Monsieur et Madame [R] ont effectué trois virements totalisant 57.400 € depuis leur compte à la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE entre janvier et mai 2021, suite à une proposition d’investissement frauduleuse. Ils ont déposé plainte pour escroquerie après avoir découvert que leur interlocuteur avait usurpé l’identité d’un collaborateur de la société LA FINANCIERE DE L’ECHIQUIER. En février 2022, ils ont mis en demeure la banque de restituer leur investissement, mais celle-ci a refusé. Les époux ont alors assigné la banque en justice pour obtenir réparation de leur préjudice. Ils soutiennent que la banque n’a pas respecté son obligation de vigilance, tandis que la banque argue qu’elle n’était pas responsable, ayant exécuté des opérations autorisées. Le tribunal a finalement débouté les époux de leurs demandes de remboursement et de dommages-intérêts, tout en les condamnant à payer des frais à la banque.
|
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
-o-o-o-o-o-o-o-o-o-
Chambre 01
N° RG 22/03955 – N° Portalis DBZS-W-B7G-WGQ5
JUGEMENT DU 11 OCTOBRE 2024
DEMANDEURS :
M. [L] [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, plaidant
Mme [G] [Z] épouse [R]
[Adresse 4]
[Localité 3]
représenté par Me Florent MEREAU, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Arnaud DELOMEL, avocat au barreau de RENNES, plaidant
DÉFENDERESSE :
S.A. CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE
Prise en la personne de ses représentants légaux,
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Me Amaury PAT, avocat au barreau de LILLE, postulant et Me Magali TARDIEU CONFAVREUX, plaidant
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Président : Marie TERRIER,
Assesseur : Juliette BEUSCHAERT,
Assesseur : Carine GILLET,
Greffier : Benjamin LAPLUME,
DÉBATS :
Vu l’ordonnance de clôture en date du 10 Novembre 2023.
A l’audience publique du 20 Juin 2024, date à laquelle l’affaire a été mise en délibéré, les avocats ont été avisés que le jugement serait rendu le 11 Octobre 2024.
Juliette BEUSCHAERT, Vice-Présidente, entendue en son rapport oral, et Marie TERRIER, Présidente de chambre, qui ont entendu la plaidoirie, en ont rendu compte au Tribunal dans son délibéré.
JUGEMENT : contradictoire, en premier ressort, mis à disposition au Greffe le 11 Octobre 2024 par Nicolas VERMEULEN, Juge, pour la présidente empêchée Marie TERRIER, assistée de Benjamin LAPLUME, Greffier.
Monsieur et Madame [R] sont clients de la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE (ci-après la société CEP HAUTS DE FRANCE).
Les époux [R] ont ordonné, entre le 12 janvier 2021 et le 15 mai 2021, depuis leur compte ouvert dans les livres de la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HDF, trois virements d’un montant total de 57.400 €.
M. [R] a déposé plainte à la gendarmerie le 17 juin 2021, pour escroquerie. Il expliquait que le 16 décembre 2020, une personne se disant être monsieur [D] [U] de la société LA FINANCIERE DE L’ECHIQUIER l’a contacté sur son téléphone portable et lui a proposé des placements APCOA et ORPEA pour des parkings et des maisons seniors ; qu’à la suite de cet échange, les époux [R] ont, de janvier à mai 2021, procédé aux virements susvisés conformément aux coordonnées bancaires transmises par ladite société, par l’intermédiaire de leur compte bancaire auprès de la CEP HAUTS DE FRANCE ; qu’ils ont appris par la suite que les escrocs avaient usurpé l’identité d’un collaborateur ainsi que les documents officiels de la société FINANCIERE DE L’ECHIQUIER, société anonyme, immatriculée au Registre du commerce et des sociétés de PARIS sous le numéro 352 045 454.
Le 18 février 2022, le Conseil des époux [R] mettait la société CEP HAUTS DE FRANCE en demeure d’avoir à restituer le montant total de leur investissement à ses clients, soit la somme de 56.692,30 €. Par courrier en date du 7 mars 2022, la société CEP HAUTS DE FRANCE refusait de faire droit à la demande de remboursement de Monsieur et Madame [R].
Par acte en date du 10 juin 2022, les éoux [R] ont fait assigner la CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE HAUTS DE FRANCE aux fins d’idemnisation de leur préjudice.
La défenderesse a constitué avocat.
Après échange de conclusions entre les parties, l’affaire a été clôturée le 10 novembre 2023 pour être fixée à plaider à l’audience du 20 juin 2024.
EXPOSE DES PRETENTIONS ET MOYENS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 27 mars 2023, les consorts [R] demandent au tribunal de :
Vu les Directives européennes n°91/308/CEE – n°2001/97/CE – n°2005/60/CE – n°2015/849 – n°2018/843,
Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,
Vu l’article 1231-1 du Code civil,
Vu l’article 1104 du Code civil,
Vu l’article 1112-1 du Code civil,
Vu les pièces de la cause,
A TITRE PRINCIPAL :
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE n’a pas respecté son obligation légale de vigilance au titre du dispositif de LCB-FT.
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [R].
A TITRE SUBSIDIAIRE :
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE a manqué à son devoir général de vigilance.
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [R].
A TITRE INFINIMENT SUBSIDIAIRE :
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE n’a pas respecté son obligation d’information à l’égard de Monsieur et Madame [R].
• Juger que la société CEP HAUTS DE FRANCE est responsable des préjudices subis par Monsieur et Madame [R].
EN TOUT ETAT DE CAUSE :
• Condamner la société CEP HAUTS DE FRANCE à rembourser à Monsieur et Madame
[R] la somme de 56.692,30 €, correspondant à la totalité de leur investissement, en réparation de leur préjudice matériel.
• Condamner la société CEP HAUTS DE FRANCE à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 11.338,46 €, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance.
• Condamner la société CEP HAUTS DE FRANCE à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 3.000 € au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile.
• Condamner la même aux entiers dépens.
Au soutien de leurs prétentions, ils font d’abord valoir principalement que la société CEP HAUTS DE FRANCE a manqué de la plus élémentaire vigilance face à l’activité illégale des structures APCOA KFT, ORPEA et APCOA. S’appuyant sur les textes visés au dispositif et la jurisprudence, ils détaillent l’obligation de vigilance du banquier, en soulignant le contexte particulier de la baisse d’attrait pour l’épargne « traditionnelle » et l’utilisation croissante d’internet comme support de diffusion des offres. Ils évoquent les placements identifiés par l’Autorité des marchés financiers (AMF) comme étant des « placements à haut risque, avec rendements annoncés parfois irréalistes ».
Ils soulignent que cette obligation est bien applicable à la relation entre les parties. En réplique à la banque, les consorts [R] soulignent qu’ils fondent leurs demande sur l’obligation de vigilance et non l’obligation de déclaration de la banque. Ils font également valoir que la banque ne saurait être exonérée de son obligation au motif qu’il n’y avait rien à reprocher aux clients.
Ils soutiennent qu’en l’espèce, la banque n’a pas été assez vigilante :
– au regard des placements atypiques opérés ;
– face aux très nombreuses alertes des autorités compétentes sur les propositions d’investissement frauduleuses usurpant le nom, l’adresse, le logo et/ou le numéro d’agrément d’acteurs autorisés;
– quant aux structures APCOA KFT, ORPEA et APCOA ;
– quant au fonctionnement inhabituel du compte bancaire de Monsieur et Madame [R] eu égard au caractère exorbitant des sommes virées en quatre mois, sans rapport avec le revenu fiscal des époux ; au caractère profane des époux ; à la mention de nouveaux bénéficiaires. Ici, ils font encore valoir que le fait qu’ils ont préparé leurs investissements, en créditant leurs comptes des montants nécessaires pour procéder aux paiements ne suffit à retirer aux opérations leur caractère anormal.
Ils ajoutent que la localisation à l’étranger des destinataires des fonds, rendant toute réclamation ou tentative de recouvrement difficile, voire impossible était un indice d’anormalité de l’opération.
Ils concluent qu’ en dépit de ces nombreux éléments, la société CEP HAUTS DE FRANCE n’a ni alerté ses clients de manière générale, ni effectué le moindre contrôle concernant la situation de Monsieur et Madame [R] ; qu’il n’y a eu aucun contrôle ni aucune vigilance, de manière abstraite ou concrète ; qu’elle aurait dû refuser de prêter son concours aux opérations effectuées par ses clients.
Sur l’indemnisation, ils considèrent que la banque ne peut prétendre bénéficier d’aucune immunité s’agissant du respect de ses obligations de vigilance, de surcroît en l’absence de réalisation de toute déclaration de soupçon ; que les banques évoquent constamment mais de façon erronée un arrêt en date du 28 avril 2004 (n°02-15.254) retenant que la responsabilité civile d’un établissement bancaire ne saurait être engagée sur le fondement de l’obligation de vigilance.
Subsidiairement, ils se prévalent du manquement de la banque à son devoir général de vigilance posé par la Cour de Cassation sur les dispositions du Code civil, imposant au banquier de ne pas exécuter sans réagir une opération présentant une anomalie apparente, que celle-ci soit matérielle ou intellectuelle, ou une opération manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale ou dans les habitudes de son client.
A titre subsidiaire, ils se prévalent de son manquement à son devoir d’information fondé sur les dispositions de l’article 1112-1 du Code civil.
In fine, il détaillent leur préjudice matériel soit les sommes investies déduction faite des “prétendus intérêts” versés au titre des placements. Ils soulignent que la banque doit les rembourser de la somme totale car l’exercice de son devoir de vigilance par la banque aurait perrmis d’éviter l’entier préjudice. Ils invoquent également un préjudice moral et un préjudice de jouissance.
Ils contestent toute faute de leur part, n’étant pas astreints à une obligation de contrôle de la qualité et du sérieux de leur interlocuteur d’une part ; et n’ayant pas été négligents mais ayant été manipulés d’autre part.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées par la voie électronique le 31 mai 2023, la CAISSE D’ÉPARGNE ET DE PRÉVOYANCE HAUTS DE FRANCEdemande au tribunal de :
Vu les articles L. 133-3, L. 133-6, L. 133-8 I, L. 133-13, L. 561 et suivants, L. 574-1 du Code monétaire et financier,
Vu les articles 514-1, 514-5, 699 et 700 du Code de procédure civile,
DEBOUTER Monsieur [L] [R] et Madame [G] [Z] épouse [R] de l’intégralité de leurs demandes ;
CONDAMNER solidairement Monsieur [L] [R] et Madame [G] [Z] épouse [R] au paiement d’une somme de 6.000 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ;
CONDAMNER solidairement Monsieur [L] [R] et Madame [G] [Z] épouse [R] à supporter l’intégralité des dépens.
En toute hypothèse,
ECARTER l’exécution provisoire de la décision à intervenir ou subsidiairement, la subordonner à la constitution par Monsieur [L] [R] et Madame [G] [Z] épouse [R] d’une garantie émanant d’un établissement bancaire de premier ordre et d’un montant suffi sant pour répondre de toutes restitutions dues en cas d’infi rmation du jugement.
En soutien, et tout d’abord :
– elle souligne que dans le cadre des faits soumis à la juridiction, elle n’agissait qu’en qualité de teneur de compte, et non comme prestataire de services d’investissements ;
– elle insiste sur les conditions dans lesquelles les requérants démarchés ont investi, l’origine de leurs fonds, le rendez-vous en visio avec une personne dont les traits ne correspondaient pas avec la photographie accompagnant la signature dans les mails ;
– souligne l’absence de documents contractuels ;
– insiste encore sur la préparation de l’opération – ajout d’un bénéficiaire nécessitant une authentification forte ; préparation de l’investissement par le crédit en compte des sommes nécessaires – et sur les bénéfices perçus ;
– sur la découverte de la fraude, simplement en prenant attache avec la véritable société LFDE.
Puis, elle soutient principalement que le dispositif « LCB/FT » prévu aux articles L. 561-1 et suivants du CMF imposant aux établissements bancaires un contrôle des opérations inhabituelles ou suspectes dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, n’a pour seule finalité que la détection portant sur des sommes en provenance du trafic des stupéfiants ou d’activités criminelles organisées » et les obligations de vigilance et de déclaration qu’il impose « n’ont pas été édictées pour la satisfaction d’intérêts privés : elles ne relèvent que de la protection de l’intérêt général », en sorte que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier, selon jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de Cassation.
Puis, elle considère qu’il n’y a pas manquement au devoir général de vigilance. Elle rappelle que le régime de responsabilité des prestataires de service de paiement institué par la directive 2007/64/CE – transposé aux articles L. 133-1 et suivants du Code monétaire et financier – est exclusif de tout autre régime national de responsabilité civile ; que ce régime repose essentiellement sur la distinction entre opérations « autorisées » et « non autorisées » ; qu’il n’est pas prévu aux termes de la loi une responsabilité de la banque pour avoir exécuté une opération autorisée ; que seule l’exécution des opérations non autorisées est susceptible d’engager la responsabilité du teneur de compte.
Elle ajoute que la circonstance que le payeur ait pu être trompé par un tiers quant à l’opération sous-jacente n’aff ecte pas le caractère autorisé de l’opération ; qu’en présence d’une opération de paiement autorisée, l’article L. 133-13 du Code monétaire et financier impose à la Banque de l’exécuter à bref délai, sous peine d’engager sa responsabilité en cas de refus ou de retard d’exécution.
Elle précise qu’issue de la jurisprudence relative aux chèques frauduleux, la vigilance générale a été conçue comme le devoir de détecter les anomalies apparentes, matérielles et intellectuelles, afin d’éviter l’exécution d’un ordre faux ou falsifié ; que le caractère inhabituel d’un ordre de paiement n’impose à la banque, en cas de doute à ce sujet, que de s’assurer du caractère autorisé du paiement ; qu’ il n’incombe à la banque aucun devoir relatif aux opérations sous-jacentes aux mouvements bancaires, le devoir de non-ingérence interdisant à la banque de s’immiscer dans les affaires de son client, d’investiguer sur l’opportunité de l’opération sous-jacente ou la probité du cocontractant de son client.
En l’espèce, elle souligne que les opérations étaient autorisées, préparées activement par les intéressés, que n’interfère pas la circonstance que le compte ait été domicilié à l’étranger, en vertu du principe de non discrimination.
Elle soutient que la position des requérants appuyée sur quelques décisions de cour d’appel, consiste en une version très étendue du devoir de vigilance du banquier, ne correspondant ni à la législation ni à la jurisprudence.
Elle ajoute en réplique que les requérants ne démontrent pas avoir informé la banque des modalités et finalités des investissemens litigieux, ni que la banque avait connaissance des URL utilisés par ce même prestataire ; que les publications de l’AMF s’adressent en priorité aux futurs investisseurs et les époux [R] ont manifestement négligé les vérifications des éléments qu’ils étaient les seuls à pouvoir réaliser, du fait des informations dont ils disposaient ; qu’aux termes de son arrêt du 21 septembre 2022 (précité), la Cour de cassation indique que des recherches sur l’identité des bénéficiaires de paiement constituent un dépassement des obligations de la banque.
Elle s’oppose à un quelconque manquement à une obligation d’information, étant étrangère à l’investissement litigieux.
Elle soutient que les requérants ont commis une faute à l’origine de leur préjudice, en confiant leur épargne sans s’assurer des compétences, de l’expérience et de la probité de leur prestataire, alors qu’ils ne le connaissaient pas et, à suivre leurs écritures, qu’ils n’avaient aucunement sollicité ses services, les paiements ayant été opérés sans cadre contractuel.
En toute hypothèse, elle considère qu’ils ne démontrent pas leur préjudice, les époux [R] ne communiquant aucun élément permettant de comprendre et de s’assurer de la réalité des faits allégués et de la rupture des relations avec leur prestataire.
Sur le quantum du préjudice, elle soutient qu’ils ne pourraient se prévaloir que d’une perte de chance ; que l’intervention de la banque n’aurait pu consister qu’à obtenir confirmation de leur consentement aux ordres litigieux, ce qui n’est pas contesté, en sorte qu’aucune indemnisation n’est due.
Sur la responsabilité de la banque
Sur l’obligation de vigilance dans le cadre du dispositif de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme
En application de l’article L. 561-4-1 du code monétaire et financier, les établissements bancaires, mentionnés à l’article L. 562-1 du code monétaire et financier, sont soumis à une obligation de vigilance afin de lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
La mise en oeuvre des mécanismes de vigilance est déclinée par les articles L. 561-1 à L. 564-2 du code monétaire et financier et aux articles R. 561-1 à R. 565-4 pour ce qui concerne les dispositions réglementaires.
Ces dispositions énoncent un ensemble de mesures ou de précautions à prendre par, notamment, l’établissement bancaire, et celui-ci doit être en mesure de justifier auprès de l’autorité mentionnée à l’article L. 561-36 du même code de la mise en oeuvre de ces mesures et de leur adéquation au risque de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme présenté par la relation d’affaires.
Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l’article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l’application de l’article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l’article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d’autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.
Si les dispositions de lutte contre le blanchiment telles que transposées en droit français doivent s’interpréter à la lumière de l’article 12 du traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne suivant lequel » les exigences de la protection des consommateurs sont prises en considération dans la définition et la mise en ‘uvre des autres politiques et actions de l’Union » et du considérant 61 de la 4e directive UE n°2015/849 du 20 mai 2015 du parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 selon lequel » l’adoption de normes techniques de règlementation dans le domaines des services et financiers devrait garantir une harmonisation cohérente et une protection adéquate des déposants, des investisseurs et des consommateurs dans l’ensemble de l’Union « , il ne peut être déduit que l’intérêt protégé par ces dispositions est l’intérêt particulier de chaque consommateur dans la mesure où la mise en oeuvre de ces objectifs est laissée à l’appréciation des Etats membres.
En l’occurence, le législateur français a choisi de mettre en oeuvre ces objectifs en confiant aux autorités mentionnées à l’article L. 561-36 du code monétaire et financier la charge d’assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration.
Il s’en déduit que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l’organisme financier. (Cour de cassation 21 septembre 2022 n°21.12-335).
Ces dispositions, relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme, qui sont dérogatoires au principe de non-ingérence de la banque, n’ont en effet été édictées que pour la protection de l’intérêt général.
Par suite ce moyen sera écarté.
Sur l’obligation générale de vigilance de la banque
La banque qui reçoit un ordre de virement doit, afin de l’exécuter promptement ainsi que l’exigent les dispositions de l’article L. 133-13 du code monétaire et financier, uniquement vérifier l’identité du donneur d’ordre et l’état d’approvisionnement du compte à débiter.
Il résulte également des articles 1104 et 1231-1 du code civil, dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016 applicable en l’espèce, que la banque, en sa qualité de teneur de compte, est tenue d’une obligation de vigilance la contraignant à vérifier les anomalies apparentes, matérielles ou intellectuelles, notamment d’un ordre de virement.
Néanmoins, le devoir de non-ingérence limite le contrôle du banquier, qui ne doit pas surveiller les mouvements du compte de son client ni s’immiscer dans ses affaires, en l’absence d’anomalie apparente.
L’anomalie apparente est celle qui ne doit pas échapper au banquier suffisamment prudent et diligent face à des faits anormaux, manifestement litigieux.
En présence d’une telle anomalie, le banquier se doit de tout mettre en oeuvre pour éviter le préjudice qui résulterait pour la banque elle-même ou pour un tiers de la réalisation de cette opération.
En l’espèce, il ressort des pièces produites par les demandeurs que :
– le 16 octobre 2020, M. [R] a sollicité sa conseillère au sujet d’éventuels comptes à termes rémunérateurs qu’elle serait en capacité de lui proposer ;
– le 17 octobre, la conseillère lui répondait que la banque n’avait plus de comptes à termes mais annexait à son mail une simulation sur les SCPI en comparaison avec sa propre simulation.
Puis, les requérants produisent un mail d’un certain [D] [U], se présentant en tant que gestionnaire de patrimoine de la Financière de l’Echiquier, du 21 décembre 2020, les renseignant sur les avantages de l’investissement dans un fond immobilier à court terme.
Le 9 janvier 2021, M. [R] informait sa conseillère, par mail, de son souhait de virer la somme de 25.000 euros sur un compte APCOA et de son souhait de débloquer le seuil de virement sur son compte. Le 12 janvier 2021, la conseillère de l’intéressé répondait qu’elle avait transféré sur la boîte mail Caisse d’Epargne un élargissement de son droit au virement de 30.000 euros à effectuer avant l’opération. Elle indique au client : “attention tout de même cet argent part en Bulgarie (y a t il une garantie des dépôts dans ce pays ?)”.
Les époux [R] ont ordonné, entre le 12 janvier 2021 et le 15 mai 2021, depuis leur compte ouvert dans les livres de la CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HDF, trois virements d’un montant total de 57.400 € vers des comptes situés dans des pays de l’Union Européenne aux bénéficiaires “ORPEA” et “APCOA KFT”.
Il n’est pas contesté que les ordres de virement, qui ont tous été exécutés ensuite par la banque, ont été effectués par les titulaires du compte lui-même et que la Caisse d’Epargne n’est pas à l’origine des opérations d’investissement par les consorts [R].
Il ressort de leurs échanges en octobre 2020 que la banque connaissait effectivement le souhait de ses clients d’investir mais il n’est pas démontré que les plaquettes d’information sur les placements envisagés par les consorts [R] avec la Financière de l’Echiquier aient été communiqués à la banque, contrairement à ce qu’ils soutiennent, étant relevé que les échanges avec le prétendu [I] [U] sont postérieurs pour dater du mois de décembre dans les pièces communiquées aux débats.
Au demeurant, il n’est pas établi que les placements envisagés étaient atypiques ni que la société la Financière de l’Echiquier au nom de laquelle un certain [D] [U] s’est présenté aux requérants pour proposer les placements, avait été signalée comme ayant une activité douteuse. Il ressort d’ailleurs de la plainte des requérants que contactée par ceux-ci, ladite société les a informés qu’elle n’était pas à l’origine de la démarche et qu’il s’agissait d’une escroquerie.
Les requérants soutiennent qu’il ressort du site internet de l’AMF que « sept URL ont été utilisées par les escrocs puis inscrites sur les listes noires de l’autorité de régulation dans la catégorie « Usurpation », dès le 11 février 2021. Ils versent aux débats la justification de l’inscription dans cette catégorie à compter du 11 férvier 2021 de sept URL de la “lfde” mais en tout état de cause cette inscription est postérieure aux virements. De surcroît, il ne ressort pas des échanges entre les requérants et la banque que les consorts [R] l’ait informée d’un engagement avec la Financière de l’Echiquier.
Puis, il ne ressort pas des pièces des requérants que les titulaires des comptes destinataires des transferts tels qu’ils sont renseignés sur les documents produits, faisaient l’objet d’un signalement de la part de l’autorité des marchés financiers.
Si les virements ont été faits vers des banques domiciliées dans des pays membres de l’Union Européenne, cette circonstance n’est pas de nature à caractériser une anomalie dès lors qu’ils n’ont pas placé le compte des requérants en situation débitrice, la banque justifiant au contraire que le consorts [R] avaient préparé l’opération en abondant leur compte des sommes nécessaires. Quant à l’importance des montants virés par rapport aux ressources de ses clients, il y a lieu de rappeler que la banque a un devoir de non-immixtion dans la conduite des affaires de son client, les opérations étant intervenues sur un compte créditeur.
De surcroît, il y a lieu de relever qu’en l’occurrence, l’établissement bancaire a fait preuve de prudence en demandant à son client, après avoir été sollicité à cette fin par mail, de réaliser sa démarche de déblocage de plafond par le biais de la messagerie mobile Caisse d’Epargne, et en alertant son client sur la domiciliation du compte bancaire à l’étranger.
Dans ces circonstances, il n’est démontré aucun manquement de la banque à son obligation générale de vigilance.
Sur l’obligation d’information
Il est acquis que l’ouverture d’un compte bancaire met à la charge du banquier une obligation d’information à l’égard de sa clientèle pendant toute la durée de leur relation contractuelle.
Lorsque la banque agit comme simple dépositaire de sommes en numéraires qui lui sont confiées ou en tant que mandataire de son client, dans le cadre de l’exécution d’opérations sur instructions et pour le compte de son client, le principe de non-ingérence auquel elle est tenue limite le devoir d’information lui incombant, ce qui est le cas en l’espèce.
Il sera ici encore souligné que les requérants ne démontrent pas avoir informé la banque, qui n’est pas à l’origine de l’opération litigieuse, sur les caractéristiques des investissements envisagés.
La banque ne connaissait que le nom des titulaires des comptes destinataires des transferts au sujet desquels il n’est pas démontré qu’ils faisaient l’objet d’un signalement de la part de l’autorité des marchés financiers.
Les références à des établissements bancaires produites par les requérants aux fins de démontrer le rôle actif des banques au regard de l’évolution des pratiques frauduleuses ne sont pas de nature à établir un manquement de la défenderesse à son obligation d’information dès lors qu’ils visent des produits atypiques que sont les diamants et la cryptomonnaie, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, ou encore des opérations aux montants plus conséquents, le tout dans le cadre d’échanges non intégralement versés aux débats.
Dès lors, aucun manquement à son obligation d’information ne peut être retenu contre la société défenderesse.
Il résulte de l’ensemble des développements ci-dessus que la responsabilité de la Caisse d’Epargne ne saurait être engagée de sorte que les consorts [R] seront déboutés de l’ensemble de leurs demandes indemnitaires.
Sur les demandes accessoires
Les consortsDerouard succombant sont condamnés aux entiers dépens et condamnés à payer la banque la somme de 2800 euros pour ses frais non compris dans les dépens.
Eu égard à l’issue du litige, il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.
Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, prononcé par mise à disposition au greffe,
DEBOUTE [L] [R] et [G] [Z] épouse [R] de leur demande de condamnation de la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE à leur rembourser la somme de 56.692,30 €, correspondant à la totalité de leur investissement, en réparation de leur préjudice matériel.
DEBOUTE [L] [R] et [G] [Z] épouse [R] de leur demande de condamnation de la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE à leur verser la somme de 11.338,46 euros, correspondant à 20 % du montant de leur investissement, en réparation de leur préjudice moral et de jouissance,
CONDAMNE [L] [R] et [G] [Z] épouse [R] à payer à la la société CAISSE D’EPARGNE ET DE PREVOYANCE HAUTS DE FRANCE la somme de 2800 euros pour ses frais non compris dans les dépens,
DIT n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire,
CONDAMNE [L] [R] et [G] [Z] épouse [R] aux entiers dépens de l’instance.
LE GREFFIER POUR LA PRESIDENTE EMPECHEE
Benjamin LAPLUME Nicolas VERMEULEN