Rejet d’une exception de prescription et renvoi pour examen des demandes au fond

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Rejet d’une exception de prescription et renvoi pour examen des demandes au fond

Les époux [M] ont présenté des demandes dans le cadre d’une assignation, contestant le refus de la société LYONNAISE DE BANQUE d’appliquer un taux négatif sur leur prêt, mais n’ont pas formulé de demande correspondante dans le dispositif. Concernant l’action en nullité pour dol, les prêts ont été souscrits entre 2007 et 2013, et la prescription de cinq ans s’applique. Le point de départ de cette prescription est fixé au 14 décembre 2022, date à laquelle les époux ont pris conscience d’un potentiel dol, ce qui signifie que leur action n’était pas prescrite au moment de l’assignation en septembre 2023. Pour l’action en responsabilité, la prescription débute également au 14 décembre 2022, car les époux n’avaient pas connaissance de manquements de la banque avant cette date. Les autres demandes relatives aux dépens et frais seront examinées ultérieurement.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

10 septembre 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG
23/07774
TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

Quatrième Chambre

N° RG 23/07774 – N° Portalis DB2H-W-B7H-YC3Q

Minute Numéro :

Notifiée le :

1 Grosse et 1 Copie à

Me Jean-Laurent REBOTIER de la SELAS AGIS,
vestiaire : 538

Me Maïthé SAMBUIS de la SELARL SAMBUIS AVOCAT, vestiaire : 1548

Copie DOSSIER

ORDONNANCE SUR INCIDENT

Le 10 Septembre 2024

ENTRE :

DEMANDEURS

Madame [W] [M]
née le [Date naissance 1] 1964 à [Localité 8] (65)
[Adresse 3]
[Localité 5]

représentée par Maître Maïthé SAMBUIS de la SELARL SAMBUIS AVOCAT, avocats au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Anne-Sophie RAMOND, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

Monsieur [B] [M]
né le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 7] (65)
[Adresse 3]
[Localité 5]

représenté par Maître Maïthé SAMBUIS de la SELARL SAMBUIS AVOCAT, avocats au barreau de LYON, avocat postulant, Maître Anne-Sophie RAMOND, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant

ET :

DEFENDERESSE

La société LYONNAISE DE BANQUE, société anonyme à conseil d’administration, prise en la personne de son représentant légal en exercice dont le siège social est
[Adresse 6]
[Localité 4]

représentée par Maître Jean-Laurent REBOTIER de la SELAS AGIS, avocats au barreau de LYON

Les époux [M] exposent que pour financer l’achat de plusieurs biens immobiliers ils ont souscrit plusieurs prêts :
– un prêt n°100961822900040988603 (prêt n°1) du 5 octobre 2007 de 413 026,33 CHF
– un prêt n°100961822900040988604 (prêt n°2) du 5 octobre 2007 de 144 497,71 CHF
– un prêt n°100961822900040988605 (prêt n°3) du 5 janvier 2011 de 133 461,89 CHF
– un prêt n°100961822900040988607 (prêt n°4) du 26 septembre 2013 de 138 792,00 CHF.
Ils expliquent que la valeur de change a évolué de manière importante et défavorable, de sorte que malgré les amortissements, le capital a très peu diminué.
Ils soutiennent que s’ils avaient été correctement conseillés, ils n’auraient jamais souscrit à ces opérations.
Ils évaluent leur préjudice à ce jour à 280.471,26 Euros, sans prendre en compte les évolutions futures du taux de change EUR/CHF, et indiquent que le prêteur a refusé de les indemniser.
Par acte d’Huissier en date du 18 septembre 2023, Monsieur et Madame [M] ont donc fait assigner la société LYONNAISE DE BANQUE devant la présente juridiction.
Ils demandent au Tribunal :
1/ sur les clauses abusives au visa de l’article L 2l2-1 du Code de la Consommation
– de juger que leur contrat de prêt comporte des clauses abusives réputées non écrites sans lesquelles le contrat ne peut subsister
– de prononcer en conséquence la nullité du contrat de prêt
– d’ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et de constater leur compensation à due concurrence
2/ sur l’action en responsabilité au visa de l’article 1240 du Code Civil
– de condamner la société LYONNAISE DE BANQUE à leur payer la somme de 280 471,26 Euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait des manquements de la banque à son obligation d”information et de conseil
3/ sur le dol au visa de l’article 1116 ancien et de l’article 1137 nouveau du Code Civil
– de juger que le contrat de prêt litigieux est nul pour avoir été vicié par des manœuvres dolosives de la banque
– d’ordonner la restitution des sommes perçues par chacune des parties et de constater leur compensation à due concurrence
4/ sur le préjudice moral
– de condamner la société LYONNAISE DE BANQUE à leur payer la somme de 15 000,00 Euros chacun au titre de leurs préjudices moraux, la banque ayant commis une faute en stipulant les clauses abusives
5/ En tout état de cause
– de condamner la société LYONNAISE DE BANQUE à leur payer la somme de 6000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’à supporter les dépens
– de prononcer l’exécution provisoire du jugement.
* * *
Dans ses dernières conclusions sur incident notifiées le 28 février 2024 , la société LYONNAISE DE BANQUE demande au Juge de la mise en état de déclarer irrecevables comme étant prescrites les actions des époux [M] :
– en nullité des contrats de prêt sur le fondement du dol
– en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information et au devoir de conseil
– en restitution relative aux intérêts trop perçus pour la période antérieure au 18 octobre 2018
Elle sollicite leur condamnation in solidum à lui payer la somme de 5 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ainsi qu’à supporter les dépens.

La société LYONNAISE DE BANQUE expose à titre liminaire concernant le dol que l’article 1304 ancien du Code Civil qui dispose que « Dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans » et que « ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts […] », est applicable aux trois premiers contrats de prêt, alors que pour le 4ème prêt, il faut appliquer l’article 2224 du Code Civil fixant la prescription à 5 ans et l’article 1144 qui prévoit que : « Le délai de l’action en nullité ne court, en cas d’erreur ou de dol, que du jour où ils ont été découverts et, en cas de violence, que du jour où elle a cessé ».
Elle évoque les règles de prescription propres aux contrats à exécution successive pour lesquels une prescription distincte s’applique à chaque créance successive à compter de son échéance.
La société LYONNAISE DE BANQUE soutient qu’il faut retenir comme point de départ du délai de prescription, la date de signature des contrats qui contiennent des clauses claires informant les emprunteurs des caractéristiques et risques des prêts en CHF dont elle repend les termes.
Elle rappelle, au visa de l’article L 110-4 du Code de Commerce, que le dommage résultant d’un manquement à l’obligation d’information et au devoir de mise en garde consiste en une perte de chance d’avoir pu ne pas contracter qui se matérialise au jour de la souscription du contrat.
Elle en déduit que quel que soit le point de départ du délai de prescription retenu, la date de signature des contrats ou la date à laquelle la hausse du CHF a été significative, l’action en nullité pour dol est prescrite.
La société LYONNAISE DE BANQUE fait remarquer que le préjudice invoqué par les demandeurs au soutien de leur action en responsabilité pour manquement à l’obligation d’information et au devoir de conseil consiste en une perte de chance de ne pas contracter qui s’est manifestée dès l’octroi des prêts de sorte que cette action est prescrite.
Elle ajoute qu’en tout état de cause, ils ont reçu le 27 août 2013, une information concise, compréhensible et aisément accessible relative aux différents risques de change inhérents aux prêts en devises, de sorte que le point de départ du délai de prescription de l’action en responsabilité ne saurait être fixé postérieurement à cette date pour l’ensemble des prêts.
Elle estime que le point de départ du délai de prescription ne saurait en aucun cas être postérieur à la date à laquelle le CHF a connu une hausse importante, soit au plus tard courant 2015.
Dans leurs dernières conclusions sur incident notifiées le 22 mai 2024, Monsieur et Madame [M] demandent au Tribunal :
– de recevoir leurs demandes et de les dire bien fondées
– de débouter la société LYONNAISE DE BANQUE de ses demandes
– de dire que leur action n’est pas prescrite
– de condamner la société LYONNAISE DE BANQUE à leur payer la somme de 2 000,00 Euros au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile et à supporter les dépens.
Après avoir longuement rappelé les règles applicables en matière de prescription et les dispositions transitoires de la loi 17 juin 2008 réformant la durée de la prescription, ils rappellent qu’en matière bancaire, le délai de prescription en matière d’obligation d’information et de conseil ainsi que le délai de l’action en nullité commencent à courir à partir du moment où les consommateurs profanes ont pu avoir connaissance des faits leur permettant d’agir et non pas la date de conclusion des contrats de prêt.
Ils soulignent que l’action tendant à la constatation du caractère abusif d’une clause est imprescriptible.
Ils expliquent que la prescription de l’action en restitution consécutives à la constatation du caractère abusif d’une clause n’est pas prescrite, le point de départ du délai étant le jour de la décision anéantissant le contrat de prêt en raison de la présence de clauses abusives.
Ils invoquent à cet égard les conditions cumulatives posées par la C.J.U.E. en application de la Directive 93/13/CE pour admettre une telle prescription.
Les époux [M] détaillent les raisons pour lesquelles certaines clauses des contrats sont abusives et entraînent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties au détriment des consommateurs.

Les époux [M] relèvent que la société LYONNAISE DE BANQUE a engagé sa responsabilité puisqu’elle ne les a pas informés quant aux mécanismes exacts des prêts et aux possibles variations de change, de sorte qu’ils n’ont pas pu évaluer le risque des conséquences économiques négatives, potentiellement significatives, de telles clauses sur leurs obligations financières pendant toute la durée du prêt.
Ils estiment avoir été victimes d’une pratique commerciale trompeuse.
Ils soutiennent que la banque avait connaissance des risques inhérents à ces prêts et leur a sciemment caché la réalité des risques financiers auxquels ils s’exposaient afin de les convaincre de signer le contrat.
Ils en déduisent que le dol est caractérisé.
Ils rappellent également très longuement les conditions et limites dans lesquelles les prêts en CHF peuvent être octroyés et les obligations pesant sur la banque dans ce cas.
Ils contestent le refus de la société LYONNAISE DE BANQUE d’appliquer le taux négatif du Libor sur lequel leur prêt est indexé, relevant qu’il s’agit d’une faute contractuelle dans l’exécution des prêts et que le prêteur est tenu de restituer des intérêts trop perçus.
Ils exposent enfin leurs prétentions indemnitaires.
Il sera renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé des faits, moyens et prétentions en application de l’article 455 du Code de Procédure Civile.

MOTIFS

En application de l’article 122 du Code de Procédure Civile, constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.
Les époux [M] développent leurs moyens et arguments au soutien des demandes présentées dans leur assignation.
Or, il n’y a pas lieu d’examiner à ce stade l’existence de clauses abusives et des manquements susceptibles d’engager la responsabilité du prêteur, ou celle d’un dol caractérisé, ni de dire si l’action des demandeurs est bien fondée, cette appréciation relevant du Tribunal statuant au fond.
Les longs développements des époux [M] tendant à démontrer que l’action tendant à la constatation du caractère abusif d’une clause est imprescriptible sont sans objet, la prescription n’étant pas invoquée pour cette demande.
Elle n’est pas non plus invoquée concernant l’action en restitution sur le fondement des clauses abusives et ses corollaires.
Enfin, l’article 768 du Code de Procédure Civile dispose que :
« Les conclusions doivent formuler expressément les prétentions des parties ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée […] Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. […] Le tribunal ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif […]. »
L’assignation vaut conclusions en application de l’article 56 du Code de Procédure Civile.
Si les demandeurs contestent dans les motifs de leur assignation le refus de la société LYONNAISE DE BANQUE d’appliquer le taux négatif du Libor sur lequel leur prêt est indexé, relevant qu’il s’agit d’une faute contractuelle, ils ne présentent dans le dispositif aucune demande à ce titre, et les dommages et intérêts sont calculés sans inclure ces intérêts indus.
Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur la prescription d’une demande dont le Tribunal n’est pas saisi.
L’action en nullité pour dol
Les prêts ont été souscrits aux dates suivantes : 5 octobre 2007, 5 janvier 2011, et 26 septembre 2013.
L’article 1304 ancien du Code civil, applicable aux contrats de prêt compte tenu de leur date (avant la réforme de 2016) dispose que « dans tous les cas où l’action en nullité ou en rescision d’une convention n’est pas limitée à un moindre temps par une loi particulière, cette action dure cinq ans.
Ce temps ne court dans le cas de violence que du jour où elle a cessé ; dans le cas d’erreur ou de dol, du jour où ils ont été découverts ».
Ce texte répond aux exigences de l’article 2224 du Code Civil tel qu’issu de la loi du 17 juin 2008 applicable à la présente instance et aux termes duquel « les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer ».
Le point de départ de l’action pour dol court indépendamment du point de savoir si une information sincère et complète a été donnée dans le contrat, puisque par hypothèse, le dol suppose l’appréciation au fond de la qualité et de l’honnêteté des informations données, et de la perception par la victime de ce qu’elle a été trompée et a ainsi commis une erreur.
Il est nécessaire de déterminer à quelle date les demandeurs ont appréhendé l’erreur commise et pris conscience de ce qu’ils avaient potentiellement été victimes d’un dol.
En l’espèce, il n’est pas soutenu que les époux [M] ne sont plus en mesure de faire face aux échéances du prêt dont le montant est constant.
Dès lors, si leur dommage est effectivement une perte de chance de ne pas contracter qui se réalise à la signature du contrat, il ne s’est pas manifesté auprès des emprunteurs qui n’ont pas pu en avoir conscience dès cette date.
Par ailleurs, aucun élément du dossier ne permet dans ces conditions d’affirmer qu’ils ont eu conscience de ce que le montant de l’amortissement était de plus en plus faible du fait de l’évolution des taux de change et de ce que la revente de leurs biens ne permettrait pas de solder les prêts avant le courrier adressé à la banque par leur conseil le 14 décembre 2022.
Le point de départ de la prescription sera en conséquence fixé à cette date et elle n’était pas acquise à la date de l’assignation le 18 septembre 2023.
Sur l’action en responsabilité
La prescription quinquennale de cette action est soumise aux articles 2224 du Code Civil et L 110-4 du Code de Commerce.
La prescription de l’action en responsabilité à la suite d’un manquement au devoir de mise en garde ou de conseil débute au jour du premier incident de paiement qui permet aux emprunteurs d’appréhender l’existence et les conséquences éventuelles d’un tel manquement, sauf à ce qu’il soit établi qu’ils en ont eu connaissance antérieurement.
Il sera relevé qu’en toute hypothèse, les époux [M] qui ont souscrit leur 4ème prêt le 26 septembre 2013 n’avaient pas conscience d’éventuels manquements de la banque pour les 3 autres prêts et que la prescription ne peut avoir couru à la signature de ces derniers.
En l’absence d’incident de paiement, le point de départ de la prescription sera également fixé au 14 décembre 2022, date du courrier du conseil des demandeurs.
L’action en responsabilité est donc recevable.
Les autres demandes
Les demandes des parties au titre des dépens et des frais irrépétibles de l’article 700 du Code de Procédure Civile seront réservées avec le fond.

PAR CES MOTIFS

Nous, Florence BARDOUX, Juge de la mise en état de la 4ème chambre du Tribunal Judiciaire de Lyon, assistée de Karine ORTI, Greffier ;
Statuant publiquement, par décision contradictoire susceptible d’appel ;

Rejetons la fin de non recevoir tirée de la prescription ;

Réservons les dépens de l’incident et les demandes au titre de l’article 700 du Code de Procédure Civile ;
Renvoyons l’instance pour le surplus des demandes au fond à l’audience de mise en état électronique pour les conclusions au fond de la Société LYONNAISE DE BANQUE qui devront être adressées par le RPVA le 5 décembre 2024 avant minuit à peine de rejet ou de clôture.

Fait en notre cabinet, à Lyon, le 10 septembre 2024.

LE GREFFIER LE JUGE DE LA MISE EN ETAT


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