Responsabilité bancaire et protection des consommateurs : enjeux de l’authentification des opérations financières

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Responsabilité bancaire et protection des consommateurs : enjeux de l’authentification des opérations financières

Mme [H] [D] épouse [W] possède un compte-courant et un livret A à la BNP Paribas. En juillet 2018, plusieurs opérations ont été effectuées sur son compte, incluant des virements vers des bénéficiaires inconnus et un paiement par carte bancaire, totalisant 17 671,82 euros. Estimant avoir été victime d’un piratage, elle a contesté ces opérations auprès de la banque et a signalé les faits à la gendarmerie. La BNP Paribas a refusé de la rembourser, affirmant que les opérations avaient été authentifiées. Après plusieurs échanges, Mme [W] a assigné la banque en justice, mais le tribunal a débouté ses demandes et l’a condamnée à payer des frais. Elle a interjeté appel, demandant le remboursement des sommes contestées et des dommages-intérêts. La BNP Paribas a, de son côté, soutenu que les opérations étaient autorisées et a demandé la confirmation du jugement initial. L’affaire est en cours, avec une audience prévue en juin 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

18 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
22/13328
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 5 – Chambre 6

ARRET DU 18 SEPTEMBRE 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 22/13328 – N° Portalis 35L7-V-B7G-CGFXM

Décision déférée à la Cour : Jugement du 08 Juin 2022 -TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS RG n° 19/04840

APPELANTE

Madame [H] [D] épouse [W]

née le [Date naissance 3] 1946 à [Localité 8] – Pologne

[Adresse 5]

[Localité 7]

Représentée par Me Virginie DOMAIN, avocat au barreau de PARIS, toque : C2440

Ayant pour avocat plaidant Me Vincent COHEN STEINER de la SARL CLAIRMONT, avocat au barreau de PARIS, toque : C0623

INTIMEE

S.A. BNP PARIBAS prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 4]

[Localité 6]

N° SIRET : 662 042 449

Représentée par Me Nicolas BAUCH-LABESSE de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, toque : E0022, avocat plaidant

COMPOSITION DE LA COUR :

L’affaire a été débattue le 10 Juin 2024, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Marc BAILLY, président de chambre

MME Pascale SAPPEY-GUESDON, conseillère

MME Laurence CHAINTRON, conseillère

qui en ont délibéré, un rapport a été présenté à l’audience par MME Laurence CHAINTRON dans les conditions prévues par l’article 804 du code de procédure civile.

Greffier, lors des débats : Mme Mélanie THOMAS

ARRET :

– Contradictoire

– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

– signé par Marc BAILLY, président de chambre et par Mélanie THOMAS, greffier, présent lors de la mise à disposition.

Faits et procédure :

Mme [H] [D] épouse [W] est titulaire d’un compte-courant n°[XXXXXXXXXX01] et d’un livret A n°[XXXXXXXXXX02] ouverts dans les livres de la société BNP Paribas.

Au mois de juillet 2018, des opérations ont été réalisées sur son compte :

– deux nouveaux bénéficiaires de virement ont été ajoutés à la liste établie en ligne,

– deux transferts d’argent ont été effectués à partir de son compte épargne vers son compte courant,

– deux virements ont été effectués à partir de son compte courant :

– un premier virement d’un montant de 9 866 euros a été réalisé, le 28 juillet 2018, au bénéfice de ‘Madame [G] [O]’,

– un second virement d’un montant de 5 201 euros a été réalisé, le 31 juillet 2018 au bénéfice de ’98SDC[Adresse 5] Co [Z] [Y]’,

– un débit a été effectué sur sa carte bancaire pour un montant de 2 604,82 euros au profit de la société Emirates,

soit un montant total de 17 671,82 euros.

S’estimant victime d’un piratage de ses données bancaires, et soutenant ne pas être à l’origine de ces opérations, ni ne connaître les bénéficiaires des virements, Mme [H] [W] a signalé ces opérations auprès de la société BNP Paribas en :

– les dénonçant au directeur de son agence par courriers en date des 31 juillet et 3 août 2018,

– en remplissant et retournant à la société BNP Paribas, le 7 août 2018, les formulaires de contestation d’opération d’usage confirmant l’absence d’autorisation de sa part tant pour les deux virements en ligne que pour le paiement effectué avec sa carte bancaire et en faisant opposition à sa carte bancaire.

Elle a également signalé en ligne ces opérations les 1er et 3 août 2018 auprès de la gendarmerie.

Par lettre du 16 août 2018, la société BNP Paribas a refusé de l’indemniser de ces opérations au motif qu’elles ont été confirmées et authentifiées par sa cliente.

Par lettre recommandée avec demande d’avis de réception du 12 septembre 2018, l’avocat de Mme [W] a mis en demeure la société BNP Paribas de rembourser les opérations contestées, ce qu’a refusé la banque par lettre du 31 octobre 2018.

Par lettre du 15 novembre 2018, l’avocat de Mme [W] a contesté ce refus et par lettre du 20 décembre 2018, la banque a maintenu sa position.

Par exploit d’huissier du 8 avril 2019, Mme [D] épouse [W] a fait assigner la SA BNP Paribas devant le tribunal judiciaire de Paris en restitution des sommes détournées.

Par jugement contradictoire du 8 juin 2022, le tribunal judiciaire de Paris :

– a débouté Mme [H] [D] épouse [W] de l’ensemble de ses demandes ;

– l’a condamnée au paiement à la SA BNP Paribas d’une somme de 1 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

– l’a condamnée aux entiers dépens ;

– a dit n’y avoir lieu au prononcé de l’exécution provisoire.

Par déclaration remise au greffe de la cour le 12 juillet 2022, Mme [D] épouse [W] a interjeté appel de cette décision contre la SA BNP Paribas.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 octobre 2022, Mme [D] épouse [W] demande, au visa des articles L.133-18, L.133-23, L. 133-24 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier, à la cour de :

– juger qu’elle est recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juin 2022 en ce qu’il l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes et en ce qu’il l’a condamnée à payer à BNP Paribas la somme de 1 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens,

Statuant à nouveau :

– condamner la banque BNP Paribas à lui rembourser la somme de 17 671,82 euros,

– condamner la banque BNP Paribas à lui payer sur cette somme les intérêts de retard dus à compter de la délivrance de l’assignation,

– ordonner la capitalisation des intérêts,

– condamner la banque BNP Paribas à lui payer la somme de 3 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive résultant du refus abusif à lui rembourser les sommes dues,

– condamner la banque BNP Paribas au paiement de la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi,

– condamner la banque BNP Paribas à lui payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la banque BNP Paribas aux entiers dépens.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 5 janvier 2023, la SA BNP Paribas demande, au visa des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier, 6, 1147, 1240 (ancien article 1382), et 1353 (ancien article 1315) du code civil et des articles 6 et 8 du code de procédure civile, à la cour de :

A titre principal :

– considérant que les opérations litigieuses sont des opérations de paiement autorisées par Mme [H] [W] au sens du code monétaire et financier,

– considérant, à défaut, que Mme [H] [D] épouse [W] a commis une négligence grave dans l’exécution des opérations contestées, dont elle ne rapporte par ailleurs pas la preuve du caractère ‘anormal’,

– considérant que Mme [H] [D] épouse [W] est défaillante dans l’administration de la preuve d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité,

– confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Paris le 8 juin 2022 (RG n° 19/04840) en ce qu’il a débouté Mme [H] [D] épouse [W] de l’ensemble de ses demandes,

– débouter Mme [H] [D] épouse [W] de ses demandes, fins et prétentions,

En toute hypothèse,

– condamner Mme [H] [D] épouse [W] au paiement d’une somme de 5 000 euros en application des dispositions de l’article 700 du CPC,

– condamner Mme [H] [D] épouse [W] à supporter l’intégralité des dépens.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux dernières conclusions écrites déposées en application de l’article 455 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 7 mai 2024 et l’audience fixée au 10 juin 2024.

MOTIFS

Sur la responsabilité de la banque

Mme [D] épouse [W] fait valoir que la société BNP Paribas est débitrice d’une obligation de remboursement à son égard en application des dispositions des articles L. 133-18, L. 133-19 et L.133-23 du code monétaire et financier. Elle soutient avoir constaté différentes opérations frauduleuses réalisées entre le 28 et le 31 juillet 2018 dont elle a informé sa banque par courriers des 31 juillet et 3 août 2018 et avoir déposé deux signalements en ligne d’utilisation frauduleuse de carte bancaire, de sorte que la banque aurait dû rétablir le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu.

Elle allègue que la nature frauduleuse des opérations ne peut être contestée car le premier virement a été effectué au profit d’un bénéficiaire qui lui était inconnu. Le second virement a été effectué à un nom de bénéficiaire similaire à l’un de ceux enregistré sur le compte et correspondant à un syndic. Or, les relevés de compte de ce syndic ne mentionnent aucun virement de sa part et le motif du virement indique qu’il s’agit d’un prêt, alors qu’elle n’a jamais entendu prêter de l’argent au syndic de copropriété de son immeuble. Enfin, elle n’a jamais eu recours à la compagnie aérienne Fly Emirates.

Elle fait valoir qu’aucune négligence grave et aucune fraude ne lui sont imputables et que la charge de la preuve de ces dernières incombe à la banque. Or, la société BNP Paribas ne fait état que des prétendues authentifications des opérations litigieuses par les procédures de 3D Secure pour le paiement par carte de crédit, et par authentification de la clef digitale, pour les virements frauduleux et non d’une négligence de sa part. Elle a toujours démenti avoir reçu des demandes de confirmations sur son téléphone portable et la preuve de leur existence n’est pas rapportée. Elle affirme avoir fait toute diligence pour assurer la préservation de la confidentialité de ses identifiants bancaires et notamment du code de sa carte bleue et de ses codes d’accès à son espace personnel sur le site internet BNP Paribas et/ou l’application mobile conformément aux dispositions légales en vigueur et n’a jamais divulgué les informations confidentielles tenant à ses instruments de paiement. Elle reproche au tribunal d’avoir renversé la charge de la preuve en considérant qu’il lui appartient de prouver la matérialité de la fraude afin de démontrer qu’elle n’a pas autorisé les trois opérations frauduleuses.

Enfin, Mme [D] épouse [W] se prévaut d’un manquement de la banque à son devoir de vigilance sur le fondement de l’article 1147 du code civil et du non respect par la banque des dispositions prévues aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier concernant les règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.

La société BNP Paribas rappelle que seule l’exécution d’opérations de paiement non-autorisées est susceptible d’engager la responsabilité du teneur de compte. Le caractère autorisé d’une opération est entendu objectivement et dépend exclusivement du respect de ‘la forme convenue’ entre la banque et son client. En vertu de l’article L. 133-23 du code monétaire et financier, l’utilisation conforme de l’instrument de paiement prouve, dans certains cas, le caractère autorisé de l’opération et selon la directive service de paiement, le respect d’une procédure d’authentification forte suffit à qualifier le paiement d’opération autorisée.

Elle fait valoir que les opérations contestées par Mme [W] ont été authentifiées, enregistrées et comptabilisées sans la moindre défaillance technique. Pour chacun des virements litigieux, l’autorisation a été donnée par l’intermédiaire de la clé digitale, impliquant la connaissance du numéro du client, de son code secret et la possession de son téléphone portable. Mme [W] ne prétend pas ne pas avoir détenu son téléphone portable sur lequel la clé digitale est ‘attachée’ ni même que celle-ci ait été ‘désenrôlée’ de ce téléphone, alors que le changement de bénéficiaire a été validé par l’intermédiaire de la clé digitale. De plus, les deux virements bancaires ont été ordonnés selon la procédure d’authentification forte, de sorte que ces opérations sont autorisées au sens du code monétaire et financier. Pour le règlement en ligne par l’intermédiaire de la carte bancaire, la saisie du code secret reçu par SMS démontre également la possession de la carte bancaire et du téléphone portable de Mme [W]. Les éléments produits par Mme [W] en réponse à la sommation de communiquer ne répondent pas à celle-ci et ne permettent pas de justifier l’affirmation selon laquelle elle n’aurait pas reçu de SMS et la banque démontre qu’un SMS a été adressé au numéro de Mme [W]. La charge de la preuve n’est pas inversée dès lors qu’il appartient à Mme [W] de rapporter la preuve de ses allégations, puisque la BNP Paribas démontre que les opérations ont été réalisées par l’intermédiaire d’une authentification forte.

La société BNP Paribas soutient ensuite que s’il est considéré que les opérations litigieuses ne sont pas autorisées, la négligence grave du titulaire du compte demeure exonératoire de responsabilité pour la banque. Elle rappelle que la preuve de la négligence grave peut être rapportée au moyen d’un faisceau d’indices. Elle relève que Mme [W] n’a pas pris la peine de déposer une plainte ou de se présenter au rendez vous fixé par la banque afin d’évoquer ces opérations. Elle en déduit que Mme [W] a nécessairement commis une négligence grave puisque compte tenu de l’authentification des opérations, elle a joué un rôle actif dans chaque opération contestée. Contrairement à ce que soutient Mme [W], le tribunal n’a pas appliqué une présomption de négligence grave à son encontre, mais a précisé les éléments de fait lui permettant de justifier ses considérations.

S’agissant de son devoir de vigilance, la société BNP Paribas fait valoir que les règles relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ne peuvent être invoquées par un particulier pour agir en responsabilité civile contre un établissement bancaire et qu’elle est tenue à un devoir de non immixtion dans les affaires de son client.

Il résulte de l’article 34, VIII, 3°, de l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017, que l’article L. 133-44 du code monétaire et financier, auquel renvoie son article L. 133-19, V est entré en vigueur le 14 septembre 2019, dix-huit mois après l’entrée en vigueur du règlement délégué (UE) 2018/389 de la Commission du 27 novembre 2017 complétant la directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil par des normes techniques de réglementation relatives à l’authentification forte du client et à des normes ouvertes communes et sécurisées de communication.

En conséquence, à la date des faits litigieux, les dispositions du code monétaire et financier applicables étaient les suivantes :

– article L. 133-6 : ‘I. Une opération de paiement est autorisée si le payeur a donné son consentement à son exécution.’

– article L. 133-18 : ‘En cas d’opération de paiement non autorisée signalée par l’utilisateur dans les conditions prévues à l’article L. 133-24, le prestataire de services de paiement du payeur rembourse au payeur le montant de l’opération non autorisée immédiatement après avoir pris connaissance de l’opération ou après en avoir été informé, et en tout état de cause au plus tard à la fin du premier jour ouvrable suivant, sauf s’il a de bonnes raisons de soupçonner une fraude de l’utilisateur du service de paiement et s’il communique ces raisons par écrit à la Banque de France. Le cas échéant, le prestataire de services de paiement du payeur rétablit le compte débité dans l’état où il se serait trouvé si l’opération de paiement non autorisée n’avait pas eu lieu.’

– article L. 133-19 :

‘I. ‘ En cas d’opération de paiement non autorisée consécutive à la perte ou au vol de l’instrument de paiement, le payeur supporte, avant l’information prévue à l’article L. 133-17, les pertes liées à l’utilisation de cet instrument, dans la limite d’un plafond de 50 €.

Toutefois, la responsabilité du payeur n’est pas engagée en cas :

‘ d’opération de paiement non autorisée effectuée sans utilisation des données de sécurité personnalisées ;

‘ de perte ou de vol d’un instrument de paiement ne pouvant être détecté par le payeur avant le paiement ;

‘ de perte due à des actes ou à une carence d’un salarié, d’un agent ou d’une succursale d’un prestataire de services de paiement ou d’une entité vers laquelle ses activités ont été externalisées.

II. ‘ La responsabilité du payeur n’est pas engagée si l’opération de paiement non autorisée a été effectuée en détournant, à l’insu du payeur, l’instrument de paiement ou les données qui lui sont liées.

Elle n’est pas engagée non plus en cas de contrefaçon de l’instrument de paiement si, au moment de l’opération de paiement non autorisée, le payeur était en possession de son instrument.

III. ‘ Sauf agissement frauduleux de sa part, le payeur ne supporte aucune conséquence financière si le prestataire de services de paiement ne fournit pas de moyens appropriés permettant l’information aux fins de blocage de l’instrument de paiement prévue à l’article L. 133-17.

IV ‘ Le payeur supporte toutes les pertes occasionnées par des opérations de paiement non autorisées si ces pertes résultent d’un agissement frauduleux de sa part ou s’il n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17.

V et VI inapplicables avant le 14 septembre 2019″

– article L. 133-16 :

‘Dès qu’il reçoit un instrument de paiement, l’utilisateur de services de paiement prend toute mesure raisonnable pour préserver la sécurité de ses dispositifs de sécurité personnalisés.

Il utilise l’instrument de paiement conformément aux conditions régissant sa délivrance et son utilisation’.

– article L. 133-17 alinéa 1er :

‘I. ‘ Lorsqu’il a connaissance de la perte, du vol, du détournement ou de toute utilisation non autorisée de son instrument de paiement ou des données qui lui sont liées, l’utilisateur de services de paiement en informe sans tarder, aux fins de blocage de l’instrument, son prestataire ou l’entité désignée par celui-ci.’

– article L. 133-23 : ‘Lorsqu’un utilisateur de services de paiement nie avoir autorisé une opération de paiement qui a été exécutée, ou affirme que l’opération de paiement n’a pas été exécutée correctement, il incombe à son prestataire de services de paiement de prouver que l’opération en question a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre.

L’utilisation de l’instrument de paiement telle qu’enregistrée par le prestataire de services de paiement ne suffit pas nécessairement en tant que telle à prouver que l’opération a été autorisée par le payeur ou que celui-ci n’a pas satisfait intentionnellement ou par négligence grave aux obligations lui incombant en la matière. Le prestataire de services de paiement, y compris, le cas échéant, le prestataire de services de paiement fournissant un service d’initiation de paiement, fournit des éléments afin de prouver la fraude ou la négligence grave commise par l’utilisateur de services de paiement.’

Il est de jurisprudence que s’il entend faire supporter à l’utilisateur d’un instrument de paiement doté d’un dispositif de sécurité personnalisé les pertes occasionnées par une opération de paiement non autorisée rendue possible par un manquement de cet utilisateur, intentionnel ou par négligence grave, aux obligations mentionnées aux articles L. 133-16 et L. 133-17 de ce code, le prestataire de services de paiement doit aussi prouver que l’opération en cause a été authentifiée, dûment enregistrée et comptabilisée et qu’elle n’a pas été affectée par une déficience technique ou autre (Com. 12 nov. 2020, n° 19-12.112).

En l’espèce s’agissant des deux virements réalisés le 28 juillet 2018, au bénéfice de ‘Madame [G] [O]’ et le 31 juillet 2018 au bénéfice de ’98SDC[Adresse 5] Co [Z] [Y]’, comme l’a relevé le tribunal, il n’est pas contesté que ces deux virements ont été authentifiés suivant le système de clé digitale, permettant d’authentifier les demandes de paiement du titulaire du compte, de désignation de nouveaux bénéficiaires de virements, et de virements à des tiers en entrant un code secret (clé digitale) depuis son seul téléphone portable, suivant un service qui n’a pu être mis en place qu’avec l’apposition de son empreinte digitale.

Ainsi, une fois la clé digitale enregistrée, la validation des opérations susvisées doit obligatoirement être effectuée au moyen de cette clé, et ce depuis le terminal mobile sur lequel la clé a été installée.

Toutefois, les conséquences juridiques de l’usage d’une authentification forte tirées de l’entrée en vigueur des articles L. 133-44 et L. 133-19 du code monétaire et financier dans leur rédaction issue de l’ordonnance du 9 août 2017, postérieures aux faits litigieux comme étant du 14 septembre 2019, il résulte des textes rapportés ci-dessus que la banque est, en principe, tenue de rembourser à sa cliente les sommes virées sans son autorisation, sauf à démontrer que celle-ci a agi frauduleusement ou encore n’a pas satisfait à son obligation de préservation de la sécurité du dispositif de sécurité personnalisé, et ce, soit intentionnellement ou par négligence grave.

En l’espèce, comme le relève la banque, il existe un faisceau d’indices lui permettant de rapporter la preuve d’une négligence grave commise par Mme [W].

En effet, dès lors que Mme [W] ne soutient, ni n’allègue que son téléphone portable ait fait l’objet d’un vol, il doit être considéré que ces virements ont nécessairement été authentifiés par elle, ou par une personne qui avait à sa disposition ses données de sécurité personnalisées et confidentielles.

Mme [W] n’a pas déposé plainte, alors qu’elle a prétend que les auteurs des virements ont pris possession de l’ensemble de ses données bancaires, mais s’est contentée de procéder à des signalements auprès de la gendarmerie.

Elle ne s’est par ailleurs pas présentée au rendez-vous fixé par la banque afin d’évoquer ces opérations.

De plus, comme l’a retenu le tribunal, le seul fait que Mme [W] affirme ne pas connaître [G] [O] et la production du relevé du compte de gestion de son syndicat de copropriété, lequel est d’ailleurs désigné comme étant bien le ’98 SDC [Adresse 5] Co [Z] [Y]’, ne mentionnant pas au crédit le virement en cause, ne démontrent pas l’absence d’autorisation émanant de Mme [W], ni même l’absence d’encaissement effectif de cette somme par le syndicat de copropriété, la pièce versée n’étant pas exhaustive.

Enfin, il n’est fait état d’aucune faille dans le système de sécurité de paiement.

S’agissant du paiement en ligne par carte bancaire au profit de la société Emirates, c’est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a considéré que : ‘la banque démontre avoir envoyé un SMS de confirmation de paiement au numéro de téléphone attribué à Mme [W], sans que celle-ci conteste l’attribution de ce numéro de téléphone. Or, sans l’apposition de ce code dont seule la personne en possession de son téléphone a connaissance, le paiement en ligne n’a pas pu être effectué. Par conséquent, il doit en être déduit à l’identique que Mme [W] a authentifié ce paiement, ou laissé son téléphone personnel à la disposition d’un tiers par négligence.’

S’agissant du défaut de vigilance, le tribunal a rappelé à bon droit que les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 et L. 561-6 du code monétaire et financier ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme et que la victime d’agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l’inobservation de ces obligations de vigilance et de déclaration pour réclamer des dommages et intérêts à l’organisme financier (Com., 28 avr. 2004, n° 02-15.054 ; 21 sept. 2022, n° 21-12.335).

C’est donc à juste titre qu’il en a déduit que Mme [W] n’est pas fondée à en tirer argument.

En application de l’article 1231-1 du code civil, le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.

Sauf disposition légale contraire, la banque est tenue à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client, quelle que soit la qualité de celui-ci, et n’a pas à procéder à de quelconques investigations sur l’origine et l’importance des fonds versés sur ses comptes ni même à l’interroger sur l’existence de mouvements de grande ampleur, dès lors que ces opérations ont une apparence de régularité et qu’aucun indice de falsification ne peut être décelé (Com., 25 sept. 2019, no 18-15.965, 18-16.421). Ainsi, le prestataire de services de paiement, tenu d’un devoir de non-immixtion dans les affaires de son client, n’a pas, en principe, à s’ingérer, à effectuer des recherches ou à réclamer des justifications des demandes de payement régulièrement faites aux fins de s’assurer que les opérations sollicitées ne sont pas périlleuses pour le client ou des tiers.

S’il est exact que ce devoir de non-ingérence trouve une limite dans l’obligation de vigilance de l’établissement de crédit prestataire de services de payement, c’est, comme l’énonce le tribunal, à la condition que l’opération recèle une anomalie apparente, matérielle ou intellectuelle, soit des documents qui lui sont fournis, soit de la nature elle-même de l’opération ou encore du fonctionnement du compte.

Comme le relève la banque, Mme [W] ne justifie pas du caractère anormal des opérations litigieuses dès lors qu’elle ne produit qu’un extrait du relevé de son compte chèque sur une période d’un mois du 9 juillet au 9 août 2018.

Par ailleurs comme l’a relevé le tribunal, le compte chèque de Mme [W] a été préalablement alimenté par son livret A avant de réaliser les opérations dont elle conteste être l’auteur.

Dans ces conditions, alors que les opérations n’apparaissent pas anormales, il ne saurait être reproché à la banque, tenue d’un devoir de non-ingérence dans les affaires de sa cliente, de ne pas s’être rapprochée d’elle afin de vérifier l’authenticité des ordres de paiement.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu’il a retenu qu’aucune faute ne saurait être reprochée à la banque et a débouté en conséquence Mme [W] de sa demande de remboursement.

Sur les demandes de dommages et intérêts

Compte tenu du sens de la présente décision, Mme [W] ne peut qu’être déboutée de ses demandes de dommages et intérêts au titre de son prétendu préjudice moral et pour résistance abusive, le jugement déféré étant confirmé de ce chef.

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Aux termes de l’article 696, alinéa premier, du code de procédure civile, la partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n’en mette la totalité ou une fraction à la charge d’une autre partie. L’appelante sera donc condamnée aux dépens.

En application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il n’apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de la société BNP Paribas les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’engager dans la présente instance pour assurer la défense de ses intérêts. Elle sera par conséquent déboutée de sa demande à ce titre.

PAR CES MOTIFS,

Confirme le jugement du tribunal judiciaire de Paris du 8 juin 2022 ;

Y ajoutant,

DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [H] [D] épouse [W] aux entiers dépens d’appel ;

REJETTE toute autre demande.

Le Greffier Le Président


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