La Caisse Régionale de Crédit Mutuel de Loire Atlantique et du Centre Ouest a accordé un prêt immobilier de 158 680 euros aux époux [I] le 24 avril 2002, avec un taux effectif global de 5,549 %. En avril 2022, les époux [I] ont assigné la banque pour annuler la stipulation d’intérêts et obtenir la déchéance de son droit aux intérêts. Le 10 août 2023, le tribunal a déclaré leurs demandes recevables et a condamné la banque à payer des dépens et 700 euros. Le Crédit mutuel a fait appel de cette décision. Dans ses conclusions, il a demandé l’infirmation de l’ordonnance et la déclaration d’irrecevabilité des demandes des époux [I]. Ces derniers ont, de leur côté, demandé la confirmation de l’ordonnance et des dommages-intérêts supplémentaires.
Les époux [I] soutiennent que le calcul du taux effectif global ne tenait pas compte de certains coûts, ce qui constituerait des clauses abusives. Le juge a déclaré leurs demandes recevables, mais a rappelé que les actions en annulation et en déchéance étaient soumises à des délais de prescription. Il a conclu que les époux [I] auraient dû connaître les éléments contestés dès l’acceptation de l’offre de prêt, rendant leurs actions prescrites. En revanche, leur demande de dommages-intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté de la banque a été jugée recevable, car le dommage n’était pas connu avant la fin du prêt. Finalement, chaque partie a été condamnée à supporter ses propres dépens, sans application de l’article 700 du code de procédure civile. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°299
N° RG 23/05280
N° Portalis DBVL-V-B7H-UCXL
(Réf 1ère instance : 22/02267)
CAISSE REGIONALE DE CREDIT MUTUEL DE LOIRE-ATLANTIQUE ET DU CENTRE OUEST
C/
M. [V] [I]
Mme [P] [I]
Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
– Me SIROT
– Me SAHO
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 10 SEPTEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Monsieur David JOBARD, Président de Chambre,
Assesseur : Monsieur Jean-François POTHIER, Conseiller,
Assesseur : Madame Hélène BARTHE-NARI, Conseillère,
GREFFIER :
Madame Elodie CLOATRE, lors des débats, et Mme Ludivine BABIN, lors du prononcé,
DÉBATS :
A l’audience publique du 01 Février 2024
devant Madame Hélène BARTHE-NARI, magistrat rapporteur, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 10 Septembre 2024, après prorogations, par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
****
APPELANTE :
CAISSE REGIONALE DE CREDIT MUTUEL DE LOIRE-ATLANTIQUE ET DU CENTRE OUEST
[Adresse 3]
[Localité 5]
Représentée par Me Pierre SIROT de la SELARL RACINE, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de NANTES
INTIMÉS :
Monsieur [V] [I]
né le [Date naissance 2] 1955 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Madame [P] [I]
née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 8]
[Adresse 4]
[Localité 6]
Tous deux représentés par Me Maxime SAHO, postulant, avocat au barreau de NANTES
Toux deux représentés par Me Jérémie BOULAIRE de la SELARL BOULAIRE, avocat au barreau de DOUAI
Suivant offre acceptée le 24 avril 2002, la Caisse Régionale de Crédit Mutuel de Loire Atlantique et du Centre Ouest, ci-après le Crédit mutuel, a consenti aux époux [I] un prêt immobilier d’un montant de 158 680 euros destiné à financer l’acquisition d’un bien immobilier à usage locatif. Ce prêt était assorti d’un taux effectif global annuel de 5,549 % mentionné sur l’offre de prêt.
Par exploit d’huissier du 22 avril 2022, les époux [I] ont assigné la banque devant le tribunal judiciaire de Nantes pour obtenir notamment l’annulation de la stipulation d’intérêts au contrat de prêt et la déchéance de la banque de son droit aux intérêts.
Par ordonnance du 10 août 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes a :
– déclaré les demandes de M. et Mme [I] recevables,
– condamné la banque aux entiers dépens,
– condamné la banque à verser aux consorts [I] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– renvoyé l’affaire à l’audience de mise en état écrite du 15 novembre 2023 pour les conclusions du défendeur,
– rappelé que l’exécution provisoire de la présente décision est de droit.
Par déclaration du 7 septembre 2023, le Crédit mutuel a relevé appel de ladite ordonnance.
Aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 13 décembre 2023, il demande à la cour de :
Vu les articles 1304 ancien du code civil, L110-4 du code de commerce, L132-1 du code de la consommation, 699, 700 et 789 du code de procédure civile,
– infirmer l’ordonnance du 10 août 2023 en ce qu’elle déclare les demandes des époux [I] recevables, condamne la banque aux entiers dépens et condamne la banque à payer aux époux [I] la somme de 700 euros au titre des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile ;
Et statuant à nouveau,
– déclarer irrecevables les demandes des époux [I] ayant pour objet de :
‘prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts du contrat initial souscrit par les époux [I]’,
‘prononcer la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêt n°08541331 souscrit auprès de la banque par les époux [I]’,
‘condamner la banque à payer à M. et Mme [I] somme de 50 000 euros (à parfaire) à titre de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de loyauté contractuelle’,
– condamner in solidum M. [V] [I] et Mme [P] [I] à payer à la banque une somme de 3 000 euros en application de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamner in solidum M. [V] [I] et Mme [P] [I] aux dépens.
Selon leurs dernières conclusions signifiées le 23 novembre 2021, les époux [I] demandent à la cour de :
Vu les articles 2224 et 2232 et suivants du code civil,
– confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle a déclaré les demandes de M. et Mme [I] recevables, condamné la banque aux entiers dépens et condamné la banque à verser aux consorts [I] la somme de 700 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
– condamner la banque à payer aux époux [I] la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– rejeter toutes demandes et prétentions contraires de la banque,
– condamner la banque aux entiers dépens de l’instance.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure ainsi que des prétentions et moyens des parties, la cour se réfère aux énonciations de la décision ainsi qu’aux dernières conclusions précitées, l’ordonnance de clôture ayant été rendue le 11 janvier 2024.
EXPOSE DES MOTIFS :
M. et Mme [I] ont assigné le Crédit mutuel aux fins notamment de voir prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts du contrat initial et en tout état de cause la déchéance totale du droit aux intérêts conventionnels du prêt Modulimmo n°08541331 qu’ils ont souscrit auprès de la banque et également obtenir sa condamnation au paiement de la somme de 50 000 euros à titre de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de loyauté contractuelle.
Ils soutiennent en effet que le coût des garanties et le coût de la période de préfinancement n’ont pas été intégrés par la banque dans le calcul du taux effectif global et que le contrat de prêt ne mentionne pas l’existence d’une phase de différé d’amortissement de 12 mois qui ressort du seul tableau d’amortissement. Ils reprochent au Crédit mutuel d’avoir fait application de deux clauses du contrat pour calculer le taux effectif global qu’ils analysent comme des clauses abusives. Enfin, ils font valoir que la banque a manqué à son obligation de loyauté ne les renseignant pas sur les conditions financières du prêt, notamment en ne leur indiquant pas que le prêt présentait une phase de différé de douze mois, majorant ainsi le montant des intérêts.
Saisi par conclusions d’incidents du Crédit mutuel d’une fin de non recevoir tirée de la prescription des actions en annulation et en déchéance et l’irrecevabilité des demandes des époux [I], le juge de la mise en état a déclaré les demandes d’annulation de la stipulation d’intérêts et subsidiairement de déchéance du droit aux intérêts formées par les époux [I] recevables. Il a considéré qu’ils fondaient leurs demandes sur le caractère abusif des clauses relatives au taux effectif global mentionné par le Crédit mutuel dans l’offre de prêt, et que la demande tendant à voir une clause abusive réputée non écrite n’était pas soumise à prescription puisqu’elle ne s’analyse pas en une demande d’annulation.
Il sera rappelé cependant d’une part, qu’en application de l’article 1304 du code civil dans sa rédaction applicable à la cause, l’action de l’emprunteur en nullité de la stipulation d’intérêts se prescrit par cinq ans commençant à courir à compter de la découverte du vice et d’autre part, qu’en application de l’article L. 110-4 du code de commerce, l’action en déchéance du droit du prêteur aux intérêts se prescrit quant à elle par dix ans, ramenés à cinq ans par la loi du 17 juin 2008, à compter du jour où l’emprunteur a connu ou aurait dû connaître l’inexactitude du taux effectif global.
En l’occurrence, si M. et Mme [I] font valoir que les clauses de calcul du taux effectif global insérées au contrat qui auraient permis au Crédit mutuel de ne pas intégrer le coût des garanties et le coût de la période de préfinancement dans ce calcul sont abusives, leur action tend à faire prononcer la nullité de la stipulation d’intérêts ou la déchéance de la banque de son droit aux intérêts conventionnels. En effet, aucune demande tendant à voir réputer non écrites les clauses litigieuses n’est faite par les époux [I] qui demandent à ce que soit constaté que l’offre de prêt renferme des clauses abusives, que la liquidation du coût provisionnel du crédit procède de clauses abusives et d’en écarter l’application pour aboutir au prononcé de l’annulation de la stipulation d’intérêt ou de la déchéance de la banque de son droit aux intérêts.
Il en résulte que, quel que soit le fondement invoqué par les époux [I], leurs demandes d’annulation de la stipulation d’intérêts et de déchéance du Crédit mutuel de son droit aux intérêts sont soumises à une prescription dont le point de départ est la date de conclusion du contrat lorsque l’inexactitude du taux effectif global était décelable à la simple lecture de l’acte.
En conséquence, il importe peu que l’action tendant à faire constater le caractère abusif des clauses invoquées soit imprescriptible puisque le caractère abusif de ces clauses ne peut être examiné si l’action en annulation de la stipulation d’intérêts et l’action en déchéance du droit aux intérêts conventionnels de M. et Mme [I] sont prescrites.
Or, l’offre de prêt mentionne des frais de dossier pour 500 euros et des frais concernant les charges liées aux garanties pour 2 725 euros, en précisant que ceux-ci ne sont donnés qu’à titre indicatif et ne sont pas intégrés dans le taux effectif global ni dans le coût total du crédit. M. et Mme [I] étaient donc en mesure de s’apercevoir à la lecture de l’offre de prêt que le calcul du taux effectif global ne prenait pas en compte les frais de garanties.
S’agissant de la prise en compte du coût de la période de préfinancement, il résulte clairement de l’offre de prêt et de la clause critiquée que ce coût n’entre pas dans le calcul du taux effectif global.
Il s’en déduit que dès l’acceptation de l’offre de prêt, les emprunteurs étaient en mesure de savoir que le calcul du taux effectif global mentionné n’incluait pas les frais de garantie ni le coût de la période de préfinancement. Ils avaient donc jusqu’au 12 avril 2007 pour demander l’annulation de la stipulation d’intérêts et jusqu’au 19 juin 2013 pour solliciter la déchéance de la banque de son droit aux intérêts. En conséquence, ces deux actions étaient prescrites au 22 avril 2022, date de la délivrance de l’assignation.
L’ordonnance en date du 10 août 2023 sera infirmée et les demandes de M. et Mme [I] tendant à voir prononcer l’annulation de la stipulation d’intérêts du contrat initial et en tout état de cause la déchéance du Crédit mutuel de son droit aux intérêts conventionnels déclarées irrecevables. Les demandes relatives au caractère abusif des clauses du contrat de prêt sont donc sans objet.
S’agissant de la demande en dommages-intérêts fondée sur le manquement de la banque à son obligation de loyauté, celle-ci se prescrit également par cinq ans à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle ce dommage s’est révélé à la victime si elle n’en pas eu connaissance avant.
Les époux [I] ont rappelé dans leur assignation que le prêt a été souscrit dans le cadre d’un programme de défiscalisation immobilière devant leur permettre des économies d’impôts sans présenter de risque et aboutir à une plus-value au moment de la revente du bien immobilier acquis grâce au prêt, ce qui n’est pas contesté par la banque. Ils soutiennent que le coût du crédit a été artificiellement minoré par le Crédit mutuel de sorte qu’ils auraient en fait subi une perte financière importante.
L’offre de prêt mentionne comme objet du financement l’achat neuf non terminé d’une résidence locative à [Localité 7] et porte sur un crédit de 240 mois avec un taux révisable. Il s’ensuit que les époux [I] ne pouvaient connaître leur dommage qu’à l’issue du prêt, une fois remboursées toutes les échéances. Cette action indemnitaire n’était donc pas prescrite au moment de la délivrance de l’assignation le 22 avril 2022. Leur demande est donc recevable.
Compte tenu des circonstances de l’espèce, chaque partie supportera la charge de ses propres dépens. Il n’y a pas lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au bénéfice de quiconque en première instance comme en appel.
Infirme partiellement l’ordonnance rendue le 10 août 2023 par le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Nantes,
Statuant à nouveau sur l’incident :
Déclare irrecevables les demandes en annulation de la stipulation d’intérêts du contrat initial de prêt Modulimmo en date du 12 avril 2002 et en déchéance du prêteur de son droit aux intérêts conventionnels formées par M. [V] [I] et son épouse Mme [P] [I],
Constate que les demandes tendant à voir constater que l’offre de prêt émise par la Caisse régionale de crédit mutuel de Loire-Atlantique et du Centre Ouest renferme deux clauses ayant pour objet d’exclure de l’assiette du coût total prévisionnel du crédit le coût du préfinancement et celui des garanties et d’autre part que la liquidation du coût total prévisionnel du crédit procède de clauses abusives et à les écarter sont devenues sans objet,
Déclare recevable la demande en dommages-intérêts formée par M. et Mme [I] à hauteur de 50 000 euros,
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile au titre de l’incident en première instance comme en appel,
Dit que chaque partie supportera ses propres dépens au titre de l’incident.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT