Madame [I] [F] [C] a un compte au Crédit Lyonnais et a demandé un virement de 184.000 euros vers l’Australie le 23 août 2021. Le Crédit Lyonnais a confirmé l’opération et a exécuté le virement le 25 août 2021. En novembre 2022, Madame [F] [C] a informé la banque que cette somme avait été perdue à cause d’une escroquerie, demandant un remboursement pour manque de vigilance de la part de la banque. Elle a assigné le Crédit Lyonnais en janvier 2023, réclamant des dommages-intérêts pour préjudice financier et moral. En mars 2024, le Crédit Lyonnais a demandé le rejet des demandes de Madame [F] [C] et a réclamé des frais. Le tribunal a rendu son jugement le 13 septembre 2024, déboutant Madame [F] [C] de toutes ses demandes et la condamnant aux dépens ainsi qu’à payer 4.000 euros au Crédit Lyonnais. L’exécution provisoire a été écartée.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
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9ème chambre
2ème section
N° RG 23/00576 –
N° Portalis 352J-W-B7H-CYW63
N° MINUTE : 2
Assignation du :
10 Janvier 2023
JUGEMENT
rendu le 13 Septembre 2024
DEMANDERESSE
Madame [I] [F] [C]
[Adresse 3]
[Localité 4]
représentée par Maître Maude HUPIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #G0625
DÉFENDERESSE
S.A. CRÉDIT LYONNAIS
[Adresse 1]
[Localité 2]
représentée par Maître Magali TARDIEU-CONFAVREUX de l’AARPI TARDIEU GALTIER LAURENT DARMON associés, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #R0010
Décision du 13 Septembre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00576 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYW63
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Gilles MALFRE, Premier Vice-Président adjoint
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Alexandre PARASTATIDIS, Juge
assistés de Alise CONDAMINE-DUCREUX, Greffière lors des débats, et de Camille CHAUMONT, Greffière lors de la mise à disposition.
DÉBATS
À l’audience du 14 Juin 2024 tenue en audience publique devant Monsieur BOUJEKA, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux conseils des parties que la décision serait rendue par mise à disposition au greffe le 13 Septembre 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
___________________
Madame [I] [F] [C] est titulaire d’un compte ouvert dans les livres du Crédit Lyonnais.
Le 23 août 2021, Madame [F] [C] a adressé un courrier électronique au Crédit Lyonnais pour fournir les informations afférentes à un ordre de virement au montant de 184.000 euros qu’elle voulait charger l’établissement bancaire d’exécuter à destination de l’Australie.
Par courrier électronique en date du 24 août 2021, le Crédit Lyonnais a demandé confirmation de l’intention de Madame [F] [C] de procéder à cette opération, en précisant que les frais afférents s’élèveraient au minimum à la somme de 200 euros. Par courrier électronique du même jour, Madame [F] [C] a confirmé son intention, en indiquant que le montant des frais lui avait déjà été communiqué.
Le 25 août 2021, le Crédit Lyonnais a exécuté cet ordre de virement, au montant de 184.000 euros à destination d’un compte ouvert en Australie dans les livres de la National Australia Bank, au bénéfice de « VIG Client segregated account ».
Par lettre du 21 novembre 2022, Madame [F] [C] a informé le Crédit Lyonnais de ce que la somme de 184.000 euros, correspondant au virement exécuté le 25 août 2021, avait été perdue en raison d’une escroquerie, le Crédit Lyonnais étant alors appelé à rembourser la somme pour avoir engagé sa responsabilité en raison de son manque de vigilance.
C’est dans ce contexte que par acte du 10 janvier 2023, Madame [F] [C] a fait assigner le Crédit Lyonnais en recherche de la responsabilité de cet établissement et, aux termes de ses dernières écritures signifiées le 11 janvier 2024, demande au tribunal de céans, au visa des articles 1104, 1231-1 et suivants du code civil et L561-5 et suivants du code monétaire et financier, de :
– La déclarer bien fondée en ses demandes, fins et conclusions ;
– Débouter la société Crédit Lyonnais de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions ;
– Condamner la société Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 180.000 euros au titre du préjudice financier ;
– Condamner la société Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 2.000 euros au titre du préjudice moral ;
– Condamner la société Crédit Lyonnais à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner la société Crédit Lyonnais « à payer aux entiers dépens » ;
– Ordonner l’exécution provisoire.
Par dernières écritures signifiées le 11 mars 2024, le Crédit Lyonnais demande à ce tribunal, au visa des articles L. 133-1 et suivants, L. 561 et suivants, L. 574-1 du code monétaire et financier, 514-1, 514-5, 699 et 700 du code de procédure civile, de :
– Débouter Madame [I] [F] [C] de l’intégralité de ses demandes ;
– Condamner Madame [I] [F] [C] au paiement d’une somme de 6.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– Condamner Madame [I] [F] [C] à supporter l’intégralité des dépens.
En toute hypothèse,
– Écarter l’exécution provisoire de la décision à intervenir ou subsidiairement, la subordonner à la constitution par Madame [I] [F] [C] d’une garantie émanant d’un établissement bancaire de premier ordre et d’un montant suffisant pour répondre de toutes restitutions dues en cas d’infirmation du jugement.
La clôture a été prononcée le 24 mai 2024, l’affaire étant appelée à l’audience du 14 juin 2024 et mise en délibéré au 13 septembre 2024.
Il est fait expressément référence aux pièces du dossier et aux écritures déposées et visées ci-dessus pour un plus ample exposé des faits de la cause et des prétentions des parties, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
Décision du 13 Septembre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00576 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYW63
Sur la demande principale
Madame [F] [C] précise, à titre liminaire, que l’instruction pénale étant couverte par le secret et en application de l’article 11, alinéa 1er, du code pénal, les arguments du Crédit Lyonnais tenant à ce que la concluante ne démontre pas l’existence de l’escroquerie dont elle dit avoir été victime, doivent être rejetés. Après cette précision, Madame [F] [C] se prévaut des dispositions des articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier pour soutenir que le Crédit Lyonnais n’a pas respecté l’obligation de vigilance inhérente à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. À l’appui de cette argumentation, elle se prévaut d’un arrêt de la Cour de cassation rendu le 26 février 2008 (Cass. Com., 26 février 2008, pourvoi n°07-10.761). Dans le même temps, elle fait reproche à cet établissement de n’avoir pas davantage respecté l’obligation générale de vigilance lui incombant, consistant dans la détection des anomalies apparentes affectant l’opération de paiement litigieuse, eu égard tant au montant très inhabituel du virement au regard des opérations habituelles, que de la destination étrangère de ce virement, sans compter l’absence de contrôle de la légalité des placements effectués ou la fourniture à la concluante d’informations sur ces placements en l’alertant sur les risques afférents. Elle souligne que le Crédit Lyonnais aurait dû se renseigner sur l’opération litigieuse avant de l’exécuter.
En réplique, le Crédit Lyonnais fait valoir, à titre principal, que Madame [F] [C] ne démontre pas l’existence des faits d’escroquerie dont elle dit avoir été victime et, par voie de conséquence, ses préjudices. Pour cet établissement, la demanderesse ne décrit ni ces faits, ni n’en justifie et n’a d’ailleurs pas porté plainte, laquelle n’est au demeurant pas couverte par le secret de l’instruction opposé par la demanderesse, de telle sorte que ne sont prouvés ni la faute, ni le préjudice, ni le lien causal.
Le Crédit Lyonnais soutient, à titre subsidiaire, n’avoir commis aucun manquement préjudiciable à la demanderesse. Il s’oppose en outre à Madame [F] [C] sur la jurisprudence selon laquelle un particulier ne peut invoquer à son profit le non-respect de la règlementation relative à la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. À propos du devoir général de vigilance du banquier, le Crédit Lyonnais rappelle qu’il vient en tempérament du devoir de non-ingérence, sa mise en œuvre se limitant alors à la détection des anomalies apparentes portant sur le consentement du client à l’opération de paiement et non sur son objet, à savoir l’opération sous-jacente. Il estime erronée la vision de Madame [F] [C] consistant à imposer un devoir de renseignement au banquier même quand l’opération de paiement est consentie par le client, ce qui revient à créer à la charge du banquier une obligation de mise en garde que ne prévoit ni la loi, ni la jurisprudence. Il indique que la demanderesse avait autorisé l’opération de paiement litigieuse, laquelle était destinée à un broker australien à qui elle avait déjà transféré des fonds, étant observé que la demanderesse a réitéré à plusieurs reprises sa volonté de réaliser cette opération même après un contrat PEL de la concluante. Pour le Crédit Lyonnais, Madame [F] [C] se livrait à une gestion dynamique de son compte et dans ce contexte, a minutieusement préparé l’opération qui était exempte de toute anomalie apparente tant au regard de la destination étrangère du virement que du fonctionnement habituel du compte en considération du bénéficiaire australien déjà destinataire de deux opérations antérieures et effectuées par la même. Il ajoute que la demanderesse est seule responsable de son préjudice.
Sur ce,
Il est de principe que le banquier teneur de compte est astreint à une obligation de non-ingérence dans les affaires de son client.
Au cas particulier, le Crédit Lyonnais ne pouvait, sans enfreindre cette obligation de non-immixtion, procéder à une surveillance systématique des opérations passées dans le cadre du compte ouvert dans ses livres par Madame [F] [C].
Prenant appui sur cette règle de principe, le Crédit Lyonnais fait reproche à Madame [F] [C] de ne pas apporter la preuve du contexte frauduleux de l’opération sous-jacente au virement litigieux, en particulier par la production d’une plainte qu’elle aurait déposée après coup.
Cependant, une telle preuve s’avère dénuée de toute pertinence dans le règlement du présent litige, dans la mesure où la responsabilité d’un prestataire de services de paiement, pour des faits tels que ceux reprochés au Crédit Lyonnais en l’espèce, exige, pour être engagée, la démonstration d’un manquement inhérent au prestataire dans la réalisation de l’opération querellée, d’un préjudice et d’un lien causal, indépendamment de toute démarche de la victime tendant à faire sanctionner l’infraction pénale supposément concomitante.
Ceci étant précisé, Madame [F] [C] se prévaut tout d’abord de l’obligation spéciale de vigilance incombant au banquier dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Or ainsi que le relève justement le Crédit Lyonnais, Madame [F] [C] ne saurait se prévaloir des dispositions du code monétaire et financier relatives aux obligations des banques en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, en ce que ces dispositions ne visent pas à protéger des intérêts privés.
En effet, il s’agit de règles professionnelles poursuivant un objectif d’intérêt général qui ne peuvent servir de fondement à une action en responsabilité civile.
La demanderesse se prévaut certes de l’arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 26 février 2008 (n°07-10.761) énonçant : « Vu l’article 1147 du code civil, ensemble l’article L. 533-4 du code monétaire et financier, dans sa rédaction alors applicable ;
Attendu qu’aux termes du second de ces textes, le prestataire de services d’investissement est tenu d’exercer son activité avec la compétence, le soin et la diligence qui s’imposent, au mieux des intérêts de ses clients et de l’intégrité du marché, ainsi que de se conformer à toutes les réglementations applicables à l’exercice de son activité de manière à promouvoir au mieux les intérêts de son client et l’intégrité du marché ; qu’il résulte du premier qu’il est tenu de réparer les conséquences dommageables de l’inexécution de ces obligations ;
Attendu que pour rejeter les demandes présentées par M. [N] sur le fondement de manquements imputés à la banque au regard de l’obligation de couverture, l’arrêt retient qu’il est de principe que le donneur d’ordres ne peut invoquer à son profit le non-respect de cette obligation, celle-ci n’étant édictée que dans l’intérêt de l’opérateur et afin de pourvoir à la sécurité des marchés, mais non dans le sien propre, ce qui rend son moyen de ce chef inopérant ;
Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
Cependant, cette décision, qui règle un litige afférent aux obligations d’un prestataire de services d’investissements inhérentes aux prestations qu’il fournit à son client, poursuivant les desseins tout à la fois de protection des marchés, de maintien de la discipline professionnelle et de préservation des intérêts du client, n’est pas transposable au cas particulier.
En effet, les obligations incombant au prestataire de services d’investissements sont sans commune mesure avec celles incombant à un prestataire de services de paiements exécutant un ordre de virement authentifié par le donneur d’ordre, les obligations respectives du prestataire de services d’investissements et du prestataire de services de paiements s’inscrivant au demeurant dans des contextes économiques et réglementaires fort différents.
En réalité, l’obligation de vigilance dont se prévaut Madame [F] [C], qui est relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux, ne peut être invoquée à son profit pour rechercher la réparation de son préjudice, ainsi que l’a précisé la chambre commerciale de la Cour de cassation dans son arrêt du 28 avril 2004 (n°02-15.054), dans une solution réitérée par la même formation le 21 septembre 2022 (n°21-12.335).
En conséquence, le grief, infondé, doit être rejeté.
Madame [F] [C] se prévaut ensuite de l’obligation générale de vigilance incombant au banquier.
Or en vertu de ce devoir général de vigilance, sauf anomalie matérielle ou intellectuelle manifeste, la banque, du fait de son obligation de non-immixtion dans les affaires de son client, ne saurait questionner les virements régulièrement effectués par celui-ci, quel que soit le montant de ces opérations et leur opportunité, sauf à engager sa responsabilité en cas de refus d’exécuter lesdites opérations.
En réalité, le virement en litige exécuté le 25 août 2021 par le Crédit Lyonnais ne présentait aucune anomalie puisque Madame [F] [C] en a elle-même donné l’ordre et reconnaît volontiers l’avoir autorisé, ne l’ayant contesté qu’après avoir découvert l’escroquerie dont elle a indiqué avoir été victime.
Décision du 13 Septembre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/00576 – N° Portalis 352J-W-B7H-CYW63
Il ne saurait par ailleurs être déduit une quelconque anomalie du fait que ce virement portait sur une somme au montant élevé dans la mesure où Madame [F] [C] en a provisionné la quotité par une préparation minutieuse, aucune anomalie n’étant au demeurant caractérisée du fait que l’opération a été effectuée à destination de l’Australie, pays vers lequel Madame [F] [C] avait, selon le Crédit Lyonnais, effectué d’autres virements sans que semblable anomalie ne soit querellée.
Il ne saurait davantage être reproché au Crédit Lyonnais de ne pas avoir vérifié la légalité de l’activité exercée par le bénéficiaire du virement litigieux, alors qu’en sa seule qualité de teneur de compte, cette obligation ne lui incombe pas.
De plus, c’est à tort que Madame [F] [C] soutient que pesait sur la banque une obligation de renseignement et d’information, en particulier en matière d’investissements financiers, pareille obligation ne résultant ni d’un texte que la demanderesse n’invoque d’ailleurs, ni d’une stipulation contractuelle idoine.
Par suite, c’est par une démarche volontaire et délibérée, attestée par les courriers électroniques adressés par l’intéressée les 23 et 24 août 2021, que Madame [F] [C] a, malgré le contre-appel du Crédit Lyonnais en date du 24 août 2021, effectué l’opération de paiement qu’elle conteste dans la présente instance.
La demanderesse est donc mal fondée à rechercher la responsabilité du Crédit Lyonnais, en sa simple qualité de teneur du compte depuis lequel ce virement a été effectué.
En conséquence, Madame [F] [C] sera déboutée de l’ensemble de ses demandes.
Sur les demandes annexes
Succombant, Madame [I] [F] [C] sera condamnée aux dépens, dont distraction au profit de Maître Magali Tardieu-Confavreux du cabinet TGLD Avocats et, conformément à l’équité, à payer à la société anonyme Le Crédit Lyonnais la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Compte tenu de la teneur de la décision, l’exécution provisoire sera écartée.
Le tribunal, statuant publiquement par jugement contradictoire, en premier ressort et par mise à disposition au greffe,
DÉBOUTE Madame [I] [F] [C] de l’ensemble de ses demandes ;
CONDAMNE Madame [I] [F] [C] aux dépens, dont distraction au profit de Maître Magali Tardieu-Confavreux du cabinet TGLD Avocats ;
CONDAMNE Madame [I] [F] [C] à payer à la société anonyme Le Crédit Lyonnais la somme de 4.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
ÉCARTE l’exécution provisoire.
Fait et jugé à Paris le 13 Septembre 2024
La Greffière Le Président