N° RG 20/00453 – N° Portalis DBVM-V-B7E-KKOS
C1
Minute N°
délivrée le :
la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY
la SELARL EUROPA AVOCATS
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE GRENOBLE
CHAMBRE COMMERCIALE
ARRÊT DU JEUDI 01 SEPTEMBRE 2022
Appel d’un jugement (N° RG 2017J00113)
rendu par le Tribunal de Commerce de VIENNE
en date du 28 novembre 2019
suivant déclaration d’appel du 20 janvier 2020
APPELANTE :
SAS VIA APPIA PARTICIPATIONS au capital de 1.240.000 €, immatriculée au Registre du Commerce et de Sociétés de VIENNE sous le n°797 959 129, agissant poursuites et diligences de son représentant légal domicilié ès qualités audit siège,
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentée par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE postulant, et par Me Nicolas BES de la SCP BES, SAUVAIGO & Associés, avocat au barreau de LYON, substitué et plaidant par Me KUMANI, avocat au barreau de LYON,
INTIMÉE :
SARL PAC INVESTISSEMENTS au capital social de 56.000 €, immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Lyon sous le numéro 438 251 092 RCS LYON, représentée par son gérant en exercice, domicilié en cette qualité audit siège,
[Adresse 4]
[Localité 5]
représentée par Me Sylvain REBOUL de la SELARL EUROPA AVOCATS, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant et plaidant par Me DELORME, avocat au barreau de LYON
INTERVENANTES VOLONTAIRES :
S.E.L.A.R.L. AJ UP représentée par Maître [G] [W] ou Maître [D] [N] sise [Adresse 1] en qualité d’administrateur judiciaire de la Sté VIA APPIA PARTICIPATIONS, désignée à cette fonction par jugement du tribunal de commerce de LYON, en date du 20 mai 2020 ouvrant une procédure de redressement judiciaire de la société
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
S.E.L.A.R.L. JEROME [I]
représentée par Maître [K] [I], sise [Adresse 6], en qualité de Liquidateur judiciaire de la société
VIA APPIA PARTICIPATIONS, dont le siège social est sis [Adresse 2], désignée à cette fonction par Jugement du Tribunal de commerce de LYON en date du 22 janvier 2021 prononçant la liquidation judiciaire de la société,
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 3]
représentées par Me Alexis GRIMAUD de la SELARL LEXAVOUE GRENOBLE – CHAMBERY, avocat au barreau de GRENOBLE, postulant, plaidant par Me Nicolas BES de laSCP BES, SAUVAIGO & Associés, avocat au barreau de LYON, substitué par Me KUMANI, avocat au barreau de LYON,
COMPOSITION DE LA COUR :
LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Madame Marie-Pierre FIGUET, Présidente,
Mme Marie-Pascale BLANCHARD, Conseillère,
M. Lionel BRUNO, Conseiller,
Assistés lors des débats de Madame Sarah DJABLI, Greffier placé.
DÉBATS :
A l’audience publique du 23 mars 2022, Mme BLANCHARD, conseillère, a été entendue en son rapport,
Les avocats ont été entendus en leurs conclusions et plaidoiries,
Puis l’affaire a été mise en délibéré pour que l’arrêt soit rendu ce jour, après prorogation du délibéré
EXPOSE DU LITIGE :
La société Rhône Alpes Courses (RAC), exerce une activité de commissionnaire de transport et de prestations de transport rapide, logistique et stockage, déménagements ainsi que de location, avec ou sans chauffeur, de véhicules de tourisme et utilitaires.
Elle était majoritairement détenue à 56,40 % par la Sarl Pac Investissements, co-gérée par M et Mme [S] [J] et pour le reste des actions par différents membres de la famille [J].
Selon lettre d’intention du 6 mai 2013, MM. [G] [E] et [V] [H] ont proposé d’acquérir les titres de la société RAC à un prix de 2.900.000 euros.
Le 19 juillet 2013, un protocole de cession portant sur l’intégralité des titres était signé entre, d’une part, la société Pac Investissements et les consorts [J], d’autre part, MM. [E] et [H], pour leur compte ou celui de toute autre personne morale qu’ils se substitueraient, moyennant un prix de 3.100.000 euros se décomposant comme suit :
– 1.264.391, 28 euros pour l’acquisition des 1.308 actions appartenant aux actionnaires minoritaires, payable comptant à la date du transfert fixée au 30 septembre 2013,
– 1.835.600, 04 euros pour l’acquisition des 1.692 actions appartenant à l’actionnaire majoritaire, payable comptant à hauteur de 1.535.588,72 euros et le solde de 300.011, 32 euros devant être réglé au plus tard au premier anniversaire de la date de transfert.
Certaines des conditions suspensives n’étant pas réalisées au 30 septembre 2013, les parties sont convenues d’une prorogation de la date de transfert des titres au 22 octobre suivant.
A cette date et par acte sous seing privé, la société Pac Investissements s’est engagée au titre d’une garantie d’actif et de passif.
Par ailleurs, M. [S] [J] a démissionné de ses fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration de la société Rac, au profit de M. [H].
Le 29 novembre 2013, la société Rac a été transformée en société par actions simplifiée présidée par la société Via Appia Participations, immatriculée le 17 octobre 2013.
Par courrier du 22 octobre 2014, la société Via Appia Participations a indiqué à la société Pac Investissements vouloir mettre en ‘uvre la garantie de passif et par courrier du 24 octobre suivant, la société Pac Investissement a mis en demeure la cessionnaire de lui régler le solde du prix avant de la faire assigner en référé.
Par ordonnance définitive du 4 février 2015, le président du tribunal de commerce de Lyon a condamné la société Via Appia Participations au paiement d’une provision égale au solde du prix de vente.
Sur l’assignation de la société Via Appia Participations et après renvoi ordonné par le tribunal de commerce de Lyon sur le fondement de l’article 47 du code de procédure civile, le tribunal de commerce de Vienne a, par jugement du 28 novembre 2019 :
– écarté des débats contradictoires la pièce C-13 de la société Via Appia Participations,
– constaté que la société Via Appia Participations ne rapporte pas la preuve du dol qu’elle invoque à l’encontre de la société Pac Investissements,
– constaté que la société Pac Investissements n’a commis aucun manquement à son obligation d’information précontractuelle à l’occasion de la cession de la société RAC,
– constaté que la société Via Appia Participations n’a pas démontré le bien-fondé de sa demande d’expertise judiciaire,
– dit et jugé que la demande de dommages-intérêts formulée par la société Via Appia Participations n’est pas fondée,
– dit et jugé en conséquence que le prix de cession de la société RAC a valablement été fixé par les parties au protocole du 19 juillet 2013,
– rejeté la demande d’expertise judiciaire formulée par la société Via Appia Participations,
– débouté la société Via Appia Participations de toutes ses demandes, fins et conclusions,
– dit et jugé que le contentieux relatif à la rétention du crédit-vendeur a été tranché par l’ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 4 février 2015 et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer au surplus,
– dit et jugé que la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice relatif à la rétention du crédit-vendeur et à l’acharnement judiciaire allégué par Pac Investissements n’est pas fondée,
– débouté la société Pac Investissements de ses demandes reconventionnelles en réparation du préjudice,
– condamné la société Via Appia Participations au paiement de 50.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– ordonné l’exécution provisoire,
– condamné la société Via Appia Participations aux entiers dépens.
Suivant déclaration au greffe du 20 janvier 2021, la société Via Appia Participations a relevé appel de cette décision.
Par jugement du 20 mai 2020, le tribunal de commerce de Lyon a ouvert le redressement judiciaire de la société Via Appia Participations, converti en liquidation judiciaire par décision du 22 janvier 2021, la Selarl [K] [I] étant désignée liquidateur judiciaire.
Prétentions et moyens de la société Via Appia Participations et de la Selarl [K] [I] :
Au terme de leurs dernières écritures notifiées le 7 juin 2021, la société Via Appia Participations et la Selarl [K] [I], ès qualités, demandent à la cour de :
– dire et juger recevable et bien fondé l’appel interjeté par la société Via Appia Participations,
– réformer le jugement entrepris sauf en ce qu’il a :
. dit et jugé que le contentieux relatif à la rétention du crédit-vendeur a été tranché par l’ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 4 février 2015 et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer au surplus,
. dit et jugé que la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice relatif à la rétention du crédit-vendeur et à l’acharnement judiciaire allégué par Pac Investissements n’est pas fondée,
. débouté la société Pac Investissements de ses demandes reconventionnelles en réparation du préjudice,
– statuant à nouveau,
– à titre principal,
– dire et juger que la société Pac Investissements a commis un dol au préjudice de la société Via Appia Participations lors de la cession du capital de la société RAC du 19 juillet 2013 à effet du 22 octobre 2013.
– condamner la société Pac Investissements à payer à la société Via Appia Participations la somme de 1.142.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice matériel,
– condamner la société Pac Investissements à payer à la société Via Appia Participations la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– à titre subsidiaire,
– dire et juger que la société Pac Investissements a commis un manquement à son obligation précontractuelle d’information au préjudice de la société Via Appia Participations lors de la cession du capital de la société RAC du 19 juillet 2013 à effet du 22 octobre 2013 ,
– condamner la société Pac Investissements à payer à la société Via Appia Participations la somme de 1.027.800 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice de perte de chance d’avoir pu acquérir la société RAC au juste prix,
– condamner la société Pac Investissements à payer à la société Via Appia Participations la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral,
– à titre infiniment subsidiaire et avant dire droit sur le chiffrage des préjudices, – désigner tel expert qu’il plaira à la cour aux fins de chiffrer les préjudices directs et indirects, subis par la société Via Appia Participations,
– en toutes hypothèses,
– condamner la société Pac Investissements à payer à la société Via Appia Participations la somme de 30.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, et à supporter les entiers dépens y compris ceux de première instance.
La société Via Appia Participations et la Selarl [K] [I] soutiennent que la société Pac Investissements a manqué à son obligation précontractuelle d’information relative au respect par la société RAC de la réglementation sociale en dissimulant des données essentielles et font valoir que :
– l’audit social réalisé postérieurement à la cession a révélé que la société RAC ne respectait pas les dispositions de la convention collective nationale des transports routiers relatives à la prime d’ancienneté, à l’acquisition et la gestion des repos compensateurs au titre des heures de nuit, à la soumission des indemnités de transport aux cotisations sociales, au versement des indemnités conventionnelles de repas,
– ces irrégularités ont créé des risques de condamnations prud’homales et de redressement par l’Urssaf et eu un impact comptable direct sur le résultat d’exploitation annuel, les charges ayant été minorées faussant le résultat bénéficiaire.
Les appelantes relèvent que l’audit a été réalisé par une société spécialisée indépendante en s’appuyant sur la réglementation en vigueur en matière de transports routiers, qu’en matière commerciale la preuve est libre et que l’audit a été soumis au débat contradictoire.
Elles considèrent que le montant des capitaux propres figurant dans les comptes sociaux de la société RAC au 30 septembre 2013, élément déterminant du consentement de la cessionnaire, ne correspond pas à la réalité puisque le montant des charges sociales aurait du être corrigé, ce qui aurait modifié le niveau des capitaux propres par l’effet du retraitement du résultat net au 31 mars 2013, que le montant exact (954.000 euros) est inférieur au seuil fixé par le protocole de cession à 1.300.000 euros, que le prix de cession a été surestimé et que si elle avait été régulièrement informée, la société Via Appia Participations aurait négocié une réduction de ce prix pour tenir compte des charges prévisibles.
Elles soutiennent que :
– la société Pac Investissements ne pouvait ignorer les minorations de charges sociales en sa qualité de professionnelle des opérations de participations et alors qu’elle était dirigée par M [J] également président de la société RAC en charge du respect de la législation sociale et donc à l’origine des minorations de charges,
– l’intention dolosive se déduit des assurances contraires résultant des attestations fournies au titre de la garantie de passif,
– ni la société Via Appia Participations, ni ses dirigeants n’avaient de connaissance de la réglementation sociale en matière de transports et seules des investigations spécialisées pouvaient permettre de déceler la sous estimation des charges,
– l’audit réalisé avant la cession n’était que comptable et la convention de garantie de passif précisait que les audits n’étaient pas exonératoires de la responsabilité découlant des déclarations faites dans ce cadre,
– aucun des documents fournis par les cédants ne pouvait lui permettre d’apprécier la réalité de la situation et notamment pas le résultat du contrôle de l’Urssaf portant sur les années 2009 à 2011 qui ne portait pas sur l’application du droit du travail.
Elles font valoir que la mise en conformité de la société RAC avec la réglementation sociale a provoqué un accroissement des charges sociales pesant sur l’exploitation de l’entreprise, causant un préjudice financier constitué par une surévaluation du prix de cession de 1.142.000 euros et à tout le moins la perte d’une chance d’au moins 90 % d’acquérir la société à un prix moindre.
Sur la demande reconventionnelle de la société Pac Investissements, les appelantes relèvent que cette dernière n’a pas procédé à la déclaration d’une créance indemnitaire à la procédure collective dans le délai de deux mois, ni poursuivi d’action en relevé de forclusion, que le jugement de conversion du redressement en liquidation judiciaire n’a pas ouvert un nouveau délai de déclaration, que la déclaration de créance complémentaire est irrecevable et la créance inopposable à la procédure collective et qu’en toute hypothèse, la société Via Appia Participations n’a commis aucune faute, la société Pac Investissements ne pouvant lui reprocher ni une rétention abusive du reliquat du prix de cession, la question étant définitivement jugée, ni une rupture abusive de la convention de prestation de service.
Prétentions et moyens de la société Pac Investissements :
Selon ses dernières conclusions n° 3 notifiées le 21 septembre 2021, la société Pac Investissements entend voir :
– dire la société Via Appia Participations, la Selarl [K] [I], prise en la personne de Maître [K] [I], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Via Appia Participations, mal fondés en leur appel et rejeter l’ensemble des demandes des appelants ;
– recevoir la société Pac Investissements en son appel incident ;
– à titre principal :
– confirmer le jugement du tribunal de commerce de Vienne sauf en ce qu’il a:
. dit et jugé que le contentieux relatif à la rétention du crédit-vendeur a été tranché par l’ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 4 février 2015 et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer au surplus,
. dit et jugé que la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice relatif à la rétention du crédit-vendeur et à l’acharnement judiciaire allégué par Pac Investissements n’est pas fondée,
. débouté la société Pac Investissements de ses demandes reconventionnelles en réparation du préjudice,
– ordonner en conséquence l’inscription au passif de la société Via Appia Participations de la créance de 50.000 euros détenue par la société Pac Investissements au titre de la condamnation de la société Via Appia Participations sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en première instance,
– statuant à nouveau,
– dire et juger que la société Pac Investissements est bien fondée à demander le paiement d’une somme totale de 420.000 euros à titre de dommages et intérêts à la société Via Appia Participations et ce en réparation de l’ensemble des préjudices qu’elle a incontestablement subis depuis le mois d’octobre 2014 du fait du comportement fautif de la société Via Appia Participations,
– ordonner l’inscription au passif de la société Via Appia Participations de la somme de 370.000 euros prononcée à titre de condamnation à l’encontre de la société Via Appia Participations à titre chirographaire,
– condamner la Selarl [K] [I], en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Via Appia Participations, au paiement à la société Pac Investissements de la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, créance postérieure privilégiée,
– à titre subsidiaire,
– ordonner la fixation de ladite somme de 50.000 euros au passif de la procédure collective de la société Via Appia Participations,
– en tout état de cause :
– condamner la Selarl [K] [I], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Via Appia Participations, au versement de la somme de 15.000 euros à la société Pac Investissements sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile en cause d’appel,
– condamner la Selarl [K] [I], ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Via Appia Participations, aux entiers dépens de l’instance.
La société Pac Investissements conteste toutes man’uvres dolosives ou manquement à son obligation de renseignement des cessionnaires et relève que:
– ce sont les cessionnaires qui ont proposé le rachat et démarché les actionnaires sur la base d’une offre de prix attractive,
– le prix de cession n’a pas été fixé en fonction de la rentabilité future de la société RAC,
– la société Via Appia Participations a eu accès, avant la cession, à toutes les informations comptables, financières et sociales et un audit complet a d’ailleurs été diligenté notamment en matière sociale, sans qu’aucune irrégularité ait été relevée,
– les professionnels, expert comptable et commissaire aux comptes, qui accompagnaient la société RAC et sont demeurés ses prestataires depuis la cession, n’ont jamais attiré l’attention des cédants sur les irrégularités alléguées,
– l’information précontractuelle qui a été fournie aux cessionnaires a été complète, transparente et indépendante leur permettant de donner un consentement éclairé.
– les cessionnaires disposaient d’une compétence et d’une expérience affirmées dans l’analyse financière et l’acquisition de sociétés leur permettant d’apprécier la valeur de la société cible,
– son intention dolosive n’est nullement démontrée, alors que les éléments comptables qu’elle a fournis ont été certifiés sans réserve et que d’éventuelles erreurs n’ont pas de caractère délibéré.
Elle critique la pertinence et l’impartialité des conclusions de l’audit social sur lequel se fonde les réclamations de la société Via Appia Participations, s’agissant du travail du prestataire choisi par cette dernière pour externaliser sa gestion sociale et spécialisée dans l’optimisation en matière sociale et fiscale, ce qui s’est d’ailleurs traduit par une baisse des charges entre 2011 et 2015, et qui ne précise pas quelle réglementation n’aurait pas été respectée.
Elle fait valoir que la société Via Appia Participations n’invoque qu’un risque de préjudice et ne justifie pas d’un préjudice effectivement subi, ni d’une mise en conformité postérieure à la cession, qu’un contrôle par l’Urssaf à partir de décembre 2011 n’a mis en exergue aucune anomalie dans l’application des législations de sécurité sociale, assurances chômage et garantie annuelle des salaires, que les risques invoqués sont purement virtuels compte tenu de la prescription et que les irrégularités alléguées ne sont pas juridiquement fondées.
Elle conteste les conclusions du rapport de la société Eight Advisory corrélant le non respect de la réglementation sociale à une baisse de résultat et de trésorerie, fondé sur les seuls éléments transmis par la société Via Appia Participations et prenant en compte des simulations de risques irréalistes et prescrits.
Elle fait observer qu’aucun des documents précontractuels ne se réfère à une valorisation de la société RAC à hauteur de 4,8 fois l’Excedent Brut d’Exploitation et que l’erreur sur la valeur n’est pas une cause de nullité.
Sur son appel incident, elle soutient que le refus de la société Via Appia de payer le solde du prix ne repose sur aucun motif sérieux alors que ses réclamations au titre de la garantie d’actif et de passif ont été abandonnées, qu’elle a brutalement mis fin au bout d’un mois seulement, à la période d’accompagnement contractuellement prévue, que cette rupture fautive doit être réparée, que les cédants ont accepté une clause de non concurrence de trois années en contrepartie des règlements devant intervenir.
Elle considère que la cessionnaire a fait preuve d’acharnement judiciaire pour tenter d’échapper à l’échéance financière du paiement du solde du prix.
Elle fait valoir qu’une créance indemnitaire naît de la décision de condamnation et constitue une créance postérieure privilégiée non soumise à la déclaration des créances.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 24 février 2022.
MOTIFS DE LA DECISION :
1°) sur le dol :
Selon l’article 1116 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance du 10 février 2016, applicable au protocole de cession des titres du 19 juillet 2013, le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les man’uvres frauduleuses pratiquées par l’une des parties sont telles qu’il est évident que sans elles, l’autre partie n’aurait pas contracté.
Il est de principe que le dol ne se présume pas, qu’il ne peut résulter du seul manquement à une obligation précontractuelle de renseignement et qu’il doit être démontré que son auteur a agi intentionnellement pour tromper son cocontractant et le déterminer ainsi à conclure.
Les cessionnaires se prévalent de la violation d’une obligation précontractuelle d’information relative au respect par la société RAC de la réglementation sociale et de la minoration consécutive des charges sociales qui a faussé le résultat du dernier exercice comptable et particulièrement le niveau des capitaux propres de la société cible, information déterminante de leur consentement.
Le protocole d’acquisition de la société RAC du 19 juillet 2013 soumet les engagements des parties à la réalisation de trois conditions suspensives :
– une revue de trésorerie au 31 août 2013 dont l’objectif est de démontrer qu’à cette date le montant des disponibilités et de valeurs mobilières de placement est au moins de 900.000 euros, et celui des capitaux propres est au moins de 1.300.000 euros, selon des méthodes comptables similaires à celle retenue les années précédentes,
– l’obtention par les acquéreurs de financements bancaires d’un montant de 1.750.000 euros,
– l’agrément des acquéreurs par le conseil d’administration de la société RAC.
Aux termes de la garantie d’actif et de passif consentie par la société Pac Invest le 22 octobre 2013, cette dernière a notamment déclaré au paragraphe 6.3 relatif à la situation fiscale, parafiscale, douanière et sociale de la société RAC que :
– «la société est à sa connaissance en règle avec les législations et réglementations fiscales, parafiscales, douanières et sociales françaises ainsi qu’avec celles de tous les pays où elle a pu exercer une activité quelconque»
– «elle est a jour dans le paiement de tous les droits, taxes et impôts, directs ou indirects, précompte, prélèvement fiscal ou parafiscal, cotisation ou autre de sécurité sociale, tant en principal qu’en intérêt de retard et pénalité»,
Ces déclarations sont considérées à l’article II de la garantie d’actif et de passif comme constituant «une condition essentielle et déterminante de l’acquisition des valeurs mobilières par le bénéficiaire, sans lesquelles il n’aurait pas acquis»
Les cessionnaires versent aux débats les attestations établies par la société STS, son prestataire «paie et social», faisant état de risques prud’homaux et de redressement Urssaf évalués au 31 mars 2013 à 337.138 euros, ainsi qu’une note sur l’estimation du prix de cession qu’elle a sollicitée du cabinet Eight Advisory & Associés en mars 2017.
Ces pièces, qui ne constituent pas des rapports d’expertise, étant régulièrement versées aux débats et soumises à la discussion contradictoire, ne sauraient être écartées par le juge qui ne peut refuser de les examiner, mais reste souverain pour en apprécier la portée et la force probatoire.
Le jugement ne pourra être confirmé en ce qu’il a expressément écarté des débats la pièce C-13 de la société Via Appia Participations.
La société STS indique avoir identifié des pratiques de gestion sociale non conformes aux dispositions légales et conventionnelles telles que résultant de la convention collective nationale des transports et concernant :
– le paiement de la prime d’ancienneté,
– l’attribution et la gestion des repos compensateurs,
– les indemnités de transport du trajet domicile/ lieu de travail,
– les indemnités conventionnelles de repas,
et présente les résultats des calculs des redressements de charges sociales consécutifs sur les exercices 2011, 2012 et 2013.
La cour relève que ces calculs ont été réalisés sur les seuls livres de paie et déclarations annuelles de données sociales (DADS), qu’ils ne sont étayés d’aucune pièce justificative (bulletin de salaire, relevé d’heures, planning) alors que notamment la question des repos compensateurs impose nécessairement un examen des temps de travail individuels, qu’ils incluent de manière automatique des pénalités et majorations de retard et procèdent à un cumul systématique de la majoration conventionnelle pour ancienneté et de la prime d’ancienneté versée, sans vérifier si les salariés ont ou non été remplis de leur droits.
Les redressements ainsi calculés apparaissent tout à la fois théoriques et artificiels alors qu’il n’est pas démontré qu’ils ont effectivement donné lieu à des versements de compléments de salaire et à des régularisations de cotisations sociales auprès de l’Urssaf.
La note du cabinet Eight Advisory est elle-même basée sur les seules informations et documentations communiquées par la société Via Appia Participations et reposent exclusivement sur le chiffrage des anomalies réalisé par la société STS.
Les échanges de courriels versés aux débats permettent de constater que le 10 juin 2013, M. [H] a sollicité communication «dans le cadre des audits à réaliser» pour faire «un point plus détaillé sur la partie RH» de documents portant sur le personnel, les accords sociaux et l’Urssaf, les élections professionnelles, les contentieux en cours et les maladies professionnelles déclarées.
Il est établi que ces informations lui ont été transmises et notamment, les DADS et le compte rendu du dernier contrôle réalisé par l’Urssaf début 2012 et portant sur la période du 1er janvier 2009 au 31 décembre 2011.
Contrairement aux affirmations de la société Via Appia Participations, l’objet de ce contrôle, tel qu’il figure sur la lettre d’observations du 2 mars 2012, porte bien sur l’application des législations de sécurité sociale, d’assurance chômage et de garantie des salaires et que les documents consultés incluaient notamment les livres et fiches de paie, les Dads, la convention collective applicable, les bilans et comptes de résultat, les justificatifs de frais de déplacements.
Il y a lieu de relever que la période de vérification par l’Urssaf couvre pour partie (2010-2011) celle faisant l’objet d’une évaluation de redressement par la société STS, y compris au titre d’un «risque Urssaf».
La lettre d’observation fait apparaître que les vérifications ont donné lieu à des rappels de cotisations au titre des indemnités de repas et de rémunérations, ce qui permettait aux cessionnaires de se rendre compte que la gestion sociale de la société RAC n’étaient pas exempte d’erreurs, sans que ces dernières ne soient sources de régularisations importantes.
Les cessionnaires ont également bénéficié en juin d’un rapport d’audit des exercices 2012/2013 réalisé par la société Novances qui conclut à la sincérité des comptes sociaux et à leur conformité au plan comptable.
Ce rapport précise qu’une mission de revue des contrats de travail a été effectuée qui a constaté leur conformité à la législation et à l’absence de risques particuliers.
La société Via Appia Participations ne peut donc prétendre que les cédants ont manqué à leur obligation de renseignement alors qu’ils ont satisfait aux demandes de communication de documents et se sont soumis à l’audit d’une société tierce.
Au demeurant, selon les attestations qu’elle a établie, la société STS a identifié des risques prud’homaux et Urssaf sur les trois exercices précédant la cession des titres, ce qui tend à démontrer que les pratiques de gestion litigieuses n’ont pas été mises en place dans la perspective de la cession, mais qu’elles lui seraient bien antérieures.
Dans ces conditions, la société Via Appia Participations échoue à rapporter la preuve d’une réticence dolosive commise par la société Pac Investissements comme de la volonté de cette dernière de dissimuler à ses cocontractants l’existence de méthodes de gestion sociale destinées à augmenter artificiellement ses résultats financiers et le niveau de ses capitaux propres par la réduction de ses charges sociales, dans le but de les convaincre de poursuivre l’acquisition de ses titres.
En conséquence, la cour confirmera le jugement qui l’a déboutée de ses demandes indemnitaires.
2°) sur les demandes indemnitaires de la société Pac Investissements:
La société Pac Investissements entend être indemnisée des préjudices résultant de la rétention abusive du solde du prix de cession, de la rupture abusive de la convention d’assistance, de l’application de la clause de non-concurrence et de l’acharnement judiciaire qu’elle impute à la société Via Appia Participations.
Il résulte des dispositions des articles L.622-24 et R.622-24 du code de commerce que les créanciers, dont la créance est née antérieurement au jugement d’ouverture, doivent déclarer leur créance auprès du mandataire judiciaire dans le délai de deux mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bodacc.
Il est par ailleurs de principe que la conversion du redressement en liquidation judiciaire demeure sans effet sur le point de départ du délai de déclaration de la créance.
Nonobstant le caractère constitutif d’un jugement accordant une indemnisation, une créance de dommages-intérêts naît au jour de réalisation du dommage.
Les faits dommageables dont se prévaut la société Pac Investissements au titre de la rétention abusive du solde du prix de cession, de la rupture abusive de la convention d’assistance et de l’application de la clause de non-concurrence sont tous antérieurs à l’ouverture du redressement judiciaire, ainsi qu’elle-même le revendique dans sa déclaration de créance complémentaire du 15 mars 2021.
Sa créance de dommages et intérêts correspondant à ces faits devait donc être déclarée à la procédure collective.
Le jugement d’ouverture du redressement judiciaire de la société Via Appia Participations a été publié au Bodacc le 24 mai 2020 et si la société Pac Investissements a procédé à une déclaration de créance à concurrence de 50.000 euros le 17 juillet 2020 au titre de l’indemnité allouée par le tribunal de commerce de Vienne sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, elle n’a déclaré une créance de dommages-intérêts de 430.000 euros que le 15 mars 2021.
Seule peut échapper à la forclusion, la créance résultant de l’exercice abusif du droit d’appel postérieurement à l’ouverture du redressement judiciaire.
Cependant, il est de principe que l’exercice d’une action en justice ou d’une voie de recours constitue un droit fondamental qui ne peut dégénérer en abus sanctionné par l’octroi de dommages et intérêts que par l’effet d’une faute, dont la société Pac Investissements ne fait pas la démonstration, le litige relevant de l’appréciation de circonstances de fait.
La créance indemnitaire, dont la société Pac Investissements poursuit la reconnaissance et la fixation au passif à concurrence de 370.000 euros est inopposable à la procédure collective en vertu de l’article L.622-26 du code de commerce.
En conséquence, la demande de dommages-intérêts de la société Pac Investissements doit être déclarée irrecevable à concurrence de 370.000 euros et sera rejetée pour le surplus.
3°) sur l’article 700 du code de procédure civile et la demande d’inscription au passif :
En raison de l’effet dévolutif, les sommes allouées au titre de l’indemnité de l’article 700 du code de procédure civile résultent de la condamnation par voie de confirmation ou d’infirmation et sont donc nécessairement postérieures à l’ouverture de la procédure judiciaire. Elles ne peuvent donner lieu à inscription au passif.
PAR CES MOTIFS
La Cour statuant publiquement, contradictoirement, par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du Code de procédure civile, après en avoir délibéré conformément à la loi,
CONFIRME le jugement du tribunal de commerce de Vienne en date du 28 novembre 2019, sauf en ce qu’il a :
– écarté des débats contradictoires la pièce C-13 de la société Via Appia Participations,
– dit et jugé que le contentieux relatif à la rétention du crédit-vendeur a été tranché par l’ordonnance du tribunal de commerce de Lyon du 4 février 2015 et qu’il n’y a donc pas lieu de statuer au surplus,
– dit et jugé que la demande de dommages-intérêts en réparation du préjudice relatif à la rétention du crédit-vendeur et à l’acharnement judiciaire allégué par Pac Investissements n’est pas fondée,
– débouté la société Pac Investissements de ses demandes reconventionnelles en réparation du préjudice,
statuant à nouveau sur ces points,
DECLARE irrecevable la Sarl Pac Investissements en sa demande de dommages-intérêts à concurrence de 370.000 euros,
DEBOUTE la Sarl Pac Investissements du surplus de sa demande indemnitaire,
y ajoutant,
REJETTE les demandes fondées sur l’article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE la Sas Via Appia Participations aux dépens de l’instance d’appel.
SIGNÉ par Mme FIGUET, Présidente et par Mme RICHET, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
La GreffièreLa Présidente