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COUR D’APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 54C
4e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 SEPTEMBRE 2022
N° RG 22/00584 – N° Portalis DBV3-V-B7G-U7EV
AFFAIRE :
[J] [P]
C/
[Z] [R]
[L] [E]
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Janvier 2022 par le Juge de la mise en état de Nanterre
N° Chambre :
N° Section :
N° RG : 20/08654
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Marie-Laure TESTAUD
Me Sébastien AGUERRE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE VINGT DEUX,
La cour d’appel de Versailles, a rendu l’arrêt suivant dans l’affaire entre :
Madame [J] [P]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Marie-Laure TESTAUD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 483, et Me Pierre ELMALIH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G0006
APPELANTE
****************
Monsieur [Z] [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Sébastien AGUERRE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1395
Madame [L] [E] ÉPOUSE [R]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Sébastien AGUERRE, Postulant et Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1395
INTIMÉS
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 30 Mai 2022 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Monsieur Emmanuel ROBIN, Président, ayant été entendu en son rapport, et Madame Valentine BUCK, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Emmanuel ROBIN, Président,
Madame Pascale CARIOU, Conseiller,
Madame Valentine BUCK, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Boubacar BARRY,
FAITS ET PROCÉDURE
Par acte d’huissier des 8 et 9 septembre 2020, Mme [P] a fait assigner M. et Mme [R] devant le tribunal judiciaire de Nanterre afin qu’ils soient condamnés à lui payer la somme de 21 189,60 euros à titre d’honoraires, pour une mission de maîtrise d”uvre confiée le 19 juillet 2017 et résiliée le 24 avril 2018.
Par ordonnance en date du 6 janvier 2022, le juge de la mise en état, considérant que M. et Mme [R] avaient conclu un contrat avec la société [J] [P] architectes et non avec Mme [P] elle-même, a déclaré irrecevables, faute de qualité à agir, les demandes formées par celle-ci et l’a condamnée aux dépens et au paiement d’une indemnité de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Le 27 janvier 2022, Mme [P] a interjeté appel de l’ordonnance ci-dessus.
L’affaire a été fixée à l’audience de plaidoirie du 30 mai 2022, à l’issue de laquelle elle a été mise en délibéré jusqu’à ce jour.
*
Par conclusions du 18 mai 2022, Mme [P] demande à la cour d’infirmer l’ordonnance déférée, de déclarer son action recevable et de condamner M. et Mme [R] aux dépens ainsi qu’au paiement de deux indemnités de 1 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
Mme [P] soutient qu’elle s’est engagée personnellement à l’égard de M. et Mme [R] et qu’elle a donc qualité et intérêt à agir en paiement des honoraires contractuellement convenus ; le contrat comporterait d’ailleurs sa seule signature. Elle ajoute qu’elle a réalisé personnellement et exclusivement les prestations, que les factures ont été établies à son nom, sans mentionner la société [J] [P] architectes, et qu’elle a également résilié elle-même le contrat. M. et Mme [R] lui auraient adressé des reproches sans écrire à la société et ils auraient saisi le conseil de l’ordre des architectes d’une réclamation dirigée contre elle-même. Mme [P] précise qu’en s’engageant personnellement aux côtés de sa société elle offrait son propre patrimoine en garantie à ses clients.
Mme [P] conteste également la prescription de son action. Elle relève que, dans un contrat de construction de maison individuelle, le point de départ du délai de prescription court à compter de l’exigibilité de la créance, donc à compter de la levée des réserves. Elle évoque également une suspension de la prescription résultant de la mise en ‘uvre d’une clause de conciliation préalable et l’effet interruptif de prescription des actes nuls, pour soutenir, d’une part, qu’en l’espèce la plainte de M. et Mme [R] auprès de l’ordre des architectes a suspendu le délai de prescription à compter du 17 septembre 2018, s’agissant de la mise en ‘uvre de l’article 16 du contrat prévoyant une saisine pour avis avant toute procédure judiciaire, et que cette saisine l’a empêchée d’agir à leur encontre, et, d’autre part, qu’une assignation délivrée aux défendeurs le 13 décembre 2019 a interrompu la prescription, peu important que cet acte soit devenu caduc pour ne pas avoir été remis au greffe de la juridiction.
Par conclusions du 17 mai 2022, M. et Mme [R] demandent à la cour de confirmer l’ordonnance déférée, subsidiairement de déclarer éteinte la créance de la société [J] [P] architecte et de déclarer prescrite l’action de Mme [P] ; ils sollicitent la condamnation de celle-ci aux dépens et au paiement d’une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile.
M. et Mme [R] soutiennent qu’ils ont contracté avec la société [J] [P] architecte et que celle-ci a d’ailleurs établi les documents de demande de permis de construire, préparé l’acte d’engagement avec l’entreprise Durkal à laquelle les travaux ont été confiés, et établi la convention de contrôle technique ; cette société leur aurait également envoyé une mise en demeure le 29 janvier 2018 et elle aurait facturé sa prestation. Mme [P] aurait été inscrite à l’ordre des architectes seulement dans la catégorie « architectes associés ou salariés » et aurait donc pu exercer son activité d’architecture seulement pour le compte exclusif de la société dans laquelle elle était associée. En conséquence, Mme [P] elle-même n’aurait pas qualité à agir en paiement d’un solde d’honoraires.
Au soutien de la fin de non-recevoir tirée de la prescription, M. et Mme [R] invoquent le délai de deux ans imposés aux professionnels pour agir contre les consommateurs et soutiennent que la créance invoquée est exigible depuis le 5 juillet 2018, date de réception des travaux. Ils contestent que la plainte qu’ils ont déposée auprès du conseil de l’ordre des architectes, procédure distincte de celle relative au règlement d’un différend, ait pu avoir un effet suspensif de prescription en ce qui concerne l’action en paiement d’honoraires, en soutenant notamment que l’article 16 du contrat d’architecte n’a pas été mis en ‘uvre et que les parties au litige ne se sont jamais accordées pour recourir à une conciliation ni à une médiation. Ils contestent l’effet interruptif de prescription de l’assignation qui leur a été délivrée le 13 décembre 2019, en relevant que celle-ci n’a pas été déclarée nulle mais qu’elle est devenue caduque, faute de remise d’une copie au greffe de la juridiction.
MOTIFS
Sur la qualité pour agir
Selon les termes de l’acte sous seing privé signé le 19 juillet 2017, M. et Mme [R] ont contracté, en qualité de maître d’ouvrage, avec « l’architecte » désigné comme « M. ou Mme [J] [P] contractant en son nom personnel » et « la société [J] [P] ARCHITECTES n°RCS 7 90 87 32 93 représentée par M/Mme [J] [P] en qualité de Gérante ». Ce contrat prévoyait une seule mission et une seule rémunération de l’architecte ainsi désigné, fixée en pourcentage du montant hors taxe final des travaux, et un engagement des maîtres de l’ouvrage de « verser les sommes dues à l’architecte pour l’exercice de sa mission dans un délai maximum de 7 jours à compter de la date de réception de la facture ».
Même si, ainsi que le soutient Mme [P], celle-ci s’est engagée personnellement à l’égard des maîtres de l’ouvrage afin de leur fournir une garantie, le contrat ne prévoyait aucune rémunération personnelle à son profit pour l’exercice d’une mission particulière et elle ne justifie pas d’avoir réuni les conditions nécessaires à l’exercice d’une activité d’architecte distincte de celle de la société dont elle était la gérante. Au contraire, M. et Mme [R] font valoir à juste titre que Mme [P] était inscrite à l’ordre des architectes d’Île-de-France uniquement comme architecte associé et que ce mode d’exercice l’habilitait seulement à établir des projets architecturaux pour le compte exclusif de la société dans laquelle elle était associée, et que le dossier de demande de permis de construire a été établi par la société [J] [P] architectes, de même que l’acte d’engagement de la société Durkal et la convention de contrôle technique conclue avec la société Bureau Véritas construction.
Ils sont dès lors fondés à soutenir que Mme [P] n’a pas qualité pour solliciter le paiement à son profit de la contrepartie à l’exécution de la mission d’architecte.
Sur la prescription
Le délai de prescription
Selon l’article L. 218-2 du code de la consommation, l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs, se prescrit par deux ans. Conformément à l’article 2224 du code civil, la prescription court à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
En l’espèce, tant l’entreprise que l’architecte ont rompu la relation contractuelle avec les maîtres de l’ouvrage à la fin du mois de janvier 2018 ; une réception des travaux a été prononcée le 5 juillet 2018 et les parties s’accordent pour considérer que cette date constitue le point de départ du délai de prescription, l’architecte étant alors en mesure de connaître les honoraires qui lui étaient dus et calculés en fonction des travaux réalisés.
La suspension de la prescription
Selon l’article 2234 du code civil, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l’impossibilité d’agir par suite d’un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure et, conformément à l’article 2238 du même code, elle est notamment suspendue à compter du jour où, après la survenance d’un litige, les parties conviennent de recourir à la médiation ou à la conciliation.
En l’espèce, depuis le 5 juillet 2018, M. et Mme [R] et Mme [P] n’ont à aucun moment décidé de recourir à la médiation ou à la conciliation. Si l’article 16 du contrat d’architecte prévoit une saisine du conseil régional de l’ordre des architectes avant toute procédure judiciaire, sauf conservatoire, cependant, Mme [P] n’a jamais saisi le conseil de l’ordre d’une quelconque demande concernant ses honoraires ; au surplus, le contrat stipule expressément que cette saisine est facultative en matière de recouvrement d’honoraires. Mme [P] est par ailleurs mal fondée à soutenir que la dénonciation par M. et Mme [R] de comportements contraires à la déontologie aurait constitué un obstacle à son action en paiement d’honoraires alors que ni la loi ni le contrat ne lui interdisaient d’agir en paiement avant l’examen de la plainte de ses clients par le conseil de l’ordre des architectes.
Mme [P] est dès lors mal fondée à se prévaloir d’une suspension de la prescription.
L’interruption de la prescription
Selon l’article 2241 du code civil, la demande en justice, même en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion et il en est de même lorsqu’elle est portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure.
En l’espèce, Mme [P] a fait assigner M. et Mme [R] devant le tribunal de grande instance de Nanterre le 13 décembre 2019 ; toutefois, le tribunal n’a pas été saisi par la remise au greffe d’une copie de cette assignation et il convient d’en constater la caducité intervenue à l’issue d’un délai de quatre mois, conformément à l’ancien article 757 du code de procédure civile.
Cette assignation devenue caduque n’a eu aucun effet interruptif de prescription et Mme [P] est mal fondée à se prévaloir du second alinéa de l’article 2241 du code civil applicable lorsque l’acte de saisine est annulé, ce qui n’a pas été le cas de son assignation.
L’assignation des 8 et 9 septembre 2020, postérieure à l’expiration du délai de prescription, n’a pu avoir aucun effet interruptif de celle-ci.
Il convient, en conséquence, de déclarer prescrite l’action en paiement de Mme [P].
En revanche, M. et Mme [R] ne sont pas recevables à demander que la créance de la société [J] [P] architectes, qui n’est pas partie au litige, soit déclarée éteinte.
Sur les dépens et autres frais de procédure
Mme [P], qui succombe, a été condamnée à bon droit aux dépens de première instance ; elle sera également condamnée aux dépens d’appel, conformément à l’article 696 du code de procédure civile.
Selon l’article 700 1° de ce code, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès à payer à l’autre partie la somme qu’il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; le juge tient compte de l’équité ou de la situation économique de la partie condamnée.
Le premier juge a fait une application équitable de ces dispositions ; les circonstances de l’espèce justifient de condamner Mme [P] à payer à M. et Mme [R] une indemnité de 3 000 euros au titre des frais exclus des dépens exposés en cause d’appel ; elle sera elle-même déboutée de sa demande à ce titre.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant après débats à l’audience publique, par arrêt contradictoire,
CONFIRME l’ordonnance déférée ;
Y ajoutant,
CONSTATE la caducité de l’assignation du 13 décembre 2019 ;
DÉCLARE prescrite l’action de Mme [P] en paiement d’honoraires ;
DÉCLARE irrecevable la demande de M. et Mme [R] de déclarer éteinte la créance de la société [J] [P] architectes ;
CONDAMNE Mme [P] aux dépens d’appel, qui pourront être recouvrés directement dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile, ainsi qu’à payer à M. et Mme [R] une indemnité de 3 000 euros par application de l’article 700 du code de procédure civile, et la déboute de sa demande à ce titre.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
Signé par Monsieur Emmanuel ROBIN, Président et par Madame Kalliopi CAPO-CHICHI, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,