Responsabilité bancaire et détournement de fonds : enjeux de la garde des actifs et des obligations de restitution

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Responsabilité bancaire et détournement de fonds : enjeux de la garde des actifs et des obligations de restitution

Contexte de l’affaire

M. [A], un ressortissant français vivant aux États-Unis, a confié la gestion de ses liquidités à plusieurs banques, dont la BNP PARIBAS, la BANQUE PRIVEE FIDEURAM WARGNY, la DEXIA BANQUE, et enfin la banque NEUFLIZE OBC à partir de 2007. Son conseiller, M. [Z], a été licencié pour faute grave en décembre 2010, après une mise à pied.

Détournement des actifs

En février 2011, M. [A] a appris que ses actifs, évalués à 2 256 765 euros, avaient été détournés. La banque NEUFLIZE OBC a déposé plainte contre M. [Z] pour divers délits, tandis que M. [A] a également porté plainte pour escroquerie et faux.

Procédures judiciaires

M. [Z] a été mis en examen en juin 2012, et M. [A] s’est constitué partie civile. En novembre 2012, M. [A] a assigné la banque NEUFLIZE OBC pour obtenir réparation de son préjudice. Un sursis à statuer a été ordonné en 2013, en attendant l’issue de la procédure pénale.

Jugement pénal et appel

Le tribunal correctionnel a rendu son jugement en octobre 2019, condamnant M. [Z] à indemniser M. [A] pour un préjudice matériel de 2 353 148 euros, déduction faite d’une restitution. La cour d’appel a confirmé cette décision en mars 2022.

Intervention d’Allianz

En décembre 2022, la banque NEUFLIZE OBC a assigné la société ALLIANZ IARD pour garantir les condamnations potentielles. Cette instance a été jointe à l’affaire initiale.

Demandes de M. [A]

En septembre 2023, M. [A] a demandé au tribunal de condamner in solidum la banque NEUFLIZE OBC et ALLIANZ à lui verser des sommes considérables, en fonction de différents taux de rendement, ainsi que des intérêts et des frais.

Réponses de la banque et d’Allianz

La ABN AMRO BANK, héritière de la NEUFLIZE OBC, a demandé le déboutement de M. [A] et a contesté le montant de ses demandes. ALLIANZ a également contesté la couverture de ses obligations, invoquant des conditions spécifiques de la police d’assurance.

Évaluation des préjudices

M. [A] a évalué son préjudice à plusieurs millions d’euros, en se basant sur des rendements hypothétiques. La banque a soutenu que le préjudice avait déjà été fixé par le jugement pénal et a contesté la double indemnisation.

Décision du tribunal

Le tribunal a condamné la ABN AMRO BANK à rembourser à M. [A] la somme de 2 276 425 euros, avec intérêts, tout en déboutant les parties du surplus de leurs demandes. La banque a également été condamnée à payer des frais irrépétibles.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

29 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG
16/06463
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le 29/10/2024
A Me FLECHEUX
Me JOURDE
Me PATRIMONIO

9ème chambre 2ème section

N° RG :
N° RG 16/06463 – N° Portalis 352J-W-B7A-CHXGG

N° MINUTE :

JUGEMENT
rendu le 29 Octobre 2024
DEMANDEUR

Monsieur [U] [A]
[Adresse 2]
[Localité 5]
représenté par Me Xavier FLECHEUX, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0537

DÉFENDERESSES

ABN AMRO BANK NV vient aux droits de la banque Neuflize obc
ABN AMRO BANK NV , [Adresse 1]
[Localité 4] PAYS-BAS
représentée par Me Georges JOURDE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #T0006

Société ALLIANZ IARD
[Adresse 6]
[Localité 3]
représentée par Maître Matthieu PATRIMONIO de la SCP RAFFIN & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #P0133

Décision du 29 Octobre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 16/06463 – N° Portalis 352J-W-B7A-CHXGG

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint,
Augustin BOUJEKA, Vice-Président
Alexandre PARASTATIDIS, Juge

assistés de Madame Alise CONDAMINE, Greffière lors de l’audience, et de Madame Camille CHAUMONT, Greffière lors de la mise à disposition

DÉBATS

A l’audience du 27 Août 2024 tenue en audience publique devant Gilles MALFRE, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 22 octobre 2024, date prorogée au 29 octobre 2024.

JUGEMENT

Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort

EXPOSE DU LITIGE

M. [A] est un ressortissant français qui demeure aux Etats- Unis. Il a confié la gestion de ses liquidités à la BNP PARIBAS à compter de l’année 2000 puis, successivement, à la BANQUE PRIVEE FIDEURAM WARGNY, à la DEXIA BANQUE et, à compter du 10 septembre 2007, à la banque NEUFLIZE OBC. Son conseiller était dans chacune de ces banques M. [Z].

Le 7 décembre 2010, la banque NEUFLIZE OBC a licencié M. [Z] pour faute grave, à la suite d’une mise à pied du 19 novembre 2010.

M. [A] précise qu’au mois de février 2011, à l’occasion d’un contact avec M. [W], préposé de la banque NEUFLIZE OBC, il a été informé du détournement total de ses actifs alors évalués à la somme de 2 256 765 euros.

La banque NEUFLIZE OBC a déposé plainte le 16 mars 2011 contre M. [Z], des chefs de faux, usage de faux, abus de confiance et escroquerie, soupçonné d’être à l’origine de ce détournement.

M. [A] a déposé plainte contre M. [Z] le 18 avril 2012, pour escroquerie, faux et usage de faux.

Le 1er juin 2012, M. [Z] a été mis en examen des chefs des délits de faux, usage de faux, abus de confiance et escroquerie et exercice illégal de la profession de banquier. M. [A] s’est constitué partie civile le 29 juin 2012 et la banque NEUFLIZE OBC le 26 juillet 2012.

Par acte du 13 novembre 2012, M. [A] a fait assigner la banque NEUFLIZE OBC devant le tribunal de grande instance de Paris, en tant que dépositaire, sur le fondement de l’article 1937 du code civil, afin qu’elle soit condamnée à lui payer la somme en principal de 2 289 585 euros, outre celle de 100 000 euros à titre de dommages-intérêts, pour la perte occasionnée par le défaut de placement des fonds déposés.

Par ordonnance du 19 décembre 2013, le juge de la mise en état a ordonné un sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, dans l’attente d’une décision définitive à intervenir dans le cadre de la procédure pénale pendante devant le tribunal de grande instance de Paris sous le numéro de parquet 1107793001 et sous le numéro d’instruction 2077/12/4.

Par ordonnance du 15 décembre 2016, le juge de la mise en état a maintenu ce sursis à statuer.

L’événement ayant donné lieu au sursis à statuer est intervenu. En effet, l’instance pénale ayant motivé ce sursis a fait l’objet d’un jugement du tribunal correctionnel de Paris du 16 octobre 2019, confirmé par un arrêt d’appel du 9 mars 2022, cet arrêt n’ayant pas été frappé de pourvoi.

Dans son jugement du 16 octobre 2019, le tribunal correctionnel a reçu M. [A] en sa constitution de partie civile, ce dernier ayant sollicité la condamnation de M. [Z] à lui payer la somme de 2 313 325 euros en réparation de son préjudice matériel et celle de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral. Le tribunal a avalisé l’évaluation faite par les experts selon laquelle le préjudice matériel s’élève à la somme de 2 353 148 euros, dont il doit être déduit celle de 39 823 euros restituée par la BNP PARIBAS dans le cadre d’un accord transactionnel. Le tribunal a en outre condamné M. [Z] à payer à M. [A] la somme de 15 000 euros en réparation de son préjudice moral, du fait de la confiance trahie et de la privation de l’usage des fonds placés.

La cour d’appel a notamment été saisie de l’appel de M. [Z] contre M. [A], sur l’entier dispositif et sur l’action civile quant au préjudice matériel. La banque NEUFLIZE OBC n’a pas interjeté appel du jugement du 16 octobre 2019. Dans son arrêt du 9 mars 2022, la cour a confirmé la condamnation de M. [Z] à payer à M. [A] la somme de 2 313 325 euros, en réparation de son préjudice matériel, et celle de 15 000 euros au titre du préjudice moral.

Par acte du 7 décembre 2022, la banque NEUFLIZE a assigné en intervention forcée la société ALLIANZ IARD, afin qu’elle la garantisse des condamnations pouvant être prononcées à son encontre, au bénéfice de M. [A].

Cette instance a été jointe à l’instance initiale par ordonnance du juge de la mise en état du 15 décembre 2022.

Par ordonnance du 18 janvier 2024, le juge de la mise en état a ordonné la communication, par la société ABN AMRO BANK NV de l’intégralité des échanges intervenus suite au courriel de la société HCC du 26 juin 2012, autre assureur de la banque.

Par conclusions du 7 septembre 2023, M. [A] demande au tribunal :
– à titre principal, de condamner in solidum la banque NEUFLIZE OBC et la société ALLIANZ à lui payer la totalité des sommes débitées sur les comptes ouverts dans les livres de la banque, majorée de 8% l’an pour la période du 18 novembre 2010 au 18 mai 2023, soit la somme de 4 552 850 euros, ou bien, si le tribunal estimait que la perte subie en raison du défaut de placement ne devait commencer à courir qu’à compter de la saisine de la juridiction, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer, à ce titre, pour la période du 13 novembre 2012 au 13 mai 2023, la somme de 4 188 622 euros.
– à titre subsidiaire, si le rendement devait être ramené à 5%, de condamner in solidum les parties adverses à lui payer la totalité des sommes débitées sur les comptes ouverts dans les livres de la banque, majorée du rendement de 5% l’an, pour la période du 18 novembre 2010 au 18 mai 2023, soit la somme de 3 699 190,62 euros ou bien, si le tribunal estimait que la perte subie en raison du défaut de placement ne devait commencer à courir qu’à compter de la saisine de la juridiction, de condamner in solidum les défenderesses à lui payer, à ce titre,pour la période du 13 novembre 2012 au 13 mai 2023, la somme de 3 471 548,12 euros ;
– En tout état de cause, d’assortir les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la décision à intervenir, d’ordonner la publication du jugement sur le site web du défendeur et dans trois revues professionnelles financières, au choix du demandeur et aux frais de la banque NEUFLIZE OBC, de condamner cette dernière, in solidum avec la société ALLIANZ, à lui payer la somme de 50 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile et d’ordonner l’exécution provisoire du jugement à intervenir.

Par conclusions du 31 mai 2024, la ABN AMRO BANK, venant aux droits de la banque NEUFLIZE OBC, demande au tribunal, à titre principal, de débouter M. [A] de ses demandes et de le condamner à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile. Subsidiairement, elle demande au tribunal de limiter la demande principale de M. [A] à la somme de 1 627 947 euros et de limiter la perte de chance au montant des intérêts au taux légal à compter de son assignation. Plus subsidiairement, elle entend que la société ALLIANZ la relève et la garantisse de toutes condamnations prononcées à son encontre et qu’elle soit invitée, si elle l’estime utile, à mettre en cause la société HCC EUROPE.

Elle entend par ailleurs que la société ALLIANZ soit condamnée à lui payer la somme de 10 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Par conclusions du 10 juin 2024, la société ALLIANZ IARD demande au tribunal, à titre principal de débouter la banque NEUFLIZE OBC de ses demandes dirigées à son encontre. Subsidiairement, s’il était jugé que la police d’assurance s’applique, elle s’oppose à la demande de la banque tendant à obtenir la couverture de la société ALLIANZ au titre de la privation de plus-value et au titre des frais et dépens qui seraient mis à sa charge. S’agissant des pertes pour lesquelles la société ALLIANZ doit sa garantie, elle s’oppose aux demandes de la banque. A titre infiniment subsidiaire, elle entend qu’il soit déduit la franchise d’un montant de 750 000 euros de toute condamnation prononcée à son encontre. En tout état de cause, elle demande au tribunal de condamner la banque NEUFLIZE OBC à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

L’ordonnance de clôture a été rendue le 27 juin 2024.

SUR CE

Il convient de rectifier d’office, dans le dispositif des conclusions des parties, la référence à la banque NEUFLIZE OBC, alors qu’il n’est pas discuté qu’à la suite d’une fusion, la ABN AMRO BANK vient aux droits de cette banque.

Sur la demande principale de M. [A] à l’encontre de la ABN AMRO BANK :

A l’appui de sa demande de restitution par la banque des sommes irrégulièrement prélevées sur ses comptes, M. [A] se fonde sur l’article 1937 du code civil, soulignant que la banque n’a pas pu valablement se dessaisir des fonds sur la base de faux ordres de paiement. Il souligne qu’en sa qualité de dépositaire, la banque est tenue d’une obligation de garde de la chose confiée, de non-utilisation de cette chose sans instruction expresse de son propriétaire et de restitution, sous peine d’engager sa responsabilité.

Il fait valoir que ces prélèvements s’élèvent à la somme totale reprise dans le jugement du tribunal correctionnel de Paris, confirmé en appel, soit 2 276 425 euros, pour la période comprise entre le 25 mars 2008 et le 18 novembre 2010 pendant laquelle il avait confié la gestion de ses liquidités à la banque NEUFLIZE OBC.

Il relève que le jugement correctionnel rappelle que l’ensemble des chèques détournés ont été falsifiés par le préposé de la banque, aucun de ces chèques n’étant revêtu de la signature authentique de M. [A]. Il ajoute que le préposé de la banque a vendu ses titres puis a utilisé le produit de cette vente à des fins frauduleuses et ce, à son insu.

Il souligne que l’information judiciaire a établi qu’il recevait à son domicile aux USA des relevés de compte qui se sont avérés être des faux, M. [Z] ayant organisé le détournement des courriers.

Sur les fautes que la banque lui oppose, M. [A] conteste en premier lieu l’existence de liens privilégiés avec M. [Z], qui auraient imbriqué vie professionnelle et personnelle, relevant que ce point n’a pas été retenu par le juge pénal qui a, au contraire, caractérisé les manœuvres du préposé à l’origine des détournements.

Sur l’absence de contrôle des documents administratifs, il réplique qu’au contraire les documents d’entrée en relation étaient irréguliers ou faux.

Sur sa domiciliation extérieure, le requérant fait valoir que ses lettres, notamment les relevés de comptes, ont été adressés successivement à l’adresse d’un cabinet d’avocats qu’il ne connaît pas puis à une société NTS créée par M. [Z], à l’initiative de ce dernier et à son insu.

M. [A] rappelle n’avoir jamais sollicité l’envoi de ses relevés de comptes chez un avocat qu’il ne connaissait pas, la secrétaire de cet avocat ayant ultérieurement admis qu’elle rendait ainsi service à M. [Z], à l’insu de son employeur.

Il ajoute qu’il n’avait pas non plus eu connaissance de sa domiciliation, à son insu, [Adresse 7], pas plus qu’il n’est l’auteur et le signataire de la correspondance adressée à la banque privée ANJOU le 1er décembre 2007, qui constitue un faux.

Le requérant oppose le fait que la réalité de sa domiciliation n’a pas fait l’objet de vérifications de la banque, la hiérarchie de M. [Z] entérinant un formulaire sur lequel apparaissait l’existence de fonds d’origine américaine détenus en USD, une quittance de domicile manifestement contrefaite, mentionnant une adresse londonienne, un passeport partiellement reproduit, et une domiciliation fictive au nom de la réceptionniste d’un cabinet d’avocats inconnu.

Pour ce qui concerne l’absence de contrôle de ses relevés bancaires, M. [A] souligne que l’instance pénale a établi l’envoi de faux relevés de compte. Il indique que, de plus, de nombreux courriels de son banquier le tenant informé de ses investissements se sont avérés contenir de faux bilans trimestriels ou annuels, ainsi que l’a reconnu M. [Z].

Il conteste tout refus de dénoncer les agissements délictueux, soulignant que ce n’est que lors de sa première audition par les enquêteurs, au mois d’avril 2012, qu’il a été complètement informé de la réalité des faits.

Il rappelle ne pas avoir été indemnisé par M. [Z], en exécution du jugement correctionnel.

M. [A] nie avoir aggravé son préjudice, en soutenant la demande de restitution de Mme [V] devant le magistrat instructeur et la chambre de l’instruction, relevant que le juge d’instruction a ordonné la libération, au profit de cette autre victime, des fonds saisis sur un compte ouvert à la BANQUE TRANSATLANTIQUE et dont un rapport d’expertise avait établi qu’ils lui appartenaient. Il estime dès lors ne pas être comptable de cette décision.

En réplique, la ABN AMRO BANK rappelle que, contrairement à ce que soutient M. [A], le juge pénal n’a pas désigné la banque NEUFLIZE OBC civilement responsable des détournements opérés par M. [Z].

Elle soutient que la complaisance fautive de M. [A] envers M. [Z] est à l’origine directe de son préjudice.

Elle reproche au demandeur une absence de contrôle des documents administratifs, en ce que, lors du transfert de ses avoirs à la banque NEUFLIZE OBC, au mois de novembre 2007, les questionnaires de  » connaissance client  » ont été remplis par M. [Z] ainsi que l’a déclaré le directeur de la conformité à la BRDA le 4 mai 2011.

Sur la domiciliation extérieure, la banque rappelle que les experts ont précisé dans leur rapport que M. [A] effectuait très peu d’opérations en dehors des placements et que son courrier était domicilié chez M. [Z] ou chez l’une des sociétés que ce dernier avait créées. Elle précise que l’instruction pénale a révélé que M. [A] avait demandé à ce que ses relevés soient domiciliés au cabinet de Maître [Y], ce que M. [Z] a confirmé lors de la confrontation du 5 mars 2015 devant le juge d’instruction, ajoutant que cette domiciliation est celle qui figure dans la lettre du 1er décembre 2007 de transfert et clôture des comptes, adressée à la banque privée ANJOU, lettre également rédigée par M. [Z]. La banque note qu’au mois de juin 2008, à la suite du retour d’une lettre de la banque portant la mention  » N’habite pas à l’adresse indiquée « , M. [Z] a domicilié M. [A] au siège social d’une de ses sociétés, la société NTS, domiciliation extérieure confirmée par le directeur de la conformité de la banque dans son audition du 4 mai 2011, estimant à cet égard qu’il ne lui appartenait pas d’investiguer sur cette société NTS.

La banque reproche à M. [A] de ne pas s’être inquiété du fait qu’il n’a jamais reçu les relevés de ses comptes pendant près de 10 ans, se contentant de ne recevoir que de simples informations épisodiques par courriels, avec de simples  » photographies  » de son portefeuille, sans détail des opérations.

Elle observe en outre que le requérant a refusé de dénoncer les agissements délictueux malgré des inquiétudes formulées dès le mois de février 2011, quant à son absence d’informations sur ses comptes, prétendant dans un premier temps ne pas être victime, pour ne déposer plainte que le 18 avril 2012.

Ceci étant exposé.

Il est relevé à titre liminaire que le seul fondement juridique de cette demande principale est l’article 1937 du code civil. En effet, si M. [A] vise au dispositif de ses conclusions l’article 1242 5° du code civil, il n’articule dans ses conclusions aucun moyen sur cet autre fondement.

La banque ne conteste pas ses obligations en qualité de dépositaire des fonds remis par M. [A] mais estime qu’il convient d’effectuer un partage de responsabilité, voire une exonération de cette responsabilité, du fait de la négligence fautive de M. [Z].

Il résulte de l’instance pénale que M. [Z], pour accorder des prêts à court terme à des personnalités du monde du spectacle, a, dans un premier temps, utilisé les fonds déposés en banque par M. [A] et dont il avait la gestion. Sa clientèle s’élargissant, il a dû utiliser les fonds déposés sur d’autres comptes par d’autres clients. Il a perdu la maîtrise du système mis en place à partir du moment où certains de ces clients du monde du spectacle ne lui ont pas remboursé les prêts accordés.

Il est donc établi que M. [Z] a dissipé les fonds de M. [A] dont il avait la gestion, ce qui a eu pour conséquence que la banque n’a pas respecté ses obligations en qualité de dépositaire puisqu’elle n’a pas restitué ces fonds déposés dans ses livres.

Sur l’utilisation des comptes de M. [A] par M. [Z], il a définitivement été retenu par le juge pénal que pour masquer l’utilisation des fonds dont il avait la gestion, les relevés bancaires et les chéquiers de M. [A] étaient adressés à un cabinet d’avocat dont la secrétaire, ayant accepté de rendre service à M. [Z], venait les récupérer. Le jugement correctionnel précise ensuite que M. [Z] a fait adresser ces relevés et chéquiers à une de ses société, la société NTS. Ce sont ensuite des faux relevés bancaires qui ont été adressés à M. [A], qui les recevait à son adresse américaine (relevés de décembre 2007 à décembre 2009).

La banque NEUFLIZE OBC a d’ailleurs expliqué avoir retrouvé dans l’ordinateur de M. [Z] les  » bandeaux  » de tous les établissements bancaires à partir desquels ces faux relevés de comptes ont été fabriqués. Elle a confirmé que les relevés reçus par M. [A], pour les mois de février, mars, juin et septembre 2010, étaient des faux documents.

M. [Z] a reconnu que pour justifier auprès de M. [A] de la gestion de son patrimoine, il lui remettait des relevés bancaires ou des situations de compte qui étaient des faux documents.

Le juge pénal a retenu que M. [Z] avait mis en place des stratagèmes sophistiqués destinés à endormir la vigilance de M. [A] (fausses situations ou faux relevés bancaires, appels téléphoniques et courriels adressés sous une fausse identité), afin d’utiliser les fonds placés.

La banque n’est pas fondée à remettre en cause ces éléments retenus par le juge pénal, en sollicitant du présent tribunal qu’il examine à nouveau les pièces de l’instruction ouverte à l’encontre de M. [Z].

La ABN AMRO BANK ne saurait par conséquent soutenir que M. [A] serait à l’origine de sa domiciliation auprès d’un cabinet d’avocat, alors que le juge pénal a estimé que M. [Z] était responsable de cette domiciliation, afin de masquer ses agissements. De même, il ne peut être imputé à M. [A] une domiciliation auprès d’une société NTS, alors que le juge pénal a retenu que M. [Z] était à l’origine de cette manœuvre.

C’est également à tort que la banque soutient que M. [A] aurait dû réagir à l’absence de réception des relevés bancaires de ses comptes pendant dix ans. En effet, les fonds de M. [A] n’ont été déposés dans les livres de la banque NEUFLIZE OBC qu’à compter du mois de novembre 2007, de sorte que la banque ne peut pas reprocher à M. [A] une absence de réactions, du fait d’un défaut de réception des relevés de compte pour une période antérieure à cette date. Par ailleurs, la banque a déposé plainte contre M. [Z] dès le 16 mars 2011.

De plus, il a été définitivement retenu par le juge pénal que des faux relevés bancaires ont été adressés à M. [A] à son adresse américaine, de décembre 2007 à décembre 2009, ainsi que pour les mois de février, mars, juin et septembre 2010, la réception de ces derniers relevés résultant d’ailleurs des propres déclarations de la banque reprises dans le jugement correctionnel.

Sur les négligences qu’elle reproche à M. [A], la banque évoque le fait que lors du transfert de ses avoirs à la banque NEUFLIZE OBC, au mois de novembre 2007, les questionnaires de connaissance client ont été remplis par M. [Z], alors que le requérant reproche désormais à la banque de ne pas avoir été vigilante quant aux documents produits à l’appui de ces questionnaires, qui seraient des faux. La banque mentionne également le fait que la demande de carte Visa Premier du 1er juin 2008, qu’utilisait régulièrement le requérant, a été remplie par M. [Z].

Ces éléments pourraient être de nature à imputer une faute de la banque dans le contrôle des agissements de son préposé, M. [Z], mais ne constituent pas une faute de M. [A] propre à atténuer la responsabilité de la ABN AMRO BANK dans ses obligations de dépositaire.

Par ailleurs, la banque oppose au demandeur une faute, en ce qu’il a tardé à dénoncer les agissements de M. [Z]. Sur ce point, il est relevé que M. [A] a été informé du détournement de ses fonds au mois de février 2011 mais qu’il n’a déposé plainte contre M. [Z] que le 18 avril 2012.

Ce retard est cependant compréhensible dans la mesure où, manifestement, des liens d’amitié s’étaient tissés entre eux, M. [Z] gérant les fonds du requérant depuis l’année 2000 et ce, sans problème particulier. C’est à compter de l’année 2003 que M. [Z] a mis en place son système de prêts à court terme au profit de personnalités du spectacle, en utilisant dans un premier temps les fonds de M. [A]. Ainsi que cela a été précédemment rappelé, le juge pénal a retenu que M. [Z] avait mis en place un stratagème sophistiqué pour masquer ces agissements avec succès et pendant de nombreuses années. Il ne saurait donc être reproché à M. [A] de n’avoir déposé plainte que plus d’un an après la découverte du détournement de ses fonds.

Enfin, la ABN AMRO BANK reproche à M. [A] d’avoir aggravé son préjudice en soutenant la demande de restitution de fonds de Mme [V], alors qu’il avait été remboursé partiellement par un virement sur ses comptes à la BANQUE TRANSATLANTIQUE, restitution pourtant rejetée à deux reprises par la chambre de l’instruction.

Sur ce point, il est justifié que par ordonnance du 8 août 2013, le juge d’instruction a refusé de faire droit à une première demande de restitution formée par Mme [V]. Cette ordonnance a été confirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction du 15 mai 2014, qui a opposé à cette restitution, comme le premier juge, la fongibilité des montants inscrits au crédit des comptes bancaires saisis empêchant une individualisation des avoirs de Mme [V]. Il ne résulte pas des termes de cet arrêt que M. [A], représenté par son conseil, aurait soutenu cette demande de restitution.

Par une ordonnance du 8 août 2017, le juge d’instruction a fait droit à cette demande de restitution, étant relevé que devant le premier juge l’avis des autres parties civiles n’est pas sollicité. Cette ordonnance n’a pas été frappée d’appel.

Cette ordonnance évoque une deuxième ordonnance du juge d’instruction du 16 juillet 2015, ayant fait droit à la requête de Mme [V] mais infirmée par un arrêt de la chambre de l’instruction du 19 mai 2016. Cet arrêt n’étant pas versé aux débats, il ne peut être établi que M. [A] aurait appuyé, à hauteur d’appel, cette autre demande de restitution.

Dès lors, contrairement à ce que soutient la banque, il n’est nullement établi que M. [A] aurait soutenu cette demande de restitution de fonds et aurait, dès lors, contribué à aggraver son préjudice.

Il résulte de l’ensemble de ces éléments qu’il ne saurait être retenu à l’encontre de M. [A] des négligences fautives de nature à exonérer ou atténuer la responsabilité de la ABN AMRO BANK, en sa qualité de dépositaire.

Sur les préjudices subis :

M. [A] rappelle que le juge correctionnel a évalué à 2 276 425 euros le montant des sommes détournées mais que la banque ne lui a rien versé.

Il conteste qu’il doive être déduit de cette somme celle de 648 478 euros qui correspondrait à des mouvements créditeurs intervenus sur le compte, le juge pénal ayant écarté cette prétention.

Il soutient que la résistance abusive de la banque à lui payer le montant des sommes détournées lui a causé un préjudice, en ce qu’il a perdu une chance de faire fructifier cette somme, perte de chance qu’il évalue à 100 % des sommes détournées, ajoutant que ses banquiers américains lui ont indiqué que les titres confiés à la banque NEUFLIZE OBC, s’ils avaient été placés conformément à ce qui était convenu, auraient bénéficié d’un rendement annuel de 8,50%, pour la période de 2010 à 2020.

M. [A] évalue par conséquent son préjudice à la somme de 4 552 850 d’euros, en appliquant ce rendement de 8,50 % sur la somme de 2 276 425 d’euros, à compter du 18 novembre 2010 jusqu’au 18 mai 2023. Il souligne que dès le 18 novembre 2010, la banque avait connaissance de son obligation de restitution de la somme de 2 276 425 d’euros puisqu’elle l’avait provisionnée à cette date.

Le requérant précise que si le point du départ du préjudice de rendement était fixé à la date de l’assignation, soit le 13 novembre 2022, la somme qu’il réclame s’élève alors à 4 188 622 euros.

Si le tribunal devait ramener le taux de rendement à 5%, comme il l’a jugé pour une autre victime de M. [Z], M. [A] évalue son préjudice à la somme de 3 699 190,62 euros, en prenant comme point de départ de la période de préjudice le 18 novembre 2010, ou bien la somme de 3 471 548,12 euros, en fixant ce point de départ au 13 novembre 2022.

En réponse, la ABN AMRO BANK fait valoir que le préjudice de M. [A] a été fixé définitivement par le jugement correctionnel, qui a force de chose jugée.

Elle soutient que si elle venait à s’acquitter de la réparation du préjudice subi par M. [A], elle libérerait M. [Z] vis-à-vis de M. [A], quand bien même elle pourrait alors se retourner contre M. [Z] dans le cadre d’un recours subrogatoire, mais qu’elle ne pourrait alors opposer une créance qu’à hauteur du montant de la condamnation de M. [Z].

Elle ajoute que M. [Z], débiteur sur qui pèse la charge définitive de la dette, pourra lui opposer les exceptions et moyens de défense qu’il pouvait opposer au créancier subrogé, M. [A], de sorte que lors du recours subrogatoire de la banque, M. [Z] pourra opposer la décision pénale limitant le montant de sa condamnation à la somme de 2 276 425 euros au titre du préjudice matériel, outre celle de 15 000 euros au titre du préjudice moral, notamment pour défaut de rendement de la somme détournée.

La ABN AMRO BANK estime que M. [A] ne saurait être doublement indemnisé, tant du montant de son préjudice matériel évalué par les experts à la somme de 2 276 425 euros, somme à laquelle a été condamné M. [Z], ni surtout quant au préjudice complémentaire dont il sollicite désormais l’indemnisation, demande qu’il n’a pas formée devant les juridictions pénales, à l’encontre de l’auteur des détournements.

Elle rappelle à cet égard que les autres victimes de M. [Z], clientes de la banque NEUFLIZE OBC, ont été spontanément indemnisées de leur préjudice lorsqu’elles se sont manifestées auprès d’elle, ce qui a permis à la banque de se retourner contre M. [Z] dans l’instance pénale pour obtenir remboursement des sommes avancées à ses clients, le tribunal correctionnel ayant appliqué une minoration de 30%, au vu de la responsabilité des victimes pour absence de contrôle. Elle ajoute que ses clients qu’elle a indemnisés se sont constitués parties civiles à l’instance pénale et ont limité leur demande de condamnation à l’encontre de M. [Z] au reliquat de leur préjudice non remboursé par la banque.

Si le tribunal ne s’estimait pas lié par l’évaluation du préjudice faite par le juge correctionnel, la banque considère qu’il doit être déduit de la somme de 2 276 425 euros, celle de 648 478 euros retenue par l’expertise dans le cadre de l’instance pénale et correspondant à deux remises de chèques dont les émetteurs étaient la SCI PLUME d’ANGE pour un montant de 298 082 euros et Mme [L] [O] pour un montant de 350 395 euros, rappelant que l’expertise a estimé qu’il ne devait pas être tenu compte de ces crédits puisque les émetteurs ne faisaient pas partie du cercle connu de M. [Z], outre que M. [A] ne soutient pas que ces deux chèques dont il est bénéficiaire correspondraient à des opérations qu’il aurait eues avec les deux émetteurs.

Sur la perte de chance de faire fructifier le principal précédemment minoré, la banque relève que le rendement de 8 % ou 5 % par an et même de 5 % est hypothétique, estimant que le retard dans l’indemnisation ne peut être réparé que par l’allocation de l’intérêt au taux légal à compter du 13 novembre 2012. La ABN AMRO BANK conteste que le point de départ de ces intérêts soit fixé au 18 novembre 2010, alors qu’à cette date M. [A] ne contestait pas les agissements de M. [Z].

Ceci étant exposé.

Il résulte des termes du jugement correctionnel (pages 44 et 45) que pour fixer à la somme de 2 313 325 euros le préjudice matériel de M. [A], il a été tenu compte des périodes antérieures au mois de novembre 2007, au cours desquelles le demandeur avait placé ses fonds entre les mains de la BANQUE PRIVEE FIDEURAM WARGNY et de la DEXIA BANQUE. Pour la période postérieure au mois de novembre 2007 et qui concerne uniquement la banque NEUFLIZE OBC, ce préjudice a été définitivement évalué à la somme de 2 276 425 euros.

En sa qualité de dépositaire des fonds de son client, la ABN AMRO BANK doit être condamnée à lui rembourser cette somme.

Contrairement à ce que soutient la banque, cette condamnation n’a pas pour conséquence d’indemniser deux fois le même préjudice.

En effet, la condamnation prononcée par le juge pénal à l’encontre de M. [Z] résulte des faits d’abus de confiance et de faux commis par ce dernier à l’encontre de M. [A], outre que cette condamnation porte également sur l’indemnisation du préjudice matériel pour des périodes au cours desquelles les fonds n’étaient pas placés dans les livres de la banque NEUFLIZE OBC, soit pour un montant supérieur à celui précédemment visé.

En outre, la présente condamnation de la ABN AMRO BANK résulte de sa responsabilité contractuelle en qualité de dépositaire.

La demande formée devant le présent tribunal n’a donc pas le même fondement juridique et est d’un montant différent.

M. [A] aurait d’ailleurs pu solliciter devant le juge pénal la condamnation solidaire de M. [Z] et de la banque NEUFLIZE OBC à l’indemniser de son préjudice matériel, tout en limitant le quantum de sa demande à l’encontre de la banque à la somme de 2 276 425 euros.

C’est d’ailleurs la demande qui a été formée devant le juge pénal par M. [N], sollicitant la condamnation solidaire de M. [Z] et de la BNP PARIBAS à l’indemniser de ses préjudices, mettant en cause la responsabilité civile de la banque. Si le juge pénal n’a pas fait droit à sa demande, c’est uniquement parce que M. [N] n’avait pas régulièrement mis en cause la BNP PARIBAS de ce chef de condamnation. Le tribunal a d’ailleurs renvoyé cette demande de condamnation de la banque à une audience ultérieure sur intérêts civils.

Il ne saurait être reproché à M. [A] de ne pas avoir formé ses demandes à l’encontre de la banque devant le juge pénal, alors que la voie civile lui est toujours ouverte.

Par ailleurs, il n’est nullement attesté que M. [Z] aurait indemnisé M. [A] des sommes que le juge pénal l’a condamné à payer.

S’agissant du préjudice résultant de la perte de chance, c’est également à tort que la ABN AMRO BANK soutient que sa condamnation à ce titre aurait pour conséquence d’indemniser deux fois le même préjudice. En effet, outre que la somme de 15 000 euros accordée par le juge pénal, au titre du préjudice moral, n’indemnise pas uniquement le fait d’avoir été privé de l’usage des fonds placés, les fondements juridiques des demandes ne sont pas identiques, étant ajouté que M. [A] conserve la possibilité d’exercer son action civile à l’encontre de la banque, alors qu’il pouvait solliciter, devant le juge pénal, la condamnation solidaire de M. [Z] et de la banque à l’indemniser de ce préjudice.

Pour justifier que ses fonds auraient normalement bénéficié d’un rendement annuel de 8,50% dont il a été privé, M. [A] verse aux débats une attestation en pièce n° 21, en anglais, sans traduction, cette pièce n’étant ni datée ni signée. Ce rendement n’est donc nullement justifié.

S’agissant du rendement de 5% par an, le requérant fait état d’une décision judiciaire rendue au profit d’une autre victime. Il vise sur ce point sa pièce n°23, constituée de la dernière page d’une audition par les services de police de M. [Z], sans lien avec le rendement allégué. Alors que le demandeur ne vise pas cette pièce dans ses conclusions, il est manifeste qu’il fait référence au jugement du tribunal de céans du 15 mai 2014, produit en pièce n° 24 par la ABN AMRO BANK, et qui condamne notamment la banque NEUFLIZE OBC à rembourser à M. [X] la somme de 635 500 euros au titre des fonds débités irrégulièrement sur son compte par des chèques falsifiés. Le tribunal a retenu un préjudice complémentaire, du fait que les sommes détournées n’ont pas pu être placées, fixant le rendement perdu à 5 %.

Cependant, il appartient à M. [A] de prouver que sa situation personnelle est équivalente à celle de M. [X], en ce que les titres composant les fonds placés auraient également pu bénéficier de ce rendement, ce qu’il ne fait pas, faute de pièces justificatives.

Dans ces conditions, il lui sera uniquement accordé, à ce titre, les intérêts au taux légal et ce, à compter de l’assignation qui, seule, vaut mise en demeure de payer à l’encontre de la banque.

Sur la mise en cause de l’assureur de la banque :

M. [A] fait valoir que la garantie de l’assureur étant indépendante de la faute du préposé, elle doit viser tous les types de faute.

La ABN AMRO BANK considère que c’est à tort que l’assureur met en doute la réalité d’un profit illicite pour M. [Z], au vu des constatations du juge correctionnel, peu important les conclusions de M. [Z] devant la cour d’appel. Elle soutient que les dispositions de la police se limitent à exiger la démonstration d’un profit illicite, sans que celui-ci soit à concurrence de la perte alléguée.

En réponse, la société ALLIANZ rappelle que la police souscrite auprès de la société GAN EUROCOURTAGE, aux droits de laquelle elle se trouve, couvre le risque de fraude. Elle précise que cette garantie porte sur les pertes subies par la banque en cas de fraude commise à son encontre ou en cas de fraude commise à l’encontre d’un assuré additionnel. Elle souligne que la garantie des condamnations pécuniaires prononcées à l’encontre de la banque ne sont couvertes que s’il est rapporté la preuve qu’un des clients de l’assuré a été victime d’un acte frauduleux au sens de la police.

Or, elle soutient que pour retenir l’acte frauduleux, la banque doit démontrer que pour tout mouvement de fonds sur le compte de M. [A] au préjudice de ce dernier, il existe, corrélativement, un profit illicite pour M. [Z].

Elle note qu’en ce qui concerne les sommes créditées sur le compte personnel de M. [Z] par ses sociétés, le tribunal correctionnel a relevé que l’activité des sociétés gérées de fait ou de droit par M. [Z] n’avait pas fait l’objet d’investigations, ajoutant que ce dernier a indiqué à de nombreuses reprises que les sommes ayant transité à partir de comptes  » clients  » sur les comptes de ses sociétés et les chèques tirés, avaient bénéficié à ses clients, au titre des prêts à cours termes qu’il leur avait consentis.

Elle ajoute que sur cette question, la cour d’appel a constaté que, s’agissant des profits résiduels, il n’en figure pas de traces au dossier, ce profit matériel n’étant de toute façon pas l’essentiel de ce que M. [Z] recherchait.

Elle affirme que la situation dans laquelle l’auteur de la fraude ne tire pas de profit illicite au sens du contrat, pour lui-même, mais agit au profit d’autres clients non complices de la fraude, ici les bénéficiaires de prêts, est une situation qui n’est pas garantie.

Elle en conclut que la banque doit en ce cas solliciter exclusivement la mobilisation de la police de responsabilité civile, souscrite auprès de la société HCC.

Ceci étant exposé.

La police souscrite par la banque auprès de la société ALLIANZ couvre le risque de fraude, c’est-à-dire qu’elle garantit :  » le préjudice de l’assuré consécutif à une fraude commise directement à l’encontre de l’assuré et/ou de l’assuré additionnel, par tout moyen et par toute personne identifiée ou non, préposé de l’assuré ou tiers, agissant avec ou sans complicité. Par préjudice on entend les pertes financières directes, comptablement quantifiables, subies soit directement par l’assuré lorsque la fraude a porté sur un ou des comptes de l’assuré, soit indirectement lorsque la fraude a été commise à l’encontre de l’assuré additionnel « .

La fraude est définie comme suit :  » Tout acte frauduleux et/ou tout acte de malveillance, commis directement à l’encontre de l’assuré et/ou de l’assuré additionnel et relevant des sanctions pénales prévues en France par le code pénal ou toute autre loi (…) « .

L’acte frauduleux est défini comme étant :  » Tout acte intentionnel générant un préjudice pour l’assuré et/ou l’assuré additionnel et un profit illicite pour son auteur ou toute autre personne physique complice, qu’ils soient identifiés ou non « .

La police précise que le profit illicite est constitué de :  » Toute somme d’argent perçue ou acquise indûment, autre que salaires, primes, honoraires, commissions ou toute autre forme d’émolument et de toute dette effacée illégalement « .

Appliquées au cas d’espèce, ces stipulations imposent à la banque de rapporter la preuve que les mouvements de fonds sur le compte M. [A], dans le cadre d’un acte frauduleux, ont entraîné corrélativement un profit illicite pour M. [Z].

Sur cette question du profit illicite, le jugement correctionnel du 16 octobre 2019 mentionne en pages 30 et 31, que M. [Z] a détourné les fonds à des usages autres : prêts, avances de trésorerie, cavalerie pour combler les comptes ponctionnés mais également pour son profit personnel (augmentation de son portefeuille de clientèle, achat d’un véhicule, transfert par les comptes de ses sociétés créant ainsi artificiellement de la trésorerie).

Il est indiqué en pages 32 et 33, que M. [Z], dans le cadre de l’exercice illégal de la profession de banquier, a retiré un avantage financier puisque les clients auxquels il a consenti de tels prêts lui ont amené des clients  » normaux  » dont les capitaux sont venus augmenter son portefeuille, lui permettant d’obtenir une augmentation de salaires et primes.

Page 34 de ce jugement, sur le bénéfice pour M. [Z], il est rappelé qu’il a récupéré des clients  » classiques  » qui ont grossi son portefeuille, lui permettant de remplir ses objectifs et de percevoir des primes et d’être régulièrement augmenté. Il est ajouté que les faits lui ont apporté un bénéfice financier puisque son salaire a régulièrement augmenté et que ses primes étaient calculées sur le volume de son portefeuille. Il est de plus relevé qu’en 2008, il a acheté un véhicule LEXUS avec les fonds de M. [A], véhicule revendu pour 48 000 euros parce qu’il avait un besoin urgent de fonds. Il a également acheté, toujours avec les fonds de M. [A], un véhicule C4 pour 20 000 euros. Par ailleurs, si l’activité des sociétés gérées par M. [Z] n’a pas fait l’objet d’investigations, le tribunal estime que les fonds frauduleux ont alimenté les comptes de ces sociétés, avant d’être transférés sur les comptes des clients, créant nécessairement de la trésorerie.

Sur ce profit illicite retiré par M. [Z], l’arrêt d’appel du 9 mars 2022 retient l’importance du préjudice causé, déjà souligné à juste titre par les premiers juges et que M. [Z] n’a pas contesté, au même titre que les liens privilégiés qu’il avait noués avec les victimes. L’arrêt ajoute que la question du gain financier a été mise en exergue par le tribunal correctionnel. La cour considère à cet égard que M. [Z] a tiré des faits un profit évident pour sa carrière. Elle note qu’il a aussi bénéficié d’une trésorerie.

S’agissant des profits résiduels en espèces, elle considère qu’il n’en figure pas de traces au dossier, malgré la durée et la finesse des investigations. Pour la cour, ainsi que l’expertise psychiatrique le souligne, ce profit matériel n’était de toute façon pas l’essentiel de ce que M. [Z] recherchait.

Il résulte des termes de cet arrêt d’appel que, contrairement à ce qu’a retenu d’une manière d’ailleurs accessoire et imprécise le jugement correctionnel, il n’est pas caractérisé le profit illicite qu’aurait retiré M. [Z] des mouvements de fonds pratiqués sur le compte bancaire de M. [A], et constitué de sommes autre que des salaires, primes, honoraires, commissions ou toute autre forme d’émolument. Au surplus, la police définit ce profit illicite comme étant “toute somme d’argent perçue ou acquise indûment”, ce qui nécessite donc une évaluation précise de ces montants, ce qui n’est pas établi en l’espèce. Il est manifeste que le compte bancaire de M. [A] a été avant tout utilisé par M. [Z] comme un compte  » pivot « , pour encaisser et décaisser des sommes dans le cadre des prêts à court terme accordés aux clients du prévenu.

Par conséquent, la garantie de la société ALLIANZ ne peut pas être mobilisée, de sorte que les demandes formées à l’encontre de cette société seront rejetées.

Sur les autres demandes :

Il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de publication du présent jugement, formée par M. [A] et non motivée.

Au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, la ABN AMRO BANK sera condamnée à payer à M. [A] la somme de 5 000 euros. Sur le même fondement, elle sera condamnée à payer à la société ALLIANZ une somme identique.

L’ancienneté de l’affaire nécessite d’ordonner l’exécution provisoire.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort, par mise à disposition au greffe,

Condamne la société de droit néerlandais ABN AMRO BANK NV à payer à M. [U] [A] la somme de 2 276 425 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2012 ;

Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;

Condamne la société de droit néerlandais ABN AMRO BANK NV aux dépens, ainsi qu’à payer à M. [U] [A] et à la SA ALLIANZ IARD, à chacun, la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles ;

Ordonne l’exécution provisoire.

Fait à Paris, le 29 octobre 2024.

La Greffière Le Tribunal


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