Refus d’être photographié en public : une injonction efficace

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Refus d’être photographié en public : une injonction efficace
Ce point juridique est utile ?

Le non respect du refus d’être photographié exprimé par une personne y compris lors d’une cérémonie publique expose à une condamnation.

Le fait qu’une personne intéressant l’actualité se trouve dans un lieu public ne vaut pas renonciation au droit qu’elle a sur son image et sur sa vie privée, étant précisé que sont protégées au titre du droit au respect de la vie privée, les données professionnelles et sociales des personnes.

Les pouvoirs du Président du Tribunal judiciaire

Aux termes de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite

Le trouble manifestement illicite est caractérisé par toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il appartient à la partie qui s’en prévaut d’en faire la démonstration avec l’évidence requise devant le juge des référés.

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’obligation non sérieusement contestable vise aussi bien les créances d’origine contractuelle, quasi contractuelle, délictuelle ou quasi délictuelle.

Le droit au respect de sa vie privée

L’article 9 du Code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

Autrement dit, en application de ces dispositions, le demandeur est bien fondé, dès lors que l’atteinte à l’intimité de sa vie privée est caractérisée, à en solliciter la réparation ainsi qu’à solliciter la réparation des atteintes à son droit sur son image qui constitue un droit distinct.

Il est constant que le seul constat de l’atteinte au droit de chacun de s’opposer à la publication de son image, sans qu’il ait lieu de s’expliquer davantage sur la nature du préjudice qui en est résulte, ouvre droit à réparation.

Il est par ailleurs établi que le fait qu’une personne intéressant l’actualité se trouve dans un lieu public ne vaut pas renonciation au droit qu’elle a sur son image et sur sa vie privée, étant précisé que sont protégées au titre du droit au respect de la vie privée, les données professionnelles et sociales des personnes.

Or, en l’espèce, une photo de M. [E] a été publiée dans les numéros de la Gazette en Yvelines des 8 et 22 février et 13 septembre 2023, illustrant des articles de presse. Il s’agit d’une photo de M. [E] prise le 11 janvier 2023 lors d’une cérémonie de voeux à la mairie de [Localité 3].

Toutefois, il s’avère, tel que cela ressort notamment des attestations des agents de police municipale présents le 11 janvier 2023, que M. [E] et son épouse avaient expressément manifesté leur refus d’être photographiés et que des photographies soient utilisées sans leur consentement. Le photographe avait indiqué effacer toute photographie litigieuse.

L’atteinte du droit à l’image de M. [E], répétée à trois reprises, est ainsi caractérisée et justifie de condamner LA GAZETTE DU MANTOIS à verser à M. [E] la somme de 6000 euros au titre de son préjudice.

Provision et interdiction

Le président du Tribunal judiciaire peut, en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé des mesures conservatoires ou de remise en état pour prévenir un dommage imminent ou faire cesser un trouble manifestement illicite. L’obligation non sérieusement contestable peut donner lieu à une provision au créancier ou à l’exécution de l’obligation. En cas d’atteinte à l’intimité de la vie privée, des mesures peuvent être ordonnées en référé pour faire cesser une telle atteinte.

Atteinte à l’intimité de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée et à l’image est protégé par la loi. Même en cas de présence dans un lieu public, une personne conserve le droit de s’opposer à la publication de son image. En l’espèce, la publication de la photo de M. [E] sans son consentement constitue une atteinte à son droit à l’image et à sa vie privée, justifiant une réparation financière.

Frais irrépétibles et dépens

La partie défenderesse, ayant été condamnée, devra verser des frais irrépétibles au demandeur ainsi que les dépens de la procédure.

* * *

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

TRIBUNAL JUDICIAIRE DE VERSAILLES

ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
09 JANVIER 2024

N° RG 23/01510 – N° Portalis DB22-W-B7H-RUBY
Code NAC : 96C
AFFAIRE : [M] [E] C/ S.A.S. LA GAZETTE DU MANTOIS

DEMANDEUR

Monsieur [M] [E],
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Laure HEINICH-LUIJER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : G 432, Me Mandine BLONDIN, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 689, Me Dorothée BISACCIA-BERNSTEIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1989

DEFENDERESSE

LA GAZETTE DU MANTOIS,
société par actions simplifiée, immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de VERSAILLES sous le numéro B 788 690 618, dont le siège social est situé [Adresse 1], en qualité d’éditrice de la Gazette en Yvelines,
non comparante

Débats tenus à l’audience du : 21 Novembre 2023

Nous, Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal Judiciaire de Versailles, assistée de Virginie DUMINY, Greffier,

Après avoir entendu les parties comparantes ou leur conseil, à l’audience du 21 Novembre 2023, l’affaire a été mise en délibéré au 09 Janvier 2024, date à laquelle l’ordonnance suivante a été rendue :

EXPOSE DU LITIGE

Par acte de Commissaire de Justice en date du 3 novembre 2023, M. [M] [E] a assigné la société LA GAZETTE DU MANTOIS en référé devant le Tribunal judiciaire de Versailles aux fins de voir :

– condamner la défenderesse à lui payer la somme de 2000 euros à titre de provision en réparation du préjudice subi du fait de la violation de sa vie privée,

– condamner la défenderesse à lui payer la somme de 6000 euros à titre de provision en réparation du préjudice subi du fait de la violation de son droit à l’image,

– interdire sous astreinte toute nouvelle publication par la GAZE’TTE DU MANTOIS de la photographie de M. [M] [E] sans son autorisation expresse à compter de la réddition de la décision à venir,
– fixer le montant de l’astreinte à 500 euros par nouvelle publication,
– condamner la défenderesse à lui payer la somme de 4000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, et aux dépens.

Il expose qu’après avoir exercé la profession de journaliste en tenant notamment un blog d’actualité sur l’agglomération de [Localité 4], il a été, le 1er novembre 2022, chargé de mission au service culture de la mairie de cette ville, à la demande du maire, M. [S], lequel est la cible depuis plusieurs mois d’attaques ad hominem incessantes de la part du journal la Gazette en Yvelines, édité par la société LA GAZETTE DU MANTOIS ; que ces publications se sont ensuite étendues à plusieurs collaborateurs, dont M. [E], devenu l’une des cibles récurrentes voire systématiques de ce journal ; que le 8 février 2023, un premier article était publié dans le n°331 de la Gazette, qui au-delà d’un certain nombre de propos diffamatoires, poursuivis devant le Tribunal correctionnel, contenait une photographie de M. [E] et de son bulletin de salaire du mois de janvier 2023 (en ligne et sous format papier) ; que M. [E] a déposé plainte pour détournement frauduleux ; que la photo de M. [E] a été réalisée par M. [K] [Z] le 11 janvier 2023 à l’occasion des voeux de la commune de [Localité 3] (78) auxquels M. [E] participait comme simple citoyen et non comme employé de la mairie de [Localité 4] ; que M. [E] et son épouse avaient alors interpellé les agents de police municipale présents afin que les clichés soient effacés ; que le photographe s’était engagé à effacer toute photographie du couple [E], sans toutefois tenir son engagement, ayant cédé ces cliqués à LA GAZETTE DU MANTOIS qui les publie régulièrement dans son journal papier mais également sur son site internet.

Il dénonce ainsi l’atteinte à son droit à l’image constituée par ces photos prises dans un moment privé et l’atteinte au respect de sa vie privée constituée par la publication de son bulletin de salaire, soulignant que si son nom et un certain nombre de renseignements ont été floutés, la lecture de l’article et de la description de la photographie suffit à rendre identifiable le demandeur, en précisant que des informations personnelles demeurent non floutées.

La défenderesse n’est pas représentée.

La décision a été mise en délibéré au 9 janvier 2024.

MOTIFS

Sur les demande de provision et d’interdiction

Aux termes de l’article 835 alinéa 1er du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le trouble manifestement illicite est caractérisé par toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit. Il appartient à la partie qui s’en prévaut d’en faire la démonstration avec l’évidence requise devant le juge des référés.

Aux termes de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, le Président du Tribunal judiciaire peut, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.

L’obligation non sérieusement contestable vise aussi bien les créances d’origine contractuelle, quasi contractuelle, délictuelle ou quasi délictuelle.

L’article 9 du Code civil dispose que chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.

Autrement dit, en application de ces dispositions, le demandeur est bien fondé, dès lors que l’atteinte à l’intimité de sa vie privée est caractérisée, à en solliciter la réparation ainsi qu’à solliciter la réparation des atteintes à son droit sur son image qui constitue un droit distinct.

Il est constant que le seul constat de l’atteinte au droit de chacun de s’opposer à la publication de son image, sans qu’il ait lieu de s’expliquer davantage sur la nature du préjudice qui en est résulte, ouvre droit à réparation.

Il est par ailleurs établi que le fait qu’une personne intéressant l’actualité se trouve dans un lieu public ne vaut pas renonciation au droit qu’elle a sur son image et sur sa vie privée, étant précisé que sont protégées au titre du droit au respect de la vie privée, les données professionnelles et sociales des personnes.

Or, en l’espèce, une photo de M. [E] a été publiée dans les numéros de la Gazette en Yvelines des 8 et 22 février et 13 septembre 2023, illustrant des articles de presse. Il s’agit d’une photo de M. [E] prise le 11 janvier 2023 lors d’une cérémonie de voeux à la mairie de [Localité 3].

Toutefois, il s’avère, tel que cela ressort notamment des attestations des agents de police municipale présents le 11 janvier 2023, que M. [E] et son épouse avaient expressément manifesté leur refus d’être photographiés et que des photographies soient utilisées sans leur consentement. Le photographe avait indiqué effacer toute photographie litigieuse.

L’atteinte du droit à l’image de M. [E], répétée à trois reprises, est ainsi caractérisée et justifie de condamner LA GAZETTE DU MANTOIS à verser à M. [E] la somme de 6000 euros au titre de son préjudice.

Par ailleurs, dans le numéro du 8 février 2023, est également publiée à côté de la photo de M. [E], une photo de son bulletin de salaire, dont les éléments non floutés permettent aisément de vérifier le bénéficiaire, dès lors en outre qu’il se trouve expressément cité dans l’article incriminé illustré de sa photo.

L’atteinte à l’intimité de la vie privée de M. [E] est ainsi caractérisée et justifie de condamner LA GAZETTE DU MANTOIS à lui verser la somme de 2000 euros au titre de son préjudice.

Il convient de surcroît d’interdire toute nouvelle publication par la GAZE’TTE DU MANTOIS de la photographie litigieuse de M. [E] sans son autorisation expresse à compter de la signification de la présente ordonnance, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée dans un délai de 6 mois.

Sur les frais irrépétibles et les dépens

Il y a lieu de condamner la défenderesse, partie succombante, à payer au demandeur la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

La défenderesse, qui succombe, sera condamnée aux dépens.

PAR CES MOTIFS

Nous, Gaële FRANCOIS-HARY, Première Vice-Présidente au Tribunal judiciaire de Versailles, statuant par ordonnance mise à disposition au greffe, réputée contradictoire et en premier ressort :

Condamnons la société LA GAZETTE DU MANTOIS à payer à M. [M] [E] la somme provisionnelle de 6000 euros au titre du préjudice résultant de l’atteinte à l’intimité de la vie privée,

Condamnons la société LA GAZETTE DU MANTOIS à payer à M. [M] [E] la somme provisionnelle de 2000 euros au titre du préjudice résultant de l’atteinte au droit à l’image,

Interdisons toute nouvelle publication par la GAZE’TTE DU MANTOIS de la photographie litigieuse de M. [M] [E] sans son autorisation expresse à compter de la signification de la présente l’ordonnance, et ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée dans un délai de 6 mois,

Condamnons la société LA GAZETTE DU MANTOIS à payer à M. [M] [E] la somme de 1500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Condamnons la société LA GAZETTE DU MANTOIS aux dépens.

Prononcé par mise à disposition au greffe le NEUF JANVIER DEUX MIL VINGT QUATRE par Gaële FRANÇOIS-HARY, Première Vice-Présidente, assistée de Virginie DUMINY, Greffier, lesquelles ont signé la minute de la présente décision.

Le GreffierLa Première Vice-Présidente

Virginie DUMINYGaële FRANÇOIS-HARY

 


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