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COUR D’APPEL
D’ANGERS
CHAMBRE A – CIVILE
LE/IM
ARRET N°
AFFAIRE N° RG 19/01187 – N° Portalis DBVP-V-B7D-EQSG
Jugement du 18 Février 2019
Tribunal de Grande Instance d’ANGERS
n° d’inscription au RG de première instance : 16/01889
ARRÊT DU 10 JANVIER 2023
APPELANT :
Monsieur [M] [D]
né le 31 Janvier 1934 à [Localité 10] (86)
[Adresse 8]
[Localité 4]
Représenté par Me Jean BROUIN de la SCP AVOCATS DEFENSE ET CONSEIL, avocat au barreau d’ANGERS – N° du dossier 319053
INTIME :
Monsieur [O] [N]
né le 22 Juillet 1948 à [Localité 9] (49)
[Adresse 6]
[Localité 3]
Représenté par Me Philippe LANGLOIS de la SCP ACR AVOCATS, avocat postulant au barreau d’ANGERS – N° du dossier 71190227, et Me Christophe BUFFET, avocat plaidant au barreau d’ANGERS
COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue publiquement, à l’audience du 12 Septembre 2022 à 14 H 00, Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée ayant été préalablement entendue en son rapport, devant la Cour composée de :
Mme MULLER, Conseiller faisant fonction de Président
M. WOLFF, Conseiller
Mme ELYAHYIOUI, Vice-présidente placée
qui en ont délibéré
Greffière lors des débats : Mme LEVEUF
ARRET : contradictoire
Prononcé publiquement le 10 janvier 2023 par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions de l’article 450 du code de procédure civile ;
Signé par Catherine MULLER, Conseiller faisant fonction de Président, et par Christine LEVEUF, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
~~~~
FAITS ET PROCÉDURE
M. [M] [D] a sollicité, au mois de mai 2014, M. [O] [N], architecte, pour la construction d’un immeuble d’habitation sis [Adresse 2]. Ce dernier a établi un contrat d’architecte prévoyant une enveloppe financière globale incluant honoraires et frais à la somme de 874.000 euros HT, soit un total de 1.048.800 euros TTC. Le contrat n’a pas été signé par les parties.
M. [N] a commencé à travailler sur le projet mais M. [D] a souhaité ne pas le poursuivre de telle sorte que M. [N] lui a adressé sa note d’honoraires définitive suivant facture du 2 septembre 2014, d’un montant de 10.216,80 euros TTC, dont M. [D] a contesté le bien fondé.
Aucun accord amiable n’ayant pu intervenir, par exploit du 15 juin 2016, M. [N] a fait assigner M. [D] devant le tribunal de grande instance d’Angers pour solliciter le paiement de ses honoraires.
Suivant jugement du 18 février 2019, le tribunal de grande instance d’Angers a :
– condamné M. [M] [D] à payer à M. [O] [N] la somme de 10.216,80 euros TTC, avec intérêts au taux légal à compter du 15 juin 2016,
– condamné M. [M] [D] à payer à M. [O] [N] la somme de 2.000 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile,
– débouté M. [M] [D] de ses demandes,
– condamné M. [M] [D] aux dépens,
– ordonné l’exécution provisoire de la décision.
Par déclaration déposée au greffe de la cour le 12 juin 2019, M. [D] a interjeté appel de cette décision en son entier dispositif exclusion faite de ses dispositions relatives à l’exécution provisoire intimant dans ce cadre M. [N].
L’ordonnance de clôture a été prononcée, après demande de report, le 31 août 2022 et l’audience de plaidoiries fixée au 12 septembre de la même année.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 16 août 2022, M. [D] demande à la présente juridiction de :
– infirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Angers le 18 février 2019,
À titre principal :
– dire et juger qu’aucun honoraire n’est dû à M. [N],
À titre subsidiaire,
– condamner M. [N] à lui payer une indemnité à titre de dommages- intérêts équivalente au montant des honoraires qui lui seraient accordés,
En toutes hypothèses :
– condamner M. [N] à lui payer une indemnité de 5.000 euros, au titre des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner M. [N] aux dépens de première instance et d’appel.
Aux termes de ses dernières écritures déposées le 29 août 2022, M. [N] demande à la présente juridiction de :
– juger M. [D] non fondé en son appel, ainsi qu’en ses demandes, fins et conclusions,
– l’en débouter,
– confirmer purement et simplement le jugement rendu par le tribunal de grande instance d’Angers, le 18 février 2019,
Y ajoutant :
– condamner M. [D] à lui payer la somme de 4.000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
– condamner M. [D] aux dépens de première instance et d’appel, recouvrés conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, en application des dispositions des articles 455 et 494 du Code de procédure civile, aux dernières écritures, ci-dessus mentionnées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur les demandes principales
En droit, l’article 1315 du Code civil en sa version applicable au présent litige dispose que : ‘Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver.
Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation’.
Le premier juge a rappelé que l’absence de signature d’une convention n’exclut pas, par principe, l’existence de relations contractuelles entre les parties justifiant du droit à rémunération de l’architecte. Par ailleurs, il a été retenu que le maître de l’ouvrage a reçu de nombreuses esquisses qu’il avait annotées de manière manuscrite ; que le projet ainsi formalisé de concert entre le maître de l’ouvrage et l’architecte avait été présenté et soutenu par ce dernier à l’architecte des bâtiments de France (ABF) avant d’être modifié au regard du refus présenté par cet organe administratif ; que le maître de l’ouvrage a proposé le recours à un mode amiable du règlement de ce litige admettant ainsi le principe de sa créance. Dans ces conditions au regard tant de la rupture des relations contractuelles ainsi établies que du fait que le maître de l’ouvrage ait, à titre subsidiaire, invoqué les stipulations du contrat d’architecte, l’article 9.2.2 de cette convention a été considéré comme applicable en ce qu’il prévoit les conséquences financières de la résiliation à l’initiative du maître de l’ouvrage et sans faute de l’architecte du contrat. Le maître de l’ouvrage a donc été condamné au paiement à l’architecte de la somme 10.216,80 euros outre intérêts.
Aux termes de ses dernières écritures l’appelant indique liminairement que selon une jurisprudence constante, la proposition de recourir à un mode amiable de règlement du litige ne vaut aucunement reconnaissance de responsabilité ou de dette. Sur le fond, il observe que l’article 11 du Code de déontologie des architectes pose l’obligation d’un engagement contractuel formé par écrit. De plus, il souligne qu’outre ce manquement déontologique, cette situation ne permet pas de connaître l’étendue de la mission de l’architecte. De plus, il observe que la seule communication d’esquisses ne justifie pas le paiement sollicité d’autant plus que la jurisprudence établit que les honoraires de l’architecte ne sont pas dus lorsque le travail est inutile ou inutilisable. Or il rappelle que le projet qui a été présenté aux services de l’ABF a fait l’objet d’un rejet de sorte qu’il n’était pas réalisable. Il en déduit que l’intimé a commis une faute. En tout état de cause, l’appelant soutient que les esquisses produites ne respectaient les règles d’urbanisme posées par le ‘POS’ et étaient techniquement erronées (escalier ne comportant pas suffisamment de marches pour atteindre le niveau supérieur, isolation omise…). Par ailleurs, il soutient que l’architecte a manqué à ses obligations d’information et de conseil en lui soumettant des projets qui, au regard de la motivation du premier refus de l’ABF, ne pouvaient aboutir comme contrevenant aux règles qui avaient fondé ce rejet. Dans ces conditions, il considère que ce manquement justifie de la résolution du contrat, si l’existence d’une telle convention devait être retenue. En réponse aux arguments qui lui sont opposés et s’agissant de la non contestation alléguée du travail de l’architecte, il rappelle qu’avant la présente procédure, il n’a été rendu destinataire que de deux ensembles d’esquisses reçus les 28 mai et 2 juillet 2014. Il précise avoir refusé de prendre connaissance de celles qu’il n’avait pas sollicitées et qui lui ont été présentées le 6 juin ; avoir expressément, le 7 juillet, demandé à l’architecte ‘de ne plus rien dessiner’ et n’avoir critiqué certains des travaux qui ne lui ont été présentés qu’à compter du 15 septembre en raison du délai d’appréciation du travail fourni, normal pour un maître d’ouvrage.
Aux termes de ses dernières écritures, l’intimé observe que son contradicteur n’avait jamais contesté le principe de sa rémunération ayant même proposé un règlement amiable s’agissant de cette seule question. Par ailleurs il indique que :
– le contrat d’architecte n’a pas nécessairement à être écrit,
– la volonté de son contradicteur de lui confier les prestations qu’il a facturées résulte des correspondances qu’il lui a adressées, des annotations figurant aux plans et du plan topographique dont il s’est assuré de la transmission directe à l’architecte,
– les relations entre les parties ont débuté par un rendez-vous le 5 mai 2014, suivi d’autres rencontres et échanges, communications de plans et autres diligences ainsi que de rendez-vous auprès des services de l’ABF,
– si l’appelant conteste le nombre d’heures dont il fait état «cette discussion apparaît d’un intérêt limité, puisque l’examen du contrat fait apparaître que le paiement [de ses] diligences était prévu (article 3, annexe financière) en fonction de l’avancement [de ses] travaux et l’avancement de ces travaux conduisait une réclamation qui aurait dû être de (‘) 8.800 euros TTC», soit un montant supérieur à celui qu’il a facturé en fonction du temps passé,
– les plans qu’il a communiqués correspondent aux prévisions du contrat et son contradicteur a approuvé les documents qu’il lui a transmis dès lors qu’aucune critique de son travail n’a été formée,
– l’appelant ne démontre pas la réalité des manquements qu’il invoque à son encontre.
Sur ce :
En l’espèce, l’intimé communique aux débats diverses esquisses portant sur un immeuble devant être situé [Adresse 2] dont certaines apparaissent ‘annotées’ (modifications de taille de pièces par déplacements de cloisons, modifications de l’apparence d’huisseries…).
Par ailleurs, il doit être souligné que l’architecte a directement été rendu destinataire par le géomètre-expert dont il n’est pas contesté qu’il ait été mandaté par l’appelant, d’un plan topographique ainsi que d’un plan de nivellement d’îlot.
Au surplus, par courrier du 15 septembre 2014, l’appelant a indiqué à l’intimé que ‘le maintien en conséquence d’une toiture à deux versants s’inscrit également dans ce contexte de ‘retour à la case départ’, qui me conduit à ne plus souhaiter poursuivre comme prévu l’étude en cours’.
Il résulte de cette formulation (‘comme prévu’, ce qui implique une anticipation commune et ‘l’étude en cours’) combinée avec l’envoi des plans du géomètre, l’annotation des esquisses de l’architecte et le fait que ce projet ait été communiqué aux services de l’ABF pour avis, que les parties à la présente instance étaient liées contractuellement.
Ainsi si l’existence d’un lien contractuel est établie, il est constant que ce lien n’a pas été formalisé par écrit, l’appelant n’ayant jamais signé le contrat de maîtrise d’oeuvre qui lui avait été adressé.
Par ailleurs l’intimé sollicite le paiement d’une facture de 10.216,80 euros correspondant à 30 heures de travail d’architecte à 97 €/H et 117 heures et 55 minutes de travaux de dessinateur pour un coût de 48 euros par heure.
Or si les pièces communiquées par l’intimé établissent l’existence d’un lien contractuel pour autant elles ne prouvent d’une part pas l’étendue de la mission qui devait être confiée au professionnel pas plus que le prix qui aurait été convenu.
A ce titre, il doit être rappelé que la proposition de contrat formée par l’intimé n’a jamais reçu l’agrément de l’appelant de sorte que ses termes, notamment quant au paiement, n’ont pas vocation à s’appliquer en l’espèce.
Par ailleurs, les pièces produites ne permettent pas de déterminer précisément d’une part l’importance du travail fourni dans le cadre des relations contractuelles aujourd’hui litigieuses même si ce travail est certain et d’autre part le fait que le prix des prestations qu’il facture corresponde aux pratiques usuelles de la profession.
De l’ensemble, il résulte que les parties étaient liées par contrat, dont il ne peut aucunement être affirmé qu’il ait été souscrit à titre gratuit.
Par ailleurs, les éléments ci-dessus repris établissent que dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par l’appelant, l’intimé a entamé ses travaux en produisant notamment des esquisses et en saisissant les instances compétentes pour avis (ABF).
Cependant, les éléments communiqués par les parties ne permettent pas d’apprécier l’importance de la rémunération pouvant être due par le client à son architecte au regard tant de l’absence de production d’éléments permettant d’identifier l’importance des prestations réalisées par le professionnel ainsi que leur tarification usuelle que des difficultés invoquées par l’appelant soutenant que le paiement de ces mêmes travaux ne peut lui être imposé en raison de leur caractère inutilisable.
Dans ces conditions, il convient d’ordonner une mesure d’expertise aux fins de déterminer si la quantité de travail invoquée par l’intimé ainsi que sa facturation sont en cohérence avec les usages de la profession mais également pour déterminer si les prestations réalisées par l’architecte participent d’un projet faisable et réalisable ou correspondent à des travaux inutilisables.
S’agissant de la charge de la consignation d’une telle mesure d’investigation ordonnée d’office, il doit être souligné que l’architecte démontre tant l’existence de relations contractuelles ne pouvant être considérées comme s’étant nouées sur une base de gratuité que le fait qu’en exécution de ce contrat il a entamé ses travaux. Parallèlement, l’appelant qui conteste le prix ainsi que la qualité des prestations fournies se doit d’assumer la preuve de ses assertions de sorte que la consignation doit être mise à sa charge.
Dans ces conditions il convient d’ordonner une mesure d’expertise et les plus amples demandes des parties doivent être réservées.
PAR CES MOTIFS
La cour,
CONSTATE l’existence de relations contractuelles entre M. [O] [N] et M. [M] [D] ;
Avant dire droit :
ORDONNE une mesure d’expertise ;
DESIGNE pour y procéder :
M. [W] [Z]
demeurant [Adresse 5]
Tél : [XXXXXXXX01]
Courriel : [Courriel 7]
inscrit sur la liste des experts près la cour d’appel d’Angers, avec mission de :
1. Convoquer les parties par lettre recommandée avec accusé de réception ainsi que leurs conseils,
2. Se faire remettre tous documents utiles et recueillir les observations des parties,
3. Décrire les travaux et/ou prestations réalisés par l’architecte jusqu’au 15 septembre 2014 et faire toute observation sur la quantité de travail nécessaire à leur réalisation,
4. Indiquer si les projets présentés par l’architecte étaient faisables et réalisables ou doivent être considérés comme inutilisables,
5. Faire toute observation quant au tarif facturé par l’architecte notamment au regard des usages de la profession,
6. D’une façon générale et dans le cadre de la mission ci-dessus définie, entendre tous sachants, procéder à toutes investigations et fournir tous éléments techniques et de fait utiles à la solution du litige,
7. Communiquer un pré-rapport, avec les avis des sapiteurs éventuellement recueillis, aux parties qui disposeront d’un délai de 30 jours pour présenter leurs observations et, passé ce délai, répondre à leurs éventuelles observations écrites dans son rapport définitif.
RAPPELLE que l’expert doit procéder personnellement aux opérations d’expertise, sauf à recueillir l’avis de tout sapiteur dans une spécialité autre que la sienne ;
DIT que M. [M] [D] versera par chèque libellé à l’ordre du régisseur des avances et des recettes de la cour d’appel une consignation de 2.000 (deux mille) euros à valoir sur la rémunération de l’expert dans le délai de deux mois à compter de la présente décision ;
RAPPELLE qu’à défaut de consignation dans ce délai, la désignation de l’expert sera caduque selon les modalités fixées par l’article 271 du Code de procédure civile ;
DIT que l’expert devra déposer au greffe un rapport détaillé de ses opérations dans le délai de quatre mois à compter de l’avis de versement de la consignation qui lui sera donné par le greffe et qu’il adressera copie complète de ce rapport, accompagné de sa demande de fixation de rémunération, à chacune des parties conformément aux articles 173 et 282 du Code de procédure civile ;
PRECISE que l’expert adressera une copie du rapport à l’avocat de chaque partie et mentionnera dans son rapport l’ensemble des destinataires à qui il l’aura adressé ;
DIT qu’en cas de refus ou d’empêchement de l’expert désigné, il sera procédé à son remplacement par ordonnance sur simple requête ;
DESIGNE le conseiller de la mise en état de la chambre civile de la cour d’appel, à l’effet de contrôler le déroulement de la mesure d’expertise ;
RESERVE les plus amples prétentions des parties ainsi que les dépens ;
DIT que l’affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 27 septembre 2023 à 10 heures pour vérification du dépôt du rapport d’expertise.
LA GREFFIERE LA PRESIDENTE
C. LEVEUF C. MULLER