Reddition des comptes : 2 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00912

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Reddition des comptes : 2 mars 2023 Cour d’appel de Douai RG n° 22/00912
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2 mars 2023
Cour d’appel de Douai
RG n°
22/00912

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision


Au nom du Peuple Français

COUR D’APPEL DE DOUAI

CHAMBRE 1 SECTION 1

ARRÊT DU 02/03/2023

****

N° de MINUTE :

N° RG 22/00912 – N° Portalis DBVT-V-B7G-UD4E

Ordonnance de référé (N° 21/00709)

rendue le 21 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Lille

APPELANTE

Madame [B] [E]

née le [Date naissance 3] 1972 à [Localité 19]

demeurant [Adresse 8]

[Localité 11]

représentée par Me Arnaud Boix, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

assistée de Me Alexandra Six, avocat au barreau de Paris, avocat plaidant

INTIMÉS

Monsieur [W] [K] en sa qualité de gérant de la SCI La Foncière du Nord

né le [Date naissance 5] 1963 à [Localité 17]

demeurant [Adresse 7]

[Localité 12]

La SCI La Foncière du Nord

prise en la personne de son représentant légal Monsieur [W] [K]

ayant son siège social [Adresse 13]

[Localité 11]

représentés par Me Frédéric Brazier, avocat au barreau de Lille, avocat constitué

DÉBATS à l’audience publique du 17 novembre 2022 tenue par Camille Colonna magistrat chargé d’instruire le dossier qui, après rapport oral de l’affaire, a entendu seule les plaidoiries, les conseils des parties ne s’y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 805 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l’issue des débats que l’arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe.

GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe

COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ

Bruno Poupet, président de chambre

Céline Miller, conseiller

Camille Colonna, conseiller

ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 02 mars 2023 après prorogation du délibéré en date du 09 février 2023 (date indiquée à l’issue des débats) et signé par Bruno Poupet, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.

ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 20 octobre 2022


****

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant procès verbal d’assemblée générale extraordinaire du 4 septembre 2000, la SCI du [Adresse 8] est devenue la SCI La foncière du Nord, comptant deux associés, M. [W] [K], gérant statutaire, et Mme [B] [E], détenant respectivement 51 % et 49 % des parts. Cette société est propriétaire de huit immeubles.

M. [K] et Mme [B] [E] ont divorcé le 5 novembre 2020.

Mme [E] a fait assigner Monsieur [K], ès qualités de gérant et la SCI la foncière du Nord devant le président du tribunal judiciaire de Lille statuant en référé aux fins de communication sous astreinte des éléments comptables et financiers relatifs à la société civile et de désignation d’un administrateur provisoire afin de gérer la société.

Par ordonnance contradictoire du 21 décembre 2021, le juge des référés a rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par les défendeurs mais débouté Mme [E] de ses demandes et condamné celle-ci à payer à M. [K] et à la SCI La foncière du Nord la somme de 1 000 euros au titre des frais irrépétibles et aux dépens.


Mme [E] a interjeté appel de cette ordonnance et aux termes de ses dernières conclusions notifiées le 21 juin 2022, demande à la cour, abstraction faite de certaines demandes de dire et juger qui ne sont pas des prétentions au sens des articles 4 et 954 du code de procédure civile mais un simple rappel de ses moyens, d’infirmer ladite décision et de :

– ordonner à M. [W] [K] de lui communiquer dans les quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, la remise des documents suivants en présence d’un huissier qui procédera à la liste et vérification des documents remis :

* copie de l’ensemble des baux des locaux suivants pour les années 2016 à 2021:

o [Adresse 13] [Localité 11] ;

o [Adresse 10] à [Localité 11] ;

o [Adresse 9] à [Localité 15] (rez-de-chaussée commercial) ;

o [Adresse 9] à [Localité 15] (appartement) ;

o [Adresse 20] à [Localité 18] ;

* les trois dernières quittances pour chacun des sept locataires ayant occupé les biens immobiliers de la SCI la foncière du Nord ;

* l’état des travaux engagés au [Adresse 4] à [Localité 16] ;

* un compte détaillé des recettes et dépenses pour les années 2016 à 2021 ;

* les relevés bancaires de la société pour les années 2016 à 2021 ;

* la copie des factures de travaux et attestations de paiement des taxes foncières pour les années 2016 à 2021 ;

* un état des dettes globales dont fiscales et charges de copropriété de 2016 à 2021 ;

* la déclaration de revenus fonciers 2072 pour 2016, 2017.

– fixer à l’encontre de M. [K] ès qualités de gérant de la SCI La foncière du Nord une astreinte provisoire de 500 euros par jour de retard à compter du quinzième jour suivant la signification de la décision à intervenir, en cas d’inexécution de l’injonction ci-dessus, entendue dans toutes ses modalités’;

– nommer un administrateur provisoire pour une durée de six mois à compter de la décision à intervenir, avec pour mission de gérer et d’administrer la SCI La foncière du Nord, en lieu et place du gérant, conformément à la loi et aux statuts et de prendre toute mesure nécessaire afin de rétablir le fonctionnement normal de la société ;

– juger que l’administrateur provisoire aura tous pouvoirs de :

* se faire communiquer tous documents sociaux de la société afin de restituer la comptabilité de celle-ci, faire le point sur la situation locative et l’état de chacun des locaux, le cas échéant régulariser les baux, de convoquer les assemblées générales nécessaires aux fins d’approuver les comptes et de répartir les bénéfices entre associés ;

* s’adjoindre les services d’un expert-comptable afin de procéder à l’examen des comptes 2016 à 2021 et signaler, le cas échéant, tous manquements aux règles comptables, fiscales, administratives et statutaires et examiner la légitimité des flux au sein de la SCI ;

– juger que la mission de l’administrateur provisoire durera jusqu’à reprise du fonctionnement normal de la société, que les honoraires de l’administrateur provisoire et de l’expert-comptable seront fixés par le président du tribunal judiciaire de Lille sur justificatifs, mis à la charge du gérant fautif, que l’administrateur provisoire pourra être renouvelé dans ses fonctions par simple ordonnance sur requête ;

– juger que la rémunération de l’administrateur provisoire sera mise à la charge personnelle de M. [K] ;

– condamner M. [K] ès qualités de gérant de la SCI la foncière du Nord à lui verser la somme de 2500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ; – le condamner à supporter les entiers frais et dépens de l’instance.

Au soutien de ses prétentions, elle développe un premier moyen au visa des articles 1855, 1856 du code civil et de l’article 48 du décret n°48-704 du 3 juillet 1978, tenant à l’impossibilité d’exercice de son droit d’information du fait de l’absence de communication des documents sociaux pour les exercices 2016 à 2021, les documents transmis dans le cadre de la procédure de divorce n’ayant pas trait au fonctionnement de la société et ne concernant pas la période litigieuse, et ceux transmis dans le cadre de la procédure en référé étant insuffisants et incomplets, ne permettant pas son information sur la situation comptable et financière de la société, la consultation des documents au siège de la société étant impossible en l’absence de mise à disposition de ces derniers par le gérant.

Elle soutient également, sur le fondement de l’article 835 du code de procédure civile, que la désignation d’un administrateur provisoire est justifiée au regard des irrégularités et défaillances du gérant entravant le fonctionnement normal de la société et menaçant celle-ci d’un péril imminent. Elle liste les défaillances reprochées au gérant eu égard à ses obligations légales et statutaires, constatées par l’expert-comptable par elle diligenté (absence de comptabilité, de détermination des résultats annuels et de répartition des bénéfices depuis 2016, d’assemblées générales depuis 2016, de respect du droit d’information de l’associée, de siège social, d’exploitation du patrimoine immobilier caractérisant une mauvaise gestion affectant gravement les résultats de la société ; existence de virements suspects) et fait valoir que le péril imminent est caractérisé par la radiation de la société intervenue le 31 mai 2021 et l’exposition de la société à un redressement fiscal, les conditions de cette désignation étant réunies.

Aux termes de leurs dernières conclusions notifiées le 6 mai 2022, la SCI La foncière du Nord et M. [K], en qualité de gérant, demandent à la cour de :

– confirmer la décision contestée en tous ces points ;

– débouter Mme [E] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;

– la condamner à leur verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Ils soutiennent que bon nombre de documents sociaux ont été communiqués à l’appelante, dans le cadre des procédures de divorce entre elle et M. [K] et de la précédente procédure en référé, outre qu’il n’est nullement fait opposition à la consultation des documents au siège social de la société, Mme [E] n’ayant jamais sollicité cette possibilité. Ils dénoncent la mauvaise foi de Mme [E] réclamant des documents déjà communiqués et dans un contexte d’absence d’intérêt et de participation à la société par le passé. Il font valoir que la société étant une société familiale soumise à l’impôt sur le revenu, il n’existe pas d’obligation de mise en place d’un compte de résultat ou de bilan comptable et que la comptabilité est régulièrement établie par les déclarations fiscales 2072 d’ailleurs transmises à Mme [E], que l’absence de mention de domiciliation de la société à l’adresse de son siège ([Adresse 13] à [Localité 11]) est indifférente, que l’exploitation, et en conséquence les revenus, sont par nature irréguliers, s’agissant de baux qui peuvent être résiliés.

Ils relèvent subsidiairement, qu’aucune condamnation de M. [K] ne pourrait être prononcée hors sa qualité de gérant, conformément à l’assignation délivrée, les conditions de l’article 834 du code de n’étant en tout état de cause pas remplies.

Il est renvoyé aux dernière conclusions des parties pour le détail de leur argumentation.


MOTIFS DE LA DÉCISION

L’article 834 du code de procédure civile dispose que dans tous les cas d’urgence, le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l’existence d’un différend et l’article 835 dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection […] peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite […]

Sur la demande de communication de pièces relatives à la situation financière de la société

Selon les dispositions de l’article 1855 du code civil, les associés ont le droit d’obtenir, au moins une fois par an, communication des livres et des documents sociaux, et de poser par écrit des questions sur la gestion sociale auxquelles il devra être répondu par écrit dans le délai d’un mois.

Selon l’article 48 du décret n°48-704 du 3 juillet 1978, en application des dispositions de l’article 1855 du code civil, l’associé non gérant a le droit de prendre par lui-même, au siège social, connaissance de tous les livres et documents sociaux, des contrats, factures, correspondances, procès-verbaux et plus généralement de tout document établi par la société ou reçu par elle. Le droit de prendre connaissance emporte celui de prendre copie.

L’article 1856 code civil dispose que les gérants doivent, au moins une fois dans l’année, rendre compte de leur gestion aux associés. Cette reddition de compte doit comporter un rapport écrit d’ensemble sur l’activité de la société au cours de l’année ou de l’exercice écoulé comportant l’indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues.

Il est constant que le caractère familial de la société et l’absence de demande de rapport émanant des associés n’exonèrent pas le gérant de l’obligation résultant de l’article 1856 du code civil et des statuts de la SCI de rendre compte de sa gestion aux associés au moins une fois dans l’année (Cour de cassation, chambre commerciale, 23 octobre 2019,17-31.653).

Par ailleurs, l’article 11,1° des statuts constitutifs de la SCI du [Adresse 8] du 18 juillet 1997, devenue la SCI La foncière du Nord suivant procès-verbal d’assemblée générale extraordinaire du 4 septembre 2000, stipule qu’une fois par an, tout titulaire de parts a le droit d’obtenir communication des livres et documents sociaux. À tout moment, il peut poser des questions écrites à la gérance sur la gestion sociale, auxquels il doit être répondu par écrit dans le délai d’un mois […] et l’article 11, 5° libellé « droits à la délivrance de documents », que toutes pièces seront délivrées en copies certifiées conformes par un gérant à tout associé sur demande, aux frais de la société, à moins qu’elles n’aient déjà été fournies auquel cas la gérance sera en droit d’exiger le remboursement des frais de copie et d’envoi […].

Il ressort des stipulations du 2° « décisions ordinaires » de l’article 20 des statuts libellé « forme des décisions » que sont de nature ordinaire toutes décisions collectives qui ne sont pas dans le champ d’application des décisions de nature extraordinaire, notamment : celles s’appliquant à l’approbation du rapport écrit d’ensemble des gérants sur l’activité de la société au cours de l’exercice écoulé comportant l’indication des bénéfices réalisés ou des pertes encourues et celles s’appliquant à l’affectation et à la répartition des résultats […] et de celles de l’article 22 « comptabilité’ comptes annuels ‘bénéfices ‘affectation et répartition » que les comptes sociaux sont tenus conformément au plan comptable national […]».

En l’espèce, il résulte de l’examen attentif des pièces produites aux débats que :

– les déclaration de revenus de la société (2072) produites pour les années 2018, 2019, 2020 et 2021 ne sont pas les imprimés ou extractions du service des impôts mais des formulaires vierges complétés de la main de M. [K] (le formulaire renseigné pour l’année 2021 étant tiré du site ‘oups.gouv.fr’, c’est-à-dire un formulaire obtenu dans le cadre d’une démarche de rectification de carence ou d’erreur) ;

– ces formulaires 2072 contiennent certains renseignements essentiels de comptabilité (recettes, déductions, frais et charges, identification et répartition du résultat fiscal), cependant, seul celui pour l’année 2018 concorde avec la déclaration de revenus fonciers de M. [K] (2044) pour la même année, les autres déclarations 2044 ne portant pas les renseignements concernant la SCI en cause (2044 de l’année 2020) ou n’étant pas produites (2044 des années 2019 et 2021) et ces formulaires 2072 ne mentionnent pas de rémunération attribuée aux associés, ce qui entre en contradiction avec les avances versées à Mme [E] et, de manière générale, avec les mouvements bancaires apparaissant aux relevés fournis,

– les déclarations de revenus de la société (2072) des années 2015, 2016 et 2017 ne sont pas produites alors que les déclarations de revenus fonciers du couple (2044) produites pour les années 2015, 2016 et 2017 ne permettent pas de connaître des éléments essentiels de comptabilité permettant d’aboutir au résultat imposable de ces années, seules les premières pages étant renseignées,

– il ne peut être tiré aucune conséquence de l’analyse des déclarations de revenus (2042) de M. [K] produites pour les années 2018 et 2019 dès lors qu’elles ne reprennent aucun détail de comptabilité et que le montant des revenus fonciers imposables qui y sont renseignés correspondent au total des revenus fonciers provenant de l’ensemble de son patrimoine immobilier, c’est à dire sans que la part de la SCI en cause puisse être distinguée,

– les relevés des mouvements affectant le compte bancaire de la société ne sont produits que pour la seule période du 6 février 2019 au 3 novembre 2021, et, sur cette période, aucune correspondance n’est établie concernant les virements libellés ‘vir. virement’,

– aucun détail des recettes et charges correspondant à un compte d’exercice, ni aucun justificatif permettant d’établir ce dernier (quittances, avis de taxe foncière, factures etc…) n’est produit et les justificatifs d’exploitation sont parcellaires.

Dès lors que l’information de l’associée a pour objet de lui permettre un exercice averti de ses droits et obligations, au cas présent, les éléments communiqués sont insuffisants, la situation financière et d’exploitation de la société et l’étendue de ses propres droits et obligations ne pouvant se déduire des pièces dont dispose l’appelante, sachant que la perception des avances sur revenus fonciers (et des revenus fonciers eux-mêmes) en dépendent.

Sur ce point, il est significatif que par courrier du 27 décembre 2021, M. [K] sollicite de son associée le remboursement de taxes foncières et charges de copropriété pour les années 2016/2021, (Pièce 6 appelante), sans produire de justificatif des montants et règlements effectués par la société à ces titres et ce malgré les demandes de communication des rapports de gestion des exercices écoulés et d’un état des dettes fiscales et autres dettes de la société formulées par l’appelante par mails des 7 janvier, 16 février, 9 mars 2021, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 mars 2021 et suivant mise en demeure par exploit d’huissier de justice du 6 mai 2021.

L’expert-comptable mandaté par Mme [E] relève également le défaut d’information suffisante, en ces termes « nous constatons l’absence d’assemblée générale et de rapports d’activité annuelle, de sorte que les obligations légales comptables ne sont pas respectées. Nous constatons une opacité complète sur la comptabilité et la gestion de cette société puisqu’il ne peut être rapproché aucune somme portée sur les déclarations fiscales avec un support comptable ». Il précise qu’il est impossible de reconstituer la comptabilité de la société, les relevés bancaires ne permettant pas de déterminer les loyers perçus, d’affecter les recettes, d’identifier la destination des fonds prélevés (lettre-rapport du 31 mars 2022).

Si, dans le cadre d’une société imposée à l’impôt sur le revenu, ce qui est le cas de la SCI La foncière du Nord, il n’y a pas d’obligation à la charge du gérant de produire des pièces comptables déterminées, notamment de compte de résultat ou bilan de bilan comptable, il ressort des textes légaux et des statuts de la SCI que l’obligation de reddition de comptes annuelle doit comporter un ‘rapport écrit d’ensemble sur l’activité de la société au cours de l’année ou de l’exercice écoulé comportant l’indication des bénéfices réalisés ou prévisibles et des pertes encourues ou prévues’.

Or, le gérant ne produit aucun document susceptible de remplir cette exigence, les formulaires de déclarations de revenus (2072), outre qu’ils ne sont produits que pour les années 2018, 2019, 2020 et 2021 étant lacunaires en ce qu’ils ne reprennent pas certains éléments essentiels tels que l’affectation des résultats, notamment la rémunération versée aux associés et aucun support comptable ne justifiant des décomptes des recettes et charges annuelles qui y sont déclarées, étant précisé qu’en l’absence de communication de l’ensemble des pièces justificatives de ces recettes et charges, la situation financière de la société ne peut être autrement reconstituée.

Il ne ressort pas des courriers adressés par M. [K] au notaire dans le cadre des procédures de divorce et de liquidation du régime matrimonial dressant la liste des pièces jointes que de tels comptes d’exercice ou documents permettant de reconstituer la situation financière de la société aient été communiqués, le premier juge relevant exactement que ces documents communiqués ‘n’ont pas trait au fonctionnement de la société existant entre les parties’.

De même, une connaissance suffisante de la situation financière de la société par Mme [E] ne peut se déduire de l’échange de mails du 7 janvier 2021, dès lors qu’il concerne l’estimation des biens et leur éventuel partage dans le cadre de la liquidation de leur régime matrimonial, certes en ce compris les biens de la SCI en cause, mais ne traite pas de sa gestion ou de son exploitation, sauf pour Mme [E] à réclamer un détail des dettes fiscales et autres dettes de la société, ce qui atteste de l’insuffisance de son information.

Enfin, le droit de l’associé d’obtenir, au moins une fois par an, communication de l’ensemble des documents sociaux par mise à disposition au siège social résultant des dispositions combinées des articles 1855 du code civil et 48 du décret n° 48-704 du 3 juillet 1978 et de l’article 1856 du même code, n’exclut pas l’obligation du gérant de produire, au moins une fois dans l’année, le rapport écrit d’ensemble sur l’activité de la société au cours de l’exercice écoulé susvisé, de sorte que le gérant ne peut utilement se retrancher derrière la mise à disposition des documents sociaux au siège et l’absence d’obligation d’en communiquer des copies hors les cas d’impossibilité de les consulter au siège social pour s’exonérer de son obligation annuelle d’information de l’associée sur la situation financière de la société, d’autant qu’en l’espèce, si M. [K] maintient que Mme [E] peut procéder à cette consultation, cette dernière justifie d’une demande d’accès à ces documents par courrier recommandé avec avis de réception du 25 janvier 2022 à laquelle il n’a pas été donné suite et de ce que l’huissier de justice n’a pu constater aucune trace de la société à l’adresse de son siège social.

Enfin, alors que l’article 11,5° des statuts ajoute à la charge du gérant une obligation de délivrer en copies certifiées conformes toutes pièces demandées par un associé, M. [K] ne démontre pas avoir déjà produit tous les documents sollicités par son associée et la sanction d’une communication antérieure ne serait alors que la facturation à l’associée du coût de la nouvelle communication et non le rejet de sa demande.

Dans ces conditions, le trouble manifestement illicite de l’exercice du droit à l’information est caractérisé, peu important que la volonté d’exercice de ce droit soit récent, et il doit être fait droit à la demande de Mme'[E] de communication de pièces permettant de reconstituer la situation financière de la société sur les exercices visés, dans les conditions reprises au dispositif et à l’exception des deux baux produits dans le cadre de la présente procédure (bail d’octobre 2015 avec la société Good’mandises concernant le local commercial [Adresse 13] à [Localité 11] et bail du 10 septembre 2018 concernant la maison de [Localité 18]) et des relevés bancaires de la société postérieurs au 5 février 2019. L’ordonnance entreprise devant être infirmée sur ce point.

Sur la demande désignation d’un administrateur provisoire

Il est constant que la désignation judiciaire d’un administrateur provisoire d’une société est une mesure exceptionnelle qui suppose rapportée la preuve de circonstances rendant impossible son fonctionnement normal et la menaçant d’un péril imminent.

Par ailleurs, le paragraphe 2° ‘pouvoirs internes’ de l’article 18 V ‘pouvoirs du gérant’ stipule que ‘[…] les actes et opérations suivants exigent l’accord des associés, savoir : […] baux d’immeubles, soit comme preneur soit comme bailleur s’ils sont supérieurs à neuf ans ou s’ils confèrent un droit à leur renouvellement’.

Il ressort des stipulations du 2° « décisions ordinaires » de l’article 20 des statuts intitulé « forme des décisions » que […] pour être valablement prises, les décisions ordinaires [notamment : celles s’appliquant à l’approbation du rapport écrit d’ensemble des gérants sur l’activité de la société au cours de l’exercice écoulé] exigent la présence ou la représentation de la totalité des parts sociales émises par la société. Elles sont adoptées à la majorité de 51 % des voix présentes ou représentées. L’article précise que […] par décision collective, les associés après approbation des comptes de l’exercice écoulé et constatation de l’existence d’un bénéfice distribuable, procèdent à toutes distributions, reports à nouveau, inscription à tout compte de réserves dont ils fixent l’affectation et l’emploi. »

En l’espèce, l’absence d’accès aux documents comptables et de production de comptes, qui, sans qu’une comptabilité particulière soit exigée dès lors que la société est imposée à l’impôt sur le revenu de ses associés, doivent être complets et intelligibles, a été précédemment démontrée et la mésentente entre les associés est manifeste, ressortant des échanges entre les parties, autant que de la multiplication des procédures judiciaires les opposant.

Concernant l’exploitation, la SCI La foncière du Nord compte huit immeubles, dont il ressort des pièces produites, notamment de la lettre-rapport du 31 mars 2022 de l’expert-comptable mandaté par l’appelante et des ‘pochettes’ dédiées à la gestion de chaque immeuble par les intimés, les situations suivantes :

– bureau [Adresse 8] à [Localité 11] : jouissance gratuite du local par Mme [E],

-appartement T2 [Adresse 4] à [Localité 16] : absence de bail depuis l’acquisition, loyer annuel indéterminé, crédit travaux en cours depuis l’origine mais travaux non engagés,

– immeuble à [Localité 15] (deux locaux): sur le local du rez-de-chaussée, existence d’une convention d’occupation précaire avec la société AMG Fermetures contre un loyer de 10 200 euros par an et pour une durée 23 mois à compter du 1 mars 2011 stipulant : ‘cette durée ne pourra en cas faire l’objet d’une reconduction. Le bail prendra fin à la date du 28 février 2013, sans qu’il soit besoin d’un congé’; absence de nouveau bail, ce local, et ensuite le local supérieur demeurant occupés par la société AMG Fermeture présentant un impayé de loyer de plus de 20 000 euros, le gérant justifiant d’une mise en demeure avec accusé de réception en 2018, puis d’une procédure de recouvrement par huissier de justice (2019) avec mise en place, en 2020, d’une convention de règlement amiable par compensation (fourniture et pose de menuiseries pour l’appartement de Malo) laquelle n’a pas été exécutée,

– local commercial de [Localité 21] : existence d’un bail 15 janvier 2015 mentionnant un loyer mensuel de 1 200 euros soit, 14’400 euros annuels,

– maison de [Localité 18] : bail du 10 septembre 2018, loyer de 750 euros par mois, soit 9 000 euros par an,

– bureau [Adresse 10] à [Localité 11] : absence de bail et loyer annuel indéterminé,

– local commercial [Adresse 13] à [Localité 11] : bail d’octobre 2015 avec la société Good’mandises qui a fait l’objet d’un jugement de liquidation judiciaire du 4 octobre 2021, impayés de loyers (courrier de mise en demeure rédigé par le gérant), déclaration de sinistre en 2021 (convocation du gérant à une expertise par l’assureur),

-bureau [Adresse 6] : jouissance gratuite du local par M. [K],

En somme, sur huit immeubles, trois sont loués (dont un, comportant deux lots, sans bail écrit), deux sont occupés gratuitement par les gérants, trois sont libres (dont deux en cours de réhabilitation), seuls deux immeubles génèrent des recettes ([Localité 21] et [Localité 18]).

L’expert-comptable estime le potentiel de loyers à percevoir par an à 63 240 euros, or ont été reportées sur les déclarations fiscales les recettes suivantes : 2016 : 36’012 euros ; 2017 : 34’658 euros ; 2018 : 41’160 euros ; 2019 : 30’640 euros ; 2020 : 26’500 euros ; 2021: 34380 euros, les résultats (après déduction des charges) étant pour les années communiquées de 2018 : 25 516 euros ; 2019 : 17 409 euros ; 2020 :10 614 euros ; 2021: 17 326 euros.

Si à l’instar de l’expert-comptable mandaté par l’appelante, ‘il y a lieu de s’interroger sur l’écart entre les loyers attendus et les loyer déclarés’, force est de constater que les quelques diligences réparties sur plusieurs années dont justifie le gérant sont insuffisantes au regard de l’exigence de gestion que génère ce patrimoine et ne peuvent se confondre avec l’aléa des vacances inhérent à l’activité de location d’immeuble.

Par ailleurs, il ne résulte pas des pièces produites aux débats qu’il ait été procédé à une quelconque reddition des comptes, que ce soit par consultation écrite sur la base d’un support reprenant la comptabilité de l’exercice écoulé, quelqu’en soit la forme, ou par la réunion d’une assemblée générale dont il n’est pas justifié de la réunion. Le gérant ne conteste pas l’absence de tenue des assemblées générales ordinaires annuelles depuis plus de cinq ans dénoncée par l’appelante par courrier recommandé du 6 mai 2021, les formalités afférentes (convocations, procès-verbaux, approbation des comptes) faisant également défaut.

Ces défaillances sont décrites par l’expert-comptable indiquant :’nous constatons l’absence d’assemblée générale et de rapports d’activité annuelle’ (lettre’rapport du 31 mars 2022).

Le gérant ne justifie pas, concernant les baux souscrits au nom de la société, de l’accord de l’associée dans les conditions de l’article 18 V 2° des statuts.

La destination de certains prélèvements apparaissant sur les relevés du compte bancaire de la société est inconnue, sans que le gérant ne justifie de la répartition ni de l’affectation des résultats.

Ainsi, l’absence de fonctionnement normal de la société est caractérisée et il en résulte, outre la distorsion entre le résultat pouvant raisonnablement être attendu et le résultat effectif de la société, un péril imminent manifesté par les difficultés financières témoignant de défauts de paiement (saisies à tiers détenteur directement sur les comptes de la société) et le risque de redressement fiscal généré par le défaut de rigueur de la comptabilité tenue, lequel est identifié par l’expert-comptable précisant que le redressement s’appliquerait au prorata des droits sociaux, c’est à dire à l’égard de Mme [E], à proportion de ses parts sociales.

Enfin, la situation de la société est à ce point obérée que l’actualisation au 8 juin 2022 de la situation de la société au répertoire SIRENE mentionne ‘entreprise cessée depuis le 31 mai 2021″ Etablissement fermé depuis le 31 décembre 2019″, l’imminence du péril et l’urgence à remédier aux écueils de gestion qui le causent étant parfaitement caractérisées.

Dans ces conditions, la désignation d’un administrateur provisoire s’impose et l’ordonnance entreprise doit être également infirmée de ce chef.

En conséquence de cette désignation, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande de l’appelante d’assortir d’une astreinte la condamnation du gérant à communiquer les pièces lui permettant de reconstituer la situation financière de la société.

Sur la demande à l’encontre de M. [K] à titre personnel

L’article 4 du code de procédure civile dispose que l’objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

L’article 122 du même code dispose que constitue une fin de non-recevoir tout moyen qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée.

Si le gérant peut être personnellement tenu pour responsable des préjudices causés à ses associés personnellement du fait de ses fautes de gestion, en l’espèce, la demande de Mme [E] à l’encontre de M. [K] est irrecevable, ce dernier n’ayant pas été assigné à titre personnel.

Vu les article 696 et 700 du code de procédure civile,


PAR CES MOTIFS

La cour

infirme l’ordonnance entreprise, sauf en ce qu’elle a rejeté l’exception de nullité de l’assignation soulevée par les défendeurs,

et statuant à nouveau :

ordonne à M. [W] [K], en qualité de gérant de la SCI La foncière du Nord, de communiquer à Mme [B] [E] dans les quinze jours suivant la signification de la décision à intervenir, les documents suivants, la charge de la preuve de cette communication incombant au gérant :

– une copie des baux des locaux loués pour les années 2016 à 2021 à l’exception des deux baux produits dans le cadre de la présente procédure (bail d’octobre 2015 avec la société Good’mandises concernant le local commercial [Adresse 13] à [Localité 11] et bail du 10 septembre 2018 concernant la maison de [Localité 18]) ;

– les trois dernières quittances pour chacun des biens immobiliers de la SCI la foncière du Nord ;

– l’état des travaux engagés au [Adresse 4] à [Localité 16] ;

– les relevés bancaires de la société pour les années au 5 février 2019 ;

– la copie des factures de travaux et attestations de paiement des taxes foncières pour les années 2016 à 2021 ;

– un état des dettes globales dont fiscales et charges de copropriété de 2016 à 2021 ;

– un compte détaillé des recettes et dépenses pour les années 2016 à 2021 ;

– la déclaration de revenus fonciers 2072 pour 2016 et 2017.

déboute Mme [B] [E] de sa demande d’astreinte ;

désigne la SELARL BMA, Me [H] [V], [Adresse 2], [Localité 11] ([XXXXXXXX01], [Courriel 14]) en qualité d’administrateur provisoire de la SCI La foncière du Nord pour une durée de six mois à compter de la présente décision, renouvelable par simple ordonnance du président du tribunal judiciaire de Lille saisi sur requête, avec pour mission de gérer et administrer la SCI La foncière du Nord, en lieu et place du gérant, conformément à la loi et aux statuts, et à cette fin de :

– se faire communiquer tous documents sociaux utiles, procéder à l’examen des comptes sur la période 2016 à 2021 et restituer la comptabilité de la SCI La foncière du Nord en s’adjoignant au besoin les services d’un expert-comptable,

– signaler, le cas échéant, tout manquement aux règles comptables, fiscales, administratives et statutaires,

– faire le point sur la situation locative et l’état de chacun des locaux, le cas échéant régulariser les baux,

– convoquer les assemblées générales nécessaires aux fins d’approbation des comptes et, le cas échéant, de répartition des bénéfices entre associés,

dit que les honoraires de l’administrateur provisoire et le cas échéant de l’expert-comptable seront fixés par le président du tribunal judiciaire de Lille sur justificatifs,

déclare irrecevable la demande de Mme [B] [E] de condamnation personnelle de M. [W] [K] au paiement de ces honoraires,

condamne M. [K] en qualité de gérant de la SCI la foncière du Nord à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;

Le condamne aux dépens.

Le greffier

Delphine Verhaeghe

Le président

Bruno Poupet

 


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