Responsabilité bancaire et vigilance : Évaluation des obligations face aux investissements à risque

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Responsabilité bancaire et vigilance : Évaluation des obligations face aux investissements à risque

Mme [G] a un compte au CIC et a réalisé des virements totalisant 159 950 euros entre le 23 mai et le 1er juillet 2023 pour des placements financiers conseillés par [Y] [V], rencontrés en ligne, qui se sont avérés être une escroquerie. Elle a déposé plainte le 2 octobre 2023. Le 6 juin 2023, le CIC lui a fait signer une lettre de décharge avertissant des risques de perte totale. Le 2 novembre 2023, Mme [G] a assigné le CIC en justice pour obtenir réparation de son préjudice financier, moral et des frais de justice. Le CIC a demandé le rejet des demandes de Mme [G] et a réclamé des frais. Le tribunal a rendu son ordonnance le 15 octobre 2024, déboutant Mme [G] de ses demandes et la condamnant à payer des dépens et des frais au CIC.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

15 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
23/13973
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le 15/10/2024
A Me HUPIN
Me MARTINET

9ème chambre 2ème section

N° RG :
N° RG 23/13973 – N° Portalis 352J-W-B7H-C27IE

N° MINUTE :

JUGEMENT
rendu le 15 Octobre 2024
DEMANDERESSE

Madame [P] [G]
[Adresse 3]
[Localité 4]

représentée par Me Maude HUPIN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #G0625

DÉFENDERESSE

S.A. CREDIT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL
[Adresse 1]
[Localité 2]

représentée par Me Julien MARTINET, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #D1329

Décision du 15 Octobre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/13973 – N° Portalis 352J-W-B7H-C27IE

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint,
Augustin BOUJEKA, Vice-président,
Alexandre PARASTATIDIS, Juge,

assistés de Robin LECORNU, Greffier lors de l’audience, et de Camille CHAUMONT, Greffière lors de la mise en état.

DÉBATS

A l’audience du 03 Septembre 2024 tenue en audience publique devant Gilles MALFRE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 15 octobre 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
en premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

Mme [G] est titulaire d’un compte dans les livres du CIC.

Elle expose avoir effectué divers virements entre le 23 mai 2023 et le 1er juillet 2023, pour un montant total de 159 950 euros, dans le cadre de placements financiers conseillés par un dénommé [Y] [V] dont elle a fait connaissance sur internet, placements qui se sont révélés être une escroquerie pour laquelle Mme [G] a déposé plainte le 2 octobre 2023.

Le 6 juin 2023, le CIC a fait signer à sa cliente une lettre de décharge comportant une mise en garde contre un risque de perte totale des sommes investies.

Par acte du 2 novembre 2023, Mme [G] a fait assigner le CIC devant le tribunal judiciaire de Paris afin qu’il soit condamné à lui payer, sous le bénéfice de l’exécution provisoire, la somme de 159 950 euros en réparation de son préjudice financier, celle de 5 000 euros au titre de son préjudice moral, outre la somme de 4 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 25 avril 2024, le CIC demande au tribunal de débouter Mme [G] de ses demandes et de la condamner à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Par conclusions du 13 juin 2024, Mme [G] maintient ses demandes.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 18 juin 2024.

SUR CE

A titre liminaire, dans ses conclusions du 13 juin 2024, en page 2, Mme [G] fait état des virements suivants effectués dans le cadre de l’escroquerie dont elle a été victime :

– un virement de 10 000 euros en date du 23 mai 2023, somme recréditée le 25 mai 2023 ;
– un virement de 10 000 euros en date du 27 mai 2023 ;
– un virement de 100 000 euros en date du 1er juin 2023, somme recréditée le 5 juin 2023 ;
– trois virements distincts de 33 000 euros le 6 juin 2023, sommes recréditées le 7 et 9 juin 2023 ;
– un virement de 50 000 euros le 14 juin 2023 ;
– un virement de 50 000 euros le 14 juin 2023 ;
– un virement de 100 000 euros le 21 juin 2023 ;
– un virement de 50 000 euros le 21 juin 2023 ;
– un crédit de 100 000 euros le 30 juin 2023 ;
– un virement de 50 000 euros le 1er juillet 2023 ;
– un virement de 49 950 euros le 1er juillet 2023.

Or, en ne tenant pas compte des sommes recréditées visées ci-dessus, le total des opérations débitées s’élève à la somme de 259 950 euros.

Mme [G] n’explique pas pourquoi elle n’évalue qu’à 159 950 euros le total des sommes détournées, ce montant correspondant à sa demande principale de condamnation de la banque.

Par ailleurs, la requérante ne précise à aucun moment les conditions dans lesquelles certaines sommes virées ont été recréditées.

Au vu des relevés de compte et des avis d’opérations produits aux débats par les parties, il sera retenu que les sommes suivantes ont été définitivement virées dans le cadre de l’escroquerie, sans retenir les sommes recréditées :

– un virement d’un montant de 10 000 euros le 27 mai 2023, au profit d’un compte ouvert au Luxembourg, au nom de PAYESAFE PAYMENT SOLUTIONS LTD ;
– un virement d’un montant de 50 000 euros le 14 juin 2023, au profit d’un compte ouvert en Lituanie, au nom de Mme [G] ;
– un virement d’un montant de 50 000 euros le 15 juin 2023, au profit d’un compte ouvert en Lituanie, au nom de ALCHENY GPS EUROPE UAB ;
– un virement d’un montant de 50 000 euros le 21 juin 2023, au profit d’un compte ouvert au Luxembourg, au nom de PAYSAFE PAYMENT SOLUTIONS LTD.

Soit un total de 160 000 euros.

Sur le manquement de la banque à son devoir de vigilance :

C’est à tort que Mme [G] fonde sa demande principale sur le non-respect de l’obligation de vigilance et de déclaration imposée aux organismes financiers, en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier.

En effet, ces dispositions ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, de sorte que la requérante ne peut s’en prévaloir pour réclamer des dommages-intérêts, étant ajouté qu’en l’espèce aucun soupçon de cette nature n’est étayé quant aux opérations réalisées.

Ce principe a été posé par la Cour de cassation, dans un arrêt du 28 avril 2004 (Com. n° 02-15.054) et réaffirmé dans un arrêt plus récent du 21 septembre 2022 (Com. n° 21-12.335).

Sur le devoir général de vigilance, il est rappelé que si la banque est tenue à une obligation générale de vigilance, en sa qualité de teneur du compte de son client, au regard du principe de non-ingérence elle ne saurait procéder à des investigations particulières. La banque n’a donc pas à se préoccuper de la destination des fonds ou de l’opportunité des opérations effectuées. Elle engage d’ailleurs sa responsabilité si elle n’exécute pas les virements ordonnés par son client.

Il en va différemment si elle se trouve confrontée, à l’occasion d’opérations demandées par son client, à des anomalies et irrégularités manifestes qu’elle doit détecter, conformément à son obligation de vigilance.

En l’espèce, Mme [G] fait état des anomalies suivantes :

– la banque n’a pas été vigilante au regard de la nature atypique des placements financés par les virements, dont elle aurait dû contrôler la légalité ;

– la décharge signée le 6 juin 2023 démontre que la banque avait connaissance du caractère anormal des opérations, outre que le CIC mentionne dans cette pièce que les investissements envisagés pourraient être des escroqueries, de sorte que la banque devait s’opposer à ces virements ou alerter sa cliente sur les risques encourus ;

– elle se trouvait, lors des opérations litigieuses, dans une situation de vulnérabilité, alors que son frère venait de décéder et qu’elle avait été hospitalisée ;

– les montants des virements effectués sont sans commune mesure avec ceux des opérations habituellement pratiquées sur son compte ;

– ces virements ont été réalisés sur une période de temps rapprochée et le nombre de ces opérations est très important.

Ceci étant exposé.

En l’espèce, les ordres de virement émanaient tous de la cliente, de sorte qu’ils étaient autorisés au sens de l’article L. 133-6 du code monétaire et financier et que la banque devait, sous peine d’engager sa responsabilité, les exécuter, étant observé que le compte bancaire de Mme [G] était suffisamment provisionné par des fonds lui appartenant.

Il importe peu que les opérations en cause aient été prétendument inhabituelles dans leur montant et leur fréquence, Mme [G] restant libre de dépenser son épargne comme bon lui semble. Au surplus, la demanderesse ne produit ses relevés de compte que sur la période limitée du 1er au 19 juin 2023, ce qui ne permet pas de déterminer le fonctionnement habituel de son compte quant à la fréquence et au montant des opérations réalisées.

Par ailleurs, Mme [G] ne démontre pas que la banque avait connaissance, lors des opérations litigieuses, de l’état de vulnérabilité qu’elle allègue.

Sur les risques des investissements effectués, la requérante est mal venue à reprocher à la banque son inaction. En effet, le CIC justifie que le 6 juin 2023, soit à la suite du premier virement contesté, il a attiré l’attention de sa cliente sur les risques attachés aux investissements en matière de crypto-monnaies, la mettant en garde sur ces risques et lui déconseillant de réaliser ce type d’opérations.

Malgré cette alerte, Mme [G] a déclaré dans cette décharge avoir bien pris connaissance de la mise en garde de sa banque et compris les risques encourus, confirmant vouloir réaliser de telles opérations de sa seule initiative et en supporter toutes les conséquences, notamment financières.

La banque a donc précisément alerté sa cliente sur le caractère des opérations envisagées, respectant ses obligations en la matière, alors qu’elle avait connaissance, dans des circonstances non précisées par les parties, de l’objet des virements.

Par conséquent, c’est d’une manière assumée que Mme [G] a effectué les opérations qu’elle conteste aujourd’hui. Elle est mal fondée à rechercher la responsabilité de la banque, en sa simple qualité de teneur du compte depuis lequel les virements ont été effectués, alors qu’elle était déterminée à effectuer ces opérations, quelles que soient les mises en garde que son banquier ait pu alors lui adresser.

Mme [G] ne saurait reprocher à sa banque de ne pas s’être opposée à ces virements, alors qu’elle n’en avait pas le pouvoir, s’agissant d’ordres de virement réguliers.

Mme [G] sera dès lors déboutée de ses demandes.

Sur les autres demandes :

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, Mme [G] sera condamnée au paiement de la somme de 1 500 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, contradictoirement et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Déboute Mme [P] [G] de ses demandes ;

La condamne aux dépens, ainsi qu’à payer à la SA CIC la somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Fait et jugé à Paris le 15 Octobre 2024

La greffière le Président


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