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27 juin 2023
Cour d’appel de Lyon
RG n°
23/02387
COUR D’APPEL DE LYON
CHAMBRE SOCIALE C
ORDONNANCE
QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
du 27 Juin 2023
Dossier :
Appel du jugement du Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de BOURGOIN-JAILLEU du 09 février 2017 – N° rôle : F 15/00237
N° R.G. : N° RG 23/02387 – N° Portalis DBVX-V-B7H-O3WQ
APPELANTS :
défendeurs à la QPC :
Monsieur [N] [V]
né le 24 Février 1955 à [Localité 4]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représenté par Me Lucie DAVY de la SELARL LOIA AVOCATS, avocat postulant du barreau de LYON et Me Adrien RENAUD de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat plaidant du barreau de GRENOBLE
Madame [H] [V]
née le 26 Août 1954 à [Localité 3]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Lucie DAVY de la SELARL LOIA AVOCATS, avocat postulant du barreau de LYON et Me Adrien RENAUD de la SCP FESSLER JORQUERA & ASSOCIES, avocat plaidant du barreau de GRENOBLE
INTIMEE :
demandeur à la QPC :
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Yann BOISADAM de la SCP AGUERA AVOCATS, avocat plaidant du barreau de LYON et Me Laurent LIGIER de la SELARL LIGIER & DE MAUROY, avocat postulant du barreau de LYON
FAITS ET PROCÉDURE
Les époux [V] ont conclu avec la société Distribution Casino France (la société) des contrats successifs de cogérance non salariée en vue de la gestion et de l’exploitation de commerces de détail alimentaire. Les cogérants ont saisi le conseil de prud’hommes de Bourgoin-Jallieu aux fins d’obtenir la requalification de leurs contrats de cogérance non salariée en contrats de travail ainsi que le paiement de rappel d’heures de rémunération, d’heures supplémentaires, d’heures de délégation , des dommages-intérêts pour violation des règles relatives à la santé et à la sécurité et des dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de formation.
Par jugement du 9 février 2017, le conseil de prud’hommes a :
– requalifié les contrats de co-gérance non salariée en contrats de travail à durée déterminée,
– dit que la rupture du contrat de travail de Mme [V] est sans cause réelle et sérieuse – a condamné la société à payer les sommes suivantes :
Pour Mme [V] :
– 10 000 euros à titre de dommages-intérêts à titre de l’exécution déloyale du contrat
de gérant non-salarié ;
– 10 443,46 euros à titre de rappel de rémunération, outre les congés payés afférents,
– 20 000 euros de dommages-intérêts pour rupture abusive,
– 2 989,60 euros au titre de reliquat d’indemnité de licenciement,
Pour M. [V] :
– 10 000 euros à titre de dommages- intérêts à titre de l’exécution déloyale du contrat de gérant non- salarié,
– 20 543,67 euros à titre de rappel de rémunération, outre les congés payés afférents,
-débouté les parties de leurs autres demandes principales, subsidiaires et reconventionnelles.
Sur appel de la société et appels incidents des gérants, par arrêt du 28 mars 2019, la cour d’appel de Grenoble a infirmé le jugement et, statuant à nouveau, a condamné la société à verser à M. [V] des sommes au titre des heures de délégation et des congés payés afférents et a débouté les parties du surplus de leurs prétentions.
Sur le pourvoi formé par les gérants, par arrêt du 13 avril 2022, la Cour de cassation (Soc., pourvoi n°19-20.185) a prononcé une cassation partielle de l’arrêt attaqué, seulement en ce qu’il déboute les cogérants de leurs demandes de rappels au titre des heures supplémentaires, la cour d’appel ayant fait peser la charge de la preuve sur les seuls cogérants en violation des articles L. 7322-1 et L. 3171-4 du code du travail, et a renvoyé sur ce point l’affaire et les parties devant la cour d’appel de Lyon.
Les époux [V] ont saisi la cour d’appel de Lyon, le 10 juin 2022.
Le 13 mars 2023, la société Distribution Casino France a déposé un mémoire distinct présentant une question prioritaire de constitutionnalité, aux termes de laquelle elle demande de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :
« Au regard de la portée effective qui lui est attribuée par une interprétation constante de la Cour de cassation, rendant automatiquement applicable l’article L. 3171-4 du code du travail aux litiges relatifs à la durée du travail des gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire (hors requalification de leur contrat de cogérance en un contrat de travail), lorsque l’entreprise propriétaire de la succursale fixe et/ou soumet à son accord «les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement », circonstances déduite du seul fait que les gérants doivent déterminer les horaires d’ouverture des magasins dont la gestion leur est confiée en conformité avec les coutumes locales et les habitudes de la cliente et que ces horaires sont diffusés sur le site internet de l’entreprise, interprétation conduisant à imposer à l’entreprise propriétaire de la succursale ( à qui la loi fait pourtant interdiction de contrôler leur temps travail) de justifier des heures de travail effectivement réalisées par les gérants non-salariés qui n’allèguent, pour leur part, qu’une amplitude de travail et la rendre ainsi débitrice d’une preuve légalement impossible à rapporter, l’article L.7322-1 du code du travail est-il contraire aux droits de la défense, au droit à un procès équitable au principe d’égalité devant la justice, garantis par les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789 ‘ ».
La société Distribution Casino France soutient en substance que l’interprétation constante que fait la Cour de cassation de l’application de l’article L. 7322-1 du code du travail qu’elle rend automatiquement applicable aux litiges relatifs à la durée du travail des gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire, impliquant une preuve partagée des heures de travail, place la société Distribution France face à la preuve impossible, sauf à encourir la requalification du contrat de cogérance en contrat de travail salarié à durée indéterminée.
Par des écritures du 11 mai 2023, les époux [V] concluent à l’absence de sérieux de la question posée et à sa non transmission à la Cour de cassation.
Ils estiment que la question posée ne tend qu’à remettre en cause une jurisprudence établie de la Cour de Cassation, en invitant à un revirement de jurisprudence sur l’application aux gérants non-salariés des dispositions du code du travail relatives à la preuve partagée des heures de travail accomplies, prévues à l’article L. 3171-4, même si l’existence un contrat de travail n’est pas caractérisée.
Ils font valoir que la société Distribution Casino France ne se trouve pas débitrice d’une preuve légalement impossible à rapporter puisque, en application de la jurisprudence constante de la chambre sociale, il lui est possible, sans s’exposer à un risque de requalification de la relation de travail, d’opérer un contrôle aux fins de décompte du temps de travail des gérants non-salariés, dès lors que ce contrôle n’a pas pour finalité d’imposer aux gérants non-salariés leurs horaires de travail.
Par observations du 3 mai 2023, notifiées aux parties, Madame la Procureure générale près la cour d’appel de Lyon conclut à la non transmission de la question, la condition préalable du caractère sérieux n’étant pas remplie.
Elle souligne que, contrairement à ce que soutient la société Distribution Casino France, il n’existe pas d’interprétation jurisprudentielle constante de la Cour de cassation rendant automatiquement applicable l’article L. 3171-4 du code du travail aux litiges relatifs à la durée du travail des gérants non-salariés des succursales de commerce de détail alimentaire.
En effet, la chambre sociale considère que les gérants non-salariés ne peuvent revendiquer l’application de l’article L. 3174-1 du code du travail que lorsque les conditions d’application de l’article L. 7322-1 du code du travail sont réunies, c’est à dire dès lors que les juges du fond constatent que le respect de l’amplitude horaire était soumis à l’accord de la société propriétaire de la succursale.
Les parties, représentées par leurs conseils, ont été convoquées à l’audience du 23 mai 2023 et l’affaire a été mise en délibéré au 27 juin 2023.
MOTIVATION
Aux termes de l’article L. 7322-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008, l’entreprise propriétaire de la succursale est responsable de l’application au profit des gérants non salariés des dispositions du livre I de la troisième partie relatives à la durée du travail, aux repos et aux congés, ainsi que de celles de la quatrième partie relatives à la santé et à la sécurité au travail lorsque les conditions de travail, de santé et de sécurité au travail dans l’établissement ont été fixées par elle ou soumises à son accord. Dans tous les cas, les gérants non salariés bénéficient des avantages légaux accordés aux salariés en matière de congés payés.
En l’espèce, présentée dans un écrit distinct et motivé, la question prioritaire de constitutionnalité est recevable.
L’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que la juridiction transmet sans délai et dans la limite de deux mois la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;
2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;
3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.
Les dispositions de l’article L. 7322-1 du code du travail sont applicables au litige et elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.
S’agissant de l’appréciation du caractère sérieux de la question, il convient de retenir que ce n’est que lorsque les conditions de travail dans l’établissement ont été fixées par l’entreprise propriétaire de la succursale ou soumises à son accord, ce qui dépend des constatations des juges du fond que les dispositions de l’article L. 3174-1 du code du travail trouvent à s’appliquer, de sorte que la disposition législative ainsi interprétée, ne viole aucune des dispositions et principes constitutionnels invoqués.
Cette question n’a, dès lors, pas de caractère sérieux et il n’y a pas lieu de la transmettre à la Cour de cassation.
PAR CES MOTIFS
Nous, Nathalie Palle, présidente de chambre, assistée de Fernand Chappron, greffier,
REJETTE la demande de transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité,
RÉSERVE les dépens.
LE GREFFIER LA PRÉSIDENTE,