provenance et la situation de la société en se procurant les éléments relatifs à la société sur le site du greffe. En outre, l’absence d’une quelconque vérification renforcée par la banque Chaabi du Maroc lorsque le montant du chèque est plus de dix fois supérieur à leur seuil de 150.000 euros pour l’inscription dans leur registre témoigne de la négligence de la banque et de la violation de ses propres procédures destinées à mettre en ‘uvre le devoir de vigilance et la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Enfin la banque, en violation de l’article L. 131-19 du code monétaire et financier et de la jurisprudence de la Cour de cassation, n’a pas vérifié la concordance entre le bénéficiaire du chèque et le remettant. Or il apparait que la signature du remettant du chèque présente sur le bordereau appartient à M. [S] qui n’était pas habilité à intervenir pour le compte de la société puisque la pièce d’identité au soutien de son pouvoir était périmée et sa signature n’était pas indiquée dans le carton de signatures. De plus, M. [S] n’était ni associé de la société ni gérant de MCEM 2. De plus, la signature de l’endossataire du chèque était également celle de Monsieur [S] ce que Mme [B] et M. [N] constataient,

– que les manquements de la banque ont permis le détournement du chèque d’un montant de 7 277 264 dirhams à son préjudice et ont permis les opérations de blanchiment de M. [S]. Selon le taux de change applicable au 6 décembre 2019, le préjudice subi par Monsieur [T] et la MCEM s’élève à 1 785 399 euros. Selon la jurisprudence le principe en matière de réparation du préjudice demeure celui de la réparation intégrale du dommage de la victime, sans perte, ni profit. En tout état de cause et selon la rédaction de l’article 1254 du code civil inapplicable à l’espèce, la victime doit avoir commis soit un manquement contractuel, soit une faute. Or, en l’espèce aucune faute ne saurait être reprochée à M. [T]. Le fait qu’il ait confié le chèque à M. [S] n’est aucunement fautif, comme l’a retenu le tribunal de commerce en première instance et la cour d’appel de Paris dans le volet pénal. Enfin il a essayé d’obtenir plusieurs fois sans succès des informations sur l’état d’encaissement du chèque auprès de la banque Chaabi, du Maroc laquelle s’est refusée à lui répondre.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 28 mai 2023.

MOTIFS

M. [T] reproche à la société Banque Chaabi du Maroc d’avoir manqué à son obligation de banque présentatrice, à l’occasion de la présentation et de l’encaissement du chèque litigieux le 29 juillet 2009 sur un compte dans ses livres, notamment en ne s’assurant pas de la concordance entre le bénéficiaire du chèque (société de droit émirati Makae Companies and Establishments Management) et la personne sur le compte de laquelle il est encaissé (la société formée ultérieurement qui a vu son compte crédité( s.à.r.l. de droit français Makae Compagnies & Establishments Management) ou des droits de cette dernière de voir son compte crédité.

Il résulte de l’article 2224 du code civil que l’action en responsabilité de M. [T] contre la banque Chaabi se prescrit par cinq ans à compter du jour où il a connu ou aurait dû connaître les faits permettant de l’exercer.

Etant observé préalablement que M. [T] expose avoir remis lui-même à M. [S] le chèque qui lui avait été remis en sa qualité de dirigeant de la société Makae Companies and Establishments Management et établi au nom de cette dernière, il résulte de la plainte avec constitution de partie civile qu’il a fait déposer auprès du procureur de la République de Paris le 31 juillet 2014 :

– qu’il a été informé à tout le moins le 26 octobre 2013 que le chèque a été payé et encaissé sur un compte dans les livres de la banque Chaabi le 29 juillet 2009,

– qu’il a été informé par le biais de son avocat au mois de juin 2013 que les fonds avaient été transférés sur un autre compte bancaire,

– que la banque n’a pas répondu à son courrier du 30 janvier 2014 sur le sort des fonds,

– qu’il était informé que M. [S] avait fait déposer les fonds au bénéfice d’une société créée en France à la dénomination quasiment identique dont il a communiqué l’extrait Kbis au parquet,

– qu’il y exposait subir un préjudice étant sans nouvelle de M. [S] qu’il avait mandaté.

Il en résulte qu’il avait déjà connaissance à cette date que la société banque Chaabi n’avait pas respecté son obligation de banque présentatrice de s’assurer que le chèque est encaissé par son bénéficiaire qui était sa propre société emirati et qu’il avait été victime du vol, de l’escroquerie ou de l’abus de confiance qu’il dénonçait, étant observé que la plainte est portée outre contre M. [G] [S], M. [U]-[K] [S] et M. [O] [L] également et expressément contre ‘la banque Chaabi du Maroc à [Localité 7] pour des faits de recel et complicité’ des infractions dénoncées.

Les déclarations faites aux services de police dans le cadre de l’enquête pénale par Mme [A] [B] le 18 novembre 2015 et par M. [F] [N] le 8 novembre 2016 ne constituent que des appréciations portées sur le détail de leurs manquements en qualité de préposés qui ne sauraient reculer le point de départ de la prescription dès lors que M. [T] avait déjà connaissance, à tout le moins antérieurement à sa plainte pénale du 30 juillet 2014, des manquements de la banque et du préjudice consécutif qu’il ne lui a reproché – au-delà de l’infraction de recel imputée dans la plainte pénale – qu’au moins de la délivrance de l’assignation du 9 décembre 2019.

Cette dernière étant datée de plus de cinq ans après la date à laquelle il avait connaissance des faits lui permettant d’engager la responsabilité de la banque en qualité de banque présentatrice, il ne peut qu’être fait droit à la fin de non-recevoir soulevée par la société banque Chaabi du Maroc.

En conséquence de ce qui précède, le jugement doit être infirmé en toutes ses dispositions, M. [F] [D] [D] [T] doit être condamné aux dépens mais l’équité commande de ne pas prononcer de condamné au titre des frais irrépétibles.

PAR CES MOTIFS

INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et, statuant à nouveau,

DÉCLARE irrecevable comme prescrite l’action de M. [F] [D] [D] [T] à l’encontre de la société banque Chaabi du Maroc ;

DIT n’y avoir lieu au prononcé d’une condamnation au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE M. [F] [D] [D] [T] aux entiers dépens de la présente instance qui seront recouvrés par Maître Nicolay Fakiroff, comme il est disposé à l’article 699 du code de procédure civile.

* * * * *

LE GREFFIER LE PRÉSIDENT


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