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14 juin 2023
Cour d’appel de Reims
RG n°
22/00607
Arrêt n°
du 14/06/2023
N° RG 22/00607
MLB/ML
Formule exécutoire le :
à :
COUR D’APPEL DE REIMS
CHAMBRE SOCIALE
Arrêt du 14 juin 2023
APPELANTE :
d’une décision rendue le 07 février 2022 par le Conseil de Prud’hommes – Formation de départage de TROYES, section COMMERCE (n° F20/00341)
Madame [H] [P]
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentée par la SELARL CORINNE LINVAL, avocats au barreau de l’AUBE
et par la SCP DELVINCOURT – CAULIER-RICHARD – CASTELLO AVOCATS ASSOCIES, avocats au barreau de REIMS
INTIMÉE :
S.A.R.L. ALDI [Localité 5]
[Adresse 8]
[Adresse 8]
[Localité 3]
Représentée par la SELARL CAPSTAN LMS, avocats au barreau de PARIS,
par Me Gilles SOREL, avocat au barreau de TOULOUSE et par Me Thomas KABORE, avocat au barreau de PARIS
DÉBATS :
En audience publique, en application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 20 mars 2023, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président, et Madame Isabelle FALEUR, conseiller, chargées du rapport, qui en ont rendu compte à la cour dans son délibéré ; elle a été mise en délibéré au 17 mai 2023, prorogé au 14 juin 2023.
COMPOSITION DE LA COUR lors du délibéré :
Madame Marie-Lisette SAUTRON, conseiller faisant fonction de président
Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller
Madame Isabelle FALEUR, conseiller
GREFFIER lors des débats :
Madame Allison CORNU-HARROIS, greffier
ARRÊT :
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour d’appel, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile, et signé par Madame Marie-Laure BERTHELOT, conseiller en remplacement du président régulièrement empêché et Madame Maureen LANGLET, greffier placé, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
* * * * *
Madame [H] [P] a été embauchée par la SARL Aldi [Localité 5], à compter du 10 octobre 2016, en qualité d’employée commerciale niveau 2B au sein du magasin de [Localité 7], dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel.
Aux termes d’un avenant en date du 27 avril 2017, elle a été promue au poste d’employée commerciale niveau 3.
Elle a par ailleurs signé plusieurs avenants à son contrat de travail entre le 3 avril 2017 et le 9 juillet 2018, augmentant temporairement la durée du travail.
Le 1er septembre 2018, Madame [H] [P] et la SARL Aldi [Localité 5] ont signé un contrat de travail annulant et remplaçant le précédent contrat, la salariée bénéficiant toutefois de son ancienneté au titre de son précédent contrat. Aux termes de ce contrat de travail, elle a été promue au poste d’assistante magasin à temps complet.
A compter du mois de mai 2019, Madame [H] [P] a été affectée temporairement au sein du magasin de [Localité 4].
Madame [H] [P] a été placée en arrêt de travail à compter du 26 juin 2019.
Elle a été affectée à compter du 22 juillet 2019 au magasin de [Localité 6].
Le 11 juin 2020, elle a saisi le conseil de prud’hommes de Troyes de demandes tendant notamment à la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein, de demandes financières en découlant et d’une demande tendant à voir prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l’employeur, produisant les effets d’un licenciement nul en raison du harcèlement moral dont elle a été victime et, à titre subsidiaire, les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, outre des demandes à caractère indemnitaire et salarial.
Le 22 décembre 2021, Madame [H] [P] a été déclarée inapte avec dispense de reclassement au regard de son état de santé.
Le 17 février 2022, elle a été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Par jugement de départage du 4 mars 2022, le juge départiteur, statuant seul après avoir pris l’avis des conseillers prud’hommes présents :
– a constaté l’absence de demande liée à l’inopposabilité de l’accord d’entreprise du 19 octobre 2016,
– a dit n’y avoir lieu à statuer sur la recevabilité d’une demande portant sur l’inopposabilité dudit accord d’entreprise,
– s’est déclaré compétent pour évoquer l’inopposabilité dudit accord d’entreprise,
– a condamné la SARL Aldi [Localité 5] au paiement des sommes de 1376,64 euros à titre de rappels de salaire et de 137,66 euros au titre des congés payés afférents,
– dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de chaque échéance exigible,
– débouté Madame [H] [P] du surplus de ses demandes,
– débouté les parties de leurs demandes contraires ou plus amples,
– condamné la SARL Aldi [Localité 5] à payer à Madame [H] [P] la somme de 500 euros au titre de ses frais irrépétibles,
– condamné la SARL Aldi [Localité 5] aux dépens,
– dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Madame [H] [P] a formé appel de certains chefs du jugement le 10 mars 2022 et elle a déposé une seconde déclaration d’appel portant régularisation de la première, le 1er juin 2022. Par ordonnance du 29 juin 2022, le juge de la mise en état a ordonné la jonction des deux procédures, l’affaire se poursuivant sous le numéro 22/607.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 octobre 2022, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, l’appelante sollicite de la cour l’infirmation du jugement, sauf du chef du rappel de salaire et congés payés afférents, et lui demande de :
– prononcer la résiliation judiciaire de son contrat de travail,
– juger qu’elle produira les effets d’un licenciement nul ou subsidiairement sans cause réelle et sérieuse,
– condamner la SARL Aldi [Localité 5] à lui verser les sommes de :
78 749,42 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement nul,
subsidiairement 19 687,38 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du licenciement sans cause réelle ni sérieuse,
4 511,69 euros à titre d’indemnité de licenciement,
6 562,45 euros à titre d’indemnité compensatrice de préavis,
656,25 euros à titre de congé payés afférents,
30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du harcèlement moral,
30 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation des préjudices nés du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité,
21 267,31 euros à titre de rappel d’heures supplémentaires de juin 2017 à avril 2019,
2 126,73 euros à titre de congés payés afférents,
9 226,87 euros au titre de la contrepartie obligatoire en repos de 2017 à 2019,
5 777,13 euros à titre de rappel de salaire d’octobre 2016 à septembre 2018 sur la base d’un temps plein,
577,71 euros à titre de congés payés afférents,
19 687,38 euros à titre d’indemnité pour travail dissimulé,
5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel,
– condamner la SARL Aldi [Localité 5] aux entiers dépens de première instance et d’appel,
– déclarer la SARL Aldi [Localité 5] mal fondée en toutes ses demandes.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 25 août 2022, auxquelles il sera expressément renvoyé pour plus ample exposé du litige, l’intimée sollicite de la cour l’infirmation du jugement des chefs de rappel de salaire, congés payés afférents, frais irrépétibles et dépens et sa confirmation pour le surplus.
Elle demande à la cour, statuant à nouveau, de :
– à titre principal, débouter Madame [H] [P] de l’ensemble de ses demandes,
– à titre subsidiaire, réduire à :
6 492,17 euros les dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
4 328,48 euros l’indemnité compensatrice de préavis,
432,85 euros les congés payés afférents,
2 164,24 euros l’indemnité de licenciement,
– à titre infiniment subsidiaire, réduire à de plus justes proportions l’indemnité pour licenciement nul à 12 985,44 euros,
– en tout état de cause, condamner Madame [H] [P] au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.
MOTIFS
– Sur le rappel de salaires :
Madame [H] [P] avait formé en première instance deux demandes en paiement de rappel de salaire :
– la première portait sur un rappel de salaire d’octobre 2016 à octobre 2018 d’un montant de 5 773,13 euros, outre les congés payés, calculé sur la base d’un temps plein découlant de la requalification de son contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps plein,
– la seconde portait sur un rappel d’heures supplémentaires d’un montant de 21 267,31 euros, outre les congés payés, pour la période comprise entre juin 2017 et avril 2019.
Les premiers juges ont accueilli Madame [H] [P] en sa demande d’heures supplémentaires entre le 19 juin et le 2 septembre 2017.
Madame [H] [P] reprend à hauteur d’appel, les demandes dont elle a été déboutée en première instance.
Au soutien de sa demande de rappel de salaire découlant de la requalification de son contrat de travail à temps plein, elle fait valoir que son contrat de travail n’était pas conforme aux dispositions de l’article L.3121-6 du code du travail, qu’elle était en permanence à la disposition de son employeur, qu’elle accomplissait un volume d’heures dépassant les 50 heures par semaine, que l’accord sur les modalités d’aménagement du temps de travail ne lui est pas opposable et que les documents produits par l’employeur n’ont aucune valeur probante.
Au soutien de sa demande au titre des heures supplémentaires, elle fait valoir que l’accord susvisé ne lui est pas non plus opposable, qu’elle satisfait à la preuve qui lui incombe au vu des éléments qu’elle présente et que les documents produits par l’employeur n’ont aucune valeur probante alors que la responsable du magasin falsifait les documents, ce qui ressort des sms produits, des plannings de travail modifiés et des nombreuses ratures et surcharges affectant les documents d’enregistrement du temps de travail (dit DETT).
La SARL Aldi [Localité 5] réplique que les contrats de travail à temps partiel contiennent les mentions légales, que Madame [H] [P] n’a accompli aucune heure complémentaire qui aurait eu pour effet de porter la durée de travail au niveau de la durée légale ou conventionnelle, à l’exception de périodes couvertes par des avenants temporaires, que l’accord d’entreprise d’annualisation du temps de travail était opposable à la salariée, qu’il ne lui a pas été demandé de faire d’heures supplémentaires, qu’elle verse aux débats les DETT remplis chaque jour par la salariée à sa prise de poste et à sa fin de poste, qu’elle a signés et pour lesquels il n’est pas démontré de falsifications.
Les parties s’opposent en premier lieu sur l’opposabilité de l’accord sur les modalités d’aménagement du temps de travail en date du 19 octobre 2016, entré en vigueur le 1er novembre 2016.
Un tel accord s’applique à Madame [H] [P], même s’il n’était pas encore entré en vigueur à la date de signature de son contrat de travail.
En effet, à cette date était applicable l’accord en date du 27 juin 2012 sur les modalités d’aménagement du temps de travail qui relève de l’organisation collective du travail, lequel, était, en l’absence de disposition contractuelle contraire, applicable à Madame [H] [P] engagée postérieurement à sa mise en oeuvre au sein de l’entreprise.
L’accord du 19 octobre 2016 ne comporte aucune modification par rapport à l’accord précédent tant au sujet de l’organisation du temps de travail des salariés à temps complet qu’au sujet de l’organisation des salariés à temps partiel. En outre, la SARL Aldi [Localité 5] établit au moyen de ses pièces n°37 à 42 que l’accord était affiché sur le tableau présent dans le magasin au sein duquel Madame [H] [P] travaillait.
S’agissant de la requalification du contrat de travail à temps partiel en date du 10 octobre 2016, Madame [H] [P] soutient en premier lieu, mais à tort, qu’il ne serait pas conforme aux dispositions de l’article L.3123-6 du code du travail au titre de la répartition de la durée du travail.
En effet, conformément à l’article L.3123-6 1° dudit code, il contient une répartition de la durée du travail entre les semaines du mois puisqu’il est écrit que la répartition des 130 heures de travail effectives se fait chaque semaine, numérotée de 1 à 4, à hauteur de 31,50 heures.
Madame [H] [P] soutient qu’elle a effectué des heures complémentaires, à compter d’octobre 2016 et jusqu’à la signature de son contrat de travail à temps complet, qui ont porté la durée hebdomadaire de son travail au-delà de la durée légale puisqu’elle dépassait 50 heures de travail, voire même 60 heures de travail par semaine.
Le régime des heures complémentaires est identique à celui des heures supplémentaires.
Il en ressort que la salariée doit produire des éléments suffisamment précis pour permettre à l’employeur d’y répondre, ce qu’elle ne fait pas sur la période comprise entre le 10 octobre 2016 et le 18 juin 2017 au titre de laquelle elle évoque tout au plus, dans les conditions précitées, un volume d’heures approximatif.
A compter du 19 juin 2017, elle satisfait à la preuve qui lui incombe puisqu’elle produit pour chaque semaine travaillée, un décompte avec le nombre d’heures.
La SARL Aldi [Localité 5] ne satisfait pas pour sa part à la preuve qui lui incombe, entre le 19 juin et le 11 septembre 2017, puisqu’elle ne produit aucun document d’enregistrement du temps de travail.
La réalité des heures complémentaires est donc établie et justifie la requalification du contrat de travail à temps partiel en contrat de travail à temps complet à compter du 19 juin 2017 dès lors qu’au vu du décompte établi par la salariée, dès cette semaine, la durée hebdomadaire de travail de la salariée dépassait la durée légale.
Sur la base de cette requalification à temps complet, Madame [H] [P] est bien fondée en sa demande de rappel de salaire, dont il conviendra toutefois de déduire les heures complémentaires reprises sur les bulletins de paie et les périodes couvertes par les avenants de compléments d’heures. La SARL Aldi [Localité 5] sera donc condamnée à payer à Madame [H] [P] la somme de 2 888,56 euros au titre du rappel de salaire, sur la base d’un temps complet, entre le 19 juin 2017 et le 31 août 2018, outre les congés payés y afférents.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
Au titre des heures supplémentaires réclamées entre le 19 juin 2017 et le mois d’avril 2019, Madame [H] [P] satisfait à la preuve qui lui incombe en application de l’article L.3171-4 du code du travail, dès lors qu’elle produit pour chaque semaine travaillée, un décompte précisant le nombre d’heures travaillées, à partir du détail de chaque jour travaillé, avec les heures de début et de fin de matinée et celles de début et de fin d’après-midi.
La SARL Aldi [Localité 5] ne produit aucun document d’enregistrement du temps de travail entre le 19 juin et le 11 septembre 2017.
Pour la période postérieure, elle produit les DETT, qui sont selon les explications qu’elle fournit en pages 37 et 38 de ses écritures, remplis chaque jour par la salariée à sa prise de poste et à sa fin de poste et à partir desquels le manager du magasin établit le suivi de l’annualisation du temps de travail.
Or, il ressort de l’examen de ces DETT, que de nombreuses journées de travail ne comportent aucune signature de la part de Madame [H] [P] dans la case réservée à la ‘signature pour validation’. De surcroît, de tels documents ne sont pas produits en originaux et sont affectés de très nombreuses ratures, surcharges, traces de blanco, tant dans les horaires de début que de fin de journée ou au titre du total jour. La SARL Aldi [Localité 5] ne fournit aucune explication sur la présence de si nombreuses surcharges et ratures, qui ne sont pas compatibles avec le système d’un DETT renseigné par la salariée au moment de sa prise puis de sa fin de poste, puisqu’elle connaît ses horaires de manière certaine à l’instant où elle les consigne.
Sur cette période, la SARL Aldi [Localité 5] fournit donc des éléments de contrôle du temps de travail de la salariée qui sont incomplets ou pour beaucoup d’entre eux non fiables.
Il ressort donc de ces éléments que l’intimée échoue à rapporter la preuve qui lui incombe, de sorte que la réalité des heures supplémentaires est établie sur toute la période concernée par la demande de la salariée, contrairement à ce que le premier juge a retenu.
La SARL Aldi [Localité 5] oppose vainement à la salariée qu’elle ne serait pas fondée à réclamer le paiement d’heures supplémentaires qui n’ont pas été effectués avec l’accord de la direction, conformément aux termes du règlement intérieur, dès lors que l’employeur en avait connaissance, au vu des modifications apportées sur le DETT.
C’est à tort toutefois que Madame [H] [P] réclame le paiement d’un quantum de 1 411,59 heures supplémentaires entre le mois de juin 2017 et le mois d’avril 2019, sur la base d’heures supplémentaires décomptées au-delà de la 35ème heure.
D’une part, il apparaît qu’elle n’a pas calculé les heures supplémentaires dans les termes de l’accord sur les modalités d’aménagement du temps de travail, ce que n’a pas non plus effectué le premier juge pour évaluer le rappel des heures supplémentaires de juin à septembre 2017. D’autre part, Madame [H] [P] n’a pas accompli les heures supplémentaires dans la proportion réclamée puisque la comparaison entre le tableau qu’elle produit et certains des jours figurant dans le DETT qui ne comportent pas de ratures et sont signés d’elle font apparaître des amplitudes horaires inférieures.
Sur la base de l’ensemble de ces éléments, la cour évalue le rappel de salaires, sur la période de référence retenue dans l’accord d’aménagement du temps de travail, à la somme de 5 578,55 euros, outre les congés payés y afférents, sur la base de 18 heures supplémentaires entre le 19 juin et le 31 juillet 2017, 220 heures supplémentaires entre le 1er août 2017 et le 31 juillet 2018 et 190 heures supplémentaires entre le 1er août 2018 et le 29 avril 2019.
La SARL Aldi [Localité 5] doit donc être condamnée à payer ces sommes à Madame [H] [P] et le jugement doit être infirmé en ce qu’il a condamné la SARL Aldi [Localité 5] à payer à Madame [H] [P], au titre des heures supplémentaires de juin à septembre 2017 la somme de 1 376,64 euros, outre les congés payés y afférents et en ce qu’il a débouté Madame [H] [P] de sa demande pour la période postérieure.
– Sur la contrepartie obligatoire en repos :
Madame [H] [P] demande à la cour d’infirmer le jugement au titre du rejet de sa demande au titre de la contrepartie obligatoire en repos, dès lors que le contingent annuel d’heures supplémentaires aurait été dépassé en 2017, 2018 et 2019.
Or, le contingent annuel d’heures supplémentaires, qui n’est pas de 180 heures comme le retient à tort la salariée, mais de 230 heures au vu de l’accord en date du 19 octobre 2016, n’a donc été dépassé pour aucune des années en cause, de sorte que le jugement doit être confirmé en ce qu’il l’a déboutée de sa demande à ce titre.
– Sur le travail dissimulé :
Madame [H] [P] demande à la cour d’infirmer le jugement du chef du rejet de sa demande au titre du travail dissimulé, soutenant que contrairement à ce que le premier juge a retenu, le caractère intentionnel de la dissimulation est établi, ce que conteste l’employeur.
Or, au regard des nombreux chiffres biffés, effacés ou surchargés, tels que précédemment décrits dans les DETT qui servaient de base au suivi de l’annualisation du temps de travail de Madame [H] [P] et à l’établissement des bulletins de paie, le caractère intentionnel de la dissimulation des heures supplémentaires réalisées par cette dernière est établi.
La SARL Aldi [Localité 5] sera donc condamnée à lui payer la somme de 14 561,46 euros, correspondant à 6 mois de salaire, sur la base du salaire reconstitué, et ce en application de l’article L.8223-1 du code du travail.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
– Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur :
Madame [H] [P] demande à la cour d’infirmer le jugement en ce qu’il l’a déboutée de sa demande tendant au prononcé de la résiliation judicaire de son contrat de travail aux torts de la SARL Aldi [Localité 5].
Elle soutient que dès lors qu’elle a été victime d’un harcèlement moral, il doit être fait droit à sa demande, laquelle produit les effets d’un licenciement nul.
La SARL Aldi [Localité 5] demande pour sa part à la cour de confirmer le jugement du chef du rejet de la demande de Madame [H] [P] au titre de la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, en l’absence de tout manquement de sa part à ses obligations et notamment en l’absence de harcèlement moral.
En application des articles L.1152-1 et L.1154-1 du code du travail, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par la salariée en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L.1152-2 du code du travail. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Madame [H] [P] présente plusieurs éléments au soutien de sa demande de harcèlement moral, consistant en un harcèlement managérial et en un harcèlement d’ambiance ou d’environnement.
Au soutien du harcèlement managérial, elle invoque la mise en place d’une organisation de travail qui la conduisait à accomplir de nombreuses heures supplémentaires sans être rémunérée et qui s’affranchissait des règles relatives au droit au repos.
Il vient d’être retenu que pendant près de deux années, Madame [H] [P] a effectué de nombreuses heures supplémentaires pour lesquelles elle n’était pas rémunérée.
Il ressort par ailleurs du relevé des journées de travail produit par la salariée, en particulier quand elle est devenue assistante du manager, qu’elle ne bénéficiait pas de ses temps de repos d’une durée de 11 heures minimum. A de multiples reprises, elle terminait sa journée au-delà de 20 heures pour débuter sa journée le lendemain à 6 heures, ce qu’elle avait confié à la psychologue du travail, ce que confirme un stagiaire embauché à deux reprises en contrat éudiant ou encore son entourage familial ou amical auquel elle confiait son enfant en partant au travail ou à son retour, tandis que l’employeur sur lequel pèse la charge d’établir que les temps de repos ont été respectés, ne produit aucun élément à ce titre.
Au titre des éléments médicaux, il est constant que Madame [H] [P] a été placée en arrêt de travail à compter du 26 juin 2019. Dans un courrier du 25 juin 2029, son médecin l’adressait au médecin du travail et écrivait qu’elle ‘présente un état d’angoisse important’. Le médecin du travail l’orientait vers un psychologue du travail qui dressait un bilan de la situation de Madame [H] [P] le 19 novembre 2019. Le 4 février 2020, le médecin traitant de Madame [H] [P] attestait que Madame [H] [P] présentait une dépression modérée à sévère, qu’elle était en grande souffrance et nécessitait un traitement. Les arrêts de travail de Madame [H] [P] étaient régulièrement renouvelés. Le 22 décembre 2021, le médecin du travail la déclarait inapte, étant précisé que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
De tels éléments pris dans leur ensemble laissent présumer des agissements de harcèlement moral, de sorte qu’il n’est pas nécessaire d’examiner les autres éléments invoqués par la salariée.
Il appartient dès lors à l’employeur d’établir que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, ce qu’il ne fait pas puisqu’il conteste tout au plus l’existence d’heures supplémentaires par la salariée et les amplitudes horaires.
Les faits de harcèlement moral sont donc établis.
Ils constituent un manquement grave de l’employeur à ses obligations empêchant la poursuite du contrat de travail, de sorte que la résiliation du contrat de travail de Madame [H] [P] doit être prononcée aux torts de ce dernier.
Le jugement doit donc être infirmé en ce sens.
– Sur les conséquences financières de la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SARL Aldi [Localité 5] :
La résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de la SARL Aldi [Localité 5], en raison de faits de harcèlement moral, produit, comme le soutient à raison la salariée, les effets d’un licenciement nul, à la date du 17 février 2022, correspondant à la date de notification du licenciement.
Madame [H] [P] est donc bien-fondée en ses demandes :
– à hauteur de 4 853,82 au titre de l’indemnité de préavis, correspondant à deux mois de salaire, outre les congés payés y afférents, sur la base du salaire, horaires supplémentaires comprises, que la salariée aurait perçu, si elle avait continué à travailler,
– à hauteur de 375,88 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement, sur la base d’une ancienneté de 5 ans et 6 mois, et sur la base d’un salaire -heures supplémentaires comprises- de 2 448,32 euros calculé sur la base de la moyenne mensuelle reconstituée des douze derniers mois précédant l’arrêt-maladie, déduction faite de la somme de 2 990,56 euros perçue à ce titre, telle qu’elle est reprise sur le bulletin de paie du mois de février 2022.
En application de l’article L.1235-3-1 du code du travail, les dommages-intérêts pour licenciement nul ne peuvent être inférieurs aux salaires des six derniers mois.
Madame [H] [P] réclame des dommages-intérêts d’un montant de 78 749,42 euros tandis que la SARL Aldi [Localité 5] entend les voir limités à la somme de 12 985,44 euros.
Madame [H] [P], âgée de 31 ans lors de son licenciement, ne justifie pas de sa situation professionnelle postérieurement à celui-ci.
La SARL Aldi [Localité 5] sera condamnée à payer à Madame [H] [P] la somme de 15 600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul.
Le jugement doit être infirmé en ces sens.
– Sur les dommages-intérêts pour harcèlement moral :
Madame [H] [P] réclame des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre du harcèlement moral. La somme réclamée par Madame [H] [P] à hauteur de 30 000 euros excède le préjudice subi. La SARL Aldi [Localité 5] sera condamnée à lui payer la somme de 4 000 euros, laquelle répare le préjudice moral consécutif à un harcèlement qui a duré pendant près de deux ans.
Le jugement doit être infirmé en ce sens.
– Sur les dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité :
Le premier juge n’a pas statué sur une tel manquement en considérant qu’il n’était pas saisi d’une demande de dommages-intérêts dans le dispositif des écritures de Madame [H] [P].
A hauteur d’appel, Madame [H] [P] réclame la condamnation de la SARL Aldi [Localité 5] à lui payer la somme de 30 000 euros tandis que cette dernière conteste tout manquement de sa part au titre de l’obligation de sécurité.
Même à supposer un tel manquement établi, Madame [H] [P] ne caractérise dans ses écritures aucun préjudice distinct de celui déjà réparé au titre du harcèlement moral, de sorte qu’elle doit être déboutée de sa demande à ce titre.
*********
À défaut pour l’employeur de rapporter la preuve que l’effectif de l’entreprise est inférieur à 11 salariés, il sera fait application des dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, selon des modalités définies dans le dispositif de la présente décision.
Il y a lieu de dire que les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables.
Partie succombante, la SARL Aldi [Localité 5] doit être condamnée aux dépens de première instance et d’appel, déboutée de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances et condamnée en équité à payer à Madame [H] [P] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, contradictoirement, après en avoir délibéré conformément à la loi ;
Statuant dans la limite des chefs de jugement dévolus à la cour ;
Infirme le jugement déféré sauf en ce qu’il a débouté Madame [H] [P] de sa demande en paiement au titre de la contrepartie obligatoire en repos et sauf en ce qu’il a condamné la SARL Aldi [Localité 5] aux dépens ;
Le confirme de ces chefs ;
Statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
Condamne la SARL Aldi [Localité 5] à payer à Madame [H] [P] les sommes de :
– 2 888,56 euros au titre du rappel de salaire sur la base d’un temps plein du 19 juin 2017 au 31 août 2018 ;
– 288,85 euros au titre des congés payés y afférents ;
– 5 578,55 euros au titre des heures supplémentaires entre le 19 juin 2017 et le 29 avril 2019 ;
– 557,85 euros au titre des congés payés y afférents ;
– 14 561,46 euros au titre de l’indemnité de travail dissimulé ;
– 4 000 euros à titre de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
Déboute Madame [H] [P] de sa demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité ;
Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de Madame [H] [P] aux torts de la SARL Aldi [Localité 5] ;
Dit qu’elle produit les effets d’un licenciement nul à la date du 17 février 2022 ;
Condamne la SARL Aldi [Localité 5] à payer à Madame [H] [P] les sommes de :
– 4 853,82 euros au titre de l’indemnité de préavis ;
– 485,38 euros au titre des congés payés y afférents ;
– 375,88 euros au titre du solde de l’indemnité de licenciement ;
– 15 600 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement nul ;
Dit que les condamnations sont prononcées sous déduction des éventuelles cotisations sociales salariales applicables ;
Condamne la SARL Aldi [Localité 5] à rembourser à l’organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités chômage versées à la salariée, du jour de son licenciement à celui de la présente décision ;
Condamne la SARL Aldi [Localité 5] à payer à Madame [H] [P] la somme de 3 000 euros au titre de ses frais irrépétibles de première instance et d’appel ;
Déboute la SARL Aldi [Localité 5] de sa demande d’indemnité de procédure au titre des deux instances ;
Condamne la SARL Aldi [Localité 5] aux dépens d’appel.
Le greffier, Le conseiller,