Réévaluation du loyer commercial : enjeux de la valeur locative et nécessité d’une expertise judiciaire

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Réévaluation du loyer commercial : enjeux de la valeur locative et nécessité d’une expertise judiciaire
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FAITS

La société Laguillon a donné à bail commercial à la société Locadour un local à usage de dépôt commercial et industriel le 12 janvier 1971. Ce bail a été renouvelé plusieurs fois, le dernier renouvellement étant effectif depuis le 1er mars 2008 avec un loyer annuel de 13.636,20 euros, fixé par décision judiciaire. À l’échéance du bail, celui-ci a été tacitement reconduit.

PROCEDURE

Le 26 mai 2021, la société Laguillon a donné congé avec une offre de renouvellement à compter du 1er janvier 2022, avec un loyer déplafonné de 38.000 euros. La société Locadour a accepté le principe du renouvellement tout en contestant le montant du loyer. En réponse, Laguillon a assigné Locadour devant le juge des loyers commerciaux pour fixer le prix du bail renouvelé. Le jugement du 11 mai 2023 a fixé le loyer à 24.000 euros, hors charges et taxes, et a été contesté par Laguillon en appel le 3 juillet 2023.

PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Laguillon et JDSA 64, nouveau propriétaire des locaux, ont demandé à la cour d’infirmer le jugement et de fixer le loyer à 38.400 euros, tout en réclamant des arriérés de loyers. Locadour, de son côté, a demandé la confirmation du jugement initial et a réclamé une indemnité sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile. La cour a décidé de procéder à une expertise judiciaire pour déterminer la valeur locative des locaux au 1er janvier 2022, tout en fixant provisoirement le loyer à 24.000 euros.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

28 octobre 2024
Cour d’appel de Pau
RG n°
23/01865
PhD/ND

Numéro 24/3278

COUR D’APPEL DE PAU

2ème CH – Section 1

ARRET DU 28/10/2024

Dossier : N° RG 23/01865 – N° Portalis DBVV-V-B7H-ISLJ

Nature affaire :

Demande de fixation du prix du bail révisé ou renouvelé

Affaire :

S.A.R.L. LAGUILLON

C/

S.A.S. JDSA 64

S.A.S. SOCIETE DE LOCATION DE MATERIEL POUR LA REGION DE L’ADOUR

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour le 28 octobre 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l’audience publique tenue le 09 Septembre 2024, devant :

Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l’appel des causes,

Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d’opposition a tenu l’audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Laurence BAYLAUCQ et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l’affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.R.L. LAGUILLON

immatriculée au RCS de Bayonne, sous le n° 572 722 825, prise en la personne de son représentant légal

[Adresse 9]

[Adresse 9]

[Localité 4]

Représentée par Me Arnaud SABIN de la SELARL PYRENEES AVOCATS, avocat au barreau de Pau

INTIMEES :

S.A.S. JDSA 64

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 950 821 025, prise en la perosnne de son représentant légal

partie intervenante volontaire

[Adresse 2]

[Localité 6]

Représentée par Me Arnaud SABIN de la SELARL PYRENEES AVOCATS, avocat au barreau de Pau

S.A.S. SOCIETE DE LOCATION DE MATERIEL POUR LA REGION DE L’ADOUR (Locadour)

immatriculée au RCS de Mont-de-Marsan sous le n° 896.750.262, prise en la personne de son représentant légal demeurant es qualité au siège

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentée par Me Fabienne BARNECHE de la SELARL FABIENNE BARNECHE, avocat au barreau de Pau

Assistée de Me Benoit DARRIGADE, avocat au barreau de Bordeaux

sur appel de la décision

en date du 11 MAI 2023

rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BAYONNE

RG : 22/1258

FAITS – PROCEDURE – PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

Par acte sous seing privé du 12 janvier 1971, la société Laguillon (sarl) a donné à bail commercial à la société de location de matériel pour la région de l’Adour (sas) un local à usage de dépôt commercial et industriel, [Adresse 10] à [Localité 8].

Le bail a fait l’objet de plusieurs renouvellements, le dernier à compter du 1er mars 2008 moyennant loyer annuel plafonné d’un montant de 13.636,20 euros, en vertu d’une décision judiciaire ayant rejeté la demande de déplafonnement de la bailleresse.

A son échéant, le bail a été tacitement reconduit.

Par acte d’huissier du 26 mai 2021, la société Laguillon a donné congé avec offre de renouvellement au 1er janvier 2022 moyennant un loyer annuel déplafonné de 38.000 euros.

Le 21 juin 2021, la société Locadour a accepté le principe du renouvellement mais en contestant le montant du loyer réclamé par le bailleur.

Suivant exploit du 19 juillet 2022, la société Laguillon a fait assigner la société Locadour par devant le juge des loyers commerciaux du tribunal judiciaire de Bayonne en fixation du prix du bail renouvelé.

Par jugement contradictoire du 11 mai 2023, le juge des loyers commerciaux a :

– fixé à la somme de 24.000 euros, hors charges et hors taxes, le loyer du bail commercial renouvelé liant les parties

– dit que le loyer fixé est exigible depuis le 1er janvier 2022

– débouté les parties du surplus de leurs prétentions

– dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du code de procédure civile

– dit qu’il sera fait masse des dépens et que leur charge sera répartie par moitié entre les parties.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 3 juillet 2023, la société Laguillon a relevé appel de ce jugement.

Le 17 mai 2024, la société JDSA 64 est intervenue volontairement à l’instance en sa qualité de nouveau propriétaire des locaux loués en vertu d’un acte de vente notarié en date du 14 mars 2024.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 12 juin 2024.

A l’ouverture des débats, et par mention au dossier, la cour a révoqué l’ordonnance de clôture et fixé la clôture au 9 septembre 2024, à la demande de l’appelant et avec l’accord de l’intimé qui a indiqué ne pas vouloir répliquer aux dernières conclusions de l’appelante et de l’intervenante volontaire admises aux débats.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 27 juin 2024 par la société Laguillon et la société JDSA 64 qui ont demandé à la cour d’infirmer le jugement entrepris, et, statuant à nouveau, de :

– juger que le loyer du bail renouvelé entre les parties à effet au 1er janvier 2022 doit être déplafonné

– fixer à la somme annuelle de 38.400 euros HT le loyer renouvelé aux mêmes conditions et charges que le bail échu

– assortir tout rappel de loyer qui pourrait être dû des intérêts au taux légal à compter du 1er janvier 2022

– ordonner la capitalisation des intérêts dus pour plus d’une année entière.

Au regard de la cession intervenue le 14 mars 2024 :

– condamner la société Locadour à payer à la société Laguillon les arriérés de loyers dus pour la période courant du 1er janvier 2022 au 14 mars 2024

– condamner la société Locadour à payer à la société JDSA 64 les arriérés de loyers dus pour la période postérieure au 14 mars 2024.

A titre subsidiaire :

– nommer tel expert qu’il plaira à la cour dans les conditions de l’article R145-30 du code de commerce

– fixer provisoirement le loyer annuel à la somme de 24.000 euros HT dans l’attente de l’arrêt à intervenir.

En tout état de cause, débouter la société Locadour de ses demandes et la condamner aux dépens.

*

Vu les dernières conclusions notifiées 11 juin 2024 par la société Locadour qui a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris et, reconventionnellement, y ajoutant, de juger que le nouveau bail sera établi conformément aux prescriptions issues du décret n°2014-1317 du 3 novembre 2014 et de condamner l’appelante et l’intervenante volontaire à lui payer une indemnité de 3.500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

MOTIFS

En liminaire, il convient de prendre acte de l’intervention volontaire de la société JDSA 64 qui est devenue propriétaire des locaux loués dont elle a fait l’acquisition en vertu d’un acte de vente notarié en date du 14 mars 2024.

Il est constant que le prix du bail renouvelé à compter du 1er janvier 2022 doit correspondre à la valeur locative, le déplafonnement étant acquis en raison de la durée du bail expiré supérieure à 12 ans.

Pour fixer le prix du bail renouvelé à la somme annuelle de 24.000 euros, hors taxes et hors charges, le jugement, après avoir relevé l’absence de « modification notable » des caractéristiques des locaux ainsi que l’absence de modification matérielle notable des facteurs locaux commercialité, s’est fondé sur le rapport d’expertise unilatérale du cabinet D&T du 4 octobre 2021 commandé par la société Locadour.

Ces motifs encourent plusieurs critiques.

En premier lieu, ils apparaissent équivoques en ce qu’ils relèvent, d’une part, l’absence de « modification notable » des caractéristiques des locaux et des facteurs locaux de commercialité, cette circonstance concernant la question du déplafonnement, et, d’autre part, l’absence de « modification matérielle » des mêmes facteurs locaux de commercialité, cette circonstance concernant la question de la révision triennale du loyer, alors que la valeur locative est déterminée seulement d’après les critères énoncés à l’article L. 145-33 du code de commerce, ce qui n’exclut pas d’analyser leur évolution au cours du bail expiré.

Ensuite, il résulte du principe du contradictoire que, hormis les cas où la loi en dispose autrement, le juge ne peut se fonder exclusivement sur une expertise non judiciaire réalisée à la demande de l’une des parties.

En l’espèce, le jugement, après avoir écarté les avis de valeur produits par la bailleresse, a fixé le prix du bail renouvelé en se fondant exclusivement sur le rapport d’expertise non judiciaire commandé par la locataire et qui n’était pas corroboré par un autre élément de preuve.

A hauteur d’appel, l’appelante a produit de nouveaux avis de professionnels concluant à une valeur locative très supérieure à celle fixée par le jugement.

L’intimée n’a produit aucun élément de preuve complémentaire de nature à étayer le rapport retenu par le jugement entrepris.

En outre, ce rapport unilatéral propose une valeur locative très inférieure à celle qui avait été proposée dans le rapport d’expertise judiciaire du 31 mai 2012 qui avait été déposé dans l’instance en fixation du prix du bail renouvelé le 1er mars 2008 qui n’a pas donné lieu à une décision sur la valeur locative des locaux loués mais seulement au rejet de la demande de déplafonnement formée par le bailleur.

Il s’ensuit que, en l’état des débats nourris d’éléments de preuves partiaux et contraires entre eux, il est indispensable de recourir, avant-dire droit, à une mesure d’expertise judiciaire sur la valeur locative des locaux loués au 1er janvier 2022, conformément aux dispositions de l’article R. 145-30 du code de commerce, aux frais avancés de la société Laguillon.

En application de l’article L. 145-57 du code de procédure civile, il convient de fixer, à titre provisionnel, le prix du bail renouvelé à la somme de 24.000 euros hors taxes et hors charges.

Il sera sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

PREND acte de l’intervention volontaire de la société JDSA 64,

ORDONNE, avant-dire droit, sur le prix du bail renouvelé, une expertise et commet pour y procéder M. [U] [V], expert près la cour d’appel de Pau, domicilié [Adresse 7] [Localité 5]

avec pour mission de :

visiter les lieux, objet du bail, les décrire et en préciser les caractéristiques

rechercher la valeur locative des locaux loués au 1er janvier 2022 d’après les critères énoncés à l’article L. 145-33 du code de commerce

relever les prix couramment pratiqués dans le voisinage pour des locaux équivalents (en étendant si besoin est les recherches à un secteur géographique élargi), en indiquant pour chaque élément de comparaison cité, s’il s’agit d’un prix correspondant à la valeur locative ou à un déplafonnement, en cas de décision judiciaire, ou s’il s’agit d’un bail nouveau et, dans ce cas, préciser s’il y a eu un droit d’entrée

recueillir tous éléments et faire application de toute méthode de calcul permettant de déterminer la valeur locative des lieux loués, eu égard aux dispositions des articles L. 145-33 et suivants et R. 145-3 et suivants du code de commerce

DIT qu’à la fin de ses opérations, l’expert organisera une réunion de clôture au cours de laquelle il informera les parties du résultat de ses investigations et recueillera leurs ultimes observations, le tout devant être consigné dans son rapport d’expertise,

DIT que l’expert devra adresser aux parties, au moins un mois avant le dépôt du rapport définitif, un pré-rapport détaillé en invitant les parties à lui faire part de leurs observations auxquelles il devra répondre,

DIT que l’expert devra déposer son rapport dans un délai de quatre mois à compter de sa saisine,

FIXE à la somme de 5.000 euros le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l’expert que la société Laguillon devra consigner auprès du régisseur d’avances et de recettes de la cour d’appel de Pau, dans les 30 jours du prononcé du présent arrêt,

RAPPELLE qu’à défaut de consignation dans le délai, la désignation de l’expert sera caduque à moins que le juge, à la demande d’une partie se prévalant d’un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de caducité,

DIT que le dépôt par l’expert de son rapport sera accompagné de sa demande de rémunération, dont il adressera un exemplaire aux parties par tout moyen permettant d’en établir la réception. S’il y a lieu, celles-ci adressent à l’expert et à la juridiction ou, le cas échéant, au juge chargé de contrôler les mesures d’instruction, leurs observations écrites sur cette demande dans un délai de quinze jours à compter de sa réception,

DIT que les opérations d’expertise se dérouleront sous le contrôle du conseiller de la 2eme chambre civile section 1 de la cour chargé du contrôle des mesures d’instruction,

FIXE à titre provisionnel la valeur locative des locaux à la somme annuelle de 24.000 euros hors taxes et hors charges, à compter du 1er janvier 2022,

SURSEOIT à statuer sur les demandes des parties,

RENVOIE l’affaire à l’audience de mise en état du 09 avril 2025,

RESERVE les dépens.

Le présent arrêt a été signé par Monsier Philippe DARRACQ, conseiller, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l’article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière La Présidente


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