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Les prestataires de solution de paiement en ligne (banques comprises) sont en droit de refuser leurs solutions aux prestataires d’hébergement de fichiers soupçonnés d’héberger des contenus contrefaisants.
La société Dstorage, entreprise active dans le secteur du commerce électronique, est confrontée, depuis 2015, à un grand nombre de refus de contracter ou de ruptures unilatérales de contrat de la part de prestataires de services de paiement. Ces refus et ruptures, qui l’ont privée d’une solution de paiement « vente à distance » (VAD) n’ont pas été considérés comme des pratiques anticoncurrentielles au sens des articles L. 420-1 et L. 420-2 du code de commerce.
Selon une étude de 2013 réalisée par le Département Recherches, Études et Veille de l’Hadopi (« Qualification et quantification des contenus présents sur des plateformes de téléchargement direct »), les fichiers hébergés par 1Fichier sont très majoritairement des vidéos (62 % en nombre de fichiers et 70 % en espace disque occupé en 2013), ou des extraits de films et des épisodes de séries ou de séries d’animation. Depuis 2014, plusieurs rapports et études officiels ou indépendants, français ou étrangers, ont mis en évidence l’hébergement, par 1Fichier, de fichiers susceptibles d’enfreindre la législation sur le droit d’auteur, notamment de fichiers « contrefaisants » au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives au délit de contrefaçon d’œuvres de l’esprit ou de logiciels (études du Digital Citizens Alliance/NetNames de septembre 2014 et de Médiamétrie/NetRatings du 1er avril 2015).
Par ailleurs, le Gouvernement américain a inclus 1Fichier dans sa « Notorious Markets List » pour 2017, qui répertorie, à l’échelle mondiale, les « marchés notoires », aussi bien matériels que dématérialisés, qui permettent à des acteurs privés d’exploiter la contrefaçon et la violation de droits d’auteurs à des fins commerciales. En particulier, parmi les hébergeurs de contenus, trois sites – tous spécialisés dans le téléchargement direct – se distinguent des autres par une audience mensuelle supérieure à un million de visiteurs uniques : Uptobox (2,55 millions), 1Fichier (2,11 millions) et Uploaded (1,01 million). Fin 2017, ils représentaient ensemble près de trois quarts de l’audience illicite totale en France.
Aux termes de sa décision, l’Autorité de la concurrence a validé les règles contractuelles des schémas quadripartites de paiement, GIE CB, Visa et Mastercard, qui s’imposent aux prestataires de services de paiement en matière de vente en ligne. Ces règles permettent aux prestataires de mettre un terme aux relations avec des hébergeurs dont les fichiers hébergés seraient illicites. Ces règles constituent bien des décisions d’associations d’entreprises au sens du droit européen de la concurrence, mais ne comportent toutefois pas d’objet anticoncurrentiel, ne tendent pas à empêcher, restreindre ou fausser le jeu de la concurrence sur le marché et ne présentent pas, a fortiori, un degré suffisant de nocivité pour être considérées comme des restrictions par objet, au regard, notamment, du degré réel de contrainte qu’elles instaurent concernant les relations des prestataires de services de paiement et de leurs clients, de leur objectif de lutte contre les téléchargements illicites et du contexte économique et juridique général.
La circonstance que plusieurs prestataires aient adopté un comportement identique de résiliations de contrat et de refus de contracter à l’égard de la société Dstorage (1Fichier) ne s’explique que par un parallélisme de comportement et non par une pratique concertée. L’Autorité a donc considéré que les pratiques d’entente dénoncées par la société Dstorage n’étaient pas appuyées d’éléments suffisamment probants. Elle a porté la même appréciation sur le grief d’abus de dépendance qui faisait aussi l’objet de la saisine, faute de preuve d’une situation de dépendance de la société Dstorage à l’égard d’un quelconque des prestataires concernés.
L’examen des règles contractuelles de fonctionnement des schémas quadripartites de paiement a mis en lumière que :
– premièrement, ces clauses n’entraînent pas ipso facto la résiliation des contrats VAD conclus entre les établissements acquéreurs et les services d’hébergement, comme Dstorage ; en effet, ce n’est qu’en l’absence de régularisation, par ces services, que la résiliation est encourue ; par leur teneur, elles laissent aux établissements un degré d’appréciation des risques non négligeable ;
– deuxièmement, elles ont pour seul objectif d’éviter que les moyens de paiement ne soient utilisés à des fins illicites, et notamment pour financer une activité d’hébergement de fichiers illégale ; leur objet n’est donc pas de porter atteinte à la concurrence, mais d’appeler l’attention des établissements acquéreurs sur l’activité potentiellement contrefaisante des commerçants avec lesquels ils concluent des contrats VAD ;
– troisièmement, elles sont justifiées par le contexte économique et juridique des services de paiement du commerce électronique, rappelé plus haut ; la période visée par la saisine correspond, en effet, à une période d’intensification, à l’échelle internationale, européenne et nationale, des obligations de vigilance des prestataires de services de paiement à l’égard de leur clientèle, tant au niveau de la lutte contre le blanchiment que concernant la lutte contre la diffusion de contenus contrefaisants, la nécessité pour les établissements acquéreurs de s’impliquer dans ce combat ayant été soulignée par plusieurs rapports et ces établissements ayant été incités par les pouvoirs publics à la mise en place d’accords volontaires.