Le 24 février 2015, la SA Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon a accordé un prêt de 200 000 € à M. [Y] à un taux de 2,95 %, remboursable en 84 mensualités. À partir de septembre 2018, M. [Y] a cessé de rembourser le prêt. La banque a mis en demeure M. [Y] par lettre recommandée le 18 octobre 2018, puis a prononcé la déchéance du terme le 14 novembre 2018, demandant le paiement intégral des sommes dues. En mars 2019, la banque a assigné M. [Y] en justice pour obtenir le paiement. Le tribunal judiciaire de Montpellier a rendu un jugement le 24 mai 2022, déclarant la déchéance du terme inopposable à M. [Y], déboutant la banque de ses demandes, ordonnant la reprise de l’exécution du contrat de prêt, et condamnant la banque à verser 2 000 € à M. [Y]. La banque a interjeté appel le 16 juin 2022. Dans ses conclusions, la banque demande la confirmation de la déchéance du terme et le paiement de sommes dues, tandis que M. [Y] conteste la déchéance et demande la confirmation du jugement de première instance.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
4e chambre civile
ARRET DU 26 SEPTEMBRE 2024
Numéro d’inscription au répertoire général :
N° RG 22/03236 – N° Portalis DBVK-V-B7G-POSJ
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 24 mai 2022
Tribunal judiciaire de MONTPELLIER – N° RG 19/01493
APPELANTE :
S.A. Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon – Société anonyme à Directoire et Conseil de Surveillance et d’Orientation au capital de 370 000 000,00 euros – Banque coopérative régie par les articles L.512-85 et suivants du code monétaire et financier, immatriculée au RCS de Montpellier et identifiée au Siren sous le numéro 383.451.267, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Pascale CALAUDI de la SCP CALAUDI-BEAUREGARD-CALAUDI, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant et plaidant
INTIME :
Monsieur [E] [Y]
né le [Date naissance 1] 1975 à [Localité 6]
de nationalité Française
[Adresse 5]
[Localité 4]
Représenté par Me Guillem COLOMER substituant Me Sylvain DONNEVE de la SCP DONNEVE – GIL, avocats au barreau de PYRÉNÉES-ORIENTALES, avocat postulant et plaidant
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 juin 2024, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Mme Marie-José FRANCO, Conseillère, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre
M. Philippe BRUEY, Conseiller
Mme Marie-José FRANCO, Conseillère
Greffier lors des débats : Mme Charlotte MONMOUSSEAU
ARRET :
– contradictoire ;
– prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile ;
– signé par M. Philippe SOUBEYRAN, Président de chambre, et par Mme Charlotte MONMOUSSEAU, Greffière.
* *
FAITS ET PROCÉDURE
Le 24 février 2015, la SA Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon a consenti à M. [E] [Y] un prêt d’un montant de 200 000 € n°4411869 au taux de 2,95 % remboursable en 84 mensualités destiné à financer l’acquisition de parts et titres de sociétés.
A compter du mois de septembre 2018, M. [Y] a cessé d’honorer les échéances du prêt.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 18 octobre 2018, la Caisse d’épargne a mis en demeure M. [Y] de régulariser l’échéance impayée.
Par courrier recommandé avec accusé de réception du 14 novembre 2018, la banque a prononcé la déchéance du terme et vainement mis en demeure M. [Y] d’avoir à payer l’intégralité des sommes dues en vertu du prêt.
C’est dans ce contexte que par acte du 4 mars 2019, la Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon a fait assigner M. [Y] afin d’obtenir paiement.
Par jugement contradictoire du 24 mai 2022, le tribunal judiciaire de Montpellier a :
Dit que la déchéance du terme prononcée par la SA Caisse d’épargne est inopposable à M. [Y] ;
Débouté la SA Caisse d’épargne de l’ensemble de ses demandes;
Débouté M. [Y] de ses demandes de dommages et intérêts;
Ordonné la reprise de l’exécution du contrat de prêt à ses conditions initiales ;
Dit n’y avoir lieu à ordonner le report des échéances du prêt qui du fait de la suspension du contrat ont été reportées ;
Condamné la SA Caisse d’épargne à payer à M. [Y] la somme de 2 000 € sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Ordonné l’exécution provisoire ;
Rejeté les demandes plus amples ou contraires ;
Condamné la SA Caisse d’épargne aux dépens.
La Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon a relevé appel de ce jugement le 16 juin 2022.
PRÉTENTIONS
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 17 mai 2024, la Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon demande en substance à la cour d’accueillir son appel, y faisant droit, réformer le jugement entrepris, et statuant à nouveau, de :
Débouter M. [Y] de toutes ses demandes ;
Au principal,
Dire que la déchéance du terme prononcée par la Sa Caisse d’épargne le 14 novembre 2018 est bien fondée et opposable à M. [Y] ;
Condamner M. [Y] à payer à la Sa Caisse d’épargne la somme de 113 883,68 € avec intérêts au taux de 5,95 % (taux contractuel + 3 points) sur la somme de 110 612,94 € (5 461,53 + 105 151,41 €) du 17 janvier 2019 jusqu’à parfait paiement et au taux légal à compter de la mise en demeure du 14 novembre 2018 jusqu’à parfait paiement sur le 5 534 € ;
Dire y avoir lieu à application de l’article 1343-2 du code civil;
Subsidiairement, condamner M. [Y] à payer à la Sa Caisse d’épargne la somme de 117 664,11 € au titre des échéances échues et impayées avec intérêts au taux de 5,95 % à compter du 5 mai 2022 (dernière échéance contractuelle) jusqu’à parfait paiement ;
En tout état de cause, condamner M. [Y] à payer à la Sa Caisse d’épargne la somme de 3 000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Par dernières conclusions remises par voie électronique le 24 mai 2024, M. [Y] demande en substance à la cour de :
Rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées, constater la responsabilité pour faute de la Sa Caisse d’épargne qui n’a pas procédé aux prélèvements sans raison valable, dans le seul dessein de parvenir à la déchéance abusive du contrat de prêt ;
Dire et juger que la déchéance du terme prononcée par la Sa Caisse d’épargne est inopposable à M. [Y] ;
Confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
Débouter la Sa Caisse d’épargne de l’intégralité de ses demandes ;
Condamner la Sa Caisse d’épargne au paiement d’une somme de 4 000 € en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
Vu l’ordonnance de clôture du 30 mai 2024.
Pour plus ample exposé des éléments de la cause, moyens et prétentions des parties, il est fait renvoi aux écritures susvisées, conformément à l’article 455 du code de procédure civile.
– Sur la faute alléguée de la Caisse d’épargne
La Caisse d’épargne et de prévoyance fait grief au premier juge d’avoir considéré qu’elle aurait dû procéder au prélèvement des échéances ayant motivé la déchéance du terme sur le compte joint de l’emprunteur et de son épouse dès lors qu’elles n’avaient pu être honorées depuis le compte de M. [Y].
Elle fait valoir que le solde de ce compte joint présentait un solde débiteur alors qu’aux termes du contrat de prêt, l’emprunteur s’engage à ce que le compte de prélèvement présente un solde suffisant et qu’en vertu de l’article 19 des conditions générales elle était fondée du fait de l’inexécution par l’emprunteur de ses obligations, à exciper de la déchéance du terme et obtenir paiement de l’intégralité des sommes dues.
Au soutien de sa demande de confirmation du jugement, M.[Y] invoque, quant à lui, les dispositions de l’article 6 des conditions générales du prêt aux termes desquelles à défaut de provision suffisante sur le compte précisé aux conditions particulières, le prélèvement pourra s’opérer sur tout autre compte ou sous compte ouvert dans les livres du prêteur au nom de l’emprunteur de sorte que le compte-joint était bien un compte sur lequel la banque pouvait prélever les échéances du prêt.
Il ajoute que la banque s’est abstenue de prélever l’échéance du mois de novembre 2018 alors qu’il avait déposé sur son compte la somme de 6 500 euros soit une somme supérieure à celle due au titre de deux échéances, et en déduit que comme l’a jugé le tribunal judiciaire de Montpellier, la banque a commis une faute dans l’exécution de ses obligations, et n’est en conséquence pas fondée à se prévaloir de la déchéance du terme.
Sur ce, la cour relève des conditions générales de l’offre de prêt les stipulations suivantes :
– à l’article 6, que pendant toute la durée du prêt, le paiement des sommes devenues exigibles en capital, intérêts, frais ou accessoires s’effectuera par prélèvements sur le compte précisé aux conditions particulières, que l’emprunteur s’engage à ce que le compte de prélèvement présente un solde suffisant, qu’à défaut de provision suffisante, le prélèvement pourra s’opérer sur tout autre compte ou sous compte ouvert dans les livres du prêteur au nom de l’emprunteur.
– à l’article 19, que le prêt pourra être résilié et que la somme prêtée en principal et intérêts ainsi que toutes sommes dues au prêteur, à quelque titre que ce soit deviendront immédiatement exigibles sans sommation mise en demeure ou formalité judiciaire préalable quinze jours après envoi d’une lettre recommandée avec avis de réception notamment dans le cas du non-paiement à la bonne date d’une somme quelconque devenue exigible au titre du contrat, de non-respect des dispositions contractuelles susceptibles d’affecter la capacité de remboursement de l’emprunteur, du défaut de paiement à son échéance d’une seule prime d’assurance.
Il n’est pas contesté par les parties que les conditions particulières de l’offre de prêt désignent comme compte de prélèvement le compte de dépôt n° 13485…882 ouvert au nom de M. [Y] seul.
Il résulte par ailleurs du relevé de ce compte qu’au 5 septembre 2018, date de l’échéance impayée d’un montant de 2 798,02 € visée par la mise en demeure adressée à M. [Y] le 18 octobre 2018, le compte présentait un solde débiteur ne permettant pas d’honorer son règlement, de même qu’il n’est pas contesté par M. [Y] que le solde de ce compte ne permettait pas de régler l’échéance du mois d’octobre 2018 de sorte que les conditions de mise en oeuvre des dispositions qui précèdent relatives au non-paiement à bonne date d’une somme devenue exigible comme permettant à banque de se prévaloir de la déchéance du terme sont réunies.
Ouvre également à la banque cette faculté, le fait pour l’emprunteur de ne pas avoir veillé à ce que le compte de prélèvement présente un solde suffisant pour honorer le règlement de l’échéance, la circonstance que la banque n’ait pas procédé au prélèvement de ladite échéance sur le compte joint ouvert à son nom et celui de son épouse ne pouvant caractériser une faute de la banque dès lors qu’il s’agit pour elle, suivant les termes de l’article 6 du contrat, d’une simple faculté (« le prélèvement pourra s’opérer sur tout autre compte…») et non d’une obligation, et qu’au surplus ledit compte joint présentait le 5 septembre 2018 un solde également débiteur de 26,04 €.
Aucune faute de la banque ne peut enfin être relevée dans le fait qu’elle n’a pas usé du découvert autorisé assortissant ce compte joint dès lors qu’elle-même imposait à l’emprunteur de garantir l’existence d’une provision suffisante sur le compte objet du prélèvement, n’étant pas contesté par M. [Y] que lors du précédent prélèvement effectué par la banque sur ce compte le 15 juin 2018, il présentait un solde positif.
Au regard de ces considérations, le jugement déféré sera infirmé en toutes ses dispositions.
– Sur la déchéance du terme et la créance de la Caisse d’épargne et de prévoyance
Le non-paiement de l’échéance du mois du septembre 2018 en dépit de la lettre recommandée adressée à l’emprunteur le 18 octobre 2018 et reçue par lui dans le délai de quinze jours étant imputable à l’emprunteur seul, délai qui n’est pas déraisonnable au regard du montant de la somme due, la banque était bien fondée par application de l’article 19 des conditions générales à prononcer la déchéance du terme de sorte qu’il sera fait droit à sa demande en paiement de la somme de 113 883,68 € outre intérêts au taux contractuel majoré de 3 points par application de l’article 2 du contrat soit 5,95 % sur la somme de 110 612,94 € à compter du 17 janvier 2019, et au taux légal sur la somme de 5 534 € à compter de la mise en demeure du 14 novembre 2018.
La capitalisation des intérêts sera par ailleurs ordonnée par application de ces mêmes dispositions contractuelles et de l’article 1154 ancien du code civil applicable à l’espèce.
Partie succombante, M. [Y] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel par application de l’article 696 du code de procédure civile.
Statuant par arrêt contradictoire,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Déclare bien-fondée le prononcé par la Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon de la déchéance du terme au titre du prêt n°4411869 consenti à M. [E] [Y] le 24 février 2015.
Condamne en conséquence M. [E] [Y] à payer à la Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon la somme de 113 883,68 € outre intérêts au taux de 5,95 % sur la somme de 110 612,94 € à compter du 17 janvier 2019 et au taux légal sur la somme de 5 534 € à compter de la mise en demeure du 14 novembre 2018.
Ordonne la capitalisation des intérêts dus pour une année entière.
Déboute M. [Y] de ses demandes.
Condamne M. [Y] aux dépens de première instance et d’appel.
Le condamne à payer à la Sa Caisse d’épargne et de prévoyance du Languedoc Roussillon la somme de 2 500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Le Greffier Le Président