Résiliation de bail et contestation de congé : enjeux de la preuve d’occupation et requalification du contrat de location.

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Résiliation de bail et contestation de congé : enjeux de la preuve d’occupation et requalification du contrat de location.
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Contexte de l’affaire

Par acte sous seing privé en date du 3 mars 2009, un bail meublé a été accordé à Monsieur [P] [E] pour un logement situé au [Adresse 1]. La SCI LITTLE THING est devenue propriétaire de cet appartement par acte notarié du 19 juin 2023.

Mise en demeure et congé pour vente

Le 14 octobre 2023, la SCI LITTLE THING a mis en demeure Monsieur [P] [E] de justifier de son occupation du logement. Par la suite, un congé pour vendre a été délivré à Monsieur [P] [E] le 4 décembre 2023, avec effet au 2 mars 2024.

Assignation devant le tribunal

Le 17 mai 2024, la SCI LITTLE THING a assigné Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris, demandant la résiliation du bail, l’expulsion des occupants, le paiement d’une indemnité d’occupation, ainsi que la condamnation aux dépens.

Audience et absence des défendeurs

Lors de l’audience du 2 septembre 2024, la SCI LITTLE THING a soutenu sa demande, mais Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] n’ont pas comparu ni été représentés. Le jugement a été réputé contradictoire en vertu de l’article 473 du code de procédure civile.

Requalification du contrat de bail

Le juge a requalifié le contrat de bail en bail vide, en raison de l’absence d’inventaire des meubles. Le bail a été considéré comme ayant débuté le 3 mars 2009 et reconduit tacitement jusqu’au 3 mars 2027.

Validité du congé pour vendre

Le congé délivré le 4 décembre 2023 a été déclaré nul, car il ne respectait pas le délai de préavis de six mois. De plus, la SCI LITTLE THING n’a pas fourni de justificatifs concernant la vente du bien.

Demande subsidiaire de résiliation pour sous-location

La demande de résiliation du bail pour sous-location a été rejetée, car la SCI LITTLE THING n’a pas prouvé que Monsieur [P] [E] avait cessé d’habiter le logement. Les éléments présentés n’étaient pas suffisants pour établir une cession illicite du bail.

Décision finale

Le tribunal a rejeté les demandes de la SCI LITTLE THING, l’a condamnée aux dépens, et a rappelé que le jugement est exécutoire à titre provisoire.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

28 octobre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/05298
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Copie conforme délivrée
le :
à :
Me Linda HOCINI

Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Monsieur [P] [E]
Monsieur [O] [J]

Pôle civil de proximité

PCP JCP fond

N° RG 24/05298 – N° Portalis 352J-W-B7I-C47B4

N° MINUTE :

JUGEMENT
rendu le lundi 28 octobre 2024

DEMANDERESSE
S.C.I. LITTLE THING
dont le siège social est sis [Adresse 2]
représentée par Me Linda HOCINI, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : #D1383

DÉFENDEURS
Monsieur [P] [E]
demeurant [Adresse 1]
non comparant, ni représenté

Monsieur [O] [J]
demeurant [Adresse 1]
non comparant, ni représenté

COMPOSITION DU TRIBUNAL
Romain BRIEC, Juge des contentieux de la protection
assisté de Coraline LEMARQUIS, Greffière,

DATE DES DÉBATS
Audience publique du 02 septembre 2024

JUGEMENT
réputé contradictoire, en premier ressort, prononcé par mise à disposition le 28 octobre 2024 par Romain BRIEC, Juge des contentieux de la protection, assisté de Coraline LEMARQUIS, Greffière

Décision du 28 octobre 2024
PCP JCP fond – N° RG 24/05298 – N° Portalis 352J-W-B7I-C47B4

EXPOSE DES MOTIFS

Par acte sous seing privé en date du 3 mars 2009 à effet le même jour, il a été donné à bail meublé à Monsieur [P] [E] un logement situé au [Adresse 1].

La SCI LITTLE THING est propriétaire dudit appartement, selon acte notarié du 19 juin 2023.

Par acte de commissaire de justice du 14 octobre 2023 la SCI LITTLE THING a mis en demeure Monsieur [P] [E] d’avoir à justifier de l’occupation du logement. Le bailleur a en outre, selon acte de commissaire de justice du 4 décembre 2023, délivré à son locataire un congé pour vendre à effet au 2 mars 2024.

Dans ce contexte, la SCI LITTLE THING a, par acte de commissaire de justice en date du 17 mai 2024, fait assigner Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris aux fins d’obtenir, sous le bénéfice de l’exécution provisoire :
– le constat de la résiliation du bail à l’effet du congé pour vente délivré le 4 décembre 2023 à titre principal sinon subsidiairement, le prononcé de la résiliation du bail aux torts exclusifs de Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] en raison de son inoccupation du logement,
– son expulsion et celle de tous les occupants de son chef, en particulier Monsieur [O] [J], sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la signification de la décision, avec l’assistance de la force publique et d’un serrurier si besoin est et avec séquestration des meubles,
– la condamnation solidaire de Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] au paiement d’une indemnité mensuelle d’occupation à 470 euros jusqu’à la libération effective,
– leur condamnation solidaire à 2500 euros au titre des frais irrépétibles, outre aux dépens, en ce compris le coût du constat de commissaire de justice.

L’affaire a été appelée et retenue à l’audience du 2 septembre 2024.

A l’audience, La SCI LITTLE THING, représentée par son conseil, a renvoyé aux termes de son assignation, qu’elle a soutenu oralement. Sur question posée, elle indiqué qu’aucun inventaire ni aucune autre pièce n’était versée au dossier pour faire état des meubles présents dans l’appartement.

Bien que régulièrement assignés à étude, Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] n’ont pas comparu ni n’ont été représentés à l’audience, ni enfin n’ont fait connaître les motifs de leur absence. Conformément à l’article 473 du code de procédure civile, il sera statué par jugement réputé contradictoire.

L’affaire a été mise en délibéré au 28 octobre 2024 par mise à disposition au greffe.

MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l’article 472 du code de procédure civile, si le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond. Le juge ne fait droit à la demande que dans la mesure où il l’estime régulière, recevable et bien fondée.

Sur la demande principale fondée sur le congé pour vente

Sur la qualification du contrat

Il sera rappelé qu’en application de l’article 12 du code de procédure civile, le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Selon l’article 25-4 de la loi du 6 juillet 1989, un logement meublé est un logement décent équipé d’un mobilier en nombre et en qualité suffisants pour permettre au locataire d’y dormir, manger et vivre convenablement au regard des exigences de la vie courante.

L’article 25-5 de cette même loi ajoute qu’un inventaire et un état détaillé du mobilier sont établis dans les mêmes formes et en autant d’exemplaires que de parties lors de la remise et de la restitution des clés.

A défaut de tels documents, la preuve par tout moyen est admise (CA Paris, 20 mars 2008 ; CA Aix-en-Provence, 11 janvier 2013).
Le juge du fond a toutefois la faculté de requalifier le contrat si le logement concerné n’est pas meublé de manière suffisante pour permettre au locataire d’y vivre convenablement sans y apporter ses propres éléments de mobilier (Civ.3e, 18 juillet 2000, loyers et copropriété 2001).

En l’espèce, le contrat de bail ne comporte aucun inventaire des meubles pouvant équiper le logement, ce que Monsieur [P] [E] a reconnu à l’audience. La SCI LITTLE THING n’apporte pas d’élément probant de nature à faire état du mobilier existant dans l’appartement au moment de la signature du contrat (annonce avec photographie, attestation, constat, etc).

Le contrat de bail litigieux sera en conséquence requalifié en bail vide d’une durée de trois ans, en application de l’article 10 de la loi du 6 juillet 1989. Le bail a donc débuté le 3 mars 2009 pour se terminer le 3 mars 2012 et a ensuite été tacitement reconduit par périodes de trois ans, en dernier lieu le 4 mars 2021 jusqu’au 3 mars 2024 puis à nouveau le 4 mars 2024 pour se terminer le 3 mars 2027.

Sur la validité du congé pour vendre

En application des dispositions de l’article 15-I et II de la loi n° 89-462 du 6 juillet 1989 applicables aux baux non meublés, le bailleur peut délivrer un congé pour vendre, six mois au moins avant l’échéance du bail. Le locataire dispose d’un droit de préemption qu’il doit exercer pendant un délai de deux mois. A l’expiration du délai de préavis, le locataire est déchu de tout titre d’occupation. Lorsque le terme du contrat de location en cours intervient moins de 3 ans après la date d’acquisition, le bailleur ne peut donner congé à son locataire pour vendre qu’au terme de la première reconduction tacite ou du premier renouvellement du contrat de location en cours. En cas de contestation, le juge peut, même d’office, vérifier la réalité du motif du congé et le respect des obligations prévues au présent article. Il peut notamment déclarer non valide le congé si la non-reconduction du bail n’apparaît pas justifiée par des éléments sérieux et légitimes.

En l’espèce, le bail consenti à Monsieur [P] [E] pour une durée de trois ans a expiré en dernier lieu le 3 mars 2024. Le congé du bailleur du 4 décembre 2023 ne respecte pas le délai de 6 mois de préavis imposé par les dispositions légales précitées. Le congé est donc nul sur ce seul fondement. Il sera en outre observé que la SCI LITTLE THING a délivré un congé seulement quelques mois après avoir acquis le bien litigieux, selon acte notarié du 19 juin 2023, soit avant la première reconduction tacite. De plus, le bailleur ne produit aucun justificatif des dispositions prises en vue de la vente pour illustrer la réalité et de la sincérité du motif du congé pour vendre.

Il convient en conséquence de déclarer le congé nul. Le bail a donc été reconduit tacitement le 4 mars 2024 pour trois ans, soit jusqu’au 3 mars 2027 inclus. Il appartiendra dès lors aux parties de dresser le cas échéant un congé dans les conditions posées par la loi si l’une ou l’autre souhaite mettre un terme au bail en cours.

Sur la demande subsidiaire fondée sur la sous-location supposée

Aux termes de l’article 1224 du code civil, la résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. L’article 1229 du même code précise que lorsque les prestations échangées ont trouvé leur utilité au fur et à mesure de l’exécution réciproque du contrat, il n’y a pas lieu à restitution pour la période antérieure à la dernière prestation n’ayant pas reçu sa contrepartie et que, dans ce cas, la résolution est qualifiée de résiliation.

En application de l’article 1228 du code civil, le juge peut, selon les circonstances, constater ou prononcer la résolution ou ordonner l’exécution du contrat, en accordant éventuellement un délai au débiteur, ou allouer seulement des dommages et intérêts.

Il appartient à celui qui se prévaut de la résiliation judiciaire du contrat de rapporter la preuve du manquement et de justifier de sa gravité suffisante à entraîner la résiliation du contrat de bail aux torts du locataire et son expulsion des lieux.

Enfin, il sera rappelé qu’en vertu des articles L.442-3-5 et L.442-8-1 du code de la construction et de l’habitation et 6.5 des conditions générales de location, le locataire doit occuper personnellement les lieux et ne peut les sous-louer, sauf à certaines personnes (personnes de plus de soixante ans ou à des personnes adultes présentant un handicap) et après information préalable du bailleur. Cette interdiction concerne aussi bien la sous-location totale que partielle.

Par ailleurs, en application des articles 2 de la loi du 6 juillet 1989, L.442-3-5 et R.641-1 du code de la construction et de l’habitation et 6.1 et 6.2 du contrat de bail, les locaux loués doivent constituer la résidence principale effective du preneur et être ainsi occupé au moins huit mois par an, sauf obligation professionnelle notamment.

En l’espèce, par acte de commissaire de justice du 14 octobre 2023 à tiers présent, la SCI LITTLE THING a mis en demeure Monsieur [P] [E] d’avoir à justifier de l’occupation du logement. Le tiers présent au moment de la remise de l’acte se déclare être ” un cousin ” et n’a apporté au commissaire de justice aucune indication sur la résidence effective ou non de Monsieur [P] [E] dans le logement. Celui-ci a toutefois répondu à la mise en demeure par une attestation sur l’honneur du 16 octobre 2023 versée aux débats, soit seulement deux jours plus tard ce qui démontre de sa réactivité à faire état de sa situation. S’agissant du procès-verbal de constat en date du 14 février 2024, à l’initiative du bailleur, il est relevé que les identités de Monsieur [P] [E] et Monsieur [O] [J] sont toutes deux apposées sur la boîte aux lettres. Le commissaire de justice note en outre la présence d’” effets masculins ” dans l’appartement et de ” factures au nom du locataire en titre ” sans plus de précision. Les documents au nom de Monsieur [O] [J] annexés sont anciens par rapport à la date du constat, pour dater de février 2023 et mars 2023, soit près d’un an auparavant. Les autres éléments relevés attestent d’une occupation effective de l’appartement, ce qui est corroboré par les déclarations d’un voisin qui fait référence à une occupation du bien par ” un homme jeune dont il ignore l’identité “, sans plus ample détail, ce qui empêche de s’assurer s’il s’agit ou non de Monsieur [P] [E].

Dès lors, la SCI LITTLE THING n’apporte pas d’éléments suffisants à rapporter la preuve formelle de ce que, au-delà de la présence actuelle ou passée de tiers dans le logement, le preneur a quant à lui cessé d’habiter sur place et a opéré une cession du bail illicite. Si Monsieur [P] [E] n’a apporté qu’une attestation sur l’honneur de son occupation effective, il sera rappelé que la charge de la preuve ne lui incombe pas.

Il conviendra en conséquence de débouter la SCI LITTLE THING de sa demande de résiliation du bail aux torts du locataire. Les demandes subséquentes d’expulsion et indemnité d’occupation deviennent sans objet.

Sur les demandes accessoires

La SCI LITTLE THING supportera les dépens en application de l’article 696 du code de procédure civile.

Il n’y pas lieu de faire application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile.

La présente décision est exécutoire à titre provisoire, conformément à l’article 514 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS,

Le juge des contentieux de la protection statuant publiquement et en premier ressort par jugement réputé contradictoire mis à disposition au greffe,

REJETTE les demandes de la SCI LITTLE THING ;

CONDAMNE La SCI LITTLE THING aux dépens ;

RAPPELLE que le présent jugement est exécutoire de plein droit à titre provisoire ;

Ainsi jugé et prononcé par jugement signé les jour, mois et an susdits par le juge des contentieux de la protection et la greffière susnommés et mis à disposition au greffe.

La greffière Le juge des contentieux de la protection


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