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Dans l’affaire Estée Lauder (ELCO), les juges ont tranché : la réorganisation envisagée répondait moins à une nécessité économique qu’à une volonté d’économies de l’employeur décidée non pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise mais dans le but de supprimer des emplois permanents en vue de leur externalisation à un moindre coût.
Les licenciements économiques prévus par le PSE n’étaient pas justifiés. Le PSE mis en oeuvre à compter de septembre 2018 s’inscrivait dans le programme LBF élaboré et impulsé dès 2016 au niveau du groupe Estée Lauder auquel la société ELCO appartient, visant à adapter ses investissements et son modèle d’organisation et dont l’objectif avoué était notamment la réduction des coûts par des économies d’échelle quand cela était possible et d’améliorer le rendement ainsi que cela est rappelé dans la lettre de licenciement.
La société ELCO a présenté pour l’exercice 2017/2018 une croissance des ventes nettes (+4%) et une amélioration de sa marge commerciale (+3,97%) même si le résultat d’exploitation déficitaire s’est aggravé, sans qu’il soit invoqué l’absence d’éléments exceptionnels qui auraient été de nature à l’expliquer, raison pour laquelle elle s’est fondée sur la sauvegarde de sa compétitivité.
S’il est évoqué le caractère fortement concurrentiel du secteur d’activité de la Beauté prestige en cause, il n’est produit que des articles annonçant la commercialisation de nouvelles marques sans établir qu’elles étaient sur le même segment que la société ELCO.
De surcroît, la cour retient que la société ELCO se fonde exclusivement sur des données issues du document d’information qu’elle a elle-même établi et soumis aux membres du CSE dont les affirmations ont été reprises telles quelles dans la lettre de licenciement, ainsi que sur des graphiques de comparaisons avec d’autres marques de prestige (L’Oréal, Chanel, LVMH et Coty) toutes pièces qui faute d’être corroborées par d’autres éléments extérieurs ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de mesurer la réalité d’une menace et son impact éventuel sur la compétitivité de la société ELCO, alors qu’il est clairement fait état d’une volonté de rationaliser les fonctions dites « supports », en réfléchissant comment abaisser le coût de la comptabilité, du master data et de l’informatique, tout en soutenant, mais sans l’établir et sans craindre de se contredire, qu’il s’agissait d’économies à réaliser notamment pour investir dans le « digital » afin in fine de sauvegarder la compétitivité.
S’il appartenait à la société ELCO d’adapter sa politique commerciale à la vente en ligne et au virage internet, il n’est pas justifié de l’adéquation de la situation économique de l’entreprise avec les mesures prises affectant essentiellement le service de la comptabilité par la suppression de 17 postes et tendant à son externalisation, les fonctions impactées étant sans lien avec l’érosion des résultats de la société ELCO.
De surcroît,c’est à juste titre que la salariée souligne que les perspectives préoccupantes évoquées y compris dans la lettre de licenciement reposent sur des chiffres hypothétiques non vérifiés à ce jour, qui ne sont pas de nature à caractériser une menace sur la compétitivité, remarquant qu’il n’est produit à cet égard aucun élément comptable ou financier complet, même postérieur validant cette hypothèse.
A défaut de caractériser l’existence d’une menace réelle pesant sur la compétitivité de la société ELCO, la réorganisation économique mise en oeuvre ne constitue pas un motif économique justifiant le licenciement de la salariée, lequel est par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Pour rappel, l’article L.1233-3 du code du travail applicable dispose que « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; »
Ce même texte précise que « Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. » Il indique enfin que « Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. »
Il s’en déduit qu’il appartient au juge chargé d’apprécier le caractère sérieux du motif économique invoqué, de vérifier l’existence d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe dont elle relève, ce qui n’implique pas l’existence de difficultés économiques actuelles mais une situation nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir.
Il est cependant admis que la réorganisation de compétitivité suppose la prise en compte de contraintes concurrentielles et l’identification certaine d’une menace que l’employeur doit caractériser sans pouvoir se contenter de motifs d’ordre général. Il est exigé la démonstration d’un risque grave pouvant justifier un licenciement préventif destiné à tempérer les conséquences d’une menace de difficultés économiques si la compression d’effectifs n’est pas décidée en temps utile.
Il revient dès lors au juge de rechercher l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail,sans pouvoir toutefois se substituer aux choix effectués par l’employeur dans la réorganisation envisagée.
Il est néanmoins jugé qu’une réorganisation qui vise à améliorer la rentabilité de l’entreprise ne peut constituer un motif économique justifiant un licenciement.
Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE
délivrées le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
COUR D’APPEL DE PARIS
Pôle 6 – Chambre 11
ARRET DU 03 OCTOBRE 2023
(n° , 13 pages)
Numéro d’inscription au répertoire général : N° RG 21/08418 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CEPHA
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 Juillet 2021 -Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de PARIS – RG n° 19/11392
APPELANTE
Madame [S] [W]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Richard WETZEL, avocat au barreau de PARIS, toque : E1970
INTIMEE
SOCIETE ESTÉE LAUDER COMPANIES FRANCE (ELCO)
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Audrey HINOUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2477
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 22 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, devant Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, entendu en son rapport, composée de :
Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre,
Madame Isabelle LECOQ-CARON, Présidente de chambre,
Madame Catherine VALANTIN, Conseillère,
Greffier, lors des débats : Madame Manon FONDRIESCHI
ARRET :
– contradictoire
– par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par Madame Anne HARTMANN, Présidente de chambre, et par Madame Manon FONDRIESCHI, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
RAPPEL DES FAITS, PROCÉDURE ET PRETENTIONS DES PARTIES
La société Estée Lauder Companies Inc. Est une entreprise américaine de cosmétique de prestige.
La SAS Estée Lauder Companies France appartient au Groupe Estée Lauder qui est un des acteurs principaux du secteur de la beauté prestige.
Mme [S] [W], née en 1968, a été engagée par la SAS Estée Lauder Compagnies France (ci-après ELCO), par un contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 septembre 2011 en qualité de responsable comptable fournisseur, cadre III coefficient 400, avec une reprise d’ancienneté au 11 octobre 2005.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des industries chimiques.
A compter de septembre 2018, le comité social et économique de la société ELCO a fait l’objet d’une information-consultation pour la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
Le PSE prévoyait la suppression de 17 postes et la création de 4 postes.
Un accord collectif unanime a été régularisé entre les organisations syndicales représentatives de l’entreprise et la société ELCO le 29 octobre 2018, le CSE a rendu le 6 novembre 2018 un avis favorable sur le projet de réorganisation présenté puis le PSE a été validé par la DIRECCTE par décision du 29 novembre 2018.
Le 6 décembre 2018, [W] a été convoquée à un entretien préalable.
Elle a ensuite été licenciée pour motif économique par lettre du 15 juillet 2019. La salariée a demandé le bénéfice du congé de reclassement le 20 juillet 2019 ainsi de la priorité de réembauche.
A la date du licenciement, la salariée avait une ancienneté de 13 ans et 9 mois et la société ELCO occupait à titre habituel plus de dix salariés.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités à titre principal, sollicitant des dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre à titre subsidiaire, outre des rappels aux titres de l’indemnité complémentaire de licenciement, compensatrices de préavis, de congés flottants et payés et RTT, et outre des dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauche et licenciement vexatoire, Mme [W] a saisi le 23 décembre 2019 le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 22 juillet 2021, auquel la cour se réfère pour l’exposé de la procédure antérieure et des prétentions initiales des parties, a statué comme suit:
-déboute Mme [S] [W] de l’ensemble de ses demandes ;
-déboute la SAS ELCO de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
-condamne Mme [S] [W] aux dépens.
Par déclaration du 7 octobre 2021, Mme [W] a interjeté appel de cette décision, notifiée le 20 septembre 2021.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 9 mars 2022, Mme [W] demande à la cour de :
-Recevoir Mme [W] en son appel interjeté à l’encontre du jugement rendu par le conseil de prud’hommes de Paris en date du 22 juillet 2021 et l’y déclarée bien fondée
-Recevoir Mme [W] en ses demandes, fins et conclusions et l’y déclarer bien fondée,
-Prononcer la jonction des appels inscrits sous les numéros de RG 21/08418 et 21/08419
-Infirmer totalement le jugement entrepris et statuant à nouveau :
-Juger que le licenciement de madame [W] est sans cause réelle et sérieuse
-Juger que la société ELCO n’a pas respecté les critères d’ordre
-Juger que la société ELCO n’a pas respecté son obligation de reclassement
-Juger que la société ELCO a violé la priorité de réembauche consentie à Mme [W]
En conséquence,
-Condamner la société ELCO à verse à Mme [W] les sommes suivantes :
A titre principal
Dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse 68.788,86 €
A titre subsidiaire
Dommages-intérêts pour non-respect des critères d’ordres 68.788,86 €
En tout état de cause
Rappel au titre de l’indemnité compensatrice de préavis 3.767,29 €
Congés payés afférents 376,72 €
Rappel au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés 2.884,32€
Rappel au titre de l’indemnité compensatrice de congés flottants 162,09 €
Indemnité pour violation de la priorité de réembauche 5.000,00 €
Dommages-intérêts pour licenciement vexatoire 5.000,00 €
Rappel au titre de l’indemnité complémentaire de licenciement 2.161,55 €
Indemnité pour frais non compris dans les dépens (article 700 CPC) 3.500,00 €
Condamner la société ELCO aux entiers dépens
-Débouter la société ELCO de sa demande au titre de l’article 700 du CPC
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 18 janvier 2022, la société ELCO demande à la cour de :
-Confirmer le jugement entrepris dans toutes ses dispositions
En conséquence,
-débouter Mme [W] de l’ensemble de ses demandes, fins et prétentions
A titre subsidiaire, si la cour d’appel de céans devait par extraordinaire en voie de condamnation s’agissant des dommages et intérêts au titre du licenciement, il lui est demandé de ramener la condamnation à de justes proportions et de fixer le salaire de référence à hauteur de 4 740,62 euros bruts ou, à titre très subsidiaire, à 5 192,20 euros bruts.
En tout état de cause,
-confirmer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté Mme [W] des demandes suivantes :
68.788,86 euros au titre de l’indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
subsidiairement, 68.788,86 euros à titre de dommages et intérêts pour non-respect des critères d’ordre ;
3.767,29 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis
376,72 euros au titre des congés payés afférents ;
2.884,32 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés payés ;
162,09 euros au titre de l’indemnité compensatrice de congés flottants ;
5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire ;
5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de la priorité de réembauche ;
2.161,55 euros au titre de l’indemnité complémentaire de licenciement ;
3 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Y ajoutant :
-Condamner Mme [W] à la société la somme de 3.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens;
-Dire que ceux d’appel seront recouvrés par Me Hinoux, société Lexavoue Paris Versailles conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
L’ordonnance de clôture a été rendue le 17 mai 2023 et l’affaire a été fixée à l’audience du 22 juin 2023.
Pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et des moyens des parties, la cour se réfère à leurs conclusions écrites conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
SUR CE, LA COUR :
Sur le motif économique du licenciement
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante fait valoir que le motif économique invoqué à savoir la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise ELCO n’est pas rapporté. Elle expose que le projet de restructuration mis en place à travers le monde entier sous le nom « Leading Beauty Forward » (LBF), initié par le groupe auquel elle appartient a été imposé à la société ELCO et s’est s’est traduit dans le cadre du PSE mis en place en 2018 prévoyant la réduction des coûts du service comptabilité par la suppression de 17 postes. Elle soutient que ce faisant la société a privilégié le niveau de rentabilité de l’entreprise au détriment de la stabilité de l’emploi. Elle ajoute qu’au surplus il n’est pas justifié de menace sur la compétitivité de la société ELCO ni même au niveau du secteur d’activité du groupe.
La société ELCO réplique qu’en raison de la situation du marché de la beauté de prestige, des difficultés du Groupe dans la région EMEA (Europe, Moyen-orient et Afrique) et plus particulièrement en France la situation financière de l’entreprise l’a conduit à mettre en place le plan LBF, incluant la suppression du poste du salarié.
La lettre de licenciement datée du 15 juillet 2019 était ainsi essentiellement libellée :«1.Nous avons le regret de vous informer de la décision prise par la société ELCO (ci-après la «Société») de procéder à votre licenciement pour motif économique pour les raisons rappelées ci-après.
2.Le Groupe Estée Lauder Companies Inc (ci-après « le Groupe ») doit faire face à plusieurs tendances cumulatives fortes qui affectent le secteur de la Beauté Prestige, notamment en EMEA :
‘ Le contexte économique actuel caractérisé par le ralentissement de la croissance, la volatilité des taux de chance et des évolutions défavorables du prix des matière premières.
‘ Le changement de comportement des consommateurs, en particulier les générations Y et Z avec des habitudes et des modes de consommation entièrement renouvelés qui exigent une modification en profondeur des investissements publicitaires traditionnels (presse, TV) vers les médias sociaux et qui accélèrent la nécessité de développer des nouvelles compétences marketing en interne et avec des partenaires extérieurs.
‘ L’intensification de la concurrence avec d’une part, l’arrivée de nouveaux concurrents aux modèles disruptifs et d’autre part, l’accélération de la concurrence traditionnelle.
‘ L’entrée dans l’ère du digital qui transforme les modes de consommation et les modèles économiques des grands acteurs de la distribution et qui transfère à une vitesse accélérée la clientèle traditionnelle des magasins « en dur » vers les achats en ligne.
‘ Des instabilités politiques conjoncturelles.
Face à cette transformation de l’environnement concurrentiel de la distribution de la Beauté Prestige groupe a, dès 2016, pris l’initiative d’adapter ses investissements et son modèle d’organisation pour répondre à cette modification des modes de consommation et des espaces, ce qui l’a conduit à mettre en place le programme Leading Beauty Forward (LBF).
Le programme LBF, présenté en mai 2016 et dont le Comité d’entreprise de la Société a été régulièrement informé, est un plan sur 3 ans visant un retour à la croissance dans un contexte concurrentiel. Ce plan est fondé sur 3 axes principaux :
‘ Une réduction des coûts en créant une structure de coûts plus efficace et en générant des économies en réduisant les activités à valeur ajoutée limitée et en recherchant les économies d’échelle quand cela est possible ;
‘ La création de leviers visant à tirer parti de la croissance sans augmenter les coûts de personnel de plus de la moitié du rythme de croissances des ventes nettes et mettant à disposition des outils qui peuvent être exploités par l’ensemble de l’organisation ;
‘ Des investissements dans les marques et les bons outils afin de stimuler la croissance future (i.e. service direct aux clients, créativité, réseaux sociaux via le digital, innovation).
La mise en ‘uvre de ce plan vise à :
‘ Améliorer le rendement pour garantir la sauvegarde de notre compétitivité
‘ Réallouer une large part des économies en découlant afin de financer des investissements prioritaires dans 3 axes stratégiques : le Retail, le Digital et le Développement Produits;
‘ Permettre des plans de croissance grâce à la responsabilisation du management, à une collaboration solide et à la gestion du changement. [‘]
Afin d’atteindre à terme ces objectifs, plusieurs domaines d’intervention ont été identifiés, à savoir :
Repenser la mise sur les marchés des produits afin de renforcer la pertinence locale et répondre aux besoins des consommateurs avec plus de rapidité et de souplesse.
Accélérer la création des outils au niveau de la créativité, du digital, des réseaux sociaux, de la distribution et de l’omnicanal.
Tirer profit du porte-feuille afin d’améliorer les synergies entre les marques .
Mettre en place une fonction Business Transverse, tenue par des ressources internes et des partenaires externes, afin de fournir des services de 1ère qualité pour le business grâce à des process efficaces, efficients et simplifiés.
Optimiser le fonctionnement interne pour plus d’efficacité et doter les bons talents avec les meilleurs compétences dans les domaines fonctionnels les plus importants stratégiquement.
L’objectif de ce projet est de faire face aux difficultés du Groupe dans la région EMEA et plus particulièrement en France.
La région EMEA souffre en effet depuis 4 exercices d’un ralentissement de sa croissance dû à un environnement devenu incertain. Ce ralentissement est particulièrement marqué s’agissant du marché français avec un recul de la croissance du chiffre d’affaires estimés à -1,5% pour 2018 et, à titre de projection, à nouveau -1,5% pour 2019.
Bien que le Groupe ait revu ses ambitions de croissance à la baisse sur la région EMEA, les résultats atteints ne sont toujours pas à la hauteur des objectifs envisagés sur les 4 dernières années. A titre d’illustration, M.A.C Cosmetics, marque phare du Groupe, a subi une décroissance violente à partir de l’exercice fiscal 2017, liée à une concurrence très forte de nouvelles marques jugées plus tendance, attractives et moins coûteuses, accompagnée par un marketing très agressif et très avancé sur les réseaux sociaux.
A l’instar du Groupe dans la région EMEA, la croissance de la Société sur le marché français est remise en cause par un environnement devenu incertain en raison des nombreux changements décrits ci-dessus ayant affecté le secteur de la Beauté Prestige.
Après un recul de 2% en 2016, la croissance du marché français de la Beauté Prestige a chuté de -1% en 2017, tous les segments étant impactés (Soin de la Peau, Maquillage, Parfum). En volume (nombre de produits vendus), la France enregistre une chute de 3% par rapport à 2016.
Alors que le Groupe Estée Lauder est le leader mondial, ELCO est 6ème en France avec une part de marché de 5,1% quasi constante sur les 3 dernières années. Aucune de ses marques ne se hissent quel que soit le canal de vente, dans les 10 premières marques en France.
En comparaison de ces performances globales, les résultats des deux marques phares que constituent Clinique et M.A.C sont particulièrement inquiétants.
Sur ces 3 derniers exercices, la marque Clinique subit un recul de son chiffre d’affaires de près de 18% passant de 21,1m€ pour l’exercice 2015-2016 à 17,9 millions d’euros pour l’exercice 2017-2018 alors que dans le même temps, le chiffre d’affaires de Clarins, l’un de ses principaux concurrents, sur le segment du soin de la peau ne reculait que de 3,57%.
Jusqu’à l’année 2016, le chiffre d’affaire de M.A.C a augmenté mais, depuis lors, a été en recul puis a stagné pour les années fiscales 2017 et 2018.
Les érosions subies notamment par M.A.C et Clinique ont impacté l’ensemble des résultats de la Société. Pour l’exercice 2016/2017, le chiffre d’affaires de la Société ELCO s’est établi à 208.723.013€ dont environ 6,5% à l’export. La Société ELCO enregistrait, pour l’exercice 2016/2017 une perte d’exploitation de (2.837.603) € et une perte nette de (4.895.308) €.
Pour l’exercice 2017/2018, l’estimation actuelle faire apparaître une perte d’exploitation de 5.961.477€. Le résultat d’exploitation continue ainsi à s’éroder pour la 3ème année consécutive.
Les perspectives pour la Société sont, à ce jour, préoccupantes. Un recul de la croissance générale du chiffre d’affaires est ainsi anticipé à hauteur de -1,2%. Ce recul devrait concerner tous les segments d’activité.
Ces perspectives inquiétantes ne font que renforcer la nécessité qu’il y à mettre en ‘uvre le plan LBF en France afin de sauvegarder la compétitivité de la Société au sein du secteur d’activité fortement concurrentiel de la Beauté Prestige au sein duquel il évolue.
La Société constituant une société uniquement de distribution, elle ne dispose pas de leviers sur les coûts de production industriels de ses produits ce qui l’a conduit à engager des mesures de sauvegarde de compétitivité sur les 4 axes que sont les ventes, le marketing, la publicité et la promotion des ventes.
En parallèle, la Société a décidé de réduire son rythme d’ouverture de boutiques.
Afin de sauvegarder la compétitivité du Groupe en France au sein du secteur d’activité de la Beauté Prestige, la Société doit rationnaliser les fonctions dites « support » en réfléchissant comment abaisser le coût des fonctions transactionnelles et en particulier la comptabilité, le Master Data et l’Informatique.
3.Dans ce cadre, le Comité Social et Economique (« CSE ») de la Société a été informé et consulté afin de mettre en place un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (« PSE »).
En parallèle , des négociations se sont ouvertes avec les organisations syndicales représentatives de notre entreprise et ont conduit à la signature, le 29 octobre 2018, d’un accord collectif unanime avec FO, la CFTC et la CFE-CGC.
Le 6 novembre 2018, le CSE a rendu un avis favorable sur les conséquences du projet de réorganisation de la Société, ses modèles d’application et ses conséquences sociales ainsi que ses conséquences en matière de santé , de sécurité ou des conditions de travail.
Le PSE a été validé par la DIRECCTE en date du 29 novembre 2018.
Ce PSE implique la suppression de poste de Responsable Comptabilité Fournisseurs, appartenant à la catégorie professionnelle Responsable Comptable que vous occupez. Tous les postes au sein de cette catégorie étant supprimés, aucun critère d’ordre des licenciements n’a vocation à s’appliquer.
Nous avons donc été contraints d’envisager votre licenciement pour motif économique pour les raisons qui précèdent.
4.Conformément à nos obligations légales, nous avons alors procédé au sein de la Société ELCO et des sociétés du Groupe Estée Lauder en France à la recherche des emplois disponibles que vous seriez susceptible d’occuper, pour tenter de vous reclasser. Cette recherche de reclassement n’a malheureusement pas abouti.
5.Dès lors, en l’absence de toute possibilité de reclassement, nous vous notifions par la présente votre licenciement pour motif économique.
La date de première présentation de cette lettre par les services postaux à votre domicile marquera alors le point de départ de votre préavis d’une durée de 3 mois, que nous vous dispensons d’effectuer mais qui vous sera rémunéré aux échéances normales de paie.
6.Conformément aux dispositions de l’article du Code L.1233-71 du travail nous vous proposons le bénéfice du congé de reclassement . (‘) Etant donné votre situation, la durée du congé de reclassement est fixée à 12 mois maximum, incluant la durée du préavis. Si vous adhérez à ce dispositif, ce congé sera effectué pendant votre préavis que vous serez dispensée d’effectuer. Le terme de ce préavis sera alors reporté à la fin du congé. Il débutera à l’expiration du délai de réflexion de 8 jours précité.
6. A l’issue de votre contrat de travail, c’est-à-dire soit à l’expiration de votre préavis si vous n’adhérez pas au congé de reclassement, soit à l’issue du congé de reclassement si vous optez pour ce dispositif , nous procéderons au règlement de votre solde de tout compte et vous remettrons votre certificat de travail ainsi que votre attestation Pôle Emploi. (‘).
8.En outre conformément aux dispositions légales , vous bénéficiez d’une priorité de réembauche durant un délai de 12 mois à compter de la cessation effective de votre contrat de travail à condition que vous informiez la Société par écrit, par lettre recommandées avec accusé de réception, dans ce même délai de votre souhait d’user de cette priorité.
Celle-ci concerne les postes compatibles avec votre qualification et, également ceux qui correspondraient à une nouvelle qualification acquise après la rupture de votre contrat de travail.
9.Conformément aux dispositions légales , nous vous informons que toute contestation portant sur la régularité ou la validité du licenciement pour motif économique se prescrit par 12 mois à compter de la présente notification.
10.Par ailleurs, nous vous libérons de toute obligation de non-sollicitation ou de non-concurrence.
Aucune somme ne vous sera donc due à ce titre.(…) »
Il en résulte que le motif économique du licenciement de l’appelante reposait sur la réorganisation de la société ELCO pour sauvegarder sa compétitivité.
Il est acquis aux débats qu’à l’issue de différentes réunions impulsées à compter de septembre 2018 un accord collectif unanime relatif au projet de réorganisation de la société ELCO a été régularisé entre cette dernière et les organisations syndicales représentatives de l’entreprise et que le 6 novembre 2018 le CSE a rendu un avis favorable sur les modalités d’application et les conséquences sociales de ce projet. Enfin, le PSE a été validé par décision de la DIRECCTE du 29 novembre 2019.
Il n’est pas discuté que le juge judiciaire reste compétent pour le contrôle du motif économique qu’un PSE ait été mis en ‘uvre ou non et même s’il a été validé par l’autorité administrative.
L’article L.1233-3 du code du travail applicable dispose que « Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
3° A une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; »
Ce même texte précise que « Les difficultés économiques, les mutations technologiques ou la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise s’apprécient au niveau de cette entreprise si elle n’appartient pas à un groupe et, dans le cas contraire, au niveau du secteur d’activité commun à cette entreprise et aux entreprises du groupe auquel elle appartient, établies sur le territoire national, sauf fraude. » Il indique enfin que « Le secteur d’activité permettant d’apprécier la cause économique du licenciement est caractérisé, notamment, par la nature des produits biens ou services délivrés, la clientèle ciblée, ainsi que les réseaux et modes de distribution, se rapportant à un même marché. »
Il s’en déduit qu’il appartient au juge chargé d’apprécier le caractère sérieux du motif économique invoqué, de vérifier l’existence d’une menace sur la compétitivité de l’entreprise ou le secteur d’activité du groupe dont elle relève, ce qui n’implique pas l’existence de difficultés économiques actuelles mais une situation nécessitant une anticipation des risques et le cas échéant, des difficultés à venir.
Il est cependant admis que la réorganisation de compétitivité suppose la prise en compte de contraintes concurrentielles et l’identification certaine d’une menace que l’employeur doit caractériser sans pouvoir se contenter de motifs d’ordre général. Il est exigé la démonstration d’un risque grave pouvant justifier un licenciement préventif destiné à tempérer les conséquences d’une menace de difficultés économiques si la compression d’effectifs n’est pas décidée en temps utile.
Il revient dès lors au juge de rechercher l’adéquation entre la situation économique de l’entreprise et les mesures affectant l’emploi ou le contrat de travail,sans pouvoir toutefois se substituer aux choix effectués par l’employeur dans la réorganisation envisagée.
Il est néanmoins jugé qu’une réorganisation qui vise à améliorer la rentabilité de l’entreprise ne peut constituer un motif économique justifiant un licenciement.
Il n’est pas discuté que le secteur d’activité de la société ELCO était celui de la Beauté Prestige.
Au soutien du motif économique lié à la sauvegarde de la compétitivité, la société ELCO s’appuie essentiellement sur le document d’information en vue de la consultation des membres du CSE, livre 2 (pièce 3) et sur des graphiques de comparaisons des positions des marques leaders portant la mention source interne Estée Lauder. (pièce 9, société).
Elle évoque la situation du marché de la beauté de prestige et les difficultés du Groupe dans la région EMEA (Europ, Middle East & Africa) dont la France fait partie, confronté au ralentissement de la croissance, au changement de comportement des consommateurs et à une concurrence accrue. Elle explique que le Groupe a dès 2016 pris l’initiative d’adapter son modèle d’organisation et ses investissements par la mise en place d’un programme « Leading Beauty Forward » (LBF) s’articulant sur trois axes principaux, la réduction des coûts par des économies d’échelle, la mise à disposition d’outils pouvant être utilisés par l’ensemble de l’organisation et des investissements dans les bons outils afin de stimuler la croissance. Elle précise que la mise en ‘uvre de ce plan visait à améliorer le rendement pour garantir la sauvegarde de la compétitivité du groupe, réallouer les économies en découlant afin de financer trois axes stratégiques le Retail, le Digital et le Développement Produits et permettre des plans de croissance.
S’agissant du contexte concurrentiel concernant plus particulièrement la France, elle expose que de nouvelles marques ont été commercialisées en France à partir de 2016, notamment chez Sephora (cf les articles annonçant les marques Anastasio Beverly Hills et Huda beauty, pièces 10-1 et 10-3, société) affirmant qu’elles ont impacté les résultats de MAC, faisant partie du groupe et que la marque Clinique a subi pendant la même période un recul de son chiffre d’affaires.
Elle expose par ailleurs que pour les exercices 2016/2017 puis 2017/2018, la société ELCO a présenté une perte d’exploitation de 3.874.640 euros et de 5.961.477 euros.
Elle indique avoir ainsi décidé en 2018 de mettre en ‘uvre en son sein des mesures dans les domaines de la vente (informatisation des plannings et du réassort automatisé des points de vente) du marketing (mutualisation des fournisseurs pour réduire les coûts), de la publicité (économies d’échelle au sein d’une seule agence), de la promotion des ventes (réduction du rythme d’ouverture des boutiques pour s’adapter aux nouveaux modes de consommation en ligne). Elle ajoute s’être vue contrainte de réduire ses coûts et avoir dans ce cadre décidé de supprimer une partie des fonctions support et les postes qui en dépendent en s’inscrivant dans la cadre du programme « LBF ». Elle précise que sa décision était nécessaire pour réduire ses coûts et rester compétitive sur le secteur de la Beauté Prestige, ajoutant que la réorganisation mise en ‘uvre avait pour objectif de transférer à la société Genpact, société spécialisée en services partages sise en Europe de l’Est, les processus susceptibles d’être le plus facilement automatisables et d’être mutualisés au sein d’un centre de services partagés.
La cour retient que de l’aveu même de l’employeur, le PSE mis en ‘uvre à compter de septembre 2018 s’inscrivait dans le programme LBF élaboré et impulsé dès 2016 au niveau du groupe Estée Lauder auquel la société ELCO appartient, visant à adapter ses investissements et son modèle d’organisation et dont l’objectif avoué était notamment la réduction des coûts par des économies d’échelle quand cela était possible et d’améliorer le rendement ainsi que cela est rappelé dans la lettre de licenciement.
Il n’est pas discuté que la société ELCO a présenté pour l’exercice 2017/2018 une croissance des ventes nettes (+4%) et une amélioration de sa marge commerciale (+3,97%) même si le résultat d’exploitation déficitaire s’est aggravé, sans qu’il soit invoqué l’absence d’éléments exceptionnels qui auraient été de nature à l’expliquer, raison pour laquelle elle s’est fondée sur la sauvegarde de sa compétitivité.
S’il est évoqué le caractère fortement concurrentiel du secteur d’activité de la Beauté prestige en cause, il n’est produit que des articles annonçant la commercialisation de nouvelles marques sans établir qu’elles étaient sur le même segment que la société ELCO. De surcroît, la cour retient que la société ELCO se fonde exclusivement sur des données issues du document d’information qu’elle a elle-même établi et soumis aux membres du CSE dont les affirmations ont été reprises telles quelles dans la lettre de licenciement, ainsi que sur des graphiques de comparaisons avec d’autres marques de prestige (L’Oréal, Chanel, LVMH et Coty) (pièce 9-3) toutes pièces qui faute d’être corroborées par d’autres éléments extérieurs ne sont pas convaincantes et ne permettent pas de mesurer la réalité d’une menace et son impact éventuel sur la compétitivité de la société ELCO, alors qu’il est clairement fait état d’une volonté de rationnaliser les fonctions dites « supports », en réfléchissant comment abaisser le coût de la comptabilité, du master data et de l’informatique, tout en soutenant, mais sans l’établir et sans craindre de se contredire, qu’il s’agissait d’économies à réaliser notamment pour investir dans le « digital » afin in fine de sauvegarder la compétitivité.
S’il appartenait à la société ELCO d’adapter sa politique commerciale à la vente en ligne et au virage internet, il n’est pas justifié de l’adéquation de la situation économique de l’entreprise avec les mesures prises affectant essentiellement le service de la comptabilité par la suppression de 17 postes et tendant à son externalisation, les fonctions impactées étant sans lien avec l’érosion des résultats de la société ELCO.
Il s’en déduit que la réorganisation envisagée, en l’état du dossier, répond moins à une nécessité économique qu’à une volonté d’économies de l’employeur décidée non pour sauvegarder la compétitivité de l’entreprise mais dans le but de supprimer des emplois permanents en vue de leur externalisation à un moindre coût.
De surcroît,c’est à juste titre que la salariée souligne que les perspectives préoccupantes évoquées y compris dans la lettre de licenciement reposent sur des chiffres hypothétiques non vérifiés à ce jour, qui ne sont pas de nature à caractériser une menace sur la compétitivité, remarquant qu’il n’est produit à cet égard aucun élément comptable ou financier complet, même postérieur validant cette hypothèse.
La cour déduit de l’ensemble de ce qui précède, par infirmation du jugement déféré, qu’à défaut de caractériser l’existence d’une menace réelle pesant sur la compétitivité de la société ELCO, la réorganisation économique mise en ‘uvre ne constitue pas un motif économique justifiant le licenciement de la salariée, lequel est par conséquent dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur les prétentions financières
Sur la fixation du salaire de référence
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante revendique un salaire de référence d’un montant de 5.981,64 euros incluant les primes exceptionnelles proratisées sur la période des trois derniers mois plus favorable.
La société ELCO soutient que le salaire de référence qui doit être retenu est celui de la moyenne des 12 derniers mois plus favorable soit un montant de 5.192,20 euros.
Aux termes de l’article R.1434-4 du code du travail le salaire à prendre en considération pour l’indemnité de licenciement est selon la formule la plus avantageuse pour le salarié la moyenne des douze ou trois derniers mois précédant le licenciement. Il est ainsi tenu compte de de la rémunération fixe et variable, des primes et avantages alloués en sus du salaire de base au titre de la période de référence outre les éventuelles heures supplémentaires.
Au regard des fiches de paye produites la cour retient que le salaire selon la moyenne la plus favorable de trois mois, y compris les primes exceptionnelles proratisées s’élève à un montant de 5.981,64 euros.
Sur le solde d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents
Pour infirmation du jugement déféré, la salariée sollicite un solde d’indemnité compensatrice de préavis d’un montant de 3.767,29 euros outre 376,72 euros de congés payés afférents, estimant que la prime de bonne fin doit être intégrée dans l’assiette de calcul de cette indemnité.
Pour infirmation de la décision, la société réplique que les primes exceptionnelles n’ont pas vocation à être intégrées dans l’assiette de cette indemnité et que l’appelant a été rempli de ses droits sur ce point.
Aux termes de l’article L.1234-5 du code du travail, lorsque le salarié n’exécute pas son préavis il a droit sauf s’il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice de préavis.
L’indemnité compensatrice de préavis, correspond au salaire qu’aurait perçu le salarié s’il avait travaillé durant cette période de préavis. Il est constant que le préavis non exécuté ne doit pas avoir pour effet de réduire le salaire ou l’ancienneté du salarié et de le priver des avantages qu’il aurait perçus en travaillant durant cette période. Le salarié peut donc prétendre à tous les éléments de rémunération liés au maintien de son contrat de travail jusqu’à l’expiration de la date théorique de préavis et servies pendant cette période ou liées à une condition de présence ( salaire de base, prime d’ancienneté , heures supplémentaires et prime de vacances ou de rendement).
Il s’en déduit que la prime de bonne fin instituée par le PSE au profit des salariés qui ont travaillé entre le 15 janvier et le 15 juin 2019 en participant aux activités de transfert et en formant les nouvelles équipes, versée sur la fiche de paye de juin 2019 aux salariés licenciés pour motif économique ne peut être incluse dans l’assiette de l’indemnité compensatrice en cause au sens où elle n’aurait pas été payée au salarié s’il avait travaillé pendant le préavis. Il en va de même pour la prime individuelle exceptionnelle versée en mai et juin 2019.
Eu égard aux bulletins de paye produits, la salariée était en droit de prétendre à une indemnité compensatrice de 12.669 euros, correspondant aux salaires qu’elle aurait perçus si elle avait exécuté son préavis de trois mois.
Au constat qu’il n’est pas contesté que l’appelante a en réalité perçu à ce titre une somme de 14.177,63 euros, la cour, par infirmation du jugement déféré, considérant qu’elle a été remplie de ses droits, la déboute de ce chef de prétention.
Sur l’indemnité complémentaire de licenciement
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante soutient qu’elle peut prétendre à un rappel d’indemnité complémentaire de licenciement issue du PSE considérant qu’il n’y a pas de raison de ne pas proratiser les années incomplètes.
La société ELCO n’a pas précisément conclu sur ce point mais a sollicité le débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes.
L’article 2.3 du PSE à l’issue des négociations avec les organisations syndicales et le CES a prévu expressément d’accorder aux salariés licenciés dans ce cadre « (…)une indemnité complémentaire de licenciement dont le montant brut sera calculé, comme suit par année complète d’ancienneté (‘) pour la tranche de 6 à 10 ans d’ancienneté :0,75 mois de salaire par année d’ancienneté complète » .
Au constat que la disposition du PSE prévoit une restriction expresse en visant une année d’ancienneté complète, c’est en vain par conséquent que le salarié réclame un rappel de salaire fondé sur une proratisation de l’année incomplète. Par confirmation du jugement déféré, il est débouté de sa demande de ce chef.
Sur l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante sollicite une indemnité de 68.788,86 euros pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La société ELCO conclut à l’application plus modérée du barème légal.
Mme [W] justifie de 13 années complètes d’ancienneté et l’entreprise emploie habituellement plus de 11 salariés.
En application des dispositions de l’article L.1235-3 du code du travail dans sa version applicable au litige, elle est fondée à obtenir une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse égale à une somme comprise entre 3 et 11,5 mois de salaire.
Au moment de la rupture, Mme [W] était âgée de 51 ans. Elle soutient avoir été fortement impactée par la procédure de licenciement n’avoir toujours pas retrouvé de situation professionnelle stable malgré la formation dispensée suivie à mi-temps avec une formation de négociatrice en immobilier, activité qui ne lui a à ce jour pas généré de revenu.
Au vu de ses fiches de paye, et de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle il convient d’évaluer son préjudice à 45.000 euros, montant au paiement duquel la société ELCO, par infirmation du jugement déféré, sera condamnée.
Conformément aux dispositions de l’article L.1235-4 du code du travail, il y a lieu, d’ordonner d’office le remboursement par la SAS Estée Lauder Companies France à Pôle Emploi des indemnités de chômage éventuellement versées à Mme [S] [W] dans la limite de six mois d’indemnités.
Sur la demande au titre de la violation de la priorité de réembauche
Pour infirmation du jugement déféré, la société ELCO fait valoir que la salariée a formulé sa demande de priorité de réembauche de façon prématurée alors qu’elle bénéficiait d’un congé de reclassement et que les postes dont elle estime avoir été privée ont été pourvus avant qu’elle puisse prétendre à une réembauche à supposer de surcroît qu’elle ait eu les compétences pour les occuper.Elle conteste tout manquement sur ce point.
Pour confirmation du jugement déféré, la salariée rappelle qu’elle a bénéficié d’une priorité de réembauche à compter du 15 mars 2020 et elle dénonce le fait que plusieurs CDD ont été conclus ou prolongés pendant cette période sans que les postes ne lui soient proposés.
En vertu de l’article L.1233-45 du code du travail, le salarié licencié pour motif économique bénéficie d’une priorité de réembauche durant un délai d’un an à compter de la date de rupture de son contrat s’il en fait la demande au cours de ce même délai.
Dans ce cas, l’employeur informe le salarié de tout emploi devenu disponible et compatible avec sa qualification. En outre, l’employeur informe les représentants du personnel des postes disponibles. En cas de non-respect de cette priorité le salarié peut prétendre aux termes de l’article L.1235-13 du code du travail à une indemnité qui ne peut être inférieure à 1 mois de salaire.
Le fait que le licenciement, prononcé pour motif économique, soit jugé sans cause réelle et sérieuse, ne rend pas inapplicable la priorité de réembauche.
En cas de litige, c’est à l’employeur de justifier qu’il n’y avait pas lieu de proposer une priorité de réembauche à un salarié qui l’avait sollicité et sans qu’il appartienne à ce dernier de prouver qu’un poste ne lui avait pas été proposé.
Il est de droit que le point de départ du délai de la priorité de réembauche est en principe la date d’expiration du préavis qu’il soit exécuté ou non et qu’en cas de congé de reclassement effectué pendant le préavis que le salarié est dispensé d’effectuer, le délai est reporté à l’issue du congé de reclassement. Si le salarié ne peut se prévaloir de cette priorité pour postuler sur des postes pendant le congé de reclassement, il ne peut se voir reprocher une demande prématurée, sans qu’il puisse être exigé qu’il renouvelle sa demande à bonne date.
Il n’est pas discuté que la salariée a demandé à bénéficier du congé de reclassement dès le 20 juillet 2019.
En l’espèce, la salarié justifie en outre avoir fait valoir sa priorité de réembauche par courrier du 25 juillet 2019 alors que cette demande n’était utile qu’à compter du 15 juillet 2020 à l’issue du congé de reclassement de 12 mois.
Au constat que la société ELCO n’a pas produit aux débats, malgré sommation sur ce point, le registre d’entrées et de sorties du personnel postérieur à décembre 2019, de nature à justifier de l’absence d’embauches ou de postes disponibles entre le 15 juillet 2020 et le 15 juillet 2021, la cour en déduit que celle-ci ne justifie pas de son respect de l’obligation de réembauchage. Par infirmation du jugement déféré la société ELCO est condamnée au paiement d’une indemnité de 5.000 euros à ce titre.
Sur la demande de rappel d’indemnité compensatrice de congés payés et de congés flottants
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante réclame un rappel d’indemnité compensatrice de congés payés selon le mode de calcul le plus avantageux soit le maintien du salaire et un solde d’indemnité compensatrice de congés flottants.
Pour infirmation de la décision, la société réplique que quelle que soit la méthode employée les primes exceptionnelles ne sont pas incluses dans l’assiette de l’indemnité compensatrice de congés payés.
La cour rappelle que les primes qui indemnisent un risque particulier ou qui sont versées de façon globale ou discrétionnaire sont exclues de l’assiette du salaire à prendre en considération pour le calcul de l’indemnité de congés payés peu importe la méthode de calcul employée.
Il s’en déduit que l’appelante n’est pas fondée à réclamer un rappel d’indemnité compensatrice de congés payés incluant la prime de bonne fin qui lui a été payée en juin 2019 ou toute autre prime exceptionnelle et il en va de même pour le calcul de l’indemnité compensatrice de congés flottants. Par confirmation du jugement déféré, elle est déboutée de ses demandes de ce chef.
Sur la demande d’indemnité pour licenciement vexatoire
Pour infirmation du jugement déféré, l’appelante réclame une indemnité de 5.000 euros pour licenciement dans des conditions vexatoires insistant sur le caractère humiliant d’avoir du former des salariés étrangers qui reprenaient son poste.
La société ELCO n’a pas précisément conclu sur ce point mais a sollicité le débouté du salarié de l’ensemble de ses demandes.
La cour retient que la salariée ne justifie pas des circonstances vexatoires du licenciement et d’un préjudice distinct de celui d’ores et déjà réparé par l’indemnité allouée pour le licenciement sans cause réelle et sérieuse et par la prime de bonne fin allouée au titre de la formation dispensée aux salariés reprenant le poste. Par confirmation du jugement déféré, elle est déboutée de ce chef de demande.
Sur les autres dispositions
Partie perdante la SAS ELCO est condamnée aux dépens d’instance et d’appel , le jugement déféré étant infirmé sur ce point à verser à une indemnité de 3.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré en ce qu’il a rejeté les demandes d’indemnité pour licenciement vexatoire,de rappels d’indemnités compensatrices de congés payés et congés flottants et de rappel d’indemnité complémentaire de licenciement et d’indemnité compensatrice de préavis.
L’INFIRME quant au surplus :
Et statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
JUGE que le licenciement économique de Mme [S] [W] est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
CONDAMNE la SAS Estée Lauder Companies France à verser à Mme [S] [W] les sommes suivantes :
-1.190,79 euros à titre d’indemnité conventionnelle de licenciement.
– 45.000 euros d’indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
-5.000 euros d’indemnité pour non-respect de la priorité de réembauche.
-3.500 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
DEBOUTE Mme [S] [W] de ses demandes de rappels d’indemnités compensatrices de congés payés et de RTT et de solde d’indemnité compensatrice de préavis
ORDONNE d’office le remboursement à Pôle Emploi par la SAS Estée Lauder Companies France des indemnités de chômage éventuellement versées à [S] [W] dans la limite de 6 mois d’indemnité.
CONDAMNE la SAS Estée Lauder Companies France aux dépens d’appel.
La greffière, La présidente.