Mme [G] [H] veuve [M] a conclu un Contrat de construction de maison individuelle (CCMI) avec la SARL CLE le 13 juillet 2018 pour la construction d’une maison au prix de 189.669,43 € TTC. Après plusieurs courriers restés sans réponse, la société CLE a délivré une sommation interpellative en juin 2020, à laquelle Mme [M] a répondu qu’elle ne poursuivait pas le contrat. La société CLE a alors assigné Mme [M] en justice pour résiliation unilatérale fautive, réclamant une indemnité de 18.966,94 €. Le tribunal a débouté la société CLE de ses demandes et a condamné celle-ci à verser 1.000,00 € à Mme [M] pour ses frais. La société CLE a interjeté appel, demandant l’infirmation du jugement et le paiement de l’indemnité contractuelle. Mme [M] a demandé la confirmation du jugement et a contesté les demandes de la société CLE, arguant de la défaillance de celle-ci dans la preuve de ses obligations et de la disproportion de la clause d’indemnité. La procédure a été clôturée le 16 mai 2024, et la décision est attendue pour le 15 octobre 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
DE RIOM
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
Du 15 octobre 2024
N° RG 22/01985 – N° Portalis DBVU-V-B7G-F4TV
-PV- Arrêt n°
S.A.R.L. CLE / [G] [M]
Jugement Au fond, origine TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de CLERMONT-FERRAND, décision attaquée en date du 04 Août 2022, enregistrée sous le n° 20/03255
Arrêt rendu le MARDI QUINZE OCTOBRE DEUX MILLE VINGT QUATRE
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
M. Philippe VALLEIX, Président
Mme Laurence BEDOS, Conseiller
Mme Clémence CIROTTE, Conseiller
En présence de :
Mme Marlène BERTHET, greffier lors de l’appel des causes et du prononcé
ENTRE :
S.A.R.L. CLE
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Olivier TOURNAIRE de la SELARL TOURNAIRE – MEUNIER, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
Timbre fiscal acquitté
APPELANTE
ET :
Mme [G] [M]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Barbara GUTTON PERRIN de la SELARL LX RIOM-CLERMONT, avocat au barreau de CLERMONT-FERRAND
et par Me François-Hugues CIRIER de la SELARL CIRIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON
Timbre fiscal acquitté
INTIMEE
DÉBATS :
L’affaire a été débattue à l’audience publique du 27 juin 2024, en application des dispositions de l’article 786 du code de procédure civile, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant M. VALLEIX, rapporteur.
ARRÊT : CONTRADICTOIRE
Prononcé publiquement le 15 octobre 2024 après prorogé du délibéré initialement prévu le 01 octobre 2024 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par M. VALLEIX, président et par Mme BERTHET, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Suivant un Contrat de construction de maison individuelle (CCMI) conclu le 13 juillet 2018, Mme [G] [H] veuve [M] a confié à la SARL CLE la construction d’une maison d’habitation moyennant le prix total de 189.669,43 € TTC sur un terrain à bâtir viabilisé situé au lieu-dit [Localité 6] sur le territoire de la commune de [Localité 5] (Puy-de-Dôme).
La société CLE a adressé à Mme [M] deux courriers recommandés le 19 juin 2019 et le 24 septembre 2019 afin de mettre en place un calendrier de démarrage de cette construction. Sans réponse à ces courriers, elle lui a fait délivrer par acte d’huissier de justice du 16 juin 2020 une sommation interpellative dans laquelle celle-ci a déclaré : « Je ne poursuis par le contrat avec la société CLE NATALIA. Je réserve mes réponses pour le Tribunal. ».
Alléguant que les conditions contractuelles de résiliation de ce contrat n’avaient pas été respectées, la société CLE a, par actes d’huissier de justice signifié le 23 septembre 2020, assigné Mme [M] devant le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand pour résiliation unilatérale fautive de contrat, réclamant à son encontre à titre principal la somme de 18.966,94 € au titre de l’indemnité contractuelle prévue.
Suivant une ordonnance rendue le 7 décembre 2021, le Juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a déclaré cette action recevable, condamnant Mme [M] à payer au profit de la société CLE une indemnité de 400,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
C’est dans ces conditions que, suivant un jugement n° RG-20/03255 rendu le 4 août 2022, le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand a :
– débouté la société CLE de l’ensemble de ses demandes ;
– condamné la société CLE à payer au profit de Mme [M] une indemnité de 1.000,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société CLE aux dépens de l’instance, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de Me Gilles-Jean Portejoie, avocat au barreau de Clermont-Ferrand.
Par déclaration formalisée par le RPVA le 12 octobre 2022, le conseil de la société CLE a interjeté appel du jugement susmentionné, l’appel portant sur le rejet de l’ensemble de ses demandes et sur les condamnations pécuniaires et aux dépens prononcées à son encontre.
‘ Par dernières conclusions d’appelant notifiées par le RPVA le 17 mai 2023, la SARL CLE a demandé de :
‘ au visa des articles 1103 et 1304-3 du Code civil ;
‘ infirmer le jugement du 4 août 2022 du tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand en ses décisions de rejet de l’ensemble de ses demandes et de condamnations pécuniaires et aux dépens prononcées à son encontre ;
‘ prononcer en conséquence la résiliation unilatérale fautive du contrat susmentionné par Mme [M] ;
‘ à titre principal, condamner Mme [M] à lui payer la somme de 18.966,94 € au titre de l’indemnité contractuelle prévue ;
‘ à titre subsidiaire, condamner Mme [M] à lui payer la somme de 9.483,47 € au titre de l’indemnité contractuelle prévue ;
‘ en tout état de cause ;
‘ débouter Mme [M] de l’ensemble de ses demandes ;
‘ dire que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 24 septembre 2019 ;
‘ faire application des dispositions de l’article 1343-2 du Code civil sur la capitalisation des intérêts à compter de la première année suivant la mise en demeure du 24 septembre 2019 ;
‘ condamner Mme [M] à lui payer une indemnité de 2.500,00 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ condamner Mme [M] aux entiers dépens de l’instance.
‘ Par dernières conclusions d’intimé notifiées par le RPVA le 2 mars 2023, Mme [G] [H] veuve [M] a demandé de :
‘ au visa des dispositions des articles 1304, 1304-6 et 1304-7 du Code civil, des articles R.212-2 et L.241-1 du code de la consommation et des articles 1210 et 1211 ainsi que 1231-5 du Code civil ;
‘ confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré et rejeter toutes les demandes de la société CLE, en conséquence ;
‘ à titre principal, juger que la société CLE a été défaillante dans l’administration de la preuve de l’existence de l’obligation mise à sa charge et la débouter de l’ensemble de ses demandes ;
‘ à titre subsidiaire ;
‘ juger que la clause d’indemnité stipulée dans le CCMI est manifestement disproportionnée et constitue une clause abusive amenant à retenir en conséquence son caractère non écrit, débouter dès lors la société CLE de l’ensemble de ses demandes ;
‘ prononcer la résiliation judiciaire du contrat sur le fondement de la prohibition des engagements perpétuels et l’absence en conséquence de quelconques indemnités, débouter dès lors la société CLE de l’ensemble de ses demandes ;
‘ modérer la clause invoquée à hauteur de l’euro symbolique et débouter en conséquence la société CLE du surplus de ses demandes ;
‘ en tout état de cause ;
‘ condamner la société CLE à lui payer une indemnité de 10.000,00 € en application de l’article 700 du code de procédure civile ;
‘ condamner la société CLE aux entiers dépens de l’instance, avec application des dispositions de l’article 699 du code de procédure civile au profit de la SELARL Lexavoué Riom Clermont, avocats au barreau de Clermont-Ferrand.
Par application des dispositions de l’article 455 du code de procédure civile, les moyens développés par les parties à l’appui de leurs prétentions sont directement énoncés dans la partie MOTIFS DE LA DÉCISION.
Par ordonnance rendue le 16 mai 2024, le Conseiller de la mise en état a ordonné la clôture de cette procédure. Lors de l’audience civile en conseiller-rapporteur du 27 juin 2024 à 14h00, au cours de laquelle cette affaire a été évoquée, chacun des conseils des parties a réitéré ses précédentes écritures. La décision suivante a été mise en délibéré au 1er octobre 2024, prorogée au 15 octobre 2024, par mise à disposition au greffe.
L’article 1103 du Code civil dispose que « Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. » tandis l’article 1104 du Code civil dispose que « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. / Cette disposition est d’ordre public. ».
Le CCMI litigieux du 13 juillet 2018 a été conclu moyennant cinq conditions suspensives : la maîtrise foncière du terrain à construire en termes d’acquisition de ce terrain ou des droits réels permettant de construire, l’obtention de prêts en vue du financement de ce projet de ce construction, l’obtention du permis de construire et autres autorisations administratives, l’obtention d’une assurance de dommages-ouvrage et l’obtention d’une garantie de livraison à prix et délais convenus. La condition suspensive de maîtrise foncière ne fait pas débat, Mme [M] ayant été effectivement propriétaire du terrain à construire et détenant des droits indivis sur la voie d’accès à ce terrain par acte authentique du 10 juillet 2018 au moment de la conclusion du CCMI du 13 juillet 2018. Il en est de même en ce qui concerne la condition suspensive d’obtention du permis de construire, ce permis ayant été délivré le 21 novembre 2018 par la commune de [Localité 5].
Dans le cadre de son obligation de loyauté et de bonne foi dans l’exécution de ce contrat, il incombe en conséquence à Mme [M] de justifier des diligences et formalités qu’elle a accomplies en vue de l’obtention du concours bancaire à la réalisation de ce projet de construction ainsi que de la souscription d’une assurance dommages-ouvrage et d’une garantie de livraison à prix et délais convenus.
En l’occurrence, en ce qui concerne la souscription de ces deux garanties d’assurance, la société CLE admet dans ses conclusions en avoir eu la charge conformément à la loi en ce qui concerne la garantie de livraison et conformément au contrat en ce qui concerne l’assurance dommages-ouvrage mais objecte sans contestations à ce sujet de la part de Mme [M] que ces polices d’assurance n’ont pu être contractées en l’absence de communication par cette dernière des informations nécessaires auprès des assureurs et garants financiers. De fait, il n’est pas contesté que Mme [M] n’a jamais répondu aux deux courriers recommandés précités des 19 juin 2019 et 24 septembre 2019, ne permettant en conséquence aucunement à la société CLE de se libérer de ces deux obligations et notamment de l’obligation de garantie de livraison à prix et délais convenus prévue à l’article L.231-6 du code de la construction et de l’habitation.
Par ailleurs, force est de constater, ainsi que l’a d’ailleurs aussi relevé le premier juge, que Mme [M] ne justifie d’aucunes diligences et formalités particulières en vue de l’obtention de ce concours bancaire et de la communication des informations nécessaires en vue de la souscription de ces deux polices d’assurance par le constructeur. En lecture du CCMI, elle avait pourtant contracté l’obligation d’effectuer l’ensemble de ces diligences et formalités en vue de la réalisation de ces conditions suspensives dans un délai de 12 mois à compter de la date du dépôt du permis de construire. Contrairement à ses affirmations, c’est à elle qu’incombe la preuve de l’accomplissement de ces diligences dans le délai contractuellement imparti.
Or, elle affirme sans aucunes pièces justificatives qu’elle a entrepris des démarches en ce sens auprès de banques mais qu’aucune d’elles n’a accepté son dossier en raison de son âge. Il lui aurait été en effet aisément loisible de produire des pièces justificatives de telles diligences auprès d’organismes bancaires et de réponses négatives de la part de ces derniers pour les raisons qu’elle indique. Enfin, le fait qu’elle ait mis en vente une maison lui appartenant ne peut aucunement être justificatif de démarches en vue de provoquer la levée de ces conditions suspensives, plus particulièrement de la condition suspensive d’octroi d’un concours bancaire.
Il importe dès lors d’en inférer que Mme [M] a sciemment provoqué la non-réalisation des conditions suspensives d’obtention de concours bancaire et de souscription des deux polices d’assurance susmentionnées alors que le défaut de diligences en cette matière est un fait imputable au bénéficiaire de la condition suspensive. Les dispositions de l’article 1304-3 alinéa 1er du Code civil, suivant lesquelles « La condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement. », lui sont dès lors opposables.
Mme [M] considère à titre subsidiaire, au visa des articles R.212-2/3° et L.241-1 du code de la consommation et des Conditions générales du contrat litigieux, que la clause 2.5.1 de résiliation du CCMI en dehors de l’accord des parties est manifestement disproportionnée à son égard en tant que « simple consommatrice profane ». Cette clause prévoit pour ce cas de figure de résiliation unilatérale une indemnité ne pouvant être inférieure à 10 % du montant total du prix convenu à la charge indifféremment du constructeur ou du souscripteur suivant celui prenant l’initiative de la résiliation unilatérale.
En l’occurrence, Mme [M] ne précise ni ne développe dans ses conclusions en quoi cette indemnité unilatérale de résiliation serait disproportionnée pour un consommateur à hauteur de ce taux de 10 % du marché, se bornant à établir à ce sujet une comparaison sans aucun chiffrage avec les frais de passation de vente devant notaire. En tout état de cause, ce débat apparaît sans objet, compte tenu du pouvoir de modération judiciaire de clause pénale ayant donné lieu à une autre demande subsidiaire ci-après discutée. Dans ces conditions, ce chef de demande sera rejeté.
À titre également subsidiaire au visa des articles 1210 et 1211 du Code civil, Mme [M] excipe d’un engagement perpétuel prohibé en ce qui concerne le contenu de ses obligations contractuelles. Elle demande en conséquence la résiliation judiciaire de ce contrat
En l’occurrence, le CCMI litigieux est soumis à une condition de délai d’exécution d’une durée de 12 mois à compter de l’ouverture du chantier avec les clauses habituelles de prolongation au titre des durées des périodes d’intempéries ou d’autres causes usuelles en matière de construction. La levée des conditions suspensives est elle-même assujettie à un délai de diligences d’une durée de 12 mois à compter de l’obtention du permis de construire. Mme [M] ne peut donc raisonnablement objecter qu’elle serait liée du fait de ce contrat à un engagement perpétuel prohibé, ce qui amène à rejeter cette demande.
Enfin, dans le cadre d’une dernière demande subsidiaire, Mme [M] demande la modération de cette clause pénale en application de l’article 1231-5 du Code civil.
En l’occurrence, il y a lieu de modérer cette pénalité à 5 % du prix du marché représentant le prix total précité de 189.669,43 € TTC. Dans ces conditions, cette indemnité de résiliation unilatérale sera fixée à la somme de 9.483,47 €, avec intérêts de retard au taux légal jusqu’à parfait paiement à compter de la date du 24 septembre 2019 du courrier recommandé valant mise en demeure de payer cette clause pénale.
En définitive, compte tenu de l’ensemble des motifs qui précède, le jugement de première instance sera infirmé en toutes ses dispositions.
La demande formée par la société CLE aux fins de capitalisation des intérêts de retard afférents à la condamnation pécuniaire principale sera rejetée, aucune clause des Conditions générales du CCMI ne prévoyant un tel dispositif et la Cour ne croyant pas utile de le préciser dans le dispositif de sa décision. Ce chef de demande sera en conséquence de rejeté.
Il serait effectivement inéquitable, au sens des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, de laisser à la charge de la société CLE les frais irrépétibles qu’elle a été contrainte d’engager à l’occasion de cette instance et qu’il convient d’arbitrer à la somme de 2.500,00 €, en tenant compte à la fois des frais de première instance et des frais en cause d’appel.
Enfin, succombant à l’instance en cause d’appel, Mme [M] sera purement et simplement déboutée de sa demande de défraiement formée au visa de l’article 700 du code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d’appel.
LA COUR,
STATUANT PUBLIQUEMENT
ET CONTRADICTOIREMENT.
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement n° RG-20/03255 rendu le 4 août 2022 par le tribunal judiciaire de Clermont-Ferrand.
Statuant à nouveau.
CONDAMNE Mme [G] [H] veuve [M] à payer au profit de la SARL CLE :
* la somme de 9.483,47 € au titre de la clause pénale susmentionnée, avec intérêts de retard au taux légal jusqu’à parfait paiement à compter du 24 septembre 2019 ;
* une indemnité de 2.500,00 €, en dédommagement de ses frais irrépétibles prévus à l’article 700 du code de procédure civile.
REJETTE le surplus des demandes des parties.
CONDAMNE Mme [G] [H] veuve [M] aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Le greffier Le président