Résiliation de licences de logiciel : une à la fois et sans indivisibilité contractuelle

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Résiliation de licences de logiciel : une à la fois et sans indivisibilité contractuelle
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La résiliation groupée de licences de logiciels n’est pas possible si les contrats de licence ont été conclus à des dates différentes, pour des utilisateurs différents

La résiliation groupée de licences de logiciels n’est pas possible si les contrats de licence ont été conclus à des dates différentes, pour des utilisateurs différents, chaque contrat mentionnant le nombre de licences louées, le montant de la redevance due par licence louée et précisant ‘Toute nouvelle licence aura le même coût de location que les précédentes’. Il apparaît que ces contrats sont indépendants les uns des autres (pas d‘indivisibilité contractuelle).

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REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 1 – Chambre 8

ARRET DU 24 JUIN 2022

Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/22109 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CE3R2

Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 14 Décembre 2021 -Tribunal de Commerce de paris – RG n° 2021048655

APPELANTE

S.A.S. MGMT agissant poursuites et diligences de son représentant légal en cette qualité au siège

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée et assistée par Me Yann PEDLER de la SELEURL PEDLER AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : D0090

INTIMEE

S.A.R.L. MEDIASLIDE prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité au siège,

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Christophe PACHALIS de la SELARL RECAMIER AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, toque : K148

Assistée par Me Anne-Laure ROUX, avocat au barreau D’AIX EN PROVENCE, toque : 371

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 mai 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Florence LAGEMI, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Florence LAGEMI, Président,

Rachel LE COTTY, Conseiller,

Bérengère DOLBEAU, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Marie GOIN

ARRÊT :

— CONTRADICTOIRE

— par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

— signé par Florence LAGEMI, Président et par Marie GOIN, Greffier.

La société Mediaslide est éditeur d’un logiciel de gestion à destination des agences de mannequins et d’artistes permettant, notamment, d’organiser l’agenda et les rendez-vous, de gérer la facturation et de diffuser une ‘newsletter’.

Entre le 1er avril 2018 et le 17 février 2020, la société MGMT, qui exerce une activité d’agence de mannequins sous le nom de ‘The Claw Models’, a souscrit auprès de la société Mediaslide quinze contrats de licence pour la fourniture de services logiciels, sous la forme d’abonnements, chaque licence étant souscrite pour une durée d’une année à compter de sa souscription, pouvant être dénoncée trois mois avant sa date de renouvellement. La société MGMT a encore commandé la conception et le développement d’un site internet.

En septembre 2020, la société MGMT a demandé à la société Mediaslide la restitution des données utilisées au sein du logiciel, à travers les différentes licences. Cette dernière a, dès le mois d’octobre 2020, initié la procédure de migration des données tout en rappelant, le 21 décembre suivant, que plusieurs licences étaient encore en cours.

Au cours des mois de mars et mai 2021, la société MGMT a résilié trois des contrats. Le 7 mai 2021, elle a mis en demeure la société Mediaslide d’exécuter des obligations, considérées par cette dernière comme complémentaires et non prévues aux contrats.

Le 28 mai 2021, la société MGMT a interrompu les paiements pour l’ensemble des contrats la liant à la société Mediaslide, puis, le 29 juin 2021, a résilié les douze derniers contrats.

Par lettre de son conseil du 19 juillet 2021, la société Mediaslide a mis en demeure la société MGMT de lui régler l’ensemble des sommes dues pour chacun des contrats jusqu’à leur terme contractuel respectif.

Par acte du 20 octobre 2021, la société Mediaslide a fait assigner la société MGMT devant le juge des référés du tribunal de commerce de Paris en paiement, notamment, de la somme en principal de 10.772,40 euros TTC au titre des factures impayées outre intérêts, majorée de l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par facture non payée.

Par ordonnance du 14 décembre 2021, ce magistrat a :

condamné la société MGMT à payer, à titre provisionnel, à la société Mediaslide la somme de 10.772,40 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2021 et capitalisation des intérêts et la somme de 40 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement ;

condamné à la société MGMT à payer à la société Mediaslide la somme de 1.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile ;

condamné à la société MGMT aux entiers dépens.

Par déclaration du 16 décembre 2021, la société MGMT a relevé appel de cette décision en critiquant l’ensemble de ses chefs de dispositif.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 4 mai 2022, la société MGMT demande à la cour de :

infirmer l’ordonnance entreprise ;

la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée ;

constater que le litige nécessite un examen au fond qui dépasse la compétence du juge des référés ;

constater que les relations contractuelles des parties sont liées par un ensemble de contrats indivisibles avec l’ajout de licences d’utilisateurs ;

constater que la clause particulière du bon de commande prévoit un simple mode de résiliation par écrit, clause qui prévaut sur celle des conditions générales ;

dire et juger que la résiliation du contrat le 21 septembre 2020 a été actée par la société Mediaslide le 1er octobre 2020 et que la restitution des données mettant fin au fonctionnement du logiciel et des prestations fournies, date du 29 janvier 2021 ;

constater qu’elle a dû, surabondamment, du fait des demandes de la société Mediaslide exigeant des résiliations contrat par contrat, faisant abstraction d’un contrat indivisible, régulariser par lettre recommandée avec avis de réception de nouvelles résiliations des contrats le 7 mai 2021, puis le 29 juin 2021 ;

constater que la résiliation du contrat est liée aux manquements de la société Mediaslide dans l’exécution de ses obligations contractuelles ;

constater qu’elle conteste les demandes de paiement de factures qui ne correspondent à aucune prestation fournie après la restitution des données et la fin d’utilisation du logiciel et qui ne tiennent pas compte du caractère indivisible des contrats de ‘users’ ;

en conséquence,

constater l’existence d’une contestation sérieuse ;

dire n’y avoir lieu à référé ;

débouter la société Mediaslide de l’ensemble de ses prétentions ;

condamner la société Mediaslide à restituer les sommes perçues au titre de l’exécution provisoire de l’ordonnance entreprise ;

condamner la société Mediaslide à lui verser la somme de 6.000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux dépens.

Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 mai 2022, la société Mediaslide demande à la cour de :

la déclarer recevable et bien fondée en ses prétentions ;

débouter la société MGMT de l’ensemble de ses demandes;

et, en conséquence,

confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a condamnée l’appelante, à titre provisionnel, au paiement de la somme de 10.772,40 euros avec intérêts au taux légal à compter du 19 juillet 2021 outre capitalisation de ces derniers et au paiement de l’indemnité forfaitaire de 40 euros par facture, soit 360 euros pour 9 factures impayées ;

y ajoutant,

condamner la société MGMT au paiement de la somme en principal de 4.633,20 euros TTC, correspondant aux factures impayées depuis le prononcé de l’ordonnance du 14 décembre 2021, augmentée du taux d’intérêt en vigueur de la Banque de France jusqu’au complet paiement, majorée de l’indemnité forfaitaire de recouvrement de 40 euros par facture non payée, soit 240 euros pour 6 factures impayées ;

ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

infirmer l’ordonnance en ce qu’elle a condamné la société MGMT à lui payer la somme de 1.800 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens et, y ajoutant, condamner la société MGMT au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 dudit code ainsi qu’aux entiers dépens pour la procédure de première instance et au paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles d’appel ainsi qu’aux entiers dépens d’appel, en ce compris les frais relatifs au constat d’huissier de l’étude Venezia & associés (de 609,20 euros), avec faculté de recouvrement direct dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile.

La clôture de la procédure a été prononcée le 11 mai 2022.

Pour un exposé plus détaillé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie expressément à la décision déférée ainsi qu’aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.

SUR CE, LA COUR

La cour rappelle, à titre liminaire, qu’elle n’est tenue de statuer que sur les prétentions des parties au sens de l’article 4 du code de procédure civile. Ainsi, les demandes de constat qui n’emporte aucune conséquence juridique mais uniquement des moyens, ne constituent pas des prétentions et ne donneront lieu à aucune mention au dispositif.

Sur la demande de provision

Selon l’article 873, alinéa 2, du code de procédure civile, dans les cas où l’existence d’une obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal de commerce peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

En l’espèce, il résulte des pièces versées aux débats qu’entre le 1er avril 2018 et le 17 février 2020, la société MGMT a souscrit auprès de la société Mediaslide quinze contrats de licence, d’une durée de douze mois chacun, renouvelable par tacite reconduction sauf dénonciation de l’une des parties adressée à l’autre par lettre recommandée avec demande d’avis de réception ou acte extrajudiciaire au moins trois mois avant l’échéance de la période contractuelle en cours, chaque licence permettant l’exploitation et l’utilisation du logiciel édité par la société Mediaslide.

Il apparaît encore que ces contrats ont été successivement résiliés par la société MGMT. C’est ainsi que cette société a dénoncé :

par lettre recommandée du 9 mars 2021, le contrat souscrit le 18 juin 2018, précisant qu’il prendrait fin le 18 juin 2021,

par lettre recommandée du 26 mai 2021, le contrat souscrit le 28 août 2019 avec effet au 28 août 2021 et celui souscrit le 1er septembre 2019 avec effet au 1er septembre 2021,

par lettre recommandée du 29 juin 2021, les douze autres contrats avec effet à leur date d’échéance contractuelle en 2021 ou 2022.

Il est constant qu’aucun règlement n’a été effectué au titre des contrats en cours à compter du 28 mai 2021.

Pour s’opposer au paiement de la provision sollicitée au titre des factures émises par l’intimée en application des contrats susvisés, la société MGMT fait valoir que les quinze contrats de licence, conclus sous forme de bons de commande, liés à un seul logiciel, constituent par nature un ensemble indivisible de sorte que la résiliation de l’un emporte caducité des autres ; que cette résiliation est intervenue, par écrit, le 21 septembre 2020 ; qu’elle était justifiée par une non conformité au contrat des prestations fournies par la société Mediaslide ; qu’enfin, les prestations ont cessé après le mois d’avril 2021, les données ayant été partiellement restituées le 29 janvier 2021.

Or, il apparaît de l’examen des contrats de licence, que ceux-ci ont été conclus à des dates différentes, pour des utilisateurs différents et pour des accès distincts au logiciel de la société Médiaslide, chaque contrat mentionnant le nombre de licences louées, le montant de la redevance due par licence louée et précisant ‘Toute nouvelle licence aura le même coût de location que les précédentes’. Il apparaît donc que ces contrats sont indépendants les uns des autres.

D’ailleurs, chaque contrat a été listé dans le protocole de restitution des données du 29 janvier 2021 signé des parties et la société MGMT les a énumérés dans les différents courriers de résiliation susvisés en rappelant leur date d’échéance respective.

La société MGMT ne saurait dès lors sérieusement soutenir avoir résilié les contrats par mail du 21 septembre 2020 dans lequel elle demandait à récupérer l’ensemble des données, étant au surplus observé que la résiliation qu’elle invoque en septembre 2020 n’est pas en cohérence avec la mise en demeure qu’elle a adressée le 7 mai 2021 à la société Mediaslide d’avoir à respecter ses obligations contractuelles.

En outre, contrairement à ce qu’elle soutient, il apparaît que la société MGMT a continué à utiliser le logiciel postérieurement à la récupération partielle des données intervenue le 29 janvier 2021, la société Mediaslide démontrant par un procès-verbal de constat du 2 février 2022, que postérieurement au mois de janvier 2021, la société appelante a, notamment, effectué des connexions au logiciel et des créations de contenus.

La cour relève encore que la restitution des données n’est pas incompatible avec la poursuite des contrats, ainsi qu’il résulte de l’article 11.4 de ces derniers, qui stipule que ‘Mediaslide s’engage à restituer l’intégralité des données (…) à tout moment au cours de l’exécution des présentes CG et à première demande du client lui étant adressée. Cette obligation de restitution s’applique indépendamment de la continuation ou de l’arrêt des CG (…)’.

Enfin, s’agissant des motifs de la résiliation des contrats, il n’est pas démontré avec toute l’évidence requise en référé que celle-ci aurait pour origine une défaillance de la société Mediaslide dans l’exécution de ses propres obligations, cette dernière ayant contesté par lettre du 19 mai 2021, devoir exécuter les prestations sollicitées par l’appelante, non décrites dans les contrats.

Au regard de ces éléments et des lettres de résiliation des 9 mars, 26 mai et 29 juin 2021, démontrant que la société MGMT avait connaissance de la poursuite des contrats listés jusqu’à leur date d’échéance contractuelle, le dernier ayant expiré le 5 juin 2022, son obligation au paiement des redevances dues pour chacun des contrats et jusqu’à leur terme respectif, ne se heurte à aucune contestation sérieuse.

C’est donc par une exacte appréciation des faits soumis à son appréciation que le premier juge a condamné, par provision, la société MGMT au paiement de la somme de 10.772,40 euros avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 19 juillet 2021et capitalisés, au titre des factures impayées dont les montants, au demeurant, non contestés, sont justifiés par lesdites factures.

Aux termes des articles L. 441-10, II, et D. 441-5 du code de commerce, tout professionnel en situation de retard de paiement est de plein droit débiteur, à l’égard du créancier, d’une indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement dont le montant est fixé à 40 euros.

La somme de 10.772,40 euros correspond à neuf factures impayées (pièces 11 et 11 bis). Le montant de l’indemnité forfaitaire s’établit donc à la somme globale de 360 euros. L’obligation de la société MGMT au paiement de cette somme ne se heurtant à aucune contestation sérieuse, elle sera condamnée, par provision, au paiement de cette somme. L’ordonnance entreprise sera donc complétée de ce chef.

Au regard des nouvelles factures produites en cause d’appel pour les contrats s’étant poursuivis au cours du premier semestre 2022, l’obligation de la société MGMT n’est pas sérieusement contestable à hauteur de 4.633,20 euros au titre des six factures impayées versées aux débats (pièces 11 ter 21 et 23). Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisés conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil.

Son obligation n’étant pas davantage contestable au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement, la société MGMT sera tenue de régler la somme provisionnelle de 240 euros (40 euros x 6).

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Le sort des dépens de première instance et l’indemnité allouée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ont été exactement appréciés par le premier juge.

Succombant en ses prétentions, la société MGMT sera condamnée aux dépens d’appel, qui ne comprendront pas le coût du procès-verbal de constat réalisé par la société Venezia & associés, huissier de justice, cet acte n’étant pas inclus dans les dépens.

Il sera alloué à la société Mediaslide, contrainte d’exposer des frais irrépétibles devant la juridiction du second degré, la somme de 2.500 euros à ce titre.

PAR CES MOTIFS

Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

Y ajoutant,

Condamne la société MGMT à payer à la société Mediaslide la somme provisionnelle de 360 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement pour les neuf factures impayées dont il était sollicité paiement en première instance ;

Condamne la société MGMT à payer à la société Mediaslide la somme provisionnelle de 4.633,20 euros au titre des six factures impayées émises pour les contrats s’étant poursuivis au cours du premier semestre 2022, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt et capitalisation de ceux-ci conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil ;

Condamne la société MGMT à payer à la société Mediaslide la somme provisionnelle de 240 euros au titre de l’indemnité forfaitaire de recouvrement relative aux six factures susvisées ;

Condamne la société MGMT aux dépens d’appel, qui ne comprendront pas le coût du procès-verbal de constat de la société Venezia & associés, avec faculté de recouvrement direct conformément à l’article 699 du code de procédure civile ;

Condamne la société MGMT à payer à la société Mediaslide la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Le Greffier, Le Président


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