La directive (UE) 2019/1 dite « ECN+ » du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des Etats membre des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, a été transposée.
Sommaire
Extension des pouvoirs de l’Autorité
Parmi les nouveautés majeures, le droit reconnu à l’Autorité de la concurrence de consulter le contenu de téléphones portables, d’ordinateurs portables et de tablettes des personnes impliquées dans des pratiques anticoncurrentielles. L’exécution en France des amendes infligées aux entreprises en infraction qui n’ont pas de présence juridique sur leur territoire est également reconnue.
La directive donne davantage de moyens aux autorités de concurrence des Etats membres. Elle vise à faire en sorte que celles-ci disposent des outils de mise en œuvre appropriés quand elles appliquent la même base juridique, ce qui doit permettre de créer un véritable espace commun de mise en œuvre des règles de concurrence.
La directive fournit aux autorités nationales de concurrence un même socle de pouvoirs renforcés d’enquête et de décision et des pouvoirs d’assistance mutuelle élargis leur garantissant de :
– agir en toute indépendance et travailler de manière totalement impartiale, sans avoir à accepter des instructions d’entités publiques ou privées ;
– avoir les ressources financières et humaines nécessaires pour effectuer leur travail ;
– posséder tous les pouvoirs nécessaires pour recueillir toutes les preuves pertinentes,
comme le droit de consulter le contenu de téléphones portables, d’ordinateurs portables et de tablettes ;
– disposer d’outils adéquats pour imposer des sanctions proportionnées et dissuasives en cas d’infractions aux règles de l’Union européenne en matière de pratiques anticoncurrentielles.
Les autorités nationales de concurrence auront aussi la possibilité de faire exécuter les amendes infligées aux entreprises en infraction qui n’ont pas de présence juridique sur leur territoire, ce qui constitue un élément important, dans la mesure où les entreprises sont de plus en plus nombreuses à exercer leurs activités à l’échelle internationale ;
– disposer de programmes de clémence coordonnés qui encouragent les entreprises à présenter des preuves d’ententes illégales. De cette manière, les entreprises auront davantage intérêt à participer à des programmes de clémence et à révéler leur participation à une entente.
La directive rappelle l’importance des droits fondamentaux des entreprises et oblige les autorités à respecter des garanties appropriées dans l’exercice de leurs pouvoirs, conformément à la charte des droits fondamentaux.
Nouveaux pouvoirs de l’Autorité
Les dispositions de l’ordonnance qui introduisent des mesures nouvelles et des modifications substantielles sont les suivantes :
1° La possibilité pour l’Autorité de la concurrence de rejeter des saisines lorsqu’elle ne les considère pas comme une priorité (opportunité des poursuites) ;
2° La possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises, non seulement des mesures coercitives de nature comportementale mais aussi des mesures coercitives de nature structurelle proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction ;
3° La possibilité pour l’Autorité de la concurrence d’agir non seulement à la suite d’une saisine mais aussi de sa propre initiative pour ordonner l’imposition de mesures conservatoires ;
4° S’agissant des critères de détermination de la sanction : le critère de la durée de l’infraction, qui figure aujourd’hui dans le communiqué de l’Autorité de la concurrence relatif à la détermination de la sanction et qui est pris en compte pour établir la sanction, est désormais inscrit dans la loi. Le critère de l’importance du dommage à l’économie présent dans le droit positif n’est ni exigé, ni interdit par la directive ; afin de lever toute ambigüité à l’égard de la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle, l’ordonnance de transposition procède à sa suppression ;
Mesures sur les associations d’entreprises
5° S’agissant des associations d’entreprises, l’ordonnance introduit les modifications suivantes :
a) Le montant maximum de l’amende qui peut être infligée à une association d’entreprises, actuellement fixé à 3 millions d’euros, est modifié pour l’aligner sur le plafond de 10 % du chiffre d’affaires mondial total actuellement en vigueur pour les entreprises.
De plus, l’ordonnance prévoit que, lorsque l’infraction d’une association d’entreprises a trait aux activités de ses membres, le montant maximal de la sanction pécuniaire est égal à 10 % de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association ;
b) Concernant le recouvrement de la sanction pécuniaire, l’Autorité de la concurrence peut contraindre les membres d’une association d’entreprises à payer l’amende infligée à l’association ;
6° L’ordonnance prévoit que lorsqu’une exonération totale des sanctions pécuniaires a été accordée à une entreprise ou une association d’entreprises en application de la procédure de clémence, les directeurs, gérants et autres membres du personnel de ladite entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques sanctionnées par l’Autorité sont exempts des peines pénales prévues par l’article L. 420-6 s’il est établi qu’ils ont activement coopéré avec l’Autorité de la concurrence et le ministère public ;
Renforcement de la coopération internationale
7° Des mesures renforçant la coopération entre les autorités nationales de concurrence, aux stades de l’enquête, de l’instruction et de la décision sont introduites par l’ordonnance de transposition dans le code de commerce et dans le code de l’organisation judiciaire ;
8° L’ordonnance introduit des dispositions qui organisent l’accès des parties au dossier lors d’une procédure menée devant l’Autorité de la concurrence et posent les limites à l’utilisation des informations qui peuvent s’y trouver, notamment celles relatives aux procédures de clémence et de transaction ;
9° L’ordonnance précise explicitement que les pratiques dont l’Autorité de la concurrence est saisie peuvent être établies par tout mode de preuve. Elle prévoit par ailleurs un certain de nombre de clarifications et précisions ;
10° L’ordonnance précise la notion d’entreprise au sens du droit de la concurrence ;
Droit de contrôle étendu
11° Des dispositions soulignent explicitement la possibilité pour les enquêteurs de l’Autorité de la concurrence et de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) d’accéder aux informations accessibles aux personnes et entreprises interrogées, et pouvant être sur des supports numériques (« courriels, messageries instantanées ») quel que soit le lieu de stockage (« nuage informatique et serveurs ») et permettront de sécuriser les procédures d’enquête ;
12° Des dispositions précisent que les engagements proposés par les entreprises ou associations d’entreprises et que l’Autorité de la concurrence peut accepter, peuvent être d’une durée déterminée ou indéterminée. Il est précisé également que l’Autorité de la concurrence peut, de sa propre initiative ou sur demande de l’auteur de la saisine, du ministre de l’économie, de toute entreprise ou association d’entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu’elle a acceptés si certaines conditions sont réunies ;
Adaptations du code de commerce
13° Les dispositions du titre VI du livre IV du code de commerce sont complétées afin de préciser que le chiffre d’affaires pris en considération pour calculer l’astreinte que l’Autorité de la concurrence peut prononcer à l’encontre d’une entreprise ou association d’entreprises est un chiffre d’affaires mondial total journalier moyen ;
14° Certaines dispositions de l’ordonnance clarifient les mesures relatives à la prescription figurant déjà dans le code de commerce.
Le III et le 7° du XVIII visent, si certaines conditions sont réunies, à exempter des peines prévues par l’article L. 420-6 du code de commerce, les directeurs, gérants et autres membres du personnel de ladite entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques mentionnées à l’article L. 420-1 du même code.
Le IV a pour objet, lorsque l’Autorité de la concurrence procède à une enquête pour le compte d’une autre autorité de concurrence de l’Union Européenne, de permettre aux agents de l’autorité requérante d’assister et de participer activement à l’enquête, sans que le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence ait la possibilité de s’y opposer.
Le V et le VI introduisent des dispositions relatives aux pouvoirs d’enquêtes qui permettent de mieux souligner la possibilité pour les agents d’accéder aux informations accessibles aux personnes et entreprises interrogées, et pouvant être sur des supports numériques.
Le VI précise explicitement les modalités d’intervention de l’Autorité de la concurrence et du ministre dans le cadre des recours contre l’ordonnance autorisant les opérations de visites et saisies (OVS) et contre le déroulement des OVS, et leur possibilité de former un pourvoi en cassation dans ces mêmes procédures.
Le VII prévoit explicitement que tous les tiers sans restriction sont soumis à l’obligation de répondre aux sollicitations des agents de l’Autorité de la concurrence et de la DGCCRF y compris les autorités administratives indépendantes et autorités publiques indépendantes.
Les VIII et IX restreignent le champ d’application de l’article L. 450-8 du code du commerce qui punit pénalement quiconque s’oppose à l’exercice des fonctions des agents de la DGCCRF et de l’Autorité de la concurrence afin de se conformer à la récente décision du Conseil constitutionnel n° 2021-892 QPC du 26 mars 2021. Celle-ci a jugé que le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce, qui prévoit la sanction administrative des faits d’obstruction aux mesures d’enquêtes et d’instruction mises en œuvre par l’Autorité de la concurrence, est contraire à la Constitution en ce qu’il méconnaît le principe de nécessité et de proportionnalité des peines. Le Conseil constitutionnel a considéré que la répression administrative prévue par le second alinéa du paragraphe V de l’article L. 464-2 du code de commerce et la répression pénale organisée par l’article L. 450-8 du code de commerce relèvent de corps de règles identiques.
La modification opérée à l’article L. 450-8 et la création de deux nouveaux article L. 450-9 et L. 450-10 permettent de tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel tout en maintenant l’article L. 464-2 du code de commerce dans sa version actuelle, qui permet de transposer l’article 13 de la directive.
Les X et XI clarifient l’ensemble des règles de prescription, telles qu’elles figurent aux articles L. 462-6 et L. 462-7 du code de commerce.
Le XII confère à l’Autorité de la concurrence un pouvoir d’opportunité des poursuites en lui donnant la possibilité de rejeter des saisines au motif qu’elle ne les considère pas comme une priorité.
Les 1° à 4° du XIII et le XIV procèdent à des adaptations rédactionnelles et renforcent les dispositions de coopération entre autorités de concurrence :
– ils précisent que, s’agissant de pratiques contraires ou susceptibles d’être contraires aux articles 101 ou 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence doit informer la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence des autres Etats membres du prononcé d’une décision imposant des mesures conservatoires ou d’une décision de non-lieu à poursuivre la procédure ;
– ils prévoient qu’afin d’établir si une entreprise ou association d’entreprises a refusé de se soumettre aux mesures d’enquête et aux décisions prises par une autorité nationale de concurrence d’un autre Etat membre de l’Union européenne, l’Autorité de la concurrence peut, à la requête et au nom de cette autorité requérante, mettre en œuvre ses pouvoirs d’enquête. Elle peut, aux mêmes fins, échanger avec cette autorité requérante des informations et les utiliser à titre de preuve, sous réserve des garanties prévues à l’article 12 du règlement (CE) n° 1/2003 ;
– ils prévoient que l’Autorité de la concurrence, pour l’application de l’article 101 ou 102 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, peut requérir l’assistance d’une autorité de concurrence d’un autre Etat membre pour la notification au destinataire de tout acte de procédure ou pour l’exécution de ses décisions infligeant une sanction pécuniaire ou une astreinte ;
– il prévoit que l’Autorité de la concurrence peut transmettre à une autorité nationale de concurrence d’un autre Etat membre la déclaration effectuée en vue d’obtenir le bénéfice de la procédure de clémence que si certaines conditions sont réunies.
Les XV, XX et XXI introduisent des dispositions qui organisent l’accès des parties au dossier et prévoient les limites à l’utilisation des informations notamment celles relatives aux procédures de clémence et de transaction.
Le XV précise explicitement que les pratiques dont l’Autorité de la concurrence est saisie peuvent être établies par tout mode de preuve.
Le XVI donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence de publier des informations succinctes relatives aux actes qu’elle accomplit en vue de la recherche, de la constatation ou de la sanction de pratiques anticoncurrentielles, lorsque la publication de ces informations est effectuée dans l’intérêt du public et dans le strict respect de la présomption d’innocence des entreprises ou associations d’entreprises concernées.
Le XVII permet à l’Autorité de la concurrence d’ouvrir d’office une procédure de mesures conservatoires (possibilité d’auto-saisine).
Le 1° du XVIII donne la possibilité à l’Autorité de la concurrence d’imposer aux entreprises ou associations d’entreprises des mesures correctives de nature structurelle ou comportementale proportionnées à l’infraction commise et nécessaires pour faire cesser effectivement l’infraction.
Le 2° du XVIII prévoit que l’Autorité de la concurrence peut, de sa propre initiative ou sur demande de l’auteur de la saisine, du ministre de l’économie, de toute entreprise ou association d’entreprises ayant un intérêt à agir, modifier, compléter ou mettre fin aux engagements qu’elle a acceptés si certaines conditions sont réunies.
Le 3° du XVIII introduit explicitement le critère de la durée de l’infraction comme élément d’appréciation de la sanction et supprime le critère relatif au dommage à l’économie.
Le 4° du XVIII modifie le montant maximum de la sanction pour une association d’entreprises qui passe de 3 millions d’euros à 10 % du montant du chiffre d’affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d’un des exercices clos depuis l’exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Il précise que lorsque l’infraction d’une association d’entreprises a trait aux activités de ses membres, le montant maximal de la sanction pécuniaire est égal à 10 % de la somme du chiffre d’affaires mondial total réalisé par chaque membre actif sur le marché affecté par l’infraction de l’association.
Le 5° du XVIII précise que l’Autorité de la concurrence peut infliger aux intéressés des astreintes dans la limite de 5 % du chiffre d’affaires mondial total journalier moyen, par jour de retard à compter de la date qu’elle fixe, pour les contraindre à exécuter une décision ou à respecter les mesures prononcées.
Le 6° du XVIII procède à des adaptations rédactionnelles.
Le 7° du XVIII introduit des dispositions qui dérogent à l’article R. 111-1 du code des relations entre le public et l’administration en prévoyant que les demandes de clémence et les demandes d’attribution d’une place dans l’ordre d’arrivée (marqueur) peuvent être présentées en langue française ou dans une autre langue officielle de l’Union européenne convenue entre l’entreprise ou l’association d’entreprises et l’administration ou l’Autorité de la concurrence.
Le 7° du XVIII et le II visent, si certaines conditions sont réunies, à exempter des peines prévues par l’article L. 420-6 du code de commerce, les directeurs, gérants et autres membres du personnel de ladite entreprise ou association d’entreprises qui ont pris une part personnelle et déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques mentionnées à l’article L. 420-1 du même code (voir au II supra les dispositions sur l’exemption de peine en matière de clémence).
Le 8° du XVIII précise qu’hors les cas où la force publique peut être requise, lorsqu’une entreprise ou une association d’entreprises refuse de se soumettre à une mesure d’enquête, l’Autorité peut prononcer à son encontre une injonction assortie d’une astreinte.
Principe d’une responsabilité financière
Le 9° du XVIII consacre également le principe d’une responsabilité financière des membres d’une association d’entreprises. Il prévoit à cet effet que :
– lorsqu’une sanction pécuniaire est infligée à une association d’entreprises en tenant compte du chiffre d’affaires de ses membres et que l’association n’est pas solvable, l’Autorité de la concurrence peut enjoindre à cette association de lancer à ses membres un appel à contributions pour couvrir le montant de la sanction pécuniaire ;
– dans le cas où ces contributions ne sont pas versées intégralement à l’association d’entreprises dans un délai fixé par l’Autorité de la concurrence, celle-ci peut exiger directement le paiement de la sanction pécuniaire par toute entreprise dont les représentants étaient membres des organes décisionnels de cette association ;
– lorsque cela est nécessaire pour assurer le paiement intégral de l’amende, après avoir exigé le paiement par ces entreprises, l’Autorité de la concurrence peut également exiger le paiement du montant impayé de l’amende par tout membre de l’association qui était actif sur le marché sur lequel l’infraction a été commise. Ce paiement n’est toutefois pas exigé des entreprises qui démontrent qu’elles n’ont pas appliqué la décision litigieuse de l’association et qui en ignoraient l’existence ou qui s’en sont activement désolidarisées avant l’ouverture de la procédure.