En cas de responsabilité engagée du comptable d’une société, si le paiement d’un impôt légalement dû ne constitue pas un préjudice indemnisable, les intérêts de retard et majorations mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituent un préjudice réparable dont l’évaluation commande de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il est redevable (Com., 27 janvier 2021, n°18-11.190).
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Sommaire → Résumé de l’affaireMadame [T], ancienne gérante et unique associée de l’Eurl Conseil Immobilier Castanet, a confié la gestion de ses comptes annuels à la Sarl Seccas et à [U] [Z]. Suite à une vérification de comptabilité, des irrégularités ont été constatées, entraînant un redressement fiscal et la liquidation judiciaire de la société. Madame [T] a assigné la Sarl Seccas, [U] [Z] et la société d’assurance MMA en justice pour obtenir réparation de son préjudice financier et moral. Le tribunal a condamné la société Seccas, [U] [Z] et la société MMA à verser une somme à Madame [T]. Un appel a été interjeté pour contester le montant des indemnisations accordées.
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→ Les points essentielsSur la faute alléguée à l’encontre de la Sarl Seccas et de [U] [Z] et sur la mission qui a été confiée :La responsabilité d’un expert comptable ne peut être engagée qu’en établissant qu’il a commis une faute dans l’accomplissement de la mission qui lui avait été confiée par son client. Dans cette affaire, la Sarl Seccas et [U] [Z] sont accusés de doublons dans les enregistrements de charges et d’omissions dans les déclarations de TVA. Sur la demande d’indemnisation des conséquences du redressement fiscal :La demande d’indemnisation des conséquences du redressement fiscal a été rejetée par le tribunal, considérant que le rappel de l’impôt dû ne constituait pas un préjudice indemnisable. La Cour a confirmé cette décision, soulignant que les intérêts de retard et les majorations constituaient un préjudice réparable. Sur la demande d’indemnisation de la perte de valeur de la société :La demande d’indemnisation de la perte de valeur de l’entreprise a également été rejetée, le tribunal estimant qu’aucune perte de chance n’était caractérisée. La Cour a confirmé cette décision, ne trouvant pas de preuve d’une perte de chance réelle et sérieuse. Sur la demande d’indemnisation du préjudice moral :La demande d’indemnisation du préjudice moral a été partiellement accordée, le tribunal fixant le montant à 2 500 euros. La Cour a confirmé cette décision, considérant que le préjudice moral subi par [G] [T] était en partie lié à la confiance trahie par la Sarl Seccas et [U] [Z]. Sur les demandes annexes :La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances ont été condamnées à verser à [G] [T] des sommes au titre des frais irrépétibles de première instance et d’appel. Les montants alloués dans cette affaire:
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→ Réglementation applicable– Code général des impôts : article 109 1. 1°
– Code général des impôts : article 1728 – Code de procédure civile : article 700 Texte de l’article 109 1. 1° du Code général des impôts : « Sont considérés comme des revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital. » Texte de l’article 1728 du Code général des impôts : non spécifié dans le texte fourni. Texte de l’article 700 du Code de procédure civile : non spécifié dans le texte fourni. |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Jacques SAMUEL, avocat au barreau de TOULOUSE
– Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE – Maître HOAREAU de la SELAS EGIDE – Maître [V] (mandataire judiciaire) |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°70
N° RG 21/04801 – N° Portalis DBVI-V-B7F-OP7V
VS/CD
Décision déférée du 25 Octobre 2021 – TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de TOULOUSE – 19/03148
M. GUICHARD
[G] [T]
C/
[U] [Z]
Compagnie d’assurance MUTUELLES DU MANS IARD ASSURANCES MUTUELLES
S.A.R.L. SECCAS
S.E.L.A.S. EGIDE
INFIRMATION
Grosse délivrée
le
à
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
***
COUR D’APPEL DE TOULOUSE
2ème chambre
***
ARRÊT DU VINGT SEPT FEVRIER DEUX MILLE VINGT QUATRE
***
APPELANTE
Madame [G] [T]
[Adresse 7]
[Localité 4]
Représentée par Me Jacques SAMUEL, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMES
Monsieur [U] [Z]
[Adresse 6]
[Localité 4]
Non représenté
Compagnie d’assurance MUTUELLES DU MANS IARD ASSURANCES MUTUELLES
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège.
[Adresse 1]
[Localité 8]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE
S.A.R.L. SECCAS
représentée par Maître HOAREAU de la SELAS EGIDE par décision du tribunal de commerce de Toulouse en date du 8 juillet 2021
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE
S.E.L.A.S. EGIDE Pris en la personne de Maître [V] agissant en qualité de mandataire judiciaire de la SARL SECCAS ( société d’expertise comptable castaneenne) désigné à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 8 juillet 2021.
Mandataire Judiciaire
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Me Bernard DE LAMY, avocat au barreau de TOULOUSE
COMPOSITION DE LA COUR
En application des dispositions des articles 805 et 907 du Code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 13 Juin 2023, en audience publique, les avocats ne s’y étant pas opposés, V. SALMERON, Présidente, chargée du rapport et N. NORGUET, Conseillère.Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :
V. SALMERON, présidente
M. NORGUET, conseillère
I. MARTIN DE LA MOUTTE, conseillère
Greffier, lors des débats : A. CAVAN
ARRET :
– DEFAUT
– prononcé publiquement par mise à disposition au greffe après avis aux parties
– signé par V. SALMERON, présidente, et par A. CAVAN, greffier de chambre.
[G] [T] est l’ancienne gérante et unique associée de l’Eurl Conseil Immobilier Castanet, immatriculée au RCS de Toulouse sous le numéro 498 268 853 le 12 juin 2007 dont l’activité était celle d’agence immobilière spécialisée en transactions immobilières.
Madame [T] dit avoir confié, dès la création de la société, à la Sarl Seccas, et, en son sein, à [U] [Z], une mission de présentation de ses comptes annuels avec pour objectif d’établir le bilan annuel et la liasse fiscale correspondante.
À compter du 25 juin 2016, Madame [T] a abandonné la gérance de la société qui a été reprise par Monsieur [Z].
Le 5 septembre 2017, l’administration fiscale a engagé une vérification de comptabilité de l’Eurl Conseil Immobilier Castanet sur la période du 2 octobre 2017 au 22 novembre 2017 et étendue à la période antérieure dès 2013.
Cette vérification a permis de constater de très nombreuses irrégularités comptables et pour la période du 1er avril 2013 au 31 mars 2017, l’Administration Fiscale lui a notifié un redressement en raison d’une présentation infidèle des comptes sociaux provenant de la dissimulation de certaines recettes et d’une augmentation artificielle des charges.
En conséquence, l’Eurl Conseil Immobilier Castanet s’est vu notifier un rehaussement de TVA qui a eu pour conséquence un rehaussement d’Impôt sur les sociétés.
Dans l’incapacité d’acquitter sa dette auprès de l’Administration Fiscale, l’Eurl Conseil Immobilier Castanet déclarait son état de cessation de paiement le 19 septembre 2019.
Par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 1er octobre 2019, la société était mise en liquidation judiciaire simplifiée, sa date de cessation de paiement arrêtée au 11 septembre 2019, et la Selarl Benoit désignée en qualité de liquidateur judiciaire.
Par acte d’huissier de justice du 30 septembre 2019, [G] [T] a fait assigner la Sarl Seccas, [U] [Z] et la société d’assurance MMA Iard Assurances Mutuelles pour qu’ils l’indemnisent du préjudice subi du fait des irrégularités comptables se déclinant comme suit :
52.313 € au titre du redressement fiscal,
77.208,80 € au titre de la perte de la valeur de son entreprise ;
15.000 € en réparation de son préjudice moral.
En cours de procédure, la société Seccas a été placée en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 16 juillet 2021. La société Egide, désignée en qualité de mandataire au redressement judiciaire de la société Seccas, est intervenue volontairement aux débats.
Par jugement du 25 octobre 2021, le tribunal judiciaire de Toulouse :
a donné acte à la société Egide de son intervention volontaire,
a dit que la société Seccas et Monsieur [Z] ont engagé leur responsabilité en commettant des fautes,
les a condamnés solidairement ainsi que la société MMA avec la société Seccas à payer à Madame [T] la somme de 2 500 euros,
les a condamné solidairement aux dépens et à payer la somme de 2 500 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Par déclaration en date du 3 décembre 2021, [G] [T] a relevé appel du jugement. La portée de l’appel est l’infirmation des chefs du jugement qui ont :
débouté [G] [T] de ses demandes indemnitaires en réparation de ses préjudices découlant du redressement fiscal (52.313 euros) et de la perte de la valeur de son entreprise (77.208,80 euros)
fixé le quantum de la condamnation prononcée à l’encontre des sociétés Seccas, Egide, Mma et de Monsieur [Z] au titre du préjudice moral à la somme de 2.500 euros, sur une demande de 15.000 euros,
fixé le quantum de la condamnation au titre de l’article 700 à la somme de 2.500 euros sur une demande de 5.000 euros,
omis d’ordonner la fixation de ces sommes au passif de la Sarl Seccas.
La clôture a eu lieu le 15 mai 2023.
Prétentions et moyens des parties :
Vu les conclusions d’appelant notifiées le 17 février 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de Madame [G] [T] demandant, au visa des articles 1231-1 et 1240 du Code civil, de :
– réformer le jugement entrepris en ce qu’il a débouté [G] [T] de ses demandes indemnitaires en réparation de ses préjudices découlant du redressement fiscal (52.313 euros) et de la perte de la valeur de son entreprise (77.208,80 euros) et a limité l’indemnisation du préjudice moral ;
– condamner in solidum [U] [Z], la Sarl Seccas et la Compagnie Mma à verser à [G] [T] :
la somme de 52.313 € en réparation de son préjudice découlant du redressement fiscal,
la somme de 77.208,80 € en réparation de son préjudice économique résultant de la perte de la valeur de son entreprise,
– la somme de 15.000 € en réparation de son préjudice moral,
– ordonner la fixation de ces sommes au passif de la Sarl Seccas,
– les condamner, sous la même solidarité, à lui verser la somme de 5.000 euros pour les frais exposés en première instance et 5.000 € pour ceux exposés en appel sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu’à supporter les dépens de l’instance,
Vu les conclusions d’intimé notifiées le 4 mai 2022 auxquelles il est fait expressément référence pour l’énoncé du détail de l’argumentation, de la Seccas Sarl, de la Selas Egide,es qualites, de la Cie des Mutuelles du Mans Assurances Iard, demandant de :
dire et juger l’appel de Madame [T] mal fondé,
la débouter de toutes ses prétentions formées devant la Cour,
infirmer le jugement en ce qu’il a retenu une faute à l’encontre de la société Seccas,
infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Seccas, in solidum avec Monsieur [Z], à payer à Madame [T] 2.500 euros à titre de préjudice moral,
infirmer le jugement en ce qu’il a condamné la société Seccas, in solidum avec Monsieur [Z], à payer à Madame [T] 2.500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
prononcer la mise hors de cause de la Sarl Seccas et par voie de conséquence des Mutuelles du Mans Assurances Iard et de la société Egide es qualité de Mandataire Liquidateur de la société Seccas,
condamner Madame [T] aux entiers dépens d’instance et d’appel et ce avec distraction au profit de Maître [U] De Lamy conformément aux dispositions de l’article 699 du code de procédure civile.
[U] [Z] auquel a été signifié par dépôt étude :
– la déclaration d’appel le 26 janvier 2022,
– les conclusions de l’appelante le 22 février 2022,
– les conclusions des intimés le 6 mai 2022,
n’a pas constitué avocat et n’a pas conclu.
à titre liminaire, la cour constate que [G] [T] a déclaré sa créance au passif de la société Seccas le 2 septembre 2021 (pièce 24).
– sur la faute alléguée à l’encontre de la Sarl Seccas et de [U] [Z] et sur la mission qui a été confiée :
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances Iard sollicitent l’infirmation du jugement en ce qu’il a dit que la Société Seccas était en charge de la comptabilité de l’Eurl Conseil Immobilier Castanet et a retenu une faute à son encontre eu égard aux doublons dans les enregistrements de charges et aux omissions dans les déclarations de TVA.
La responsabilité d’un expert comptable ne peut être engagée qu’en établissant qu’il a commis une faute dans l’accomplissement de la mission qui lui avait été confiée par son client, que ce dernier a subi un préjudice indemnisable et qu’il existe un lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué.
Dès lors, il appartient en l’espèce à [G] [T] de prouver la faute alléguée.
[G] [T] soutient que les opérations de vérification de comptabilité ont été conduites dans les locaux du cabinet Seccas et qu’elle ne renseignait rien et n’enregistrait aucune écriture dans un quelconque logiciel comptable. Elle précise que la Sarl Seccas avait la charge du dépôt des comptes annuels au greffe du tribunal de commerce. [G] [T] indique que la mission confiée dépassait très largement celle de la saisie mensuelle des écritures comptables. Elle précise que la Sarl Seccas avait également la charge, chaque mois et sur la base des factures produites par ses soins, de procéder aux déclarations de Tva auprès du service des impôts. Elle considère que la Sarl Seccas était en mesure de connaître le montant des recettes et charges mensuelles qu’elle ne pouvait faussement reporter dans les grands livres. Elle en conclut qu’il ne peut lui être reproché d’être à l’origine des manquements dans la saisie des écritures alors que de tels manquements ont également été relevés sur l’exercice 2016-2017, période au cours de laquelle l’expert-comptable, [U] [Z], était gérant de sa société, alors qu’elle avait démissionné pour des problèmes de santé.
La Sarl Seccas, la Selas Egide,es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances soutiennent que la société Seccas était seulement en charge d’une mission de présentation des comptes annuels, mission s’accomplissant a posteriori, une fois l’an, à l’issue de l’exercice social, pour établir, sur la base des comptes tenus dans et par l’entreprise, le document de synthèse que constitue le bilan ainsi que la liasse fiscale correspondante. Ils indiquent que [G] [T] était seule en charge de la tenue de la comptabilité de sa société bien qu’elle ne disposait pas de logiciel de comptabilité. Ils font valoir que l’expert comptable n’est tenu qu’à des contrôles par voie de sondages aléatoires. Ils estiment également que le grand livre n’est que la mise en forme comptable dans le cadre des travaux de bilan, de la comptabilité qui était tenue et communiquée par [G] [T]. Ils font valoir qu’il n’est pas acquis que la Sarl Seccas a tenu la comptabilité de la société de [G] [T] et donc commis des doublons dans l’enregistrement des charges et des omissions dans les déclarations de TVA.
La cour déduit des observations faites par la société Seccas qu’elle ne conteste pas avoir eu une relation contractuelle de prestation comptable avec l’EURL Conseil Immobilier Castanet.
Le premier juge a relevé, à bon droit qu’il n’existait pas de mandat écrit et qu’il ne saurait être présumé que l’expert comptable tenait les comptes de sorte que la démonstration devait en être faite par [G] [T].
La cour constate que, curieusement, aucune des parties ne produit de déclaration de TVA de l’EURL Conseil Immobilier ni aucun compte validés par le cabinet Seccas au cours des années qui ont fait l’objet de la vérification fiscale,mais en revanche sont produits le grand livre général sur les exercices successifs depuis le 1er avril 2013 jusqu’au 31 mars 2017 (pièce 18) et les bilans et comptes de résultats sur toute la période avec l’envoi par mail provenant de [U] [Z] du cabine d’expertise comptable Seccas (cf.pièce 18-1).
En outre et sans en justifier, la société Seccas invoque le fait que [U] [Z] n’était ni expert comptable ni associé de la société Seccas (cf page 22 de ses conclusions). Or, il ressort des pièces produites par [G] [T] et notamment des mails échangés avec la société Seccas que des pièces comptables et notamment les factures étaient bien transmises à [U] [Z] avec une adresse mail de la société Seccas (cf notamment pièces 11-2 et 11-3) ainsi que les comptes comme rappelé précédemment (pièces 18 et 18-1).
La faute de la société Seccas est alors d’autant plus grave puisqu’elle avoue ainsi tacitement avoir sous-traité ses travaux d’expertise comptable, confiés par sa cliente l’EURL Conseil Immobilier Castanet, à un tiers non expert comptable, pratique interdite comme l’a rappelé la chambre criminelle dans son arrêt du 4 octobre 2022 (pourvoi n°2185594).
Par ailleurs, il ressort de la proposition de rectification suite à vérification de comptabilité de la Direction Générale des Finances Publiques du 11 décembre 2017 (pièce 4) que l’inspectrice s’est présentée dans les locaux de la l’EURL Conseil Immobilier Castanet le 2 octobre 2017, que la copie des fichiers des écritures comptables lui a été remise au moyen d’une clé USB pour les exercices 2014 à 2017 et qu’il lui a été demandé que le lieu de la vérification de comptabilité se poursuive au cabinet comptable Seccas représenté par M. [Z] situé au [Adresse 2]. Et il est précisé ensuite que lors de l’intervention suivante du 13 octobre 2017, il a été remis « un pouvoir au nom du comptable M. [Z] (cabinet comptable Seccas)…. intervention qu’il a acceptée » (cf page 2 du document).
Il ressort de ce document, comme le soutient [G] [T], que l’inspectrice de l’Administration fiscale a bien compris, elle aussi que [U] [Z] représentait le cabinet d’expertise comptable Seccas, au moins au cours de la vérification, et ce sans qu’aucun démenti n’apparaisse au dossier.
Dans ces conditions, la responsabilité contractuelle de la société Seccas et celle de [U] [Z] seront bien engagées dans la mesure où les manquements reprochés sont établis.
Il ne peut être reproché à [G] [T] de ne pas produire les écritures comptables saisies manuellement puisqu’elle explique qu’elle ne les remplissait pas et que cette mission était assurée par [U] [Z] avant même qu’il ne devienne gérant de la société dès 2016.
A l’examen des pièces produites aux débats, la Cour constate qu’en effet, [G] [T] a remis, lors de la vérification de comptabilité, une simple copie sous clé USB des fichiers des écritures comptables et que cette vérification, à la demande de cette dernière, a été poursuivie sans difficulté dans les locaux de la Sarl Seccas (pièce n°4 page 2 de [G] [T]).
Outre la saisie des écritures mensuelles, la Sarl Seccas avait dès lors une véritable mission d’assistance à la gestion de l’entreprise (pièces 11-2 à 11-9 de [G] [T]).
Il ressort également des pièces produites que la Sarl Seccas détenait en 2018 le Grand livre des exercices 2014 à 2017 et, comme l’a à bon droit souligné le tribunal, la présentation évoque le recours à un logiciel comptable (pièce n°18 de [G] [T]).
Dès lors, il est établi que la comptabilité était tenue par la Sarl Seccas et les doublons dans les enregistrements de charges ainsi que les omissions dans les déclarations de TVA qui ne sont pas contestés par cette dernière caractérisent une faute à son encontre.
De surcroît, en laissant la tenue de la comptabilité à [U] [Z] qui s’est présenté comme son représentant, alors qu’elle affirme qu’il n’était pas expert comptable, la société Seccas est responsable des manquements comptables commis par ce dernier.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu une faute à l’égard de la Sarl Seccas et de [U] [Z] à titre personnel et a prononcé des condamnations solidaires à l’encontre de la société Seccas et de [U] [Z].
– sur la demande d’indemnisation des conséquences du redressement fiscal :
[G] [T] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire en réparation de son préjudice découlant du redressement fiscal (52 313 euros). Il est reproché au premier juge d’avoir considéré que la somme demandée de 52 313 euros correspondait au règlement intégral de la dette fiscale du 21 janvier 2020, c’est-à-dire à l’impôt dû avec les intérêts et non pas à une sanction puisque l’administration a renoncé aux pénalités de retard. Le tribunal a également précisé que le rehaussement n’était qu’un rappel de l’impôt dû puisque nécessairement l’associé unique a minoré son imposition en omettant de déclarer une partie du chiffre d’affaires et en décomptant des charges indues. Le tribunal a conclu en indiquant que la somme de 48 159 euros qui représentait le rappel n’était pas un préjudice indemnisable, peu important les moyens mis en oeuvre par la demanderesse pour parvenir au paiement.
[G] [T] soutient que les dispositions de l’article 109 1. 1° du Code général des impôts, appliquées par l’Administration Fiscale, revêtent une nature de sanction fiscale de l’associé dont la société présente une comptabilité insincère, en réputant comme revenus distribués les sommes abusivement déduites au titre des charges alors que ces déductions comptables n’ont pas pour autant donné lieu à des distributions. Elle indique n’avoir jamais perçu la somme de 84 254 euros dont l’impôt de 52 313 euros ne serait que la contrepartie. Elle fait valoir que cette somme n’a aucune équivalence en termes de flux de trésorerie puisqu’elle correspond au cumul des inscriptions comptables des commissions doublement ou triplement passées en charges pendant 3 ans. Elle considère que la seule conséquence fiscale, si les sommes n’avaient pas été fautivement inscrites en comptabilité, devait être le règlement d’un impôt sur les sociétés supplémentaire à concurrence de 17 758 euros. Elle soutient que le premier juge a confondu la personne morale de l’EURL avec son associée unique et que, sans la faute de la Sarl Seccas, l’Administration fiscale n’aurait jamais appliqué la sanction dite des « revenus réputés distribués ». [G] [T] indique enfin avoir été contrainte de procéder à la vente d’un bien immobilier afin de régler la dette fiscale la privant ainsi de ressources locatives.
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances soutiennent que le rejet des commissions et autres charges non justifiées n’a fait que rétablir le bénéfice net de la société et donc le revenu net de sa gérante, [G] [T]. Ils font valoir que le paiement de l’impôt ne peut alors constituer pour le contribuable un préjudice.
Selon l’article 109 1. 1° du Code général des impôts, sont considérés comme des revenus distribués tous les bénéfices ou produits qui ne sont pas mis en réserve ou incorporés au capital.
Les dispositions précitées ne constituent pas une sanction fiscale mais visent à compenser l’impôt éludé en raison de l’absence de désinvestissement des sommes relatives aux charges indûment comptabilisées.
Il convient de rappeler que l’EURL Conseil Immobilier Castanet est imposée au titre de l’impôt sur les sociétés et que [G] [T] est elle-même imposée au titre de l’impôt sur les revenus.
La Cour constate à la lecture des pièces versées que [G] [T] ne produit pas l’avis d’imposition complémentaire en date du 23 septembre 2019 mis en recouvrement le 30 septembre 2019, pas davantage que les avis de dégrèvement en date du 22 novembre 2019 et du 11 février 2020.
Les charges comptabilisées de façon redondante à concurrence de 84 254 euros doivent être considérées comme des revenus réputés distribués.
Dès lors et comme l’a, à bon droit, constaté le tribunal, le rehaussement n’est qu’un rappel de l’impôt dû puisque nécessairement l’associé unique a minoré son imposition en omettant de déclarer une partie du chiffre d’affaires et en décomptant des charges indues.
S’agissant du préjudice allégué qui résulterait de la vente d’un bien immobilier réalisée afin de régler la dette fiscale et de la perte subséquente de revenus locatifs, il ne s’agit pas d’un préjudice direct lié à la faute de la société Seccas ou à celle de [U] [Z] mais des conséquences d’un impôt qui n’avait pas été réglé dans les délais.
Il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a dit que le rehaussement correspondant à l’impôt dû ne constituait pas un préjudice indemnisable.
Concernant les intérêts de retard, [G] [T] rappelle que les intérêts de retard et les pénalités infligées en application de l’article 1728 du Code général des impôts sur un impôt qui n’était pas dû, en l’absence de faute de l’expert-comptable, sont également constitutifs d’un préjudice indemnisable à son égard.
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances soutiennent qu’il appartient à [G] [T] de démontrer que si elle avait dû, au terme de chaque exercice, payer l’impôt sur le revenu supplémentaire, elle aurait disposé d’une trésorerie suffisante.
Si le paiement d’un impôt légalement dû ne constitue pas un préjudice indemnisable, les intérêts de retard et majorations mis à la charge d’un contribuable à la suite d’une rectification fiscale constituent un préjudice réparable dont l’évaluation commande de prendre en compte l’avantage financier procuré par la conservation, dans le patrimoine du contribuable, jusqu’à son recouvrement par l’administration fiscale, du montant des droits dont il est redevable (Com., 27 janvier 2021, n°18-11.190).
Suivant l’examen du tableau produit par [G] [T] (pièces 12-1, 12-2 et 12-3) qui n’est pas contesté par la Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites et les Mutuelles du Mans Assurances, la Cour relève, contrairement à ce qu’a retenu le tribunal, que les intérêts de retard concernant le seul impôt sur le revenu de [G] [T] s’élèvent à un montant total de 5 107 euros (=4744+363) et les majorations après dégrèvements obtenus à un montant total de 2 851 euros au titre des trois exercices redressés.
La Cour constate à la lecture des bilans de l’EURL Conseil Immobilier Castanet et notamment au regard des valeurs mobilières, qu’il n’est pas établi que [G] [T] a tiré un avantage procuré par la conservation de la somme de 52 313 euros acquittée le 21 janvier 2020 et due au titre d’une rectification pour les exercices 2014, 2015 et 2016.
Il y a donc lieu d’infirmer le jugement de ce chef et de fixer la créance de [G] [T] à l’encontre de la Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances et de [U] [Z] à la somme de 7.958 euros (= 5107+2851) au titre des intérêts de retard et des majorations restant dues après dégrèvements.
– sur la demande d’indemnisation de la perte de valeur de la société :
[G] [T] sollicite la réformation du jugement entrepris en ce qu’il l’a déboutée de sa demande indemnitaire en réparation de son préjudice découlant de la perte de valeur de son entreprise (77 208,80 euros).
Elle reproche au tribunal d’avoir considéré que la perte de chance n’était pas caractérisée. En retenant que, par principe un lien direct entre une dette de la société et un préjudice de l’associé n’existait pas, que le placement en liquidation judiciaire simplifiée de la société au 1er octobre 2019 ne contribuait pas à valoriser la société et que la période de plan de redressement judiciaire avait duré deux années ouvrant la possibilité de vendre la société tout en demandant un échelonnement de la dette fiscale.
[G] [T] soutient avoir perdu la chance de procéder à la cession des parts de sa société en raison du redressement fiscal et de la procédure collective subséquente liés aux fautes de l’expert comptable. Elle affirme que les parts de sa société ont fait l’objet d’un avis de valeur et ont été évaluées à la somme de 96 511euros et qu’à la date du dépôt de bilan, plusieurs ventes étaient en cours témoignant ainsi du bon niveau de l’entreprise. Elle considère que la TVA régulièrement déclarée pouvait être payée dans les délais requis et les réserves de la société permettaient de régler l’impôt sur les sociétés supplémentaire. Elle produit plusieurs attestations justifiant d’un projet de reprise de sa société avec ses anciens agents commerciaux et estime enfin que la perte de chance ne peut être inférieure à 80%.
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances soutiennent qu’aucune démonstration n’est faite de ce que l’activité de [G] [T] était susceptible d’intéresser des tiers et d’être vendue et au prix de 96 511 euros. Ils estiment que l’état de santé de [G] [T] est à l’origine de la cessation d’activité et non la dette de Tva alléguée.
Eu égard aux pièces produites aux débats, si la Sarl Seccas avait accompli sa mission avec toutes les diligences requises, l’EURL Conseil Immobilier Castanet aurait évité tout ou partie des manquements retenus à son encontre et a ainsi perdu une chance réelle et sérieuse de mettre en oeuvre des mesures susceptibles d’éviter le redressement fiscal opéré par l’administration ou d’en limiter les effets.
Il n’est en revanche pas établi, s’agissant de la limitation des effets du redressement, une perte de chance réelle et sérieuse de procéder pour [G] [T] à la cession des parts de l’EURL Conseil Immobilier Castanet en lien avec la faute de la société d’expertise comptable.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a débouté Madame [T] de sa demande.
– sur la demande d’indemnisation du préjudice moral :
[G] [T] sollicite enfin la réformation du jugement entrepris en ce qu’il a limité l’indemnisation du préjudice moral à la somme de 2 500€ après avoir retenu que le préjudice était constitué par la confiance trahie et par les tracas de la procédure.
[G] [T] soutient avoir été contrainte de céder une partie de ses actifs personnels afin de faire face aux conséquences de la dette fiscale réclamée. Elle fait valoir que son préjudice moral ne réside pas seulement dans la confiance trahie mais aussi et surtout dans la déception et l’angoisse induites par la perte de ses actifs.
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances font valoir qu’il n’existe aucune raison de faire peser sur eux les conséquences d’une confiance trahie entre [G] [T] et [U] [Z] personnellement puisque ce dernier n’a jamais été expert comptable, ni associé, ni encore moins représentant légal du cabinet Seccas. Ils précisent également que [G] [T] ne saurait faire peser sur un tiers un préjudice moral à raison en réalité de problèmes de santé antérieurs aux contrôles fiscaux allégués.
Il est désormais établi que dès la création de sa société en 2007, [G] [T] avait confié à la Sarl Seccas, et, en son sein à [U] [Z], au minimum la mission de présentation de ses comptes annuels, voire de la tenue de la comptabilité quotidienne. Par ce seul agissement et sans contrôler les travaux de [U] [Z] pour l’EURL Conseil immobilier Castanet, la société Seccas et [U] [Z] ont trahi la confiance de leur cliente et de sa gérante.
Compte tenu des seules conséquences des manquements contractuels retenus à l’encontre de la sarl Seccas et de [U] [Z] à l’égard de [G] [T], il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a évalué le préjudice moral subi à la somme de 2 500 euros.
– sur les demandes annexes :
La Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances qui succombent pour l’essentiel supporteront les dépens de première instance et d’appel.
Ils seront condamnés à verser à [G] [T] la somme de 2.500 euros application de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et 2.500 euros en cause d’appel.
La Cour, après en avoir délibéré, statuant en publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt par défaut et en dernier ressort,
– Infirme le jugement du tribunal judiciaire de Toulouse du 25 octobre 2021 sauf en ce qu’il a dit que la société Seccas et Monsieur [Z] ont engagé leur responsabilité en commettant des fautes, a condamné solidairement la société Seccas, Monsieur [U] [Z] et les Mutuelles du Mans Assurances à payer à Madame [T] la somme de 2 500 euros au titre du préjudice moral et les a condamnés solidairement aux dépens et à payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l’article 700 du Code de procédure civile.
Statuant à nouveau sur les chefs infirmés,
– Fixe au passif de la sarl Seccas la créance de [G] [T] à la somme de 7.958 euros dont sont redevables solidairement la Sarl Seccas, Monsieur [Z] et les Mutuelles du Mans Assurances au titre du préjudice subi
– Condamne solidairement Monsieur [Z] et les Mutuelles du Mans Assurances à verser la somme de 7.958 euros à [G] [T]
– Déboute les parties du surplus de leurs demandes.
Y ajoutant,
– Condamne la Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances aux dépens d’appel,
– Condamne solidairement la Sarl Seccas, la Selas Egide, es qualites, et les Mutuelles du Mans Assurances à verser à [G] [T] la somme de 2.500 euros en application de l’article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles d’appel.
Le Greffier La Présidente
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