Reconnaissance des préjudices liés à un acte de terrorisme : Indemnisation des victimes directes et indirectes

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Reconnaissance des préjudices liés à un acte de terrorisme : Indemnisation des victimes directes et indirectes
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Contexte de l’Attentat

Le 13 novembre 2015, Monsieur [N] [E] assiste au concert des EAGLES OF DEATH METAL avec six amis au [9]. Pendant l’attaque terroriste, il se trouve dans la fosse et est témoin des événements tragiques, y compris des tirs visant des personnes à proximité, dont une amie qui est blessée.

Évasion et Réactions Immédiates

Après avoir tenté de se cacher en se faisant passer pour mort, Monsieur [N] [E] réussit à s’échapper de la salle en enjambant des corps. À l’extérieur, il fait face à des policiers armés, qu’il prend d’abord pour des terroristes. Il se réfugie ensuite derrière des voitures, inquiet pour ses amis restés à l’intérieur.

Impact sur la Compagne

Madame [O] [M], enceinte de sept mois et demi, reste à domicile avec leur fille de trois ans. Elle reçoit un appel de Monsieur [N] [E], qui est confus et paniqué. Après plusieurs échanges téléphoniques, ils conviennent d’un point de rendez-vous pour qu’un membre de la famille vienne le chercher.

État Psychologique et Reconnaissance de Victime

Monsieur [N] [E] est reconnu comme victime d’acte de terrorisme par le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (FGTI). Plusieurs expertises médicales sont réalisées, révélant des préjudices physiques et psychologiques significatifs.

Indemnisation Demandée

Monsieur [N] [E] demande une indemnisation pour divers préjudices, y compris des pertes de revenus, des souffrances endurées, et un préjudice d’angoisse. Il réclame un total de 1.807.666,82 euros, tandis que Madame [O] [M] demande une indemnisation pour son propre préjudice en tant que victime par ricochet.

Réponse du FGTI

Le FGTI propose des indemnités bien inférieures aux montants demandés par Monsieur [N] [E] et refuse de reconnaître Madame [O] [M] comme victime d’acte de terrorisme, arguant qu’elle n’était pas présente sur les lieux de l’attentat.

Procédure Judiciaire

Après l’échec des discussions amiables, Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] assignent le FGTI et la CPAM de Seine-Saint-Denis devant le tribunal pour obtenir une reconnaissance de leurs droits à indemnisation.

Décision du Tribunal

Le tribunal reconnaît Monsieur [N] [E] comme victime d’un acte de terrorisme et lui accorde des indemnités pour ses préjudices, tout en déboutant Madame [O] [M] de ses demandes d’indemnisation personnelle. Les montants alloués incluent des compensations pour les souffrances endurées, le déficit fonctionnel, et d’autres préjudices.

Conclusion et Exécution Provisoire

Le tribunal ordonne la clôture de la procédure et précise que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal. Le FGTI est condamné à payer les dépens de l’instance, et la décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

7 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n°
23/09321
TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS [1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :

PRPC JIVAT

N° RG 23/09321
N° Portalis 352J-W-B7H-C2FDP

N° MINUTE :

Assignation du :
26 Juin 2023
28 Juin 2023

JUGEMENT
rendu le 07 Novembre 2024
DEMANDEURS

Monsieur [N] [E]
[Adresse 2]
[Localité 7]

Madame [O] [M]
[Adresse 2]
[Localité 7]

représentés par Me Audrey BERNARD, avocat au barreau d’ESSONNE, vestiaire #C0482

DÉFENDEURS

LE FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES DES ACTES DE TERRORISME ET D’AUTRES INFRACTIONS
[Adresse 4]
[Localité 8]

représenté par Me Patricia FABBRO, avocat au barreau de PARIS, vestiaire #P0082

CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE SAINT DENIS
[Adresse 1]
[Localité 6]

défaillante

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Pascal LE LUONG, Premier Vice-Président
Sabine BOYER, Vice-Présidente
Sarah CASSIUS, Vice-Présidente

assistés de Véronique BABUT, Greffier

DEBATS

A l’audience du 26 Septembre 2024 tenue en audience publique
Après clôture des débats, avis a été donné aux parties que le jugement serait rendu par mise à disposition au greffe le 07 Novembre 2024.

JUGEMENT

– Réputé contradictoire,
– En premier ressort,
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile

EXPOSE DU LITIGE

Monsieur [N] [E] s’est rendu au [9] 13 novembre 2015, afin d’assister au concert des EAGLES OF DEATH METAL.

Il expose qu’il assistait au concert avec six de ses amis et que lors de l’attaque terroriste, il se trouvait dans la fosse.
Il décrit s’être immédiatement allongé lorsqu’il a entendu les premières rafales et s’être alors retrouvé sur le flanc droit au-dessus de plusieurs personnes, face à l’entrée principale et au bar, de sorte qu’il précise qu’il pouvait très bien voir deux des trois assaillants et assister aux coups de feu visant des personnes se trouvant comme lui dans la fosse et notamment à proximité de lui. Il fait état de ce qu’une de ses amies proches a ainsi reçu une balle au niveau de l’épaule gauche.

Monsieur [N] [E] relate qu’il est alors resté immobile et pétrifié pendant de longues minutes, en essayant de «faire le mort». Après une trentaine de minutes, alors que les assaillants sont montés au balcon, il dit s’être alors relevé et avoir traversé la salle en direction de la porte principale pour s’échapper, tout en devant enjamber et piétiner des corps ensanglantés.

Une fois passé la porte d’entrée, Monsieur [E] décrit avoir alors fait face à 2 hommes dont l’un a pointé une arme sur lui, croyant qu’il s’agissait de terroristes mais qui étaient en réalité des policiers armés.

Lorsqu’il s’est retrouvé à l’extérieur, il explique être passé devant la terrasse du [9] CAFE où se trouvaient également de nombreux corps.

Les tirs ayant repris, Monsieur [N] [E] relate avoir a cherché un endroit pour se mettre à l’abri et s’est réfugié à l’angle de la [Adresse 11], derrière des voitures stationnées dans le boulevard, précisant qu’il s’inquiétait alors pour ses amis restés dans la salle compte tenu des explosions et des tirs qui continuaient.

Madame [O] [M] est la compagne de Monsieur [N] [E].
Enceinte de 7 mois et demi, elle était restée à leur domicile avec leur première fille prénommée [Y], alors âgée de 3 ans.

Selon leur récit commun, au bout d’une vingtaine de minutes, Monsieur [N] [E] a appelé Madame [O] [M], mais était alors confus, paniqué et n’arrivait pas à s’exprimer. L’appel a été coupé et sa compagne a dû attendre qu’il la recontacte plusieurs minutes plus tard.

Madame [O] [M] expose que pendant leur échange téléphonique qui a duré entre 30 et 40 minutes et qui a été de nouveau coupé à plusieurs reprises, elle a essayé de comprendre ce qu’il se passait puis de raisonner son compagnon afin qu’il ne retourne pas dans la salle pour aider ses amis.

Ils disent avoir convenu, au bout d’une heure, d’un point de rendez-vous pour que la mère de Monsieur [N] [E], qui se trouvait à leur domicile ce soir-là, puisse venir le chercher.

Ils soulignent que lorsque Monsieur [N] [E] a regagné leur domicile, il était en pleurs et couvert de sang qui n’était pas le sien. Ils ont alors passé la soirée et une grande partie de la nuit à essayer d’avoir des nouvelles de leurs amis qui se trouvaient également au [9].

S’agissant de Monsieur [N] [E], le statut de victime d’acte de terrorisme a été reconnu par le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres Infractions (ci-après désigné «le FGTI»).

Une première expertise a ainsi eu lieu le 27 avril 2017 lors de laquelle Monsieur [N] [E] a été assisté par le Docteur [Z].

Aux termes d’un rapport établi le 7 mai 2017, il conclut que son état n’est pas consolidé.

Une provision complémentaire de 15.000 euros a été versée fin mai 2017, puis une seconde de 10.000 euros le 21 décembre 2017.

Le Docteur [H] a réexaminé Monsieur [E] le 6 mars 2018.

Dans son rapport établi le 11 mars 2018, le docteur [H] considère que l’état de Monsieur [N] [E] est consolidé depuis le 14 février 2018 et évalue son préjudice corporel comme suit :
– Arrêt total des activités professionnelles : du 13 novembre 2015 au 14 septembre 2016
– Déficit fonctionnel temporaire partiel de 75% du 13 novembre 2015 au 31 décembre 2015
– Déficit fonctionnel temporaire partiel de 50% du 1er janvier 2016 au 30 mars 2016
– Déficit fonctionnel temporaire partiel de 33% du 31 mars 2016 au 30 octobre 2017
– Déficit fonctionnel temporaire partiel de 25% du 1er novembre 2017 au 14 février 2018
– Souffrances endurées : 5/7
– Existence d’un préjudice d’angoisse de mort imminente considéré comme majeur
– Déficit fonctionnel permanent : 15%
– Préjudice d’agrément : existe concernant les concerts, le cinéma et les loisirs, dans toute situation avec un risque d’influence de foule. Absence de reprise de la voile par manque de motivation
– Préjudice sexuel : non établi de façon définitive

– Incidence professionnelle définitive : reconversion professionnelle imputable et existence de troubles de l’attention et de la concentration qui entraînent quelques difficultés dans son potentiel créateur.

Suite au dépôt de ce rapport, le Fonds de garantie a offert, le 29 mars 2018, d’indemniser Monsieur [E] à hauteur de 146.777 euros, soit la somme de 99.833 euros après déduction des provisions versées.
Une provision complémentaire de 70.477,60 euros a par ailleurs été versée le 4 mai 2018.
Une nouvelle provision de 15.000 euros a été versée le 11 mai 2021.

S’agissant de Madame [O] [M], le Fonds de garantie a refusé le 9 mars 2017 de la reconnaître comme victime d’acte de terrorisme et de faire droit à ses demandes à ce titre en faisant valoir qu’elle ne se trouvait pas sur les lieux de l’attentat.

Madame [O] [M] a ressaisi à nouveau le FGTI le 6 octobre 2022, qui n’a pas donné suite à sa demande.

Suite à l’échec des discussions amiables quant à leur indemnisation respective, par actes délivrés les 26 et 28 juin 2023, Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] ont fait assigner le FGTI et la CPAM de Seine Saint-Denis devant ce tribunal aux fins de voir reconnaître son droit à indemnisation et de voir liquider ses préjudices.

Dans ses conclusions récapitulatives notifiées par voie électronique le 24 janvier 2024, Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] demandent au tribunal de :
S’agissant de Monsieur [N] [E]
Dire et juger que Monsieur [N] [E] a été victime d’un acte de terrorisme commis à [Localité 10] le 13 novembre 2015 et qu’il a droit, à ce titre, à l’indemnisation des préjudices résultant de l’atteinte à sa personne au titre de la solidarité nationale

Condamner par conséquent le FGTI à payer à Monsieur [N] [E], en deniers ou quittances, provisions non déduites, les sommes de :
– Déficit fonctionnel temporaire : 9.047,50 euros
– Souffrances endurées : 35.000 euros
– Préjudice d’angoisse de mort imminente : 80.000 euros
– Déficit fonctionnel permanent : 37.500 euros
– Préjudice d’agrément : 10.000 euros
– Préjudice exceptionnel des victimes d’attentats : 30.000 euros
– Frais de déplacement : 111,52 euros
– Incidence professionnelle et perte de revenus : 1.606.007,80 euros
Soit la somme totale de : 1.807.666,82 euros

A titre subsidiaire, si le Tribunal refusait de retenir l’existence d’une perte de chance de vendre ses parts à un meilleur prix pouvant être évaluée à 100.000 euros ou d’ordonner, avant dire droit sur l’indemnisation du poste «incidence professionnelle», une expertise comptable afin d’évaluer la valeur des titres cédés par Monsieur [E] à Madame [P] en juin 2016,

Condamner le FGTI à payer à Monsieur [N] [E], en deniers ou quittances, provisions non déduites, une somme supplémentaire de 50.000 euros au titre du poste «souffrances endurées» en raison de celles occasionnées par le fait d’avoir été contraint de négocier la vente de ses titres alors même qu’il se trouvait dans un état psychologique très altéré.

S’agissant de Madame [O] [M]
Déclarer recevables les demandes formulées par Madame [O] [M], conjointe de Monsieur [E]
Condamner le FGTI à payer à Madame [O] [M], en réparation des préjudices subis en qualité de victime par ricochet, en deniers ou quittances, provisions non déduites, les sommes de :
– Préjudice d’attente et d’inquiétude : 10.000 euros
– Préjudice d’affection : 15.000 euros
– Troubles dans les conditions d’existence : 10.000 euros
Soit la somme totale de : 35.000 euros

Dire et juger que Madame [O] [M] a également droit à l’indemnisation des préjudices occasionnés par l’atteinte à son intégrité psychique dont elle a personnellement été victime ;
Avant-dire droit sur le montant de l’indemnisation lui revenant à ce titre,
Ordonner une mesure d’expertise confiée à tel expert psychiatre qu’il plaira au Tribunal de désigner avec pour mission de :
1) Retracer l’état médical de la victime sur le plan psychologique avant l’acte de terrorisme
2) Prendre connaissance de la situation personnelle et professionnelle de la victime ; fournir le maximum de renseignements sur son mode de vie, ses conditions d’activité professionnelle, son statut exact
3) Recueillir les doléances de la victime et éventuellement de ses proches
4) Procéder à un examen psychologique de la victime
5) Décrire les soins et traitements dont la victime a fait l’objet suite à l’acte de terrorisme en précisant :
✓ si un éventuel état antérieur aurait évolué de façon identique en l’absence des faits
✓ si les faits ont eu un effet déclenchant d’une décompensation
✓ s’ils ont entraîné une aggravation de l’évolution normalement prévisible si les faits ne s’étaient pas produits. Dans ce cas, donner tous les éléments permettant de dégager une proportion d’aggravation
6) Procéder à l’évaluation des dommages subis par la victime sur le plan psychologique qui sont imputable à l’acte de terrorisme en respectant la nomenclature DINTILHAC :
➢ Déficit fonctionnel temporaire :
– Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été dans l’incapacité totale ou partielle de poursuivre ses activités personnelles habituelles et a subi une perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante
– En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
➢ Souffrances endurées
– Décrire les souffrances psychiques ou morales subies de l’acte de terrorisme jusqu’à la consolidation
– Les évaluer sur une échelle de 1 à 7 ;
➢ Déficit fonctionnel permanent
– Indiquer si, après la consolidation, la victime subit un déficit fonctionnel permanent défini comme étant :
❖ une altération permanente et définitive d’une ou plusieurs fonctions mentales
❖ les douleurs permanentes qui subsistent le plan psychique et/ou moral
❖ la perte de la qualité de vie et les troubles dans les conditions d’existence au quotidien
➢ Préjudice d’agrément
– Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si la victime a été et/ou est empêchée de manière définitive, en tout ou partie, de se livrer à ses activités de loisir ;
➢ Préjudice sexuel

– Indiquer si la victime subit ou a subi un préjudice sexuel défini comme étant l’altération, partielle ou totale, de la libido
➢ Préjudice d’établissement
– Indiquer si la victime subit une perte de chance de réaliser et/ou de mener une vie familiale dite «normale»
➢ Pertes de gains professionnels actuels
– Indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été dans l’incapacité d’exercer totalement ou partiellement son activité professionnelle ;
– En cas d’incapacité partielle, préciser le taux et la durée ;
➢ Assistance par tierce personne
– Indiquer le cas échéant si l’assistance constante ou occasionnelle d’une tierce personne (étrangère ou non à la famille) est et/ou a été nécessaire pour accomplir les actes
de la vie quotidienne ;
– Préciser la nature de l’aide à prodiguer et sa durée quotidienne, hebdomadaire ou mensuelle ;
➢ Dépenses de santé
– Décrire les soins et traitements qui restent nécessaires en précisant la nature, la quantité, ainsi que la durée prévisible
➢ Pertes de gains professionnels futurs
– Indiquer si le déficit fonctionnel permanent entraîne l’obligation pour la victime de cesser totalement ou partiellement son activité professionnelle ou de changer d’activité professionnelle ;
➢ Incidence professionnelle
– Indiquer, notamment au vu des justificatifs produits, si le déficit fonctionnel permanent entraîne des répercussions sur son activité professionnelle actuelle ou future (obligation de formation pour un reclassement professionnel, pénibilité accrue dans son activité, “dévalorisation” sur le marché du travail, etc.) ;
7) Relater toutes les constatations ou observations ne rentrant pas dans le cadre des rubriques mentionnées ci-dessus que vous jugerez nécessaires pour l’exacte appréciation des préjudices subis par la victime et en tirer toutes les conclusions médico-légales ;
8) Fixer la date de consolidation et, en l’absence de consolidation, dire à quelle date il conviendra de revoir la victime ; Dans ce cas, préciser, lorsque cela est possible, les dommages prévisibles pour l’évaluation d’une éventuelle provision ;
9) Dire si l’état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ;
10) Établir un état récapitulatif de l’ensemble des postes énumérés dans la mission.

Surseoir à statuer sur l’indemnisation revenant à Madame [O] [M] en réparation de son préjudice corporel jusqu’au dépôt du rapport d’expertise
Condamner le FGTI à payer à Madame [O] [M], en réparation de l’atteinte à son intégrité psychique, les sommes de :
– 5.000 euros à titre de provision à valoir sur l’indemnisation de son préjudice corporel
– 2.000 euros à titre de provision ad litem

S’agissant de Monsieur [E] et de Madame [M], ensemble
Condamner le FGTI à payer à Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] la somme de 2.000 euros chacun sur le fondement des dispositions de l’article 700 du Code de procédure civile
Dire et juger que l’ensemble des sommes allouées porteront intérêts au taux légal à compter du jugement et que le taux de l’intérêt légal sera majoré de 50% à l’expiration d’un délai de deux mois et qu’il sera doublé à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter du jour de la décision de justice, lorsque celle-ci est contradictoire et, dans les autres cas, du jour de la notification de la décision
Condamner le FGTI aux entiers dépens de la procédure, avec distraction au profit de Maître Audrey BERNARD, membre de la SELAS ACG, pour ceux dont elle a fait l’avance sans avoir reçu provision, conformément aux dispositions de l’article 699 du Code de procédure civile.

Aux termes de ses conclusions signifiées par voie électronique le 23 octobre 2023, le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI) demande au tribunal de :

1- Indemniser Monsieur [N] [E], victime directe, en fixant les indemnités suivantes :
– Frais divers : 111,52 euros
– Perte de gains professionnels futurs : REJET
– Incidence professionnelle : 50.000 euros
– Déficit fonctionnel temporaire : 7.483 euros
– Souffrances endurées : 30.000 euros
– Préjudice d’angoisse de mort imminente : 15.000 euros
– Déficit fonctionnel permanent : 34.500 euros
– Préjudice d’agrément : 5.000 euros
Constater l’offre du Fonds de Garantie de payer à Monsieur [N] [E] :
– PESVT : 30.000 euros,
Constater l’accord de Monsieur [N] [E] sur ce montant.
Par conséquent, allouer à Monsieur [N] [E] la somme de 30.000 euros au titre du PESVT.
Débouter Monsieur [N] [E] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires.
Déduire les provisions versées à Monsieur [N] [E] à hauteur de 130.477,60 euros.

2- Indemniser Madame [O] [M], pris en sa qualité de victime indirecte, en fixant les indemnités suivantes :
– Préjudice d’attente et d’inquiétude : REJET
– Préjudice d’affection et troubles dans les conditions d’existence : 5.000 euros
– Expertise : REJET
– Provisions, toutes causes confondues : REJET

Débouter Madame [O] [M] du surplus de ses demandes, plus amples ou contraires.

Laisser à la charge du Trésor Public les dépens de l’instance.

La caisse primaire d’assurance maladie de Seine- Saint- Denis, quoique régulièrement assignée, n’a pas constitué avocat ; susceptible d’appel, la présente décision sera donc réputée contradictoire à l’égard de tous.

La clôture de la présente procédure a été prononcée le 28 mars 2024.

Par ordonnance en date du 16 mars 2024, le juge de la mise en état a révoqué l’ordonnance de clôture et renvoyé l’affaire à l’audience de plaidoirie du 26 septembre 2024. 

La clôture de la procédure a été prononcée à l’audience du 26 septembre 2024.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties quant à l’exposé détaillé de leurs prétentions et moyens.

L’affaire a été mise en délibéré au 7 novembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il convient de prononcer la clôture de la procédure à la date de l’audience soit le 26 septembre 2024.

I. SUR LES DEMANDES DE LA VICTIME DIRECTE, MONSIEUR [N] [E]

A. Sur le droit à indemnisation

Aux termes de l’article L 126-1 du code des assurances, les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.
 
Selon l’article 421-1 du code pénal, “constituent des actes de terrorisme, lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur, les infractions suivantes et notamment les atteintes volontaires à la vie, les atteintes à l’intégrité de la personne, l’enlèvement et la séquestration”.
 
Il n’est pas contesté et il résulte en tout état de cause de l’analyse de la procédure que Monsieur [N] [E], né le [Date naissance 3] 1979, a été victime le 13 novembre 2015 de l’attentat survenu au [9], s’étant retrouvé dans la salle de concert au niveau de la fosse lors de l’attentat avant de réussir à s’enfuir.
 
Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser Monsieur [N] [E] des conséquences dommageables de l’attentat.

B. Sur l’évaluation du préjudice

Réalisé dans un cadre amiable, le rapport d’expertise ci-dessus évoqué présente un caractère complet, informatif et objectif.

Au vu de l’ensemble des éléments versés aux débats, le préjudice subi par Monsieur [N] [E] né le [Date naissance 3] 1979 et âgé par conséquent de 36 ans lors de l’attentat, 38 ans à la date de consolidation de son état de santé, et 45 ans au jour du présent jugement, et exerçant la profession de graphiste lors des faits, sera réparé ainsi que suit, étant observé qu’en application de l’article 25 de la loi n° 2006-1640 du 21 décembre 2006, d’application immédiate, le recours subrogatoire des tiers payeurs s’exerce poste par poste sur les seules indemnités qui réparent des préjudices qu’ils ont pris en charge.

I. Préjudices patrimoniaux

– Dépenses de santé avant consolidation

Monsieur [N] [E] ne sollicite aucune somme à ce titre.

– Frais divers

Monsieur [N] [E] sollicite la somme de 111,52 euros au titre des frais de déplacement pour se rendre à l’hôpital [12] en voiture afin de poursuivre sa prise en charge psychiatrique, somme que le FGTI accepte de verser.

Préjudices professionnels actuels et futurs et incidence professionnelle
Avant consolidation, il s’agit de compenser les répercussions de l’invalidité sur la sphère professionnelle de la victime jusqu’à la consolidation de son état de santé. L’évaluation de ces pertes de gains doit être effectuée in concreto au regard de la preuve d’une perte de revenus établie par la victime jusqu’au jour de sa consolidation.

Après consolidation, ce poste indemnise la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est confrontée du fait du dommage dans la sphère professionnelle après la consolidation de son état de santé.

Monsieur [N] [E] soutient que sa reconversion professionnelle étant exclusivement imputable aux répercussions psychologiques de l’attentat du 13 novembre 2015, le Fonds de garantie doit prendre en charge l’intégralité de la perte de chance d’éviter la perte de revenus qui a été subie et sollicite la somme totale de 1.606.007,80 euros au titre des répercussions de l’attentat sur le plan professionnel (soit 100.000 (vente des parts de sa société dans de mauvaises conditions) + 378.277,80 (perte de chance de 75% de subir une perte de revenus jusqu’au 31 décembre 2022)+ 1.127.730 (somme viagère à compter du 1er janvier 2023)).

Le FGTI s’oppose à l’indemnisation de la vente des parts de la société et à la perte des revenus. Il admet une incidence professionnelle liée aux troubles de l’attention et de la concentration et relève que l’expert n’a pas retenu de difficultés le privant d’exercer une quelconque activité professionnelle ni même celle antérieurement exercée lors des faits, et offre la somme de 50.000 euros.

En l’espèce, s’agissant tout d’abord des conditions de la vente des parts de leur société, force est de constater, ainsi que le relève le FGTI, que si Monsieur [N] [E] estime avoir subi un vice du consentement, des voies de recours lui sont ouvertes pour contester les conditions de cette vente au regard de son état psychique au moment où elle s’est concrétisée, même s’il convient de relever que le demandeur admet que la volonté de vendre ainsi que le début des démarches en ce sens sont antérieurs aux attentats du 13 novembre 2015.

Monsieur [N] [E] sera donc débouté de sa demande portant sur la réparation «de la vente des parts dans de mauvaises conditions».

S’agissant de sa reconversion professionnelle, il ressort de l’expertise que le docteur [H] retient au plan de l’incidence professionnelle définitive «une reconversion professionnelle imputable, et les troubles de l’attention, de la concentration, quelques difficultés dans son potentiel créateur».

Monsieur [N] [E] était au moment des faits créateur graphiste, travaillant notamment pour la société [Localité 10] CALLING dont il disposait de parts notamment avec sa compagne et était l’un des co-gérants.

Il a exposé à l’expert qu’en 2014, il avait été approché par un groupe qui a voulu racheter l’agence, la négociation ayant été difficile et les relations avec leur associée commerciale s’étant tendues, en juillet 2014 leur associée a envisagé de racheter leurs parts, et leurs relations se sont crispées en septembre 2015.

Il est constant que suite aux attentats du 13 novembre 2015, Monsieur [N] [E] a été placé en arrêt de travail continu jusqu’au 14 septembre 2016 pour un «état psychique ne permettant pas d’activité professionnelle». Monsieur [N] [E] a exposé à l’expert que «dessiner des flacons de shampoings» n’avait plus aucun intérêt, qu’il ne souhaite plus faire un métier uniquement commercial et alimentaire, ce qui explique, selon lui, sa reconversion, et le fait qu’ensuite, il a pris des cours avec un luthier guitare afin de pouvoir produire des instruments à son domicile en l’état. Il est décrit qu’avec sa compagne, ils ont créé une SARL qui a pour objet son activité de luthier et l’activité créatrice de bijoux de son épouse, et des créations graphiques ce qui lui permet d’enseigner un jour par mois dans une école spécialisée.

La convention de cession de titres signée le 27 juin 2016 produite aux débats fait état de ce que dans le courant de l’année 2014, la société [Localité 10] CALLING a été approchée par un groupe de communication internationale, mais que le processus de cession n’a pas abouti. De plus, le protocole d’accord transactionnel évoque la mésentente instaurée depuis 2015 entre les co-gérants qui a abouti à un blocage dans la gestion de la société [Localité 10] CALLING, «mettant en péril son devenir».

Ainsi, eu égard à ces éléments objectifs, Monsieur [N] [E] ne prouve pas qu’il aurait continué à travailler au sein de la société [Localité 10] CALLING ainsi qu’il l’allègue dans ses conclusions, même en cas d’achat par le groupe ou de cession de parts au bénéfice de Madame [B] [P] eu égard à la mésentente installée avant même les attentats et au projet de reconversion professionnelle acté par Madame [O] [M] dans le même temps que son congé maternité.

Ainsi, si la reconversion professionnelle effectivement engagée par Monsieur [N] [E] peut être imputable à l’impact et aux séquelles de l’attentat, elle est expliquée par une perte de sens mais non par une incompatibilité de son état de santé avec sa profession antérieure et sans que Monsieur [N] [E] ne démontre qu’il n’est plus en mesure d’exercer sa profession de graphiste autrement.

De plus, en terme d’objectivation de ses pertes de revenus ou de sa perte de chance de percevoir les revenus qu’il percevait avant les attentats, Monsieur [N] [E] ne prouve pas quels auraient été ses revenus sans l’attentat puisqu’il n’est pas justifié qu’il serait resté dans la société [Localité 10] CALLING.

En tout état de cause, Monsieur [N] [E] a vendu ses parts et a ainsi perçu une valorisation de son investissement dans cette société.

En outre, s’il existe des limitations dans sa force de travail professionnelle qu’il convient d’indemniser au titre de l’incidence professionnelle, l’expert n’a pas conclu à son impossibilité de travailler, y compris dans la profession qu’il exerçait et de fait, il n’a pas complètement renoncé à ses anciennes compétences puisqu’il donne des cours de typographie et continue dans une voie artistique puisqu’il s’est tourné vers un métier de luthier. Ces éléments caractérisent un changement de carrière professionnelle pour laquelle les revenus futurs ne sont pas encore établis.

Monsieur [N] [E] n’objective pas ainsi les pertes de gains professionnels avant consolidation et après consolidation qu’il aurait subis et qu’il subira.

Monsieur [N] [E] sera ainsi débouté de ses demandes relatives à la perte de gains professionnels actuels et futurs fondés sur le différentiel de revenus entre son travail actuel et celui qu’il exerçait avant l’attentat.

En revanche, il convient d’indemniser Monsieur [N] [E] au titre de l’incidence professionnelle qui n’est, au demeurant, pas contestée par le FGTI.

Ce poste d’indemnisation a pour objet d’indemniser les incidences périphériques du dommage touchant à la sphère professionnelle comme le préjudice subi par la victime en raison de sa dévalorisation sur le marché du travail, de sa perte d’une chance professionnelle, ou de l’augmentation de la pénibilité de l’emploi qu’elle occupe imputable au dommage ou encore du préjudice subi qui a trait à sa nécessité de devoir abandonner la profession qu’elle exerçait avant le dommage au profit d’une autre qu’elle a du choisir en raison de la survenance de son handicap. Ce poste indemnise également la perte de retraite que la victime va devoir supporter en raison de son handicap, c’est-à-dire le déficit de revenus futurs, estimé imputable à l’accident, qui va avoir une incidence sur le montant de la pension auquel pourra prétendre la victime au moment de sa prise de retraite.

Au regard des éléments versés aux débats, les séquelles dont est victime Monsieur [N] [E], à savoir ses troubles de l’attention, de la concentration et quelques difficultés dans son potentiel créateur ont une incidence sur sa sphère professionnelle et en particulier :
– Sur le plan de la pénibilité et de la fatigabilité au travail,
– De sa dévalorisation sur le marché du travail au vu des éléments précités, alors qu’il a une formation artistique de graphiste et a exercé dans ce domaine,
Or ces données doivent être appréciée au regard de l’âge de 39 ans, qui est né le [Date naissance 3] 1979.

Dans ces conditions, il convient d’allouer la somme de 50.000 euros à ce titre.

II. Préjudices extra-patrimoniaux

– Déficit fonctionnel temporaire

Ce poste de préjudice indemnise l’invalidité subie par la victime dans sa sphère personnelle pendant la maladie traumatique. Le déficit fonctionnel temporaire inclut pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique.

Monsieur [N] [E] sollicite une base de 30 euros par jour, le FGTI offre une base de 25 euros par jour.

En l’espèce, il ressort du rapport d’expertise ce qui suit s’agissant du déficit fonctionnel temporaire :
– Déficit de 75% du 13 novembre 2015 au 31 décembre 2015 soit pendant 49 jours,
– Déficit de 50% du 1er janvier 2016 au 30 mars 2016 soit pendant 90 jours,

– Déficit de 33% du 31 mars 2016 au 30 octobre 2017 soit pendant 580 jours,
– Déficit de 25% du 1er novembre 2017 au 14 février 2018 soit pendant 106 jours.

Sur la base d’une indemnisation de 30 euros par jour pour un déficit total, adaptée à la situation décrite, il sera alloué la somme suivante :
Déficit de 75% : 75% de 30 euros x 49 jours = 1.102,50 euros
– Déficit de 50% : 50% de 30 euros x 90 jours = 1.350 euros
– Déficit de 33% : 33% de 30 euros x 580 jours = 5.800 euros
– Déficit de 25% : 25% de 30 euros x 106 jours = 795 euros
Soit la somme totale de 9.047,50 euros.

Ainsi, il sera alloué à Monsieur [N] [E] la somme totale de 9.047,50 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire.

– Souffrances endurées

Il s’agit de toutes les souffrances physiques et psychiques, ainsi que des troubles associés, que doit endurer la victime durant la maladie traumatique, c’est-à-dire du jour de l’accident à celui de sa consolidation. A compter de la consolidation, les souffrances endurées vont relever du déficit fonctionnel permanent et seront donc indemnisées à ce titre.

Monsieur [N] [E] demande la somme de 35.000 euros. Le FGTI offre la somme de 30.000 euros.

En l’espèce, le Docteur [H] a évalué les souffrances de Monsieur [N] [E] à 5/7 retenant l’intensité traumatique de l’événement, l’intensité de la maladie traumatique jusqu’à la date de consolidation médico-légale et les contraintes liées aux soins.

Dans ces conditions, il convient d’allouer la somme de 30.000 euros à ce titre.

– Préjudice d’angoisse de mort imminente

L’angoisse liée à une situation ou à des circonstances exceptionnelles résultant de la commission d’un acte de terrorisme soudain et brutal provoquant chez la victime, pendant le cours de l’événement, une très grande détresse et une angoisse dues à la conscience d’être confrontée à la mort caractérise une souffrance psychique spécifique. Cette souffrance est, par ailleurs, spécifique du fait du contexte collectif de l’infraction subie qui a amplifié ce sentiment d’angoisse, notamment du fait du nombre de personnes impliquées, de leurs réactions, ainsi qu’en raison de l’importante couverture médiatique en temps réel de cet acte de terrorisme.

Monsieur [N] [E] sollicite la somme de 80.000 euros, faisant valoir qu’il se trouvait dans la fosse avec des amis dont il est très proche au moment de l’attentat et qu’il a assisté, impuissant, aux tirs des terroristes et à l’exécution de nombreuses personnes alors que lui-même faisait le mort tout en étant particulièrement exposé puisqu’il se trouvait au-dessus d’autres personnes. Il ajoute qu’à l’extérieur, le sentiment de danger ne l’a pas quitté puisqu’il entendait des tirs dans la rue et restait terrorisé à chaque fois qu’il croisait une personne, pensant qu’il s’agissait peut-être d’un terroriste.

Il insiste, en réponse au FGTI, sur le fait qu’il a assisté à l’exécution de nombreuses personnes tout en craignant, à chaque tir, pour sa propre vie, expliquant dans son témoignage écrit «attendre son tour» et avoir ressenti qu’il pouvait «à tout moment être le prochain à passer devant le peloton».

Le FGTI offre la somme de 15.000 euros, demandant à ce qu’il soit tenu compte de l’opportunité qui a été celle de Monsieur [E] de se soustraire assez rapidement de la situation anxiogène vécue puisqu’il relève que l’attentat a début à 21h47 et que Monsieur [N] [E] est sorti et a appelé sa compagne environ vers 22h.

En l’espèce, Monsieur [N] [E] s’est retrouvé dans une véritable scène de guerre, étant visé par des tirs alors qu’il était dans la fosse, ayant assisté à des tirs des terroristes à l’encontre d’autres victimes, réussissant à s’extirper de la salle de concert en enjambant et piétinant des corps ensanglantés, en se retrouvant ensuite face aux policiers armés en sortant de la salle et en pensant alors qu’il s’agissait de terroristes et en ne quittant finalement ce contexte qu’une heure plus tard.

Le docteur [H] retient que l’angoisse de mort imminente a existé et évalue que le préjudice associé est majeur.

Dans ces conditions, la gravité de ce traumatisme sera réparée à hauteur de 35.000 euros.

– Déficit fonctionnel permanent

Ce préjudice a pour composante les atteintes aux fonctions physiologiques de la victime, les douleurs qui persistent depuis la consolidation, la perte de la qualité de la vie et les troubles définitifs apportés à ces conditions d’existence.

Monsieur [N] [E] sollicite la somme de 15 x 2.500 soit 37.500 euros.
Le FGTI offre la somme de 15 x 2.300 soit 31.350 euros.

En l’espèce, l’expert a retenu un taux de déficit fonctionnel permanent de 15%, relevant qu’il reste pour Monsieur [N] [E] un trouble psycho-traumatique chronicisé, avec des troubles de la concentration, des difficultés en rapport avec des troubles du caractère, une irritabilité, une humeur inconstante, quelques difficultés d’ordre cognitive, et des difficultés à gérer les tâches administratives, et une baisse de son empathie, de sa sensibilité mais également dans le même temps une altération de ses capacités de contrôle émotionnel, une humeur qui reste dysphorique et une angoisse liée à l’avenir.

La victime étant âgée de 38 ans lors de la consolidation de son état, il lui sera alloué une indemnité de 31.350 euros (valeur du point 2300 euros).

– Préjudice d’agrément

Ce préjudice vise à réparer le préjudice spécifique lié à l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique, sportive ou de loisirs ainsi que les limitations ou difficultés à poursuivre ces activités. Ce préjudice particulier peut être réparé, en sus du déficit fonctionnel permanent, sous réserve de la production de pièces justifiant de la pratique antérieure de sports ou d’activités de loisirs particuliers.

Monsieur [N] [E] sollicite la somme de 10.000 euros faisant valoir n’avoir pas repris la voile, avoir renoncé au dessin tant au plan professionnel qu’à titre de loisirs, faire preuve d’hypervigilance lors des sorties, y compris pour aller assister à des concerts auxquels il assiste très rarement. Il ajoute avoir cessé d’aller au cinéma.
Le FGTI offre la somme de 5.000 euros relevant qu’aucun justificatif de la pratique de ces activités avant les faits n’est produit aux débats.

En l’espèce, il convient de noter que l’expert, le docteur [H], relève au titre du préjudice d’agrément qu’il existe concernant les concerts, le cinéma et les loisirs, comme toute situation avec un risque d’influence de foule, et ajoute que Monsieur [N] [E] a indiqué qu’il n’a pas repris la voile par manque de motivation.

Monsieur [N] [E] justifie, par des attestations de témoins, qu’il pratiquait depuis de nombreuses années la voile et qu’il sortait à des concerts avec ses amis. Ces activités sont compliquées pour lui aujourd’hui.

Eu égard à la limitation ou l’évitement de ces activités de loisirs, il convient de lui allouer la somme offerte par le FGTI à savoir la somme de 5.000 euros.

– Préjudice exceptionnel spécifique des victimes d’actes de terrorisme
 
Ce poste de préjudice exceptionnel est destiné à prendre en compte la spécificité de la situation des victimes d’un acte de terrorisme et notamment l’état de stress post traumatique et les troubles liés au caractère de cet événement, en raison des circonstances particulières de commission des faits et de leur résonance.

En l’espèce, l’acte de terrorisme du 13 novembre 2015 a été commis dans des circonstances particulières de volonté affirmée et revendiquée par les terroristes d’intimidation et de terreur d’une Nation entière afin de porter atteinte à l’État français et à ses citoyens dans leur ensemble. Ces faits dramatiques ont, en outre, eu une résonance importante dans l’opinion publique et dans les médias de façon durable.
 
Ces faits à la dimension nationale et même internationale causent à la victime de manière permanente un préjudice moral exceptionnel lié au caractère collectif de l’acte subi, aux motivations de ses auteurs, à la médiatisation des faits et ont eu une résonance particulière pour elle du fait de sa présence sur les lieux de l’attentat.

Il sera ainsi alloué à Monsieur [N] [E] une somme de 30.000 euros en réparation de ce chef de préjudice, somme offerte par le FGTI.
 
II. SUR LA DEMANDE D’INDEMNISATION DE MADAME [O] [M]

Madame [M] soutient son droit à indemnisation de ses propres préjudices sur le fondement de la décision de la cour de cassation du 27 octobre 2022.
Elle estime que bien que non présente physiquement sur les lieux de l’attentat, elle a subi directement une atteinte à sa personne qui doit être réparée, faisant valoir :
– Que le suivi psychiatrique qui a été instauré dans les suites immédiates de l’attentat l’a bien été pour «prise en charge d’un état de stress post-traumatique consécutif aux attentats du 13/11/2015» selon le Docteur [G], psychiatre de l’hôpital [12] ;
– Que ce suivi s’est poursuivi pendant plusieurs mois :
– Que les arrêts de travail prescrits du 2 février au 12 juillet 2016 sont tous motivés par un «état de stress post-traumatique».
Elle demande en conséquence que soit ordonnée une expertise médicale et une provision à valoir sur l’indemnisation de ses préjudices.

Le FGTI conclut au rejet de ses demandes, relevant qu’avant l’attentat, Madame [O] [M] s’est elle-même décrite comme se trouvant en état de souffrance, victime de «Burn-out» et en dépression et concluant qu’elle ne rapporte pas la preuve indispensable du lien de causalité certain et direct de ses demandes avec les suites de l’attentat.

En l’espèce, il est constant que Madame [O] [M] n’a pas assisté au concert au [9] le 13 novembre 2015.

C’est par téléphone, entre 22h et 23h environ suivant leur récit, qu’elle a été confrontée à un vécu très anxiogène puisque son compagnon, Monsieur [N] [E] l’ayant appelé, en état de choc, et en étant confus, avant de pouvoir, petit à petit, lui expliquer au grès de leurs appels téléphoniques ce qui s’était passé et accepter de repartir avec sa mère venue le chercher.

Ce moment traumatisant est intrinsèquement lié au vécu de Monsieur [N] [E]. Il a pu sortir de la salle de concert avant l’intervention des policiers, se réfugier à l’extérieur, contacter sa famille et organiser son retour chez lui. Il n’a pas été blessé physiquement lors de l’attentat.
S’il n’est pas contesté qu’il est rentré chez lui en étant profondément traumatisé par ce qu’il venait de vivre, le temps du vécu intense des effets de cet événement est pour Madame [O] [M] limité.

Par ailleurs, Madame [O] [M] admet qu’elle se trouvait avant ces événements déjà dans un état de particulière vulnérabilité, vivant un burn out lié au contexte professionnel et étant par ailleurs, dans une période particulière, étant alors enceinte de 7 mois et demi lors de l’attentat.

Si les attestations du docteur [G] évoque un suivi pour un stress post-traumatique après les attentats de novembre 2015, ils sont insuffisants pour caractériser l’existence d’un traumatisme personnel distinct de ses préjudices en qualité de victime indirecte.

Le choc vécu face au traumatisme des attentats dont a été victime son compagnon et ce qu’elle a traversé ensuite avec celui-ci peuvent faire l’objet d’une réparation dans le cadre des préjudices des victimes indirectes.

Par conséquent, Madame [O] [M] sera déboutée de ses demandes d’indemnisation de préjudices personnels autres que ceux de victime indirecte en qualité de compagne de Monsieur [N] [E], victime directe des attentats du 13 novembre 2015.

Il y a lieu ainsi de rejeter également ses demandes d’expertise et de provision.

III- SUR LES DEMANDES DE MADAME [M], CONJOINTE DE MONSIEUR [E], EN QUALITÉ DE VICTIME PAR RICOCHET

L’article L 126-1 du code des assurances dispose que “les victimes d’actes de terrorisme commis sur le territoire national, les personnes de nationalité française victimes à l’étranger de ces mêmes actes, y compris tout agent public ou tout militaire, ainsi que leurs ayants droit, quelle que soit leur nationalité, sont indemnisés dans les conditions définies aux articles L 422-1 à L 422-3.”
 
Les dispositions susmentionnées ne distinguent pas la victime directe de la victime du dommage par ricochet.
 
Par analogie avec le droit commun des victimes d’infractions pénales recevables devant la commission d’indemnisation des victimes d’infractions pénales, les victimes par ricochet d’un acte terroriste peuvent prétendre à une indemnisation par la solidarité nationale.
 
Il s’agit donc pour la partie en demande se prévalant de la qualité de victime par ricochet de démontrer qu’elle a subi un préjudice personnel en lien direct et certain avec le préjudice corporel subi par la victime directe et qu’elle entretenait avec celle-ci un lien affectif spécifique constant et singulier.
 
Par conséquent, le FGTI sera condamné à indemniser Madame [O] [M] de ses préjudices en qualité de compagne de Monsieur [N] [E].

– Préjudice d’affection

Il s’agit du préjudice moral causé par le décès, les blessures, le handicap, les souffrances de la victime directe. Il doit être indemnisé même s’il n’a pas un caractère exceptionnel. Son montant est fixé en fonction de l’importance du dommage corporel de la victime directe et sa réparation implique l’existence d’une relation affective réelle avec le blessé.

Madame [O] [M] demande la somme de 15.000 euros soulignant avoir assisté à la détresse psychologique de son compagnon, qui n’est plus la même personne, en ce qu’il est désormais très irritable, absent et qu’il est peu présent émotionnellement pour elle et leurs filles.
Le FGTI offre la somme de 5000 euros au titre du préjudice d’affection et des troubles dans les conditions d’existence. Il conteste l’existence de répercussions permanentes et pérennes mais admet que des répercussions transitoires sur le quotidien ont existé et les troubles de l’humeur de Monsieur [E] ont eu un impact sur le quotidien.

En l’espèce, l’expertise du docteur [H] fait état de ce que Monsieur [N] [E] a souffert d’un préjudice fonctionnel temporaire de 75% du 13 novembre au 31 décembre 2015, de 50% du 1er janvier 2016 au 30 mars 2016, de 33% du 31 mars 2016 au 30 octobre 2017, de 25% du 1er novembre 2017 au 14 février 2018, qu’il persiste un déficit fonctionnel permanent de 15% marqué par la présence d’un trouble psycho-traumatique chronicisé, avec angoisse de l’avenir.

Le fait pour Madame [M] de voir son compagnon traumatisé par son vécu, et la durée des symptômes importants qu’il a connus, justifie que lui soit allouée la somme de 10.000 euros au titre du préjudice d’affection.

– Troubles dans les conditions d’existence

Il s’agit d’indemniser ici les troubles dans les conditions d’existence dont sont victimes les proches justifiant d’une communauté de vie effective et affective avec la victime directe pendant sa survie handicapée.

Madame [O] [M] sollicite la somme de 10.000 euros expliquant qu’après avoir accouché en urgence environ 3 semaines après l’attentat, elle a dû s’occuper seule du nourrisson et gérer la maison, les filles, l’administratif, le retour à l’école de son aînée, et ce pendant plusieurs mois.

Le FGTI a offert la somme de 5.000 euros au titre du préjudice d’affection et des troubles dans les conditions d’existence.

En l’espèce, au regard du déficit fonctionnel temporaire présenté par Monsieur [N] [E] déjà évoqué, et des manifestations de son trouble psycho-traumatique retenu par le docteur [H], à savoir de l’irritabilité, une humeur inconstante, quelques difficultés d’ordre cognitif, des difficultés à gérer les tâches administratives, une altération de ses capacités de contrôle émotionnelle, il est établi que le quotidien familial de Madame [O] [M] a été concrètement impacté avec une charge du quotidien accrue pour elle du fait des difficultés de son compagnon.

Or, à la date de l’attentat Madame [O] [M] et Monsieur [N] [E] avaient un enfant de 3 ans et attendaient leur deuxième enfant qui est né le [Date naissance 5] 2015.

Il est justifié que Madame [O] [M] a vu ses conditions d’existence perturbées par le traumatisme de son compagnon alors même qu’ils étaient engagés dans une vie familiale et l’arrivée d’un nouvel enfant.

Ces éléments conduisent à allouer à Madame [M] la somme de 10.000 euros au titre des troubles dans ses conditions d’existence.

– Préjudice d’attente et d’inquiétude

La période d’attente entre le moment où les requérants ont eu connaissance de l’attentat et celui où ils ont eu des nouvelles est indéniablement source d’un traumatisme et d’une souffrance morale particulière. Ce préjudice ne se confond pas avec le préjudice d’affection lequel indemnise le préjudice moral subi par les proches à la suite du décès ou des blessures de la victime. Il ne se confond pas davantage avec le préjudice exceptionnel spécifique des victimes de terrorisme.

Madame [M] soutient qu’elle a subi un préjudice d’attente et d’inquiétude, évaluant son incertitude et son attente sur le sort de son conjoint à environ 1 heure. Elle sollicite à ce titre la somme de 10.000 euros.

Le FGTI conclut au débouté faisant valoir que le préjudice n’est pas constitué puisque Madame [O] [M] a découvert l’attentat lors de l’appel téléphonique de son compagnon à 22 heures et a alors su qu’il était vivant et hors danger en étant à l’extérieur de la salle de spectacle.

En l’espèce, il ressort du récit de Monsieur [N] [E] et de Madame [O] [M] que cette dernière a reçu l’appel de son compagnon à 22 heures et a alors eu conscience d’une situation dangereuse et potentiellement mortelle pour celui-ci. Elle n’était alors assurée que sa vie n’était pas en danger puisque leurs appels étaient coupés et qu’il était encore à proximité des lieux de l’attentat.
Ce n’est qu’environ une heure plus tard que la période d’attente a cessé.
Par conséquent, il sera alloué à Madame [O] [M] la somme de 5.000 euros au titre du préjudice d’attente et d’inquiétude.

IV. SUR LES AUTRES DEMANDES

Les intérêts des sommes allouées courront à compter du jugement en vertu de l’article 1231-7 du code civil.

Non justifiée, il convient de rejeter la demande de Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] que «le taux sera majoré de 50% à l’expiration d’un délai de deux mois et qu’il sera doublé à l’expiration d’un délai de quatre mois à compter du jour de la décision de justice».

Le FGTI prendra à sa charge les dépens de l’instance.

En outre, il sera condamné à payer à Monsieur [N] [E], en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, une somme que l’équité commande de fixer à 2.000 euros.

Le FGTI sera également condamné à payer à Madame [O] [M], en application des dispositions de l’article 700 du code de procédure civile, une somme que l’équité commande de fixer à 1.000 euros.

En application de l’article 514 du code de procédure civile en vigueur au jour de l’assignation, l’exécution provisoire est de droit.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en premier ressort,

Ordonne la clôture de la procédure à la date du 26 septembre 2024 ;

Dit que Monsieur [N] [E] a été victime d’un acte de terrorisme le 13 novembre 2015 et qu’il relève des dispositions des articles L126-1 et L422-1 et suivants du code des assurances ;

Condamne le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorismes et d’autres Infractions à payer à Monsieur [N] [E] les sommes suivantes en réparation de son préjudice corporel, en deniers ou quittances, provisions non-déduites :
– frais divers: 111,52 euros ;
– incidence professionnelle: 50.000 euros ;
– déficit fonctionnel temporaire: 9.047,50 euros ;
– souffrances endurées: 30.000 euros ;
– préjudice d’angoisse de mort imminente : 35.000 euros ;
– déficit fonctionnel permanent: 31.350 euros ;
– préjudice d’agrément: 5.000 euros ;
– préjudices permanents exceptionnels: 30.000 euros ;
– article 700 du code de procédure civile: 2.000 euros ;
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Déboute Monsieur [N] [E] du surplus de sa demande relative aux préjudices professionnels ;

Déboute Madame [O] [M] de sa demande d’indemnisation des préjudices occasionnées par l’atteinte à son intégrité psychique dont elle a personnellement été victime à raison des attentats du 13 novembre 2015 ;

Déboute Madame [O] [M] de ses demandes d’expertise et de provisions ;

Condamne le Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorismes et d’autres Infractions à payer à Madame [O] [M] les sommes suivantes en qualité de victime par ricochet, provisions non-déduites :
– préjudice d’attente et d’inquiétude : 5.000 euros ;
– préjudice d’affection : 10.000 euros ;
– troubles dans les conditions d’existence : 10.000 euros ;
-article 700 du code de procédure civile : 1.000 euros civile ;
Ces sommes avec intérêts au taux légal à compter de ce jour ;

Déboute Monsieur [N] [E] et Madame [O] [M] de leur demande relative à la majoration des intérêts au taux légal ;

Déclare le présent jugement commun à la Caisse Primaire d’Assurance-Maladie de la Seine Saint Denis ;

Condamne le FGTI aux dépens de l’instance ;

Rappelle que la présente décision bénéficie de l’exécution provisoire de droit ;

Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Fait et jugé à Paris le 07 Novembre 2024

Le Greffier Le Président


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