ARRÊT DU
30 Septembre 2022
N° 1588/22
N° RG 20/01158 – N° Portalis DBVT-V-B7E-S7LF
SHF/AA
Jugement du
Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de LILLE
en date du
14 Février 2020
(RG 17/01498 -section )
GROSSE :
Aux avocats
le 30 Septembre 2022
République Française
Au nom du Peuple Français
COUR D’APPEL DE DOUAI
Chambre Sociale
– Prud’Hommes-
APPELANTE :
Mme [VA] [U]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
représentée par Me Gilles MATON, avocat au barreau de LILLE
INTIMÉE :
S.A.R.L. AS TRANSPORTS
[Adresse 2]
[Adresse 2]
représentée par Me Philippe TACK, avocat au barreau de LILLE
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ
Soleine HUNTER-FALCK
: PRÉSIDENTE DE CHAMBRE
Muriel LE BELLEC
: CONSEILLER
Gilles GUTIERREZ
: CONSEILLER
GREFFIER lors des débats : Gaetan DELETTREZ
DÉBATS : à l’audience publique du 06 Juillet 2022
ARRÊT : Contradictoire
prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Septembre 2022,
les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l’article 450 du code de procédure civile, signé par Soleine HUNTER-FALCK, Président et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 15/06/2022
La SARL AS Transports qui a une activité de transports routiers est soumise à la convention collective des transports de marchandises et transports ; la société compte plus de 10 salariés.
Mme [VA] [U] épouse [A], née en1971, a été engagée par l’ EURL Transports JLF représentée par son gérant, M. J.L. [A], par contrat à durée indéterminée, à temps complet (169h par mois), le 12.10.1998, en qualité de directrice des transports groupe 1 coefficient 100 statut cadre.
Elle a par ailleurs été embauchée par contrat à durée indéterminée par ‘la société JLF Transport’ représentée par M. [H], son gérant, le 01.12.2010, en qualité de directeur des transports et commissionnaire de transports, qualifiation’groupe 5coefficient 132, statut cadre supérieur. Sa rémunération était fixée à 4.932,31 € par mois outre une prime différentielle RTT et une prime d’ancienneté, ainsi que des primes exceptionnelles ; l’ancienneté était reprise au 12.10.1998.
Par courrier du 29.06.2013 adressé à M. [H], gérant de la SARL AS Transports JLF, M. [S] en sa qualité d’associé a dénoncé le comportement et la gestion de celui ci ; il a précisé en particulier ne pouvoir approuver les comptes de la société pour l’exercice clos le 31.12.2012 tant qu’il n’aurait pas eu communication du grand livre général des comptes pour l’année 2012 et ceux des exercices 2010 et 2011.
Dans un jugement rendu le 23.09.2013, le tribunal correctionnel de Lille a condamné M. [H] à une mesure de faillite personnelle pour une durée de 10 ans.
Par contrat à durée indéterminée à temps partiel du 01.10.2013, la ‘société AS Transports’ a embauché M. [H] en qualité de commercial groupe 4 coefficient 175 statut agent de maîtrise.
L’ EURL Transports JLF a décidé le 24.10.2013 de désigner Mme [VA] [U] gérante en remplacement de M. [H].
Dans un procès verbal établi le 24.10.2013 pour le compte de M. [H], associé unique, en sa double qualité de gérant de AS Transports et de l’ EURL JLF Transports, Mme [U] [A] a été nommée gérante en remplacement de M. [H] moyennant une rémunération nette mensuelle de 2.000 € outre le remboursement de ses frais de déplacement et de représentation ; il était stipulé qu’elle conservait les fonctions de directeur technique des transports et de commissionnaire de transports de la société ainsi que le bénéfice du contrat de travail du 12.10.1998.
Le même jour, la SARL AS Transports s’est réunie en assemblée générale ; dans une annexe à ce procès verbal il est précisé que la gérante n’est tenue de consacrer que 15h par semaine aux affaires sociales, sa rémunération nette mensuelle étant fixée à 2.000 € outre le remboursement des frais de déplacement et de représentation.
Dans des notes du 24.06 et du 12.12.2014, M. [H] et M. S. [AN], associés de AS Transports ont donné à Mme [VA] [U] une prime de 10.000 € puis une de 20.000 € net ; d’autres primes lui ont été accordées : une prime de vacances de 15.000 € brut le 01.08.2015, une prime pour bonne marche des structures et chiffre d’affaire maintenu de 20.000 € le 16.12.2015 ‘à prendre sur l’année 2015 et 2016″.
Le 03.11.2014 est intervenue la transmission universelle du patrimoine de l’ EURL Transports JLF au profit de la SARL AS Transports JLF, détentrice de 100% des parts sociales, dont la gérante était Mme [VA] [U].
Le même jour, les statuts de la société ont été adaptés par assemblée générale extraordinaire ; il a été decidé que la société serait dénommée la SARL AS Transports JLF, et que Mme [VA] [U] serait nommée en qualité de gérante, à charge pour elle de consacrer tout le temps nécessaire aux affaires sociales.
Le 30.06.2016 est intervenu une convention de cession de parts sociales entre M. [H], cédant, et M. [S], cessionnaire, en application de l’avenant n°2 du 09.06.2016 du Protocole d’accord de vente de droits sociaux du 07.03.2016 relatif à la cession de la totalité de ses parts sociales détenues au sein de la SARL AS Transports JLF (soit 695 sur 800), et en application d’un pacte d’associés signé le 01.10.2014 ; cet acte a été signifié à la SARL AS Transports JLF le 13.07.2016.
Par assignation en date du 13.07.2016, la SARL AS Transports JLF a fait citer M. [H] devant le tribunal de commerce de Lille en vue de voir constater le caractère fictif des conventions réglementées régularisées au profit direct ou indirect de ce dernier ; il était indiqué que son compte dans les livres de la société était débiteur à hauteur de 296.887,39 € montant au paiement duquel le défendeur devait être condamné.
Lors de l’assemblée générale de la SARL AS Transports JLF qui s’est tenue le 26.09.2016, en présence de M° [VB] huissier de justice commis par ordonnance du tribunal de commerce de Lille du 27.07.2016, la régularité de la procédure de cession de parts sociales a été préalablement débattue ; il a été constaté que M. [S] était titulaire de 755 parts sociales et M. [AN] de 45 ; M. [S] n’a pas approuvé les comptes de l’exercice, le résultat n’a pas pu être affecté ; Mme [U] a été révoquée de son mandat de gérante, et M. [S] a été désigné en qualité de gérant intérimaire. Aux termes du procès verbal, le cabinet CEC a été nommé pour une mission exceptionnelle d’audit des comptes clos le 31.12.2015.
Le 01.10.2016, la salariée a été placée en arrêt maladie pour syndrome anxiodépressif, reconduit par la suite.
Elle a bénéficié d’une pré-visite de reprise le 30.11.2016, le médecin du travail la dirigeant vers un médecin psychiatre ; Mme [VA] [U] a consulté le Dr [HK], psychiatre, le 02.12.2016 et le 19.01.2017, qui a préconisé une inaptitude au poste et à l’entreprise.
Le 06.12.2016, Mme [VA] [U] a rempli une demande de reconnaissance de maladie professionnelle en raison d’une dépression sévère.
Le 10.02.2017, elle a été examinée par le Dr [C], neurologue du Pôle santé travail.
Le cabinet d’expertise comptable CEC a déposé son rapport définitif le 30.01.2017 dans lequel il constate l’irrégularité des comptes de la SARL AS Transports JLF pour l’exercice clos le 31.12.2015.
Mme [VA] [U] a été convoquée par lettre du 27.02.2017 à un entretien préalable fixé le 15.03.2017 avec mise à pied conservatoire, puis licenciée par son employeur le 18.03.2017 pour fautes lourdes ; il lui était reproché les faits suivants:
‘Initialement, vous avez été embauchée en qualité de Directrice des Transports groupe 1 annexe Cadres de la convention collective du Transport.
Vous avez acquis de très larges responsabilités au sein de la société.
Vous êtes donc devenue un Cadre Supérieur et aviez donc notamment en charge l’exploitation, les relations extérieures, la comptabilité, etc.
A ce titre, vous deviez, aux termes de votre contrat de travail :
– Etablir les factures clients ;
– Etablir les fiches de salaires du personnel ;
– Effectuer les déclarations et attestations de maladie et de travail ,
– Etablir les DUE ;
– Faire toute déclaration sociale, fiscale ou règlementaire ;
– Effectuer les règlements des fournisseurs par chèque, virement ou effet de commerce.
Parallèlement, vous êtes devenue gérante de la société à compter du 24 Octobre 2013, et ce jusqu’au 26 Septembre 2016.
Contestant notamment les comptes dont vous êtes à l’origine, nous avons entrepris un audit comptable par le Commissaire aux Comptes, le cabinet CEC, dont la désignation avait été décidée lors de l’AGO du 29 Juin 2016 relative à l’approbation des comptes de l’exercice clos le 31 décembre 2015.
Cet audit a révélé de nombreuses irrégularités.
A la lecture de ce rapport, nous avons donc procédé à des vérifications plus précises des factures émises et réglées d’autant que nous nous sommes rendus compte de l’absence de deux chéquiers.
La nécessité de cette vérification était confortée par les informations communiquées par la société FR CONSEIL (société gérant Sage Paie et Sage Compta) qui nous indiquait que, le 31 août 2016, vous lui avez demandé d’effacer l’ensemble des données informatiques figurant sur l’ordinateur de la société mis à votre disposition pour l’exercice de vos fonctions !
Cette attitude révélait votre volonté de dissimuler des faits importants à la connaissance du nouveau dirigeant.
C’est ainsi que nos investigations nous ont permis de mettre en évidence des faits qualifiables d’escroquerie, d’abus de confiance et d’abus de biens sociaux.
Ainsi, nous avons constaté qu’existait une différence entre la facture justifiant le paiement et le chèque émis.
Après avoir réceptionné copie des chèques correspondant à ces factures ou aux imputations comptables, nous avons pu nous convaincre que celles-ci étaient fausses et que ces chèques avaient été émis par vous (ils sont rédigés par vos soins et comportent votre signature) au profit de vous-même, de Monsieur [PX] [G], de Monsieur [M], votre beau-frère (gérant de la société Nordtransam).
Il en est ainsi de :
– Facture de Maître [F] en date du 9 octobre 2015 d’un montant de 1 896,00 € correspondant au paiement d’une consultation réalisée par ce cabinet d’avocats au profit de notre société. Interrogé sur cette facture, le cabinet [F] nous a indiqué que les références indiquées sur cette facture ne correspondaient à rien chez eux. La copie du chèque correspondant au numéro que vous avez mentionné sur ladite facture (chèque CDN n°000910) démontre qu’en réalité celui-ci était libellé à l’ordre de Monsieur’ [AO] [G] et non à l’ordre de Maître [F]’;
– Facture de la Sarl LIN Transports d’un montant de 2 580,60 € réglée par chèque CIC n°1732891 en date du 12 février 2016 libellé à l’ordre de Monsieur [G] au lieu de la société LIN TRANSPORTS ;
– Facture de la société BM Transports, société non immatriculée au RCS, dont le siège social correspond au domicile de votre frère, en date du 30 septembre 2015 d’un montant de 2 830,80 € payée par chèque CDN du 2/11/2015 n°000911 selon votre mention manuscrite. La copie de ce chèque démontre que son bénéficiaire n’est pas la société BM TRANSPORTS mais Monsieur [AO]’ [G] ;
– Facture de la société BM Transports, en date du 31 août 2015 d’un montant de l 728,00€ payée par chèque CDN du 14 octobre 2015 n°900023 9, selon votre mention manuscrite. La copie de ce chèque démontre que son bénéficiaire n’est pas la société BM TRANSPORTS mais Monsieur [AO] [G] ;
– Facture de la Société NS Entreprise en date du 30 novembre 2015 d’un montant de 3 128,50 € payée par chèque Société Générale en date du 28 décembre 2015 n°000524, selon votre mention manuscrite, libellé à l’ordre, non pas de NS ENTREPRISE mais de Monsieur [AO] [G] ;
– Facture COGEFI en date du 30 juin 2015 d’un montant de 2 400,00 € payée par chèque CDN n° 000906 en date du 8 septembre 2015 libellé à l’ordre, non pas de COGEFI, mais de Monsieur [AO] [G] ;
– L’extrait du compte Carrosserie BARRE fait apparaitre deux règlements, sans facture, d’un montant respectif de 2 760,12 € réglé par chèque CDN n° 000934 daté du 12 juillet
2016 et de 4 527,00 € réglé par chèque Société Générale n° 000033 en date du 22 juillet 2016. La copie des chèques démontre que le bénéficiaire n’est pas la Carrosserie BARRE mais Monsieur [AO] [G]’;
– L’extrait de compte rémunération d’intermédiaires fait apparaître un règlement de 4 060,00 € par chèque Société Générale n° 514 en date du 5 octobre 2015. Or, la copie du chèque fait apparaitre Monsieur [AO] [G] comme bénéficiaire alors que cette personne n’a jamais eu aucune activité au sein ou pour notre société;
– L’extrait de compte BM Transports (BM Courses) fait apparaitre un règlement, sans facture d’un montant de 2 676,40 € par chèque Société Générale n°0000508 du 5 Juin 2015. Or, la copie de chèque démontre que Monsieur [AO] [G] est le bénéficiaire de ce règlement et non la société BM TRANSPORTS qui, en tout état de cause, n’existe pas’;
Monsieur [G] a donc perçu, par votre intermédiaire, sans raison aucune, la somme totale de 28 587,42 €’!
– Facture NORDTRANSAM (le gérant de cette société est M [M]. qui n’est autre que votre beau-frère) en date du 31 janvier 2016 d’un montant de 1 440,00 € payée par chèque CIC n°1732892 en date du 16 février 2016.
Outre que la Société NORDTRANSAM ne communique aucune lettre de voiture justifiant une éventuelle prestation de transports, la copie du chèque démontre que le bénéficiaire de ce règlement est Monsieur [M], votre beau-frère, et non la société NORDTRANSAM ;
– Factures NORDTRANSAM en date des 30 novembre 2015 et 31 décembre 2015 d’un montant respectif de 720,00 € et 1 224,00 € payées par chèque Société Générale n°000527 d’un montant total de 1 944,00 €.
Outre que ces factures mentionnent des commissions indues, la copie du chèque démontre que le bénéficiaire de ce règlement n’est autre que Monsieur [Z], votre beau-frère, et non la société NORDTRANSAM ;
Monsieur [M] a donc perçu, par votre intermédiaire, sans raison aucune, la somme totale de 3 384,00 €’!
– Facture de la société NS Entreprise en date du 31 décembre 2015 d’un montant de 4 318,44 € payée par chèque CDN n°000915 en date du 14/01/2016. Or, la copie du chèque démontre que vous êtes le bénéficiaire de ce règlement et non la société NS Entreprise;
– Facture de la société BM Transports en date du 31 juillet 2015 d’un montant de 3 528,00 € payée par chèque Société Générale n° 0000511 du 10 septembre 2015. Or, la copie du chèque démontre que vous êtes est le bénéficiaire de ce règlement et non la société BM Transports dont il a déjà été indiqué que cette société n’existe pas ;
– Facture de la société Transport [M] en date du 31 janvier 2016 d’un montant de 2 400,00 € réglée par chèque Société Générale n° 0000532 en date du 17 mars 2016.
Outre que la société Transport JAROSTK est radiée depuis le 13 Juin 2013, la copie du chèque démontre que vous êtes le bénéficiaire de ce règlement et non la société Transport [M].
– L’extrait de compte « PRIMES ROULANT’»fait apparaitre une prime versée, par chèque Société Générale n° 0000499 en date du 5 mars 2015 à Monsieur [H] dun montant de 5 000,00 €. Or, la copie du chèque fait apparaitre que vous en êtes le bénéficiaire et non Monsieur [H]. Cette prime n’a d’ailleurs pas été sur la DADSU 2015.
– L’extrait de compte « 42lSALAlRE’» fait apparaitre Lure prime versée, par chèque Société Générale n° 0000519 en date du 13 octobre 2015 à Monsieur [H] d’un montant de 2 500,00 €. Or, la copie du chèque fait apparaitre que vous en êtes le bénéficiaire et non Monsieur [H]. Cette prime n’a d’ai1leurs pas été déclarée sur la DADSU 2015.
– L’extrait de compte «’ PRIMES ROULANT’»fait apparaitre une prime versée, par chèque Société Générale n° 0000495 en date du 20 novembre 2014 à Monsieur [H] d’un montant de 2’000,00 €. Or, la copie du chèque fait apparaitre que vous en
êtes le bénéficiaire et non Monsieur [H]. Cette prime n’a d’ailleurs pas été déclarée sur la DADSU 2014.
– L’extrait de compte « 27510500 CAUTION SANEF’» fait apparaitre une caution versée, par chèque Société Générale n° 0000521 en date du 18 novembre 2015 à la société SANEF d’un montant de 2 000,00 €. Or, la copie du chèque fait apparaitre que vous en êtes le bénéficiaire et non la société SANEF. Cette caution n’existe pas.
– L’extrait de compte «Saisies ACHATS» compte fournisseur MERCEDES fait apparaitre un règlement par chèque Société Générale du 03 juillet 2015 n° 0000509 d’un montant de 4 563,00 €. Or, la copie du chèque fait apparaitre que vous êtes le bénéficiaire de ce règlement.
– Facture SMF SERVICES en date du 5 août 2011 d’un montant de 908,17 €. Or après vérification, il apparait que la facture correspond au devis en date du 20 juillet 2011 libellé à votre ordre et concernant votre domicile. Sur ce devis qui comporte votre signature et les mentions suivantes écrites de votre main : «A facturer JLF TRANSPORT, Bon pour accord le 20/07/2011’». Vous avez donc réglé des factures correspondant à des interventions à votre domicile avec le compte de la Société ;
– Facture FD PERSONNAL TRAINER en date du 3 février 2015 d’un montant de 1 640,00 € payée par chèque Société Générale du 19 mai 2015 n° 0000507. Or, cette faculté correspond aux honoraires dus à votre coach personnel lequel intervenait, en outre, pendant les heures de travail;
– Facture FD PERSONNAL TRAINER en date du 1 février 2016 d’un montant de 1 640,00 € payée par virement en date du 1 mars 2016. Or, cette facture correspond aux honoraires dus à votre coach personnel lequel intervenait, en outre, pendant les heures de travail ;
Vous avez donc perçu indûment la somme totale de 30 497,61 €’!
Par ailleurs, le Commissaire aux comptes a mis en exergue dans ses rapports en date des 17 et 30 janvier 2017 des irrégularités vous étant imputables, reprises ci-après, sauf à parfaire.
Il ressort de ces documents que vous vous êtes consenti un salaire de 128 876,00 € pour l’année 2015 (DADSU 2015), une prime d’ancienneté d’un montant de 7 644,00 € ainsi que des primes exceptionnelles d’un montant de 30 000,00 € (2 fois 15 000,00 €).
Ces rémunérations et primes exceptionnelles ne sont pas justifiées en ce qu’elles n’ont pas été autorisées par les associées ni même contractualisées.
D’autre part, il est apparu que votre rémunération de gérante d’un montant de 12 000,00 € n’a pas été reprise dans le paiement des charges sociales pouvant donner lieu à redressement URSSAF.
Il est également apparu que vous vous êtes octroyé des primes à hauteur de 27 000,00 €, ainsi que des compléments de salaire (4 923,08 € le 29 juillet 2016, 7 722,08 € le 31 août 2016) sans que ceux-ci ne soient inscrits sur les fiches de salaires et sans que les charges sociales afférentes soient payées.
Monsieur [R], Commissaire aux Comptes, conclut son rapport en indiquant que les comptes 2015 que vous avez établis avec le cabinet [UZ], expert-comptable que vous aviez choisi, ne sont pas, au regard des règles et principes comptables français, réguliers et sincères et ne donnent pas une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice écoulé, ainsi que de la situation financière et du patrimoine de la Société.
Vous avez, par conséquent, clairement abusé des fonds de la société à des fins personnelles
D’autre, comme si cela ne suffisait pas, vous avez établi une attestation émanant soi-disant de Monsieur [H], en date du 30 décembre 2011, pour votre frère, Monsieur [W] [U]. Or, cette attestation n’émane pas de Monsieur [H] et est signée par vous-même.
Enfin, nous avons pu nous convaincre que, sur votre intervention personnelle, nombre des salariés ont quitté notre société (Monsieur [B] [DE], Monsieur [HI] [N], Monsieur [V] [J], Monsieur [X] [P], Monsieur [Y] [L], Monsieur [T] [PV], Monsieur [K] [LO]) pour être embauchés par la société NORDTRANSAM de votre beau-frère, faut-il souligner que Monsieur [M], en est le gérant’!
Monsieur [ZD] [ZF] [DG] a également quitté notre société sur votre incitation pour la Société NORDTRANSAM, mais a finalement décidé de réintégrer nos effectifs.
Vous avez annulé, par des avenants en les antidatant, les clauses de non-concurrence de Monsieur [AN] et de Monsieur [J], afin de les inciter à créer une société concurrente à la nôtre, la société LBS dont le capital social a été déposé au Crédit du Nord de l’agence de [Localité 3] en août 2016.
Vous avez détourné des clients appartenant à notre société, notamment les clients (GLS et H&M) au profit de la Société NORDTRANSAM.
Cette attitude est constitutive d’actes de concurrence déloyale par désorganisation de l’entreprise, détournement des ressources humaines, clientèle, fichiers …
L’ensemble de ces faits témoignent d’une intention évidente de nuire à la société.
Dès lors, compte tenu des faits, nous sommes conduits à vous notifier votre licenciement pour fautes lourdes.
Votre licenciement prend donc effet immédiatement, dès réception de la présente lettre, et votre solde de tout compte sera arrêté à cette date, sans indemnité de préavis, de congés payés ni de licenciement.’»
Le 28.02.2017 la société AS Transports-JLF représentée par M. [S] son gérant a déposé une plainte pour escroquerie à l’encontre de Mme [U], qui a été suivie le 23.03.2017 d’une plainte complémentaire, et il s’est constitué partie civile.
Le 11.10.2017, le conseil des prud’hommes de Lille a été saisi par Mme [VA] [U] en contestation de cette décision, indemnisation des préjudices subis et pour diverses demandes liées à l’exécution du contrat de travail.
Le 11.12.2019, l’administration fiscale a adressé à la société AS Transports-JLF une proposition de rectification fiscale pour la période allant du 01.01.2016 au 31.12.2017.
‘
Un appel a été interjeté régulièrement devant la cour d’appel de Douai le 10.04.2020 par Mme [VA] [U] à l’encontre du jugement rendu le 14.02.2020 par le conseil de prud’hommes de Lille section Encadrement, notifié le 09.03.2020 :
DIT et JUGE que le licenciement de Mme [VA] [U] reposait sur une faute lourde
DEBOUTE Mme [U] de l’ensemble de ses demandes’
DECLARE l’incompétence du conseil des prud’hommes pour statuer sur les demandes de Mme [U] relevant de son statut de gérante
DEBOUTE la SARL AS Transports JLF de sa demande au titre des primes d’ancienneté et au titre du rappel de différenciel RTT
CONDAMNE Mme [VA] [U] à rembourser à la société AS Transport JLF la somme de 92.845,16 € correspondant aux primes et compléments de salaire indûment perçus
DIT et JUGE que les intérêts légaux courreraieont à compter de la notification du jugement
DEBOUTE Mme [VA] [U] de sa demande au titre de l’article 700 du cpc
CONDAMNE Mme [VA] [U] au paiement de la somme de 5.000 € au profit de la SARL AS Transports JLF au titre de l’article 700 du cpc
CONDAMNE Mme [VA] [U] aux entiers frais et dépens.
Mme [U] a été citée à comparaître avec M. [AO] [G], M.'[M] et Mme [PU] épouse [M] devant le tribunal correctionnel de Lille le 20.11.2020 qui dans le jugement rendu le 02.07.2021 a notamment :
SUR L’ACTION PUBLIQUE :
(…) Déclaré [U] [VA] coupable des faits qui lui sont reprochés:
Pour les faits de ABUS DES BIENS OU DU CREDIT D’UNE SOCIETE PAR ACTIONS PAR UN DIRIGEANT A DES FINS PERSONNELLES commis courant janvier 2015 et jusqu’au 31 décembre 2016 dans le département du Nord
Condamné [U] [VA] à un emprisonnement délictuel de SIX MOIS
Vu l’article 132-31 al.1 du code pénal;
Dit qu’il sera sursis totalement à l’exécution de cette peine, dans les conditions prévues par ces articles ;
(…) Condamné [U] [VA] au paiement d’une amende de quatre mille euros (4000 euros);
à titre de peine complémentaire
Prononcé à l’encontre de [U] [VA] l’interdiction d’exercer une profession commerciale ou industrielle, de diriger, administrer, gérer ou contrôler une entreprise ou une société pour une durée de TROIS ANS ;
tout en condamnant également [G] [AO] pour des faits de RECEL DE BIEN PROVENANT D’UN DELIT PUNI D’UNE PEINE N’EXCEDANT PAS 5 ANS D’EMPRISONNEMENT commis courant janvier 2015 et jusqu’au 31 décembre 2016 dans le département du Nord
SUR L’ACTION CIVILE:
Déclaré recevable la constitution de partie civile de la société AS TRANSPORTS JLF;
Condamné :
– [VA] [U] à verser à la partie civile la somme de 56 280,86 euros en remboursement des sommes détournées au moyen de chèques non causés : soit 28 587,42 euros correspondant au chèque établi à l’ordre d'[AO] [G], 3384 € correspondant au chèque émis à l’ordre de [D] [M] et 24 309,44 euros correspondant au chèque émis à son ordre propre ;
– [AO] [G], solidairement avec [VA] [U], à verser à la partie civile la somme de 28 587,42 euros, correspondant au chèque non causé qui a recéler;
– [VA] [U] à verser à la partie civile la somme de 89 000 € remboursement des rémunérations indues ;
– [VA] [U] à verser la somme de 1640 € en remboursement des frais personnels de coaching supporté par la partie civile ;
Débouté la partie civile du surplus de ses demandes.
Vu les conclusions transmises par RPVA le 09.07.2020 par Mme [VA] [U] qui demande à la cour de :
REFORMER la décision entreprise s’agissant de ses chefs critiques, et statuant de nouveau en cause d’appel :
Condamner la SARL AS Transports JLF à lui payer :
– 45.611-3,16 € au titre de son droit au maintien de sa rémunération durant son arrêt maladie (01/10/2016 -18/03/2017).
– 30.747 € au titre du non-respect par l’employeur de son obligation de résultat en matière de protection de la santé du salarié.
– 184.482 € au titre de son licenciement pour ‘fautes lourdes’ prononcé sans cause réelle et sérieuse.
– 75.500 € au titre de son indemnité conventionnelle de licenciement.
– 30.747 € bruts en paiement de l’indemnité conventionnelle de préavis, et 3.074 € au titre des
congés payés afférents.
– 20.498 € au titre des conditions vexatoires ayant entouré son licenciement.
– 1.500 € en indemnisation du retard dans la délivrance des fiches de paie.
– 1.500 € en indemnisation du retard dans la délivrance des documents sociaux obligatoires de fin de contrat conformes à la décision à intervenir, ce sous astreinte de 50 euros parjour de retard et par document.
La CONDAMNER :
– à transmettre à Mme [U] les fiches de paie d’octobre 2016 à mars 2017 conformes à la décision à intervenir, ce sous astreinte de 50 euros parjour de retard et par document.
ASSUJETTIR l’ensemb|e des condamnations indemnitaires qui seront allouées a Mme [U] des intérêts au taux légal à compter de la date de saisine de la juridiction.
CONDAMNER la SARL AS Transports JLF aux entiers dépens.
CONDAMNER la SARL AS Transports JLF aux frais non-compris dans les dépens à hauteur de 5000 €.
DEBOUTER la SARL AS Transports JLF de toute autre demandes, fins et conclusions contraires a celles exposées par l’appelante ;
Vu les conclusions transmises par RPVA le 01.102020 par la SARL AS Transports qui demande de :
CONFIRMER le jugement du Conseil des prud’hommes de Lille du 14.02.2020 (RG F17/01498) en toutes ses dispositions, sauf en ce qu’il a’:
‘ Débouté la société AS Transports-JLF de sa demande au titre des primes d’ancienneté’;
‘ Débouté la société AS Transports-JLF de sa demande au titre du rappel de différentiel
RTT.
Y AJOUTANT,
CONDAMNER Mme [U] au paiement des sommes suivantes’:
. DÉTOURNEMENTS DE FONDS SOCIAUX VIA DE FAUSSES FACTURES’:
Au profit de M. [AO] [G] 28.587,42 €
Au profit de M.[D] [M] 3.384,00 €
Au profit de Mme [VA] [U] 26.310,04 €
MONTANT DÉTOURNÉ 58.281,46 €
PAIEMENTS DES FACTURES PERSONNELLES DE Mme [U]’:
Facture SMF SERVICES du 05.08.2011 908,17 €
Facture FD PERSONAL TRAINER du 01.02.2016 1.640 €
Facture FD PERSONAL TRAINER du 03.02.2015 1.640 €
MONTANT DÉTOURNÉ 4.188,17 €
. COMPLÉMENTS DE SALAIRES ET PRIMES NON AUTORISÉS ‘ :
Primes d’ancienneté indues 7.508,82 (Montant brut) €
Rémunération de gérance non autorisée 12.000 € (Montant brut)
Indemnités des congés payés 25.456,34 € (Montant brut)
‘Primes différentielles de RTT’ 23.100 € (Montant brut)
TOTAL 67.965,16 €
. ACTES DE CONCURRENCE DÉLOYALE ‘ :
Préjudice financier 150.000 €
Préjudice moral 150.000 €
TOTAL 300.000 €
CONDAMNER Mme [U] au paiement d’une indemnité de 15.000 € au titre de l’article 700 du CPC outre l’ensemble des frais et dépens
Vu l’ordonnance de clôture en date du 15.06.2022 prise au visa de l’article 907 du code de procédure civile ;
Pour un exposé complet des faits, de la procédure, des moyens et des prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions écrites transmises par RPVA et dont un exemplaire a été déposé à l’audience de plaidoirie.
A l’issue de cette audience, les parties présentes ont été avisées que la décision était mise en délibéré pour être rendue par mise à disposition au greffe.
MOTIFS DE LA DECISION :
Sur l’exécution du contrat de travail :
a) Sur le droit au maintien de sa rémunération durant l’arrêt maladie :
Mme [VA] [U] se prévaut des dispositions de la convention collective applicable, pour solliciter, compte tenu d’une ancienneté de plus de 18 ans en qualité de directrice des transport et de son absence pour maladie du 01.10.2016 au 18.03.2017 soit pendant 169 jours, un maintien de son salaire à 100% pendant 120 jours puis à 75% pendant 49 jours. Elle déclare que le calcul doit être fait sur la base du salaire moyen sur les 12 derniers mois précédant l’arrêt maladie au vu des dispositions contractuelles, qui permettent d’établir à 10.249 € ce salaire moyen. Il n’y a pas de délai de carence, cependant doivent être déduites les IJSS brutes versées.
La SARL AS Transports JLF conteste le calcul du salaire moyen par la salariée qui a inclus la prime de fin d’année de novembre 2015 et les deux primes exceptionnelles de 2016, ainsi que des primes d’anciennetés de 2015 sur des bases erronées ; elle estime qu’il convient de tenir compte d’un salaire brut mensuel de 3.899,72 € ; elle rappelle que lors de l’assemblée générale du 26.09.2016 en présence de l’huissier, Mme [VA] [U] a mentionné une rémunération à ce titre de 4.289,69 € par mois incluant la prime d’ancienneté de 389,97€. La société sollicite la compensation des sommes dues entre les parties au titre de la présente décision.
Il convient de confirmer le jugement qui a retenu, en application de l’article 21 de la convention collective des transports routiers, un salaire fixe mensuel de 3.899,72 € complété d’une prime d’ancienneté de 398,97 € par mois au vu du procès verbal d’huissier établi à l’occasion de l’assemblée générale s’étant tenue le 26.09.2016 au cours de laquelle le commissaire aux comptes a indiqué que la rémunération de Mme [VA] [U] était de 63.476,23 € ce qui incluait à hauteur de 12.000 € sa rémunération en tant que gérante de la société.
Cette demande sera rejetée à défaut pour la salariée de démontrer qu’il resterait un reliquat qui lui serait dû au vu du salaire moyen retenu et le jugement sera confirmé.
b) Sur le non-respect par l’employeur de son obligation de résultat en matière de protection de la santé du salarié :
La SARL AS Transports JLF soulève in limine litis l’incompétence de la juridiction prud’homale en se prévalant de l’article R 142-24-2 du code de la sécurité sociale dès lors que la salariée fait valoir la réparation d’un préjudice directement lié au comportement de son employeur et comme tel résultant d’une maladie professionnelle dont la reconnaissance est de la compétence exclusive du tribunal judiciaire. Elle relève que la salarié s’est abstenue de suivre la procédure prévue au code de la sécurité sociale et que les praticiens qui l’ont examinée n’ont aucunement établi de lien entre son état psychique et ses difficultés professionnelles.
Mme [VA] [U] se fonde sur les dispositions de l’article L 4121-1 du code du travail, en faisant état de son arrêt de travail et des constatations médicales, sa grave dépression étant en lien avec le comportement de son employeur à son égard.
Sur la compétence d’attribution de la juridiction prud’homale, étant rappelé la plénitude de juridiction en appel, il convient de constater que les arrêts de travail produits mentionnent le caractère professionnel de la maladie ; le 06.12.2016, Mme [VA] [U] a rempli un formulaire de demande de reconnaissance de maladie professionnelle ; les relevés d’indemnités journalières ne précisent pas le caractère professionnel de la maladie faisant l’objet de l’indemnisation par la sécurité sociale.
Cependant la juridiction prud’homale est apte à traiter toute demande en réparation d’un préjudice résultant de manquements de l’employeur à ses obligations en matière de protection de la santé et de la sécurité de ses salariés et il convient par suite de dire que la demande ne relève pas de la compétence du tribunal judiciaire spécialisé des affaires de sécurité sociale.
L’employeur prend, en application de l’article L 4121-1 du code du travail, les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : des actions de prévention des risques professionnels ; des actions d’information et de formation ; la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur veille à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement de circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes.
En conséquence la responsabilité de l’employeur est engagée sauf à prouver : la faute exclusive de la victime ou l’existence de circonstances relevant de la force majeure, imprévisibles, irrésistibles et extérieures. Il suffit que l’employeur manque à l’une de ses obligations en matière de sécurité pour qu’il engage sa responsabilité civile même s’il n’en est résulté ni accident du travail ni maladie professionnelle. Pour satisfaire à son obligation de résultat l’employeur doit vérifier : les risques présentés par l’environnement de travail, les contraintes et dangers liés aux postes de travail, les effets de l’organisation du travail, la santé des salariés, les relations du travail.
La simple constatation du manquement à l’obligation de sécurité suffit à engager la responsabilité de l’employeur. Mais encore faut-il que la victime apporte la preuve de l’existence de deux éléments’: la conscience du danger qu’avait ou aurait dû avoir l’employeur (ou son préposé substitué) auquel il exposait ses salariés’; l’absence de mesures de prévention et de protection.
En l’espèce, un conflit sérieux est intervenu entre Mme [VA] [U] et son employeur, la SARL AS Transports JLF, à l’occasion et à la suite de l’assemblée générale de la SARL AS Transports JLF s’étant tenue le 26.09.2016 au cours de laquelle Mme [VA] [U] a été révoquée de son mandat de gérante ; elle a été placée en arrêt maladie à compter du 01.10.20 pour syndrome anxiodépressif qui a été renouvelé jusqu’à son licenciement intervenu le 18.03.2017.
Il est constant que les praticiens qui l’ont examinée ont constaté la réalité de ce syndrome anxiodépressif qu’il s’agisse du médecin traitant le Dr [I], du médecin psychiatre, le Dr [HK], du médecin du travail le Dr [LN], et du neurologue le Dr [C].
Encore faut il que Mme [VA] [U] justifie de ce que son employeur aurait eu conscience du danger auquel il l’aurait exposée en dénonçant les agissements fautifs, et de l’absence de mesures de prévention et de protection, alors même que le cabinet d’expertise comptable CEC a dans son rapport définitif du 30.01.2017 constaté les irrégularités commises dans la gestion de la SARL AS Transports JLF qui ont motivé la révocation puis le licenciement de la salariée.
Dans ces conditions, le propre comportement professionnel de la salariée est mis en cause, qui est à l’origine de ses difficultés. L’employeur ne peut être tenu pour responsable de la révocation de la gérante puis de son licenciement alors même qu’il n’est pas démontré qu’il a dans ce contexte abusé de ses prérogatives.
Cette demande sera rejetée et le jugement infirmé en ce qu’il avait retenu l’incompétence de la juridiction prud’homale.
Sur le bien fondé et les conséquences du licenciement pour ‘fautes lourdes’ :
La lettre de licenciement, fixe les limites du litige en ce qui concerne les motifs du litige qui peuvent être éventuellement précisés par l’employeur. Dès lors que l’employeur et le salarié sont d’accord pour admettre que le contrat de travail a été rompu, chacune des parties imputant à l’autre la responsabilité de cette rupture, il incombe au juge de trancher le litige en décidant quelle est la partie qui a rompu.
Il appartient au juge d’apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l’employeur. En principe, la charge de la preuve du caractère réel et sérieux du motif n’incombe pas spécialement à l’une ou à l’autre des parties. Le juge forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, si besoin, toutes les mesures d’instruction qu’il estime utiles ; les faits invoqués doivent être matériellement vérifiables ; afin de déterminer si les faits imputés au salarié sont ou non établis, les juges du fond apprécient souverainement la régularité et la valeur probante des éléments de preuve qui leur sont soumis. Le doute sur la réalité des faits invoqués doit profiter au salarié.
La faute lourde suppose que le salarié se soit rendu coupable non seulement d’une faute d’une particulière gravité, mais aussi qu’il ait eu, en commettant celle-ci, l’intention de nuire à l’entreprise. Comme le licenciement pour faute grave, le licenciement pour faute lourde a un effet immédiat, le salarié étant privé de préavis et indemnités de rupture.
Mme [VA] [U] oppose la prescription des faits fautifs, l’employeur se fondant dans la lettre de licenciement sur l’audit comptable déclenché le 29.06.2016 et concernant des irrégularités comptables intervenues en 2015, alors que la convocation à l’entretien préalable avec mise à pied conservatoire datait du 27.02.2017 ; elle relève la négligence de la SARL AS Transports JLF dans le traitement tardif de cette procédure.
Cependant, la SARL AS Transports JLF rappelle à bon droit que les détournements reprochés à Mme [VA] [U] ont été rendus possible par sa position de gérante non associée à compter du 24.10.2013 au sein de l’entreprise, alors qu’elle occupait jusque là uniquement la position de directrice des transports et commissionnaire ; la société allègue une dissimulation qui lui a été reprochée lors de l’assemblée générale s’étant tenue le 26.09.2016 et qui a donné lieu à sa révocation avec désignation du cabinet CEC en qualité d’expert comptable avec pour mission d’auditer les comptes 2015 non approuvés. Une première note de l’expert comptable de janvier 2017 a précédé le dépot du rapport définitif le 30.01.2017 qui seul a permis les constatations préalables au dépôt de plainte pénale pour escroquerie le 28.02.2017 mais également le déclenchemennt de la procédure de licenciement le 27 février ; la société rappelle en outre les différentes démarches qu’elle a entreprises dans l’intervalle et par la suite pour s’assurer de sa situation comptable et financière, qui ont donné lieu à une plainte complémentaire le 23 mars suivant. Aucune négligence ne peut être reprochée à la société dans ces conditions.
Mme [VA] [U] qui exerçait le métier de directeur des transports déclare ne pas pouvoir se voir reprocher des fautes qui auraient été réalisées dans le cadre de son mandat social de gérant sauf devant la juridiction consulaire et/ou de la juridiction pénale ; elle estime avoir été licenciée seulement en raison de ses relations délétères avec le nouveau gérant.
La SARL AS Transports JLF se réfère aux missions confiées à la salariée dans le cadre de son contrat de travail, les fautes reprochées étant même pour certaines postérieures à sa révocation comme mandataire social ; ces fautes relèvent de l’article 5 du contrat de travail et résultent de ses fonctions de directeur des transports. Ce moyen sera écarté.
Le contrat de travail signé entre les parties le 12.10.1998 stipule que Mme [VA] [U] était recrutée en qualité de directrice des transports, qu’elle bénéficiait de toute l’autonomie nécessaire à l’exercice de ses fonctions, et qu’elle serait tenue pour responsable des domaines : commercial, exploitation technique, gestion du personnel ; le 01.12.2010 elle était également nommée commissionnaire des transports groupe 5 coefficient 132 indice 20 cadre supérieur sous la responsabilité directe du chef d’entreprise.
A l’appui de son argumentation, la SARL AS Transports JLF reprend principalement pour justifier des griefs contenus dans la lettre de licenciement l’analyse précise et exhaustive faite par le premier juge :
– Mme [U] a tenté de faire effacer les données informatiques contenues dans le logiciel de comptabilité, ce qui ressort de l’attestation de FR Conseil qui a refusé de réaliser la manipulation qu’elle demandait ; le conseil des prud’hommes a constaté la déloyauté de la salariée qui avait tenté de dissimuler des données de son ordinateur, ce qui mettait en péril la gestion comptable de l’entreprise ; ceci caractérise dans le contexte qui a été rappelé l’intention de nuire ;
– Le détournement des fonds de la société AS Transports-JLF par fausses factures et fausses écritures comptables pour un préjudice de 61.561,46 € est également établi, la salariée qui rejette la responsabilité de ces détournements sur M. [H] qui avait été frappé d’une interdiction judiciaire, ne démontrant pas de ce simple fait qu’elle était un gérant de paille.
Le conseil des prud’hommes a décrit pour chaque fausse facture les éléments comptables justifiant du grief, sans pour autant que Mme [VA] [U] conteste précisément cette analyse très détaillée ; au surplus le tribunal correctionnel de Lille dans le jugement rendu le 02.07.2021 a caractérisé les abus de biens sociaux commis par la salariée en retenant les détournements réalisés au moyen de chèques non causés et encaissés sur le compte personnel de la salariée ou d’un ami M. [G] ou encore de M. [M] son beau frère pour la société Nordtransam ; il s’agit des factures [F], Lin Transports, BM Transport, COGEFI, Carrosseries Barre, Transports [M], Primes roulant, BM Courses, Mercedes, SANEF.
Sur ce point, la décision du juge pénal s’impose aux juridictions prud’homales en ce qui concerne la réalité des faits et leur imputabilité au salarié ; en revanche, le juge conserve certaines prérogatives, notamment pour apprécier la gravité de la faute reprochée, sans pour autant remettre en cause le licenciement lui-même.
Il en ressort que ces abus de biens sociaux, caractérisés par des détournements commis au moyen de chèques non causés et couverts par des factures fictives imputables à Mme [VA] [U], sont établis ; leur nombre et le préjudice subi par la société fixé par la juridiction répressive à la somme de 58.281,46 € montant de la condamnation de la prévenue attestent de l’importance du préjudice.
Ce seul grief est suffisant pour établir la faute lourde de Mme [VA] [U] en sa qualité de gérante et de directrice des transports de la SARL AS Transports JLF.
– Les primes indues reprochées à Mme [VA] [U] dans la lettre de licenciement à hauteur de 27.000 € ainsi que des compléments de salaires (4.923,08 € le 29.07.2016 et 7.722,08 € le 31.08.2016), constituent ainsi que l’a déclaré le juge pénal un détournement caractérisant le délit d’abus de bien sociaux ; le tribunal correctionnel a ainsi relevé que les primes non déclarées, rémunérations et avantages n’ont jamais été approuvées et que l’assemblée générale du 29.06.2016 les avaient rejetées. Le tribunal a condamné Mme [VA] [U] à ce titre au paiement de la somme totale de 92.845,16 €.
La SARL AS Transports JLF fait état sur ce point : des primes d’ancienneté recalculées sur la base du salaire contractuel (7.508,82 €) ; des primes différentielles RTT injustifiées compte tenu de sa position de gérante (23.100 €) ; des autres primes et complément de salaire irrégulièrement versés en 2015 qui résultent de l’examen des comptes par le cabinet [UZ] ainsi que des bulletins de paie et des documents comptables, à hauteur de 72.200 € ; des compléments de salaire non justifiés irrégulièrement versés au titre de 2016 à hauteur de 43.717,81 €.
Le grief est ainsi établi et justifie là encore un licenciement pour faute lourde eu égard à la qualité de la salarié dans l’entreprise.
– Les actes de concurrence déloyale ont été mentionnés dans le jugement prud’homal qui a constaté que Mme [VA] [U] avait proposé à M. [AN], directeur des transports, fin août 2016 de créer une nouvelle société avec elle dénommée ‘LBS’ soit ‘[AN] [U] [VA]’, au moyen d’un avenant antidaté au 05.01.2015 le libérant de sa clause de non concurrence qui est produite aux débats ; ces faits sont confortés par l’attestation délivrée par M. [AN].
Par ailleurs des salariés témoignent de ce que Mme [VA] [U] a cherché à les débaucher au profit de la société LBS (M. [DG]), ou encore en août/septembre 2016 de ne plus effectuer les prestations attendues de la SARL AS Transports JLF (M. [O], [HJ]) ; l’employeur verse aux débats les démissions de 10 salariés intervenues en octobre 2016.
Ces faits constituent des actes de concurrence déloyale, susceptibles de justifier le licenciement pour faute lourde de Mme [VA] [U].
En conséquence, les fautes reprochées à Mme [VA] [U] sont démontrées, qui ont causé à la SARL AS Transports JLF un préjudice financier important, en raison du comportement indélicat et particulièrement malhonnête de la salariée. L’intention de nuire est justifiée. Le licenciement de Mme [VA] [U] doit être déclaré constitué pour faute lourde et le jugement en cause confirmé.
La salariée sera déboutée de ses demandes d’indemnisation à ce titre ; la demande pour licenciement ‘vexatoire’ sera également rejetée puisqu’elle ne peut être justifié sur aucun des fondements invoqués, étant précisé que la réalité de la ‘séquestration’ alléguée ne peut reposer sur les attestations de salariés qui ont été débauchés par Mme [VA] [U].
Sur les autres demandes :
Sur la délivrance de bulletins de paie d’octobre 2016 à mars 2017, la société les communique pour la période allant d’octobre à décembre 2016. Il reste à tranmettre les bulletins de paie de janvier à mars 2017 sans que l’astreinte soit nécessaire.
La société a tenu les documents sociaux à disposition de Mme [VA] [U].
Dans le courrier adressé le 02.10.2017, Pôle Emploi précise que la salariée avait bien été admise au bénéfice de l’aide au retour à l’emploi consécutive à la fin de son contrat de travail le 18.03.2017.
Le préjudice allégué n’est pas établi ; cette demande n’a pas été traitée par le premier juge.
Sur la demande reconventionnelle :
La SARL AS Transports JLF forme une demande reconventionnelle en raison du préjudice subi du fait des fautes commises par la salariée dans l’exercice de ses fonctions.
Néanmoins le tribunal correctionnel dans son jugement en date du 02.07.2021, a d’ores et déjà indemnisé la SARL AS Transports JLF en sa qualité de partie civile en condamnant la salariée à lui verser :
– 58.281,46 € à raison des détournements commis au moyen de chèques non causés et couvert par des factures fictives ;
– 89.000 € au titre du remboursement des rémunérations indues comprenant les primes exceptionnelles, primes non déclarées, avances sur salaire et compléments de salaire, mais également le rappel sur primes d’ancienneté qui a été invoqué dans son jugement par le juge répressif ;
– 1.640 € en remboursement des frais personnels de coaching.
Il convient par suite de rejeter les demandes correspondantes.
Sur les demandes complémentaires :
– 908,17 € au titre du préjudice résultant du détournement de fonds via le paiement d’une facture SMF Services : à l’appui de sa demande la société produit un devis, un bon d’intervention et une facture établie pour le compte de M. [A] et non de Mme [VA] [U] ; cette demande sera rejetée ; le jugement sera complété ;
– 150.000 € au titre des actes de concurrence déloyale pourla perte des clients Tailormade Logistics France et GLS en octobre 2016 : la société communique les attestations de MM. [O] et [HJ], salariés de la SARL AS Transports JLF, selon lesquels la gérante leur aurait demandé de réaliser les prestations pour Tailormade à partir de la société Nordtransam en septembre/octobre 2016 ; en ce qui concerne GLS, cette société a constaté par courrier adressé à son prestataire le non respect des horaires par les chauffeurs de la SARL AS Transports JLF alors même que M. [E] a attesté de ce que la gérante lui avait demandé d’arrive un peu en retard chez ce client qui s’en était plaint, et par la suite il a été convenu ‘d’un commun accord’ entre ces deux sociétés d’arrêter les flux de prestations à compter du 7 octobre ; enfin, le débauchage de salariés est établi ; par suite les actes de concurrence déloyale sont justifiés, sans que la société démontre l’arrêt des prestations pour la société GLS du fait de ces agissements ; Mme [VA] [U] sera condamnée à ce titre au paiement d’une somme de 5.000 € et le jugement complété;
– 150.000 € pour préjudice moral résultant des agissements de Mme [VA] [U] vis à vis de la société concurrente Nordtransam : la SARL AS Transports JLF constate que Mme [VA] [U] a tenté de débaucher M. [AN] directeur des transports pour constituer la société LBS, qu’elle a désorganisé la société au profit de son concurrent en provoquant des démissions de salariés, qu’elle a incité des salariés à exécuter des prestations au profit du concurrent ; la faute de la salariée est démontrée sans que le préjudice effectif soit clairement établi ; cette demande sera rejetée, et le jugement complété ;
– certaines avances ou compléments de salaire non évoqués par le juge pénal : il s’agit de l’avance sur salaire en novembre 2015 (3.200 €), qui figure en effet sur le bulletin de paie et pour laquelle la salariée ne donne pas d’explications ; ainsi que les compléments de salaire de juillet 2016 (4.923,08 €) et de septembre 2016 (7.722,08 €) qui ne figurent pas sur les bulletins de paie produits cette dernière demande étant rejetée de ce fait.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement contradictoirement :
Déclare l’appel recevable ;
Confirme le jugement rendu le 14.02.2020 par le conseil de prud’hommes de Lille section Encadrement ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Condamne la SARL AS Transports JLF à communiquer à Mme [VA] [U] les bulletins de paie des mois de janvier à mars 2017 ;
Condamne Mme [VA] [U] à payer à la SARL AS Transports JLF :
– 5.000 € au titre des actes de concurrence déloyale avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
– 3.200 € au titre de l’avance sur salaire en novembre 2015 avec intérêts au taux légal à compter de la demande ;
Rejette les autres demandes ;
Vu l’article 700 du code de procédure civile ;
Dit n’y avoir lieu à application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile ;
Condamne Mme [VA] [U] aux dépens d’appel.
LE GREFFIER
Cindy LEPERRE
LE PRESIDENT
Soleine HUNTER-FALCK