Le 30 juillet 2022, M. [I] [J] et Mme [S] [D] signent un compromis de vente pour un bien immobilier à [Localité 4], sous condition suspensive d’obtention d’un prêt, avec une réitération prévue au 31 octobre 2022. Ils obtiennent une offre de prêt de La Banque postale le 4 octobre 2022, acceptée le 18 octobre. Cependant, le 19 octobre, la banque informe le couple de la fermeture de leur compte joint et d’autres comptes de Mme [D]. Le 27 octobre, ils mettent en demeure la banque d’annuler cette résiliation. Le 2 novembre, la banque notifie l’annulation de l’offre de prêt. En mars 2023, le couple demande une indemnisation pour préjudices financiers et moraux, refusée par la banque en avril. Le 8 juin 2023, ils assignent La Banque postale en justice pour responsabilité professionnelle. Ils réclament des indemnités pour préjudices divers, affirmant que la banque a commis une faute contractuelle en résiliant unilatéralement le contrat de prêt. La Banque postale, de son côté, soutient qu’elle n’a commis aucune faute et accuse M. [J] de dissimulation d’informations essentielles. Elle demande le rejet des demandes du couple, arguant que les préjudices ne sont pas prouvés. L’instruction a été clôturée le 29 mai 2024, et l’affaire est mise en délibéré pour le 25 septembre 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]
[1]
Expéditions
exécutoires
délivrées le:
à
Me MORAVIE
Me SIMONNEAU
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9ème chambre 2ème section
N° RG :
N° RG 23/07767 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2AWV
N° MINUTE :
3
Assignation du :
08 Juin 2023
JUGEMENT
rendu le 25 Septembre 2024
DEMANDEURS
Monsieur [I] [Y] [J]
[Adresse 2]
[Localité 4]
Madame [S] [R] [T] [D]
[Adresse 2]
[Localité 4]
représentés par Me Antoine MORAVIE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0363
DÉFENDERESSE
S.A. LA BANQUE POSTALE prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
représentée par Maître Isabelle SIMONNEAU de la SELEURL IS AVOCAT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #D0578
Décision du 25 Septembre 2024
9ème chambre 2ème section
N° RG 23/07767 – N° Portalis 352J-W-B7H-C2AWV
COMPOSITION DU TRIBUNAL
Gilles MALFRE, Premier Vice-président adjoint,
Augustin BOUJEKA, Vice-président,
Alexandre PARASTATIDIS, Juge
assistés de Claudia CHRISTOPHE, Greffière présente lors des débats et de Alice LEFAUCONNIER, Greffière lors de la mise à disposition,
DÉBATS
A l’audience du 26 Juin 2024 tenue en audience publique devant Alexandre PARASTATIDIS, juge rapporteur, qui, sans opposition des avocats, a tenu seul l’audience, et, après avoir entendu les conseils des parties, en a rendu compte au Tribunal, conformément aux dispositions de l’article 805 du Code de Procédure Civile. Avis a été donné aux avocats que la décision serait rendue le 25 septembre 2024.
JUGEMENT
Rendu publiquement par mise à disposition au greffe
Contradictoire
En premier ressort
Le 30 juillet 2022, M. [I] [J] et Mme [S] [D] ont signé un compromis de vente en vue d’acquérir un bien immobilier sis à [Localité 4] sous la condition suspensive de l’obtention d’un prêt, la réitération authentique de la vente étant fixée au 31 octobre 2022.
Par l’intermédiaire d’un courtier, le couple [J]/[D] a obtenu une proposition de financement de la SA La Banque postale à laquelle étaient associées une assurance emprunteur et une garantie Crédit logement.
Le 4 octobre 2022, La Banque postale a émis une offre de prêt d’un montant total de 610.959 euros, remboursable sur une durée de 30 ans au taux fixe annuel de 1,88%, acceptée et retournée signée le 18 octobre 2022 par les emprunteurs qui avaient, dès le 6 octobre 2022, ouvert auprès de l’organisme prêteur un compte joint sur lequel les échéances de remboursement du crédit devaient être prélevées.
Par lettres du 19 octobre 2022, La Banque postale a informé le couple [J]/ [D] de la fermeture du compte joint ainsi que des compte personnel, livret A et compte épargne logement dont Mme [D] était titulaire.
Par lettre du 27 octobre 2022, M. [J] et Mme [D] ont mis en demeure la banque d’annuler la résiliation des comptes.
Par lettres recommandées avec AR du 2 novembre 2022, la banque a notifié aux emprunteurs et au notaire en charge de la transaction immobilière sa décision d’annuler l’offre de prêt.
Par lettre recommandée avec AR de leur conseil en date du 2 mars 2023, M. [J] et Mme [D] ont mis en demeure La Banque postale de les indemniser des préjudices financier et moral résultant de la non-réalisation de la vente faute de solution de financement, demande à laquelle l’organisme bancaire a opposé un refus par lettre du 6 avril 2023.
C’est dans ce contexte que par exploit de commissaire de justice du 8 juin 2023, M. [J] et Mme [D] ont fait assigner La Banque postale devant le tribunal judiciaire de Paris aux fins de rechercher sa responsabilité professionnelle.
Aux termes de leurs dernières conclusions signifiées par voie électronique le 29 mars 2024, aux visas des articles 1103, 1104, 1114, 1121 et 1231-1 du code civil, il est demandé au tribunal de :
« RECEVOIR les demandeurs en leurs prétentions ;
CONDAMNER la Banque Postale à payer aux demandeurs les sommes de :
o 7.000 € au titre du préjudice moral ;
o 1.500 € au titre de l’indemnité transactionnelle ;
o 14.615 € au titre des frais de location ;
o 54.984,18 € au titre de l’augmentation du coût du crédit ;
o 1.247,15 € au titre de la perte de rémunération de l’épargne mobilisée ;
CONDAMNER la Banque Postale à payer à [S] [D] et [I] [J] la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
DIRE n’y avoir lieu à écarter l’exécution provisoire ;
CONDAMNER la Banque Postale aux dépens ; »
A l’appui de leurs prétentions, M. [J] et Mme [D] font valoir qu’en application du droit des contrats, la banque a commis une faute contractuelle qui équivaut à une résiliation unilatérale sans motif de la convention de prêt liant les parties qui était née de la rencontre de leurs volontés suite à leur acceptation de l’offre de prêt émise le 4 octobre 2022 qui comprenait tous les éléments essentiels du contrat, qu’ils ont acceptée le 18 octobre et retournée à la banque qui l’a réceptionnée le 19 octobre. Ils ajoutent que la même faute est caractérisée s’agissant de la clôture des comptes bancaires.
En réplique à La Banque postale qui leur fait grief de lui avoir dissimulé des informations essentielles, les demandeurs soutiennent que M. [J] a répondu immédiatement aux demandes d’information et a fourni sans délai tous les documents en sa possession nécessaires à la détermination de sa capacité d’emprunt comme en atteste notamment un courriel adressé le 17 octobre 2022 à son conseiller en crédit. Ils ajoutent qu’en toute hypothèse, les dispositions de l’article L.313-17 du code de la consommation ne permettent pas au banquier de résilier la convention de prêt aux motifs que les informations fournies par l’emprunteur sont incomplètes.
Ils font également valoir que la banque ne peut prétendre qu’il existait une volonté de dissimulation de la part de M. [J] dès lors que les éléments qu’elle produit elle-même pour justifier d’une prétendue incohérence entre la situation financière de la société L2P dont le demandeur est associé et salarié, et dont il n’est pas démontré qu’elle serait un élément essentiel du contrat de prêt, et la rémunération de ce dernier, ont été publiés au greffe du tribunal de commerce de Paris le 31 août 2022 et étaient donc accessibles avant l’émission de l’offre de prêt.
Ils ajoutent que la défenderesse fait une interprétation erronée des documents qu’elle produit en ce que la décision de réduction du capital social de la société L2P en date du 5 août 2022, qui d’ailleurs mentionne expressément qu’elle est « non motivée par des pertes », ne constitue nullement la reconnaissance d’une situation financière déficitaire comme en atteste le résultat comptable du premier exercice, clôturé au 31 décembre 2022, faisant apparaître un bénéfice de un million d’euros qui justifie l’augmentation de la rémunération annuelle brute de M. [J] qui a été portée en 2023 à la somme de 120.000 euros.
Enfin, ils exposent que la société L2P a été immatriculée en 2021 et que, conformément à ses statuts, son premier exercice comptable a été clos le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle elle a été immatriculée, soit le 31 décembre 2022, ce qui explique qu’elle n’a pas déposé de comptes sociaux au cours de l’année 2022. Ils ajoutent qu’en tout état de cause, une éventuelle infraction au titre de la déclaration des résultats n’est imputable qu’à la société et à ses dirigeants et n’altère en rien la capacité d’emprunt de M. [J].
Ils concluent en conséquence à une faute grave de la banque qui a nécessairement engagé sa responsabilité civile en prononçant la résiliation unilatérale du contrat de prêt.
Ils sollicitent dès lors l’indemnisation, tout d’abord, de leur préjudice moral qu’ils évaluent à la somme de 7.000 euros et qui découle de la non régularisation de l’achat du bien immobilier destiné à les accueillir avec leur premier enfant dont Mme [D] était alors enceinte et également de la situation de stress qui s’en est suivie avec notamment la menace d’une action en justice de la part de leurs vendeurs qui juridiquement pouvaient leur réclamer une clause pénale d’un montant de 58.900 euros.
Ils demandent ensuite la condamnation de la banque à les indemniser du préjudice financier comprenant, d’une part, la somme de 1.500 euros versée aux vendeurs à titre d’indemnité transactionnelle dont la cause du versement est imputable à la seule défenderesse qui n’a informé le notaire de son refus de débloquer les fonds que postérieurement au 31 octobre 2022 qui était la date fixée pour la réitération authentique de la vente et, d’autre part, les frais correspondant à la location de l’appartement qu’ils occupaient et qu’ils ont dû prolonger, pour un montant de 14.615 euros, le coût lié à la dégradation des conditions d’emprunt immobilier depuis les faits litigieux, soit 54.984,18 euros, et la perte de rendement, estimée à 1.247,15 euros, liée à la mobilisation de leur épargne pour financer une nouvelle acquisition.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées par voie électronique le 27 mai 2024, au visa de l’article L.313-17 du code de la consommation, La Banque postale demande au tribunal de :
« A titre principal
Juger que LA BANQUE POSTALE n’a commis aucune faute engageant sa responsabilité.
En conséquence
Débouter Madame [S] [D] et Monsieur [I] [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
A titre subsidiaire
Juger que Madame [S] [D] et Monsieur [I] [J] n’ont subi aucun préjudice.
En conséquence
Débouter Madame [S] [D] et Monsieur [I] [J] de toutes leurs demandes, fins et conclusions.
A titre très subsidiaire
Ecarter l’exécution provisoire du jugement à intervenir.
En tout état de cause
Condamner Madame [S] [D] et Monsieur [I] [J] à payer à LA BANQUE POSTALE, la somme de 5.000,00 € au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi que les entiers dépens.».
A l’appui de ses prétentions, La Banque postale expose qu’à l’occasion d’un contrôle de la régularité de l’offre émise par ses soins, l’analyse des documents remis par M. [J] a révélé, d’une part, une très forte évolution des revenus annuels de ce dernier qui sont passés en trois mois de 40.000 à 120.000 euros et, d’autre part, que l’emprunteur avait dissimulé sa qualité d’associé fondateur et salarié de la société L2P ainsi que celle de co-fondateur de l’entreprise Jellygi devenue Atlendis Flow dont il était le directeur général. Elle ajoute qu’en réponse à sa demande d’information, par courriel du 17 octobre 2022, M. [J] s’est refusé à fournir les relevés de compte et la liasse fiscale de la société L2P alors qu’il apparaissait à l’examen d’un acte sous seing privé du 5 août 2022, enregistré au greffe du tribunal de commerce de Paris, que le capital social de la société avait été réduit pour compenser les pertes du compte « Report à nouveau débiteur » et que les comptes pour l’année 2022 n’avaient pas été déposés au greffe de la juridiction consulaire et ne l’ont d’ailleurs toujours pas été pour l’exercice clos pourtant au 31 décembre 2022. Elle affirme qu’il revenait à M. [J] de lui transmettre ne serait-ce qu’une simulation de bilan arrêtée au 30 septembre 2022 qui aurait permis de connaître, à titre comparatif, celui de 2021 sur sept mois d’activité. Elle soutient qu’il est très peu crédible que M. [J] ait pu bénéficier d’une augmentation de salaire dès la création de la société L2P de 40.000 euros et percevoir une rémunération totale annuelle de 120.000,00 euros alors que la société enregistrait l’année de son immatriculation un résultat déficitaire certainement du montant de l’affectation de l’excédent du prix de rachat des parts décidées dans l’acte du 5 août 2022 à hauteur de 73.775 euros. Elle conclut au manquement de M. [J] à son obligation de fournir, à l’appui de sa demande de crédit, des renseignements et documents exacts et authentiques sur les éléments nécessaires à la décision d’octroi du crédit en ce qu’ils auraient permis de déterminer le taux d’endettement des emprunteurs, et donc à l’obligation corrélative de contracter de bonne foi, justifiant au cas particulier la résolution unilatérale de la convention sans que cela constitue un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans les conditions de l’article L.313-17 du code de la consommation.
A titre subsidiaire, elle fait valoir que les préjudices dont se prévalent les demandeurs ne sont pas démontrés et donc non indemnisables ou, à tout le moins, surévalués et, qu’en toute hypothèse, s’agissant d’une perte de chance, la réparation ne pourra être que partielle.
S’agissant de la perte de chance d’acquérir un appartement à des conditions plus avantageuses que celles postérieures aux faits litigieux, elle soutient que les demandeurs ne versent pas aux débats de pièces probantes, l’offre de prêt du Crédit agricole produite n’étant pas revêtue de leur acceptation et aucun acte authentique de leur acquisition d’un bien dans le [Localité 4] n’étant communiqué. Elle ajoute que la baisse du coût de l’immobilier sur les deux dernières années permettait aux demandeurs d’acquérir un bien immobilier d’une surface plus grande et de compenser donc l’éventuelle augmentation du coût des prêts.
La Banque postale fait également valoir qu’elle ne saurait être condamnée à payer le coût de la location d’un appartement majoré de l’indemnité transactionnelle de 1.500 euros, et soutient au contraire la négligence des demandeurs, outre leur refus de transmettre les documents nécessaires à l’examen de leur situation, en ce que ces derniers ne rapportent pas la preuve de démarches effectuées auprès d’au moins une autre banque pour obtenir une offre de prêt en vue de l’acquisition du bien immobilier, ce qui aurait permis de pallier sa défection, ni celle d’une quelconque démarche effectuée auprès des vendeurs et du notaire afin de retarder de quelques jours la date de la réitération du compromis, comme celui-ci les y autorisait, dans l’attente d’un règlement de la situation avec elle.
Elle conclut également au rejet de la demande d’indemnisation concernant la perte de rendement du patrimoine des demandeurs qui ne justifient pas de l’existence et, a fortiori, de l’utilisation, de l’assurance-vie qu’ils prétendent avoir mobilisée pour compenser la perte financière.
Elle conclut en conséquence au rejet des demandes indemnitaires qui ne présentent pas de lien de causalité avec la faute qui lui est reprochée et, à titre subsidiaire, à leur modération.
Conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux dernières écritures des parties pour l’exposé des moyens et arguments venant au soutien de leurs demandes.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 29 mai 2024. L’affaire a été évoquée à l’audience de plaidoirie tenue en juge rapporteur du 26 juin 2024 et mise en délibéré au 25 septembre 2024.
1 – Sur la responsabilité de La Banque postale
Afin de se voir accorder une offre de prêt, l’emprunteur doit fournir à l’établissement prêteur des informations exactes et complètes sur sa situation. Il doit notamment fournir les éléments et justificatifs nécessaires, dans les délais réglementaires indiqués par le prêteur.
Par ailleurs, l’article L.313-17 du code de la consommation dispose que le prêteur ne peut ni résilier ni modifier ultérieurement le contrat de crédit conclu avec l’emprunteur au motif que les informations fournies étaient incomplètes ou qu’il a vérifié la solvabilité de manière incorrecte, sauf dans l’hypothèse où il est avéré que des informations essentielles à la conclusion du contrat ont été sciemment dissimulées ou falsifiées par l’emprunteur.
En l’espèce, il n’est pas contesté que le couple [J]/[D] a retourné l’offre de prêt signée à la banque qui l’a réceptionnée le 19 octobre 2022 et qu’il y a donc eu rencontre des volontés sur les éléments essentiels du contrat de prêt, nonobstant l’envoi le même jour de lettres informant les emprunteurs de la clôture de leurs comptes.
Il revient dès lors à La Banque postale qui invoque les dispositions de l’article L.313-17 du code de la consommation de rapporter la preuve que les emprunteurs ont dissimulé des informations essentielles à la conclusion du contrat et qu’ils ont donc fait preuve de mauvaise foi.
S’agissant de la phase précontractuelle, il n’est pas démontré que les emprunteurs auraient dissimulé des informations, la banque ne leur faisant pas grief de ne pas avoir fourni les documents nécessaires à l’évaluation de leurs charges et revenus. Par ailleurs, s’il est fait reproche à M. [J] de ne pas avoir déclaré qu’il était associé de la SAS L2P, le tribunal observe qu’une SAS est par principe à responsabilité limitée et qu’ainsi, les éventuelles difficultés rencontrées par la structure ne pouvaient avoir que des conséquences limitées sur le patrimoine de l’emprunteur dont les biens personnels ne pouvaient être saisis, sa responsabilité n’étant alors encourue qu’à hauteur de son apport au capital social de la société qui, au cas particulier, est de 1.225 euros. L’omission de cette information par rapport à l’évaluation de la capacité d’emprunt de M. [J] ne peut donc être considérée comme portant sur un élément déterminant pour la conclusion du contrat de prêt.
En revanche, la banque pouvait légitimement s’interroger sur le caractère opportun et sérieux de l’augmentation de la rémunération de l’emprunteur qui est passée en seulement quelques mois de 40.000 à 120.000 euros annuels, la dernière revalorisation datant du 1er août 2022, soit quelques semaines avant l’octroi du prêt, au regard d’une part, de la qualité d’associé de M. [J] de la SAS L2P et, d’autre part, de la mention dans l’acte de réduction du capital social de la SAS L2P en date du 5 août de ce que le produit du rachat-annulation de parts sociales de l’un des associés par la société L2P était imputé sur un compte « Report à nouveau débiteur » laissant supposer que la société entendait affecter cette somme à l’apurement de pertes existantes ou à venir, et ce nonobstant la mention dans le même document de ce que l’opération n’était pas motivée par des pertes.
Cependant, il ressort des échanges de courriels du 17 octobre 2022 qu’en réponse à la demande du même jour de l’organisme prêteur, M. [J] a transmis sans délai une partie des documents sollicités, justifiant l’impossibilité de transmettre les éléments comptables de la société L2P dont il n’était pas en possession.
Il ressort des documents sociaux produits et notamment de l’extrait k-bis et des statuts de la société L2P que M. [J] n’était en effet qu’associé de la structure dans laquelle il n’occupait aucune autre fonction officielle lui donnant accès aux éléments comptables de l’exercice en cours ou lui permettant d’interroger directement un conseiller extérieur de la société tel l’expert-comptable de celle-ci.
De plus, il est stipulé dans les statuts de la société qui a été immatriculée auprès du Registre du commerce et des sociétés le 27 mai 2021 que le premier exercice social serait clos le 31 décembre de l’année suivant celle au cours de laquelle la société a été immatriculée, soit en l’espèce, le 31 décembre 2022. Il en résulte qu’à la date de la demande formulée par la banque, soit le 17 octobre 2022, le premier exercice de la société n’était pas encore clos, l’absence de dépôt de ses comptes ultérieurement étant sans incidence sur la solution du présent litige.
Il ressort de l’ensemble de ces éléments que M. [J] a fourni les éléments en sa possession et qu’il n’est dès lors pas démontré que ce dernier aurait fait preuve de mauvaise foi et donc dissimulé des éléments essentiels à la conclusion du contrat de prêt au sens de l’article L.313-17 du code de la consommation.
En conséquence, La Banque postale a engagé sa responsabilité en résiliant de manière injustifiée le contrat de prêt.
2 – Sur les préjudices
La non-réalisation de la vente découle directement de l’absence de déblocage des fonds par La Banque postale.
De plus, il ressort du protocole d’accord intervenu le 8 décembre 2022 entre les vendeurs du bien finalement non acquis et le couple [J]/[D] que la transaction fait suite à la décision des vendeurs de mettre fin au compromis « L’acquéreur ne pouvant répondre à son engagement de se présenter à la signature faute de déblocage des fonds par la banque ». Dès lors, l’argument opposé par la banque consistant à imputer les préjudices allégués aux demandeurs en leur faisant grief de ne pas avoir sollicité la prorogation du compromis et sollicité une autre banque est inopérant et ce d’autant plus, que la décision de l’établissement bancaire de ne pas débloquer les fonds n’a été notifiée aux emprunteurs et au notaire en charge de la vente que le 2 novembre 2022, soit postérieurement à la date fixée pour la réitération par acte authentique de la vente.
La non réalisation de la vente et les conséquences financières et morales qui en ont découlé présentent bien un lien de causalité direct et certain avec le refus de débloquer les fonds par La Banque postale qui doit en conséquence réparation aux demandeurs.
La banque est en conséquence condamnée à indemniser le préjudice financier consistant en l’indemnité transactionnelle de 1.500 euros versée par le couple [J]/[D] et dont il est justifié par la production du protocole d’accord.
De plus, il est indéniable que la décision tardive de ne pas débloquer les fonds et la remise en cause de la vente avec la menace d’une perte financière de l’intégralité de l’indemnité d’immobilisation, et ce alors que le couple attendait un enfant à naître a nécessairement été source d’une situation de stress, avérée par au moins le témoignage de la mère de Mme [K] [Z] épouse [D], mère de Mme [D], la seconde attestation versée aux débats par les demandeurs étant sans force probante faute de production de la copie de la carte d’identité de Mme [G] [F]. En conséquence, La Banque postale est condamnée à payer aux demandeurs la somme de 4.000 euros au titre de leur préjudice moral.
S’agissant du préjudice lié aux loyers du logement qu’ils ont dû continuer d’occuper et qu’ils justifient avoir réglés jusqu’en août 2023, il est relevé que M. [J] et Mme [D] ne démontrent pas avoir notifié leur congé au bailleur pour le 31 octobre 2022. De plus, à la lecture des attestations délivrées par leur bailleur, il apparaît que les demandeurs ont réglé des loyers jusqu’au mois d’août 2023 inclus alors qu’ils ont acquis un bien le 26 mai 2023. Il doit dès lors être considéré que dans l’hypothèse où la vente aurait été réalisée, ils auraient été redevables des loyers pour la période de préavis de trois mois suivant la vente, aucun élément ne permettant de retenir le délai réduit d’un mois prévu par l’article 15 de la loi n°89-462 du 6 juillet 1989. En conséquence, la Banque postale est condamnée à indemniser les demandeurs du préjudice financier correspondant au montant des loyers pour la période de novembre 2022 à mai 2023 inclus, soit la somme de ((3×1.395)+(4×1.490)) 10.145 euros.
Concernant le préjudice financier lié à l’évolution des conditions d’emprunt, autorisés par le tribunal lors de l’audience de plaidoirie à communiquer en cours de délibéré l’intégralité de l’acte authentique d’achat du bien qu’ils ont acquis au cours de l’année 2023, M. [J] et Mme [D] produisent un acte notarié en date du 26 mai 2023 portant sur l’acquisition d’un bien immobilier type T3 de 66,70 m² sis [Adresse 2] à [Localité 4] pour un prix de 590.000 euros, hors frais de vente, financé à hauteur de 531.000 euros par un prêt accordé par le Crédit agricole.
Le tribunal relève que ledit bien situé dans le même arrondissement de Paris que celui objet du premier compromis présente une superficie moindre que ce dernier qui était de 76,81 m², les deux biens étant affectés chacun d’une cave et d’une place de parking, circonstance rendant inopérant l’argument de La Banque postale selon lequel la baisse du coût de l’immobilier aurait permis aux demandeurs d’acquérir une surface plus grande et de compenser l’éventuelle augmentation du coût des prêts.
Il ressort dès lors de l’offre de prêt du Crédit agricole produite, nonobstant l’absence de signature sur cet exemplaire qui ne remet pas en cause qu’il s’agit de l’offre afférente au financement décrit dans l’acte d’achat, que la solution de financement de leur bien, sur une période identique de 300 mois, s’est élevée en mai 2023 à la somme de 265.316,64 euros, soit 54.984,18 euros de plus, que celle initialement accordée par La Banque Postale.
Il résulte de ces éléments que la Banque postale a fait perdre une chance aux demandeurs d’acquérir un bien à des conditions plus avantageuses au regard de la dégradation des conditions économiques liées à l’obtention d’un crédit immobilier et à l’augmentation des taux d’intérêts, celui finalement obtenu étant de 2,86% l’an contre 1,88%.
En conséquence, La Banque postale est condamnée à indemniser à hauteur de 90% le préjudice financier découlant de la dégradation des conditions d’emprunt, soit la somme de (54.984,18 x 90%) 49.485,76 euros.
En revanche, les demandeurs ne produisent aucun élément étayant leur demande d’indemnisation d’un préjudice correspondant à la perte de rendement de l’épargne supplémentaire qu’ils ont dû mobiliser pour financer leur bien en mai 2023, l’origine et le placement antérieur de cette somme n’étant pas justifiés. La demande est donc rejetée.
En conséquence, La Banque postale est condamnée à payer aux demandeurs la somme de (1.500 + 10.145 + 49.485,76) 61.130,76 euros en réparation de leur préjudice financier et la somme de 4.000 euros en réparation de leur préjudice moral.
3 – Sur les autres demandes
3.1 – Sur les frais du procès
La Banque postale qui succombe supportera les dépens.
Elle est également condamnée au paiement à M. [J] et Mme [D] de la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
3.2 – Sur l’exécution provisoire
La présente décision est revêtue de droit de l’exécution provisoire conformément aux dispositions de l’article 514 du code de procédure civile dans sa version applicable en l’espèce, l’instance ayant été introduite postérieurement au 31 décembre 2019.
Il n’y a pas lieu d’écarter l’exécution provisoire.
Le tribunal statuant publiquement par jugement contradictoire en premier ressort et par mise à disposition au greffe :
CONDAMNE la SA La Banque postale à payer à M. [I] [J] et Mme [S] [D] la somme de 61.130,76 euros en réparation de leur préjudice financier ;
CONDAMNE la SA La Banque postale à payer à M. [I] [J] et Mme [S] [D] la somme de 4.000 euros en réparation de leur préjudice moral ;
DEBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;
CONDAMNE la SA La Banque postale aux dépens ;
CONDAMNE la SA La Banque postale à payer à M. [I] [J] et Mme [S] [D] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait et jugé à Paris le 25 Septembre 2024
La Greffière Le Président