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Face à des soupçons de contrefaçon (de Brevet), l’action en référé peut être initiée. Saisi de demandes présentées au visa de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, le juge des référés doit toutefois statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d’apprécier la vraisemblance de la validité du titre au regard des moyens soulevés en défense et d’évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l’atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d’autre, la décision ou non d’interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant.
Dès lors qu’il est exigé du juge des référés qu’il statue sur la vraisemblance d’une atteinte portée aux droits du titulaire d’un brevet, il importe peu que la contrefaçon alléguée fasse référence à une reproduction littérale des revendications ou à une reproduction par équivalent des mêmes revendications.
Seule importe que l’atteinte aux droits du titulaire du brevet soit démontrée comme vraisemblable, fût-ce par une reproduction des revendications du brevet invoqué par équivalent.
Conformément à l’article 69 §1 de la Convention de Munich précitée, l’étendue de la protection conférée par le brevet européen ou par la demande de brevet européen est déterminée par les revendications. Toutefois, la description et les dessins servent à interpréter les revendications.
La contrefaçon s’apprécie par rapport aux ressemblances et elle est réalisée lorsque les moyens essentiels constitutifs de l’invention se retrouvent dans le produit incriminé (en ce sens Cour de cassation, chambre commerciale, 20 mars 2024, n°22-22.406).
Le Tribunal a rejeté les demandes des sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare fondées sur la vraisemblance de la contrefaçon du brevet européen EP 1845961.
Pour rappel, toute personne ayant qualité pour agir en contrefaçon (de Brevet) peut saisir en référé la juridiction civile compétente afin de voir ordonner, au besoin sous astreinte, à l’encontre du prétendu contrefacteur ou des intermédiaires dont il utilise les services, toute mesure destinée à prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par le titre ou à empêcher la poursuite d’actes argués de contrefaçon.
Saisie en référé ou sur requête, la juridiction ne peut ordonner les mesures demandées que si les éléments de preuve, raisonnablement accessibles au demandeur, rendent vraisemblable qu’il est porté atteinte à ses droits ou qu’une telle atteinte est imminente.La juridiction peut interdire la poursuite des actes argués de contrefaçon, la subordonner à la constitution de garanties destinées à assurer l’indemnisation éventuelle du demandeur ou ordonner la saisie ou la remise entre les mains d’un tiers des produits soupçonnés de porter atteinte aux droits conférés par le titre, pour empêcher leur introduction ou leur circulation dans les circuits commerciaux (…)
Elle peut également accorder au demandeur une provision lorsque l’existence de son préjudice n’est pas sérieusement contestable (…).
Selon le 22ème considérant de la directive n°2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, dont les dispositions précitées réalisent la transposition en droit interne, il est également indispensable de prévoir des mesures provisoires permettant de faire cesser immédiatement l’atteinte sans attendre une décision au fond, dans le respect des droits de la défense, en veillant à la proportionnalité des mesures provisoires en fonction des spécificités de chaque cas d’espèce, et en prévoyant les garanties nécessaires pour couvrir les frais et dommages occasionnés à la partie défenderesse par une demande injustifiée.
Ces mesures sont notamment justifiées lorsque tout retard serait de nature à causer un préjudice irréparable au titulaire d’un droit de propriété intellectuelle.
Il en résulte que, saisi de demandes présentées au visa de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle, le juge des référés doit statuer sur les contestations élevées en défense, y compris lorsque celles-ci portent sur la validité du titre lui-même. Il lui appartient alors d’apprécier la vraisemblance de la validité du titre au regard des moyens soulevés en défense et d’évaluer la proportion entre les mesures sollicitées et l’atteinte alléguée par le demandeur et de prendre, au vu des risques encourus de part et d’autre, la décision ou non d’interdire la commercialisation du produit prétendument contrefaisant.
Le juge des référés a été saisi en vertu de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle pour statuer sur une affaire de contrefaçon. Il doit prendre des mesures provisoires pour prévenir une atteinte imminente aux droits conférés par un brevet, en évaluant la vraisemblance de la validité du titre et de la contrefaçon alléguée.
Le brevet EP 961 concerne un traitement de la coagulation sanguine par l’administration d’un inhibiteur du facteur Xa. Il comporte des revendications spécifiques concernant la posologie et les troubles thromboemboliques visés.
La personne du métier est définie comme une équipe de spécialistes en hémostaséologie et en angiologie. Elle est importante pour évaluer l’activité inventive du brevet.
Les parties ont argumenté sur la validité du brevet, en particulier sur l’activité inventive. Le juge des référés a conclu que la validité du brevet était vraisemblable, malgré les contestations de la société Zentiva.
Les sociétés Bayer ont allégué une contrefaçon de leurs revendications de brevet par la société Zentiva. Cependant, le juge des référés a estimé que la contrefaçon n’était pas vraisemblable, notamment en raison de la non-reproduction d’une caractéristique essentielle du brevet.
Le juge des référés a statué sur les dépens, condamnant les sociétés Bayer aux frais de l’instance. Il a également accordé une somme de 100 000 euros à la société Zentiva au titre de l’article 700 du code de procédure civile. L’exécution provisoire a été maintenue dans cette affaire.
* * *
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
28 mars 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
24/51632
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS
■
N° RG 24/51632 – N° Portalis 352J-W-B7I-C4IAN
N° : 1/MM
Assignation du :
01 Mars 2024
[1]
[1] 2 Copies exécutoires
délivrées le:
ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ
rendue le 28 mars 2024
par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint
au Tribunal judiciaire de Paris, agissant par délégation du Président du Tribunal,
Assisté de Minas MAKRIS, Faisant fonction de Greffier.
DEMANDERESSES
Société BAYER INTELLECTUAL PROPERTY GMBH
[Adresse 6]
[Localité 3] (ALLEMAGNE)
représentée par Maître Laetitia BENARD du LLP ALLEN & OVERY LLP, avocats au barreau de PARIS – #J0022
S.A.S. BAYER HEALTHCARE
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
représentée par Maître Laetitia BENARD du LLP ALLEN & OVERY LLP, avocats au barreau de PARIS – #J0022
DEFENDERESSE
S.A.S. ZENTIVA FRANCE
[Adresse 2]
[Localité 5]
représentée par Maître Jules FABRE du PARTNERSHIPS PINSENT MASONS FRANCE LLP, avocats au barreau de PARIS – #J0030
DÉBATS
A l’audience du 26 Mars 2024, tenue publiquement, présidée par Jean-Christophe GAYET, Premier Vice-Président adjoint, assisté de Clémence BREUIL, Greffier,
Nous, Président,
Après avoir entendu les conseils des parties,
Vu l’assignation en référé introductive d’instance, délivrée le 01 mars 2024, et les motifs y énoncés,
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
La société de droit allemand Bayer Intellectual Property GmbH est la filiale du groupe Bayer, chargée de la gestion des droits de propriété intellectuelle. Elle est titulaire du brevet européen EP 1845961 (EP 961) intitulé “traitement de troubles thromboemboliques avec du rivaroxaban”, issu de la demande internationale PCT WO 2006/079474 déposée le 19 janvier 2006 sous priorité de la demande de brevet européen n°1685841 du 31 janvier 2005.
La société Bayer Healthcare est la filiale française du groupe Bayer. Elle est, en particulier, en charge de la commercialisation en France des médicaments “Xarelto” qui mettent en œuvre les enseignements du brevet précité.
La société Zentiva est un groupe pharmaceutique ayant pour activité la fabrication et la commercialisation de médicaments génériques dont la société Zentiva France est la filiale française.
Les médicaments “Xarelto” ont précédemment mis en œuvre les enseignements du brevet européen EP 1261606, expiré le 11 décembre 2020 et bénéficiant d’un certificat complémentaire de protection (CCP) délivré le 14 décembre 2009 dont les effets ont été prorogés jusqu’au 2 avril 2024.
Ayant été informée que le groupe Zentiva avait développé une gamme de médicaments génériques à base de rivaroxaban, puis que la société Zentiva France a obtenu le 6 janvier 2020 une autorisation de mise sur le marché de ces médicaments, les sociétés Bayer Intellectual Property et Bayer Healthcare (ci-après les sociétés Bayer) ont mis en demeure la société Zentiva France (ci-après la société Zentiva) de s’abstenir de toute commercialisation de ces médicaments génériques qu’elles considèrent comme contrefaisant les enseignements du brevet EP 961.
Par courrier en réponse du 5 juin 2020, la société Zentiva a indiqué considérer le brevet EP 961 comme nul, mais ne prévoir aucune commercialisation de sa gamme de médicaments génériques à base de rivaroxaban avant le 3 avril 2024, date d’expiration du CCP protégeant les médicaments “Xarelto”.
Y ayant été autorisé par ordonnance du 29 février 2024, les sociétés Bayer ont fait assigner la société Zentiva à l’audience du 26 mars 2024 du juge des référés de ce tribunal, principalement en interdiction provisoire.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Se référant expressément à leurs conclusions écrites déposées à l’audience, les sociétés Bayer Intellectual Property et Bayer Healthcare demandent au juge des référés de :- déclarer la société Bayer Healthcare recevable
– dire et juger que les spécialités génériques “rivaroxaban Zentiva 10 mg, comprimé pelliculé”, “rivaroxaban Zentiva 15 mg, comprimé pelliculé”, “rivaroxaban Zentiva 20 mg, comprimé pelliculé”, “rivaroxaban Zentiva 10 mg, gélule”, “rivaroxaban Zentiva 15 mg, gélule” et “rivaroxaban Zentiva 20 mg, gélule” reproduisent les revendications du brevet européen désignant la France n°1845961 de sorte que l’imminence de contrefaçon des droits de Bayer Intellectual Property GmbH n’est pas sérieusement contestable
– interdire à la société Zentiva jusqu’au 19 janvier 2026 inclus de fabriquer, importer, exporter, transborder, offrir en vente, mettre sur le marché, utiliser et détenir aux fins précités, des compositions pharmaceutiques reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961, sous astreinte de 1000 euros par comprimé ou gélule fabriqué, importé, exporté, transbordé, offert en vente, mis sur le marché, utilisé ou détenu, quelle que soit sa forme de conditionnement, à compter de la date de signification de l’ordonnance à intervenir
– ordonner à la société Zentiva de rappeler et retirer des réseaux de distribution, y compris auprès des pharmacies, toute composition pharmaceutique fabriquée, importée, exportée, transbordée, offerte en vente, utilisée et détenue aux fins précitées, reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961, sous astreinte de 100 euros par comprimé ou gélule non rappelé ou non retiré des réseaux de distribution, à compter d’un délai de 48 heures suivant la date de signification de l’ordonnance à intervenir
– les autoriser à demander que toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961 soit remise à tout huissier de leur choix, aux seuls frais de la société Zentiva, afin d’empêcher leur introduction dans les circuits commerciaux et la poursuite d’actes de contrefaçon et par conséquent de :
> les autoriser à faire procéder par tout huissier instrumentaire de leur choix, à la saisie réelle de toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961 dans les locaux de la société Zentiva et en tous endroits dans lesquels les opérations révèleraient la présence de produits contrefaisants, afin que ces produits soient conservés sous le contrôle de l’huissier en tout lieu de stockage approprié
> autoriser l’huissier instrumentaire à se faire assister d’un officier de police ou de tout représentant de la force publique qui pourra procéder même en dehors de sa circonscription, et de tout expert de leur choix, autres que leurs subordonnés
> autoriser l’huissier instrumentaire à se faire assister par un serrurier, par un informaticien et par toute personne de son étude
> autoriser l’huissier instrumentaire à poursuivre, en cas de besoin, ses opérations au-delà de la fin du premier jour ; dans ce cas, autoriser l’huissier instrumentaire à apposer les scellés sur les produits pertinents et, d’une façon générale, à apposer tous scellés ou autres moyens dans le but de préserver, sauvegarder et conserver toute composition pharmaceutique reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961, à saisir dans les lieux de la saisie
> autoriser l’huissier instrumentaire à se faire assister par un manutentionnaire, emballeur et conducteur pour le transport des produits saisis et autoriser l’huissier instrumentaire à apporter tout moyen de transporter sur les lieux de la saisie
– ordonner à la société Zentiva sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard passé un délai de huit jours à compter de la date de signification de l’ordonnance à intervenir, à leur communiquer, tous documents ou informations détenus par la société Zentiva afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des compositions pharmaceutiques reproduisant le brevet européen désignant la France n°1845961, et notamment (i) les noms et adresses des fabricants, grossistes, importateurs et autres détenteurs de ces produits, (ii) les quantités produites, importées, commercialisées, livrées, reçues ou commandées et (iii) le prix, la marge et autres avantages obtenus pour ces produits contrefaisants, y compris le prix de vente et le prix d’achat de ces produits
– dire que le président sera compétent pour statuer, s’il y a lieu, sur la liquidation des astreintes qu’il a fixées
– débouter la société Zentiva de toutes ses demandes, fins et conclusions
– condamner la société Zentiva à leur payer 250 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens, et dire que ceux-ci pourront
être recouvrés directement par Me Laëtitia Benard, avocat, dans les conditions prévues par l’article 699 du code de procédure civile.
Se référant expressément à ses conclusions écrites déposées à l’audience, la société Zentiva France demande au juge des référés de :- dire et juger qu’il n’y a pas lieu à référé, les conditions de l’article L.615-3 du code de la propriété intellectuelle n’étant pas réunies en l’espèce
– débouter les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare de l’ensemble de leurs demandes, fins, moyens et prétentions, à titre principal, concernant l’ensemble des spécialités Rivaroxaban Zentiva ou, en tout état de cause, concernant les spécialités Rivaroxaban Zentiva 15 mg (gélule et comprimé) et les spécialités Rivaroxaban Zentiva, gélule (10 mg 15 mg et 20 mg)
– ordonner la publication de la décision à intervenir, aux frais exclusifs des sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare sous la forme d’un document de type PDF reproduisant l’entière décision et accessible par un lien hypertexte apparent situé sur la page d’accueil de leur site internet, le titre du lien étant, en version française ou anglaise, dans la langue appropriée : “Les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare SAS ont été déboutées de l’ensemble de leurs demandes d’interdiction de la spécialité Rivaroxaban Zentiva”, dans une police de taille 20 pendant au moins 6 mois, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard dans un délais de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance
– ordonner également la publication de la décision à intervenir dans cinq journaux sectoriels ou publications nationales de son choix aux frais exclusifs des sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare dans la limite de 10 000 euros HT par insertion, augmentés de la TVA en vigueur
en tout état de cause,
– dire et juger, s’il était fait droit aux mesures sollicitées au titre du droit d’information, que la communication des informations s’effectuera dans le cadre d’un cercle de confidentialité, dont Bayer Healthcare sera exclue
– dire qu’en cas de condamnation les effets de la décision cesseront automatiquement dès que (i) le tribunal judiciaire ou la cour d’appel de Paris prononcera la nullité du brevet EP 1845961 B1 ou que (ii) le tribunal judiciaire ou la cour d’appel de Paris rejettera une demande d’interdiction provisoire dans une affaire parallèle
– condamner in solidum les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare à lui verser 250 000 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile
– condamner in solidum les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare aux entiers dépens de l’instance dans les conditions de l’article 699 du code de procédure civile, dont distraction au profit de Maître Jules Fabre, Pinsent Masons LLP.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par mise à disposition au greffe, par ordonnance contradictoire et en premier ressort ,
Rejette les demandes des sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare fondée sur la vraisemblance de la contrefaçon du brevet européen EP 1845961 ;
Rejette les demandes reconventionnelles de la société Zentiva en publication de la décision ;
Condamne in solidum les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare aux dépens, avec droit pour Maître Jules Fabre, avocat au barreau de Paris, de recouvrer ceux dont il a fait l’avance sans recevoir provision ;
Condamne in solidum les sociétés Bayer Intellectual Property GmbH et Bayer Healthcare à payer 100 000 euros à la société Zentiva en application de l’article 700 du code de procédure civile.
Fait à Paris le 28 mars 2024
Le Greffier,Le Président,
Minas MAKRISJean-Christophe GAYET