Reconnaissance de Maladie Professionnelle et Responsabilité de l’Employeur : Vers une Nouvelle Évaluation des Risques Psychosociaux

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Reconnaissance de Maladie Professionnelle et Responsabilité de l’Employeur : Vers une Nouvelle Évaluation des Risques Psychosociaux

Contexte de l’Affaire

Madame [D] [I] a été employée par la société [8] depuis le 28 avril 2008 en tant que responsable des affaires réglementaires. Le 11 décembre 2017, elle a déclaré une maladie professionnelle, accompagnée d’un certificat médical indiquant un syndrome d’épuisement professionnel avec complications dépressives.

Enquête de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a mené une enquête, concluant que la pathologie de madame [D] [I] était reconnue, bien qu’elle ne figure pas dans un tableau de maladies professionnelles. Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles a donné un avis favorable à la reconnaissance de la maladie comme professionnelle le 28 mars 2019.

Décisions de Prise en Charge

Le 4 avril 2019, la caisse a notifié à madame [D] [I] la prise en charge de sa pathologie au titre de la législation professionnelle. Son état de santé a été déclaré consolidé le 6 janvier 2020, avec un taux d’incapacité permanente fixé à 37 %.

Recours de l’Employeur

La société [8] a contesté la décision de prise en charge en saisissant la commission de recours amiable, puis le tribunal judiciaire de Lyon. Deux recours ont été enregistrés, le premier le 16 octobre 2019 et le second le 15 janvier 2021, suite au rejet explicite de la commission.

Action en Faute Inexcusable

Madame [D] [I] a également engagé une action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] le 6 août 2020. Le tribunal a ordonné la jonction des trois instances et a désigné un comité régional pour évaluer le lien entre la maladie et le travail de l’assurée.

Conclusions de Madame [D] [I]

Lors de l’audience du 11 septembre 2024, madame [D] [I] a demandé la reconnaissance de la maladie comme imputable à la faute inexcusable de l’employeur, ainsi qu’une expertise médicale et une provision de 10 000 euros.

Arguments de la Société [8]

La société [8] a contesté l’inopposabilité de la décision de prise en charge et a demandé l’annulation de l’avis du comité régional. Elle a également soutenu qu’elle avait pris des mesures pour prévenir les risques psychosociaux et a contesté l’origine professionnelle de la maladie.

Réponse de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie

La caisse a demandé le rejet de la demande d’inopposabilité de la société [8] et a soutenu que les procédures avaient été respectées. Elle a également affirmé que l’absence d’avis du médecin du travail n’affectait pas l’opposabilité de la décision de prise en charge.

Décision du Tribunal

Le tribunal a annulé l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté, en raison de l’absence d’avis du médecin du travail. Il a désigné un nouveau comité régional pour évaluer le lien entre la pathologie et l’activité professionnelle de madame [D] [I]. Le tribunal a également sursis à statuer sur les autres demandes en attendant cet avis.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

6 novembre 2024
Tribunal judiciaire de Lyon
RG
19/03039
MINUTE N° :

TRIBUNAL JUDICIAIRE
DE LYON

POLE SOCIAL – CONTENTIEUX GENERAL

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

JUGEMENT DU :

MAGISTRAT :

ASSESSEURS :

DEBATS :

PRONONCÉ :

AFFAIRE :

NUMÉRO R.G :

6 Novembre 2024

Jérôme WITKOWSKI, président

Stéphanie DE MOURGUES, assesseur collège employeur
En l’absence d’un assesseur, le Président a statué seul avec l’accord des parties présentes ou représentées après avoir recueilli l’avis de l’assesseur présent conformément à l’article L 218-1 du COJ.

assistés lors des débats par Doriane SWIERC et lors du prononcé du jugement par Maéva GIANNONE, greffières

tenus en audience publique le 11 Septembre 2024

en audience publique le 6 novembre 2024

Jugement contradictoire, rendu en premier ressort par le même magistrat

S.A. [8], Madame [D] [I] C/ S.A. [8], CPAM DU RHONE

N° RG 19/03039 – N° Portalis DB2H-W-B7D-UKZD

Madame [D] [I],
demanderesse sur la faute inexcusable et partie intervenante sur l’inopposabilité
[Adresse 3]
représentée par Me Hervé ROCHE avocat au barreau de LYON

S.A. [8],
défenderesse sur la faute inexcusable et demanderesse sur l’inopposabilité
[Adresse 2]
représentée par la SELAS CMS F. LEFEBVRE avocat au barreau de LYON

CPAM DU RHONE,
partie intervenante sur la faute inexcusable et défenderesse sur l’inopposabilité
Service contentieux général – [Localité 5]
non comparante, ni représentée

Notification le :
Une copie certifiée conforme à :

S.A. [8]

[D] [I]

S.A. [8]

CPAM DU RHONE

la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON, toque 659

Me Hervé ROCHE, vestiaire : 289

Une copie certifiée conforme au dossier

EXPOSE DU LITIGE

Madame [D] [I] a été embauchée au sein de la société [8] à compter du 28 avril 2008 et occupait au dernier état de la relation de travail un poste de responsable des affaires règlementaires.

Le 11 décembre 2017, elle a établi une déclaration de maladie professionnelle accompagnée d’un certificat médical initial daté du même jour, faisant état des constatations médicales suivantes : « syndrome d’épuisement professionnel avec complications dépressives ».

La caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a mené une enquête et notamment recueilli l’avis du médecin-conseil, qui a estimé que l’assurée présentait bien la pathologie figurant sur le certificat médical initial, que cette pathologie ne figurait pas dans un tableau de maladie professionnelle, que le taux d’IPP prévisible était égal ou supérieur à 25 % et a fixé la date de première constatation de la maladie au 6 février 2017.

A l’issue de cette enquête, la caisse a recueilli l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] Rhône-Alpes en application des dispositions de l’article L.461-1 du Code de la Sécurité Sociale.

Le 28 mars 2019, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles [Localité 6] Rhône-Alpes a rendu un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la maladie déclarée.

Le 4 avril 2019, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône a donc notifié à madame [D] [I] la prise en charge de la pathologie déclarée au titre de la législation professionnelle.

L’état de santé de madame [D] [I] a été déclaré consolidé le 6 janvier 2020 avec fixation d’un taux d’incapacité permanente de 37 %.

Sur le recours en inopposabilité de l’employeur :

La société [8] a saisi la commission de recours amiable de la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône aux fins d’inopposabilité de la décision de prise en charge.

Suite au rejet implicite de la commission de recours amiable, elle a saisi du litige le pôle social du tribunal de grande instance de Lyon, devenu pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, par requête réceptionnée par le greffe le 16 octobre 2019.

Ce recours a été enregistré sous les références RG n° 19/03039.

Suite au rejet explicite de la commission de recours amiable le 17 octobre 2019, la société [8] a de nouveau saisi du litige le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon par requête réceptionnée par le greffe le 15 janvier 2021.

Ce recours a été enregistré sous les références RG n° 21/00078.

Sur le recours en faute inexcusable de l’assurée :

Madame [D] [I] a saisi le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon d’une action en reconnaissance de la faute inexcusable de la société [8] par requête réceptionnée le 6 août 2020.

Cette requête a été enregistrée sous les références RG n° 20/01477.

*

Par jugement avant dire droit du 10 mai 2023, le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon a ordonné la jonction des trois instances puis, constatant que l’employeur conteste l’origine professionnelle de la maladie, il a, avant dire droit, désigné le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté, afin qu’il dise si la maladie déclarée a pu être directement et essentiellement causée par le travail habituel de madame [D] [I].

Le 12 février 2024, ce comité régional a également retenu l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie déclarée et le travail de l’assurée.

*

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement lors de l’audience du 11 septembre 2024, madame [D] [I] demande au tribunal de juger que la maladie professionnelle est imputable à la faute inexcusable de la société [8] et, en conséquence, d’ordonner la majoration de la rente d’incapacité permanente partielle au taux maximum. Avant dire droit sur l’indemnisation de ses préjudices, elle demande également au tribunal d’ordonner une expertise médicale et de lui allouer une provision de 10 000 euros, outre la condamnation de la société [8] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Au soutien de l’origine professionnelle de la maladie déclarée, contestée par l’employeur, madame [D] [I] expose en synthèse :

Que les salariés affectés au département des affaires réglementaires ont connu une lente et constante dégradation de leurs conditions de travail depuis 2013, objectivée en 2015 par un rapport d’expertise pour risque grave, évoquant une charge de travail croissante cumulée à des évolutions fréquentes de l’organisation ;Que malgré l’annonce d’un plan d’action par la direction de la société [8], la situation a continué à se dégrader à la suite d’une nouvelle réorganisation intitulée « One Gra » dans le cadre d’un projet de réorganisation mondiale « One Way Forward », annoncée en février 2016 ; Que dans ce contexte, elle s’est trouvée maintenue dans une situation d’incertitude permanente à l’annonce de ces nouveaux changements organisationnels non justifiés et non préparés au niveau opérationnel, conjugués à une réduction d’effectifs dans son unité en lien avec cette réorganisation annoncée et une surcharge de travail, notamment liée au départ de son binôme, madame [H], affectée à d’autres missions ;Que le 25 janvier 2017, à l’occasion de l’annonce officielle du nouvel organigramme, elle-même et ses collègues ont perdu leur titre de « Regulatory product manager » au profit d’autres salariés ;Que dès le 3 février 2017, elle a été contrainte d’assurer sans délai la transition et la passation des dossiers aux collègues d’un autre service désigné « Région Europe » ; Qu’elle s’est ainsi vue retirer une à une, dans une confusion extrême et sans marge de manœuvre possible, les responsabilités inhérentes au poste pour lequel avait été recruté ;Que dans ce contexte et le 6 février 2017, elle s’est trouvée dans l’impossibilité de se rendre au travail et s’est vue prescrire un arrêt de travail prolongé jusqu’au 6 janvier 2020.
Au soutien de la faute inexcusable de l’employeur, madame [D] [I] fait valoir en synthèse que l’employeur avait conscience du danger auquel elle était exposée, en ce que la problématique des risques psychosociaux au sein du service des affaires réglementaires était connue par la direction de la société [8], à tout le moins depuis le rapport d’expertise pour risque grave commandé par le CHSCT sur le fondement de l’article L.4614-12 du code du travail et remis le 26 juin 2015 ; qu’à l’occasion d’une formation obligatoire relative à la qualité de vie au travail, mise en place par la direction suite au droit d’alerte CHSCT, ont été recueillis de nombreux témoignages de souffrance au travail ; qu’enfin, les conséquences de la réorganisation du département des affaires réglementaires sur sa propre santé étaient connues par sa hiérarchie directe.

Elle fait grief à l’employeur de ne pas avoir pris les mesures nécessaires pour préserver sa santé, en négligeant les demandes et les recommandations des instances représentatives du personnel et en faisant preuve d’une inertie coupable dans la prévention des risques psychosociaux ciblée dans le cadre de la réorganisation du service des affaires réglementaires.

*

Aux termes de ses conclusions déposées et soutenues oralement lors de l’audience du 11 septembre 2024, la société [8] demande au tribunal, en synthèse :

Sur le recours en inopposabilité, à titre principal, de déclarer inopposable à son égard la décision de prise en charge de la maladie professionnelle et, à titre subsidiaire, d’annuler l’avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté et, en conséquence, avant dire droit, de recueillir l’avis d’un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en enjoignant à celui-ci de prendre connaissance des observations formulées et des pièces versées aux débats ;

Sur l’action en faute inexcusable, à titre principal, d’annuler l’avis rendu par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté et en conséquence, avant dire droit, de recueillir l’avis d’un autre comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles en enjoignant à celui-ci de prendre connaissance des observations formulées et des pièces versées aux débats ; à titre subsidiaire, de débouter madame [D] [I] de l’ensemble de ses demandes au titre de la faute inexcusable ; à titre infiniment subsidiaire, de débouter la caisse primaire d’assurance-maladie du Rhône de toute action récursoire à son égard en cas d’inopposabilité au fond de la décision de prise en charge de la maladie. En tout état de cause, la société [8] demande au tribunal de réduire notablement la somme allouée à madame [D] [I] au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux dépens.

Au soutien de sa demande d’inopposabilité de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, la société [8] fait valoir :

D’une part, que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Bourgogne Franche-Comté, désigné par le tribunal, a statué sans l’avis du médecin du travail, pourtant obligatoire ; Qu’à défaut d’entraîner, comme elle le demande à titre principal, l’inopposabilité à son égard de la décision de prise en charge de la maladie professionnelle, cette irrégularité emporte à tout le moins annulation de l’avis litigieux et nécessité de désigner avant dire droit un nouveau comité régional afin qu’il se prononce valablement sur l’existence d’un lien direct et essentiel entre la pathologie de madame [D] [I] et son activité professionnelle ;Qu’enfin, la caisse n’a pas respecté le principe du contradictoire lors de l’instruction de la demande de reconnaissance de maladie professionnelle. Plus précisément, elle fait grief à la caisse de l’avoir avisée de la possibilité de consulter les pièces constitutives du dossier et de formuler d’éventuelles observations jusqu’au 15 août 2018, un jour férié, mais d’avoir transmis le dossier au comité régional avant l’expiration du délai ainsi fixé, celui-ci étant parvenu au comité régional dès le 16 août 2018.
En défense sur la faute inexcusable, et en premier lieu, la société [8] conteste l’origine professionnelle de la maladie déclarée par madame [D] [I].

Sur le plan procédural, elle invoque l’irrégularité de l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté qui a statué sans l’avis du médecin du travail et estime nécessaire de surseoir à statuer dans l’attente d’un nouvel avis rendu par un autre comité régional désigné par le tribunal.

Sur le fond, elle soutient que madame [D] [I] opère une confusion entre différents événements s’étant déroulés au sein du département des affaires réglementaires sur le site de [Localité 7] durant cinq années, qui ne l’ont pas concernée de manière directe.
Elle conteste notamment la surcharge de travail alléguée par la salariée, rappelant que celle-ci travaillait, à sa demande, à temps partiel à compter du 2 mai 2016, bénéficiait de quatre à huit jours par mois de télétravail. Elle conteste que la réduction alléguée des effectifs du service trouverait son origine dans la souffrance au travail des salariés du service. Elle précise en outre que madame [D] [I] était régulièrement amenée à travailler avec différents interlocuteurs, parfois basés dans des pays étrangers et donc au sein de fuseaux horaires différents, expliquant des réponses en décalé, sans qu’elle soit pour autant contrainte de travailler le soir ou le week-end.
Elle conteste également le manque de soutien social et de reconnaissance au travail dénoncé par la salariée, soulignant les augmentations régulières de salaire accordées et rappelant que l’évaluation de la salariée pour l’année 2016 était satisfaisante et comportait néanmoins des axes d’amélioration identifiés par sa supérieure hiérarchique directe.
S’agissant du rapport d’expertise pour risque grave au sein du département des affaires réglementaires, établi le 26 juin 2015 suite au vote du CHSCT du 13 mars 2015, elle souligne que l’intensification du travail aux affaires réglementaires a été expliquée par différents facteurs sans lien avec la réorganisation en cours et qu’en tout état de cause, les actions mises en place ont conduit le CHSCT à lever son droit d’alerte dès le 4 décembre 2015, soit plus d’un an avant l’arrêt de travail de la salariée.
S’agissant du projet de réorganisation « One Gra » dans le cadre du projet « One Way Forward », annoncé en 2016, la société [8] conteste que des responsabilités aient été retirées à madame [D] [I], précisant que celle-ci a été placée en arrêt de travail pour maladie de droit commun à compter du 6 février 2017, soit quatre mois avant la finalisation du projet au 1er juin 2017.

En second lieu, la société [8] conteste avoir eu conscience du risque auquel madame [D] [I] était exposée, soulignant que le rapport d’expertise établi en 2015 suite au droit d’alerte du CHSCT, faisait référence à une situation du département des affaires réglementaires en 2013 et 2014, soit trois ans avant l’arrêt de travail initial de madame [D] [I], de sorte qu’aucun élément objectif ne démontre que la situation décrite dans le rapport d’expertise était la même au sein du service au moment de la prescritpion de l’arrêt de travail à la salariée le 6 février 2017 ou au cours des mois précédents.
Elle souligne en outre qu’avant son arrêt de travail du 6 février 2017, madame [D] [I] n’a émis aucun signalement sur la souffrance au travail qu’elle dénonce, ni auprès de sa hiérarchie à l’occasion de son dernier entretien annuel d’évaluation, ni auprès du médecin du travail, ni auprès des représentants du personnel.

En troisième lieu, la société [8] affirme avoir pris les mesures nécessaires afin de prévenir les risques psycho-sociaux dans l’entreprise et en particulier au sein de la direction des affaires règlementaires.
S’agissant des risques identifiés par le rapport d’expertise suite à l’alerte grave danger du CHSCT en 2015, elle affirme avoir mis en œuvre avec célérité un plan d’action complet, dont la mise en œuvre a fait l’objet d’un suivi régulier, ayant d’ailleurs permis de relever une évolution favorable de la situation. Elle ajoute avoir mis en place dès 2015 un comité QVT/RPS se réunissant régulièrement afin d’assurer le bilan des actions conduites au sein de la société. Elle affirme en outre avoir organisé aux mois de novembre et décembre 2016 une session de formation relative à la qualité de vie au travail confiée à un organisme spécialisé.
S’agissant du projet de réorganisation « One Gra » dans le cadre du projet « One Way Forward », annoncé en 2016, la société [8] affirme avoir veillé, par le biais de la hiérarchie fonctionnelle, à associer les managers, dont madame [D] [I] faisait partie et avoir notamment organisé au moins neuf réunions entre 2016 et 2017, afin de tenir le personnel informé de l’évolution structurelle des affaires réglementaires au sein du groupe et de préciser les objectifs du projet, ainsi que les projets de modification d’organigramme qui pourraient en résulter. Elle ajoute qu’un plan d’accompagnement du changement a été élaboré par la direction de la société dans la phase poste projet, présenté en comité QVT/RPS le 1er juin 2017.
Elle soutient enfin que les discussions qui se sont poursuivies entre la direction et les instances représentatives du personnel au-delà de l’arrêt de travail initial de la salariée ne concernent pas sa situation personnelle et sont en tout état de cause sans incidence sur l’appréciation de la faute inexcusable de la société sur la période antérieure au jour de la première constatation médicale de la maladie déclarée.

*

Aux termes de ses conclusions transmises au tribunal par courrier réceptionné par le greffe le 9 septembre 2024 et soumises au débat contradictoire en application de l’article R.124-10-4 alinéa 2, la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône demande au tribunal de rejeter la demande de la société [8], tendant à l’inopposabilité de la prise en charge. Elle s’en remet à l’appréciation du tribunal concernant l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur, et le cas échéant, demande au tribunal de dire que la caisse fera l’avance à madame [D] [I] de la majoration du capital ainsi que sommes allouées à la victime en réparation des préjudices subis et de dire qu’elle procèdera au recouvrement de ces sommes, ainsi que des frais d’expertise, auprès de la société [8].

En réponse aux moyens soulevés par la société [8] au soutien de l’inopposabilité de la décision de prise en charge, la caisse réplique que, même à considérer que l’absence d’avis du médecin du travail au dossier examiné par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté, désigné par le tribunal, entache l’avis de celui-ci d’irrégularité, celle-ci est sans incidence sur l’opposabilité de la décision de prise en charge, dès lors que les dispositions de l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale ont été parfaitement respectées devant le comité régional [Localité 6] Rhône-Alpes saisi par la caisse au cours de la procédure d’instruction de la demande.
Elle affirme en outre avoir respecté le principe du contradictoire au cours de ladite instruction et notamment le délai imparti à l’employeur pour consulter le dossier avant transmission comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] Rhône-Alpes, précisant que le service risque professionnel, en charge de la gestion des dossiers accident du travail et maladies professionnelles, se situe à la même adresse que le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, sans qu’il soit besoin de recourir aux services postaux pour la transmission des dossiers. La transmission du dossier est donc intervenue le 16 août 2018, à l’expiration du délai imparti à l’employeur expirant le 15 août 2018.

Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions des parties, il convient de se référer aux conclusions susvisées conformément aux dispositions de l’article 455 du Code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DECISION

A titre liminaire, le tribunal précise statuer en premier lieu sur la demande d’annulation de l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté formulée par l’employeur à titre principal sur l’action en faute inexcusable, puisqu’en application de l’article R.142-17-2 du code de la sécurité sociale, le tribunal doit nécessairement disposer d’un avis régulier émanant d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné par ses soins, avant de statuer sur l’origine professionnelle de la pathologie déclarée, qui est ici remise en cause par l’employeur.

L’article L.461-1 du code de la sécurité sociale prévoit que peut être reconnue d’origine professionnelle une maladie non désignée dans un tableau de maladies professionnelles, lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente prévisible d’un taux au moins égal à un 25%.

Dans ce cas, la caisse primaire se prononce sur l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, l’avis du comité s’imposant à la caisse.

L’employeur conserve en tout état de cause la faculté de contester l’origine professionnelle de la maladie à l’occasion de l’action en faute inexcusable dirigée contre lui.

Dans ce cas et en application des dispositions de l’article R.142-17-2 du code de la sécurité sociale (ex article R.142-24-2 du même code), il appartient au tribunal de recueillir, avant dire droit, l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la Caisse.

Il convient de rappeler que le contenu du dossier transmis par la caisse primaire d’assurance-maladie au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles est défini par l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale, lequel, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-756 du 7 juin 2016, dispose que « le dossier constitué par la caisse primaire doit comprendre : (…) 2° un avis motivé du médecin du travail de la des entreprises où la victime a été employée portant notamment sur la maladie et la réalité de l’exposition de celle-ci un risque professionnel présent dans cette ou ces entreprise ; »

Le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles peut toutefois valablement statuer en l’absence d’avis médical du médecin du travail, uniquement en cas d’impossibilité matérielle pour la caisse d’obtenir celui-ci.

Il est observé que si, depuis le décret n° 2019-356 du 23 avril 2019 modifiant l’article D.461-29 précité, la transmission de l’avis du médecin du travail n’est plus obligatoire, cette modification concerne uniquement les maladies professionnelles déclarées à compter du 1er décembre 2019, ainsi qu’il résulte de l’article 5 du décret précité.

En l’espèce, l’affection déclarée par madame [D] [I] ne figure pas aux tableaux des maladies professionnels et le médecin conseil de la caisse a considéré que le taux d’incapacité prévisible en résultant était supérieur à 25%.

Le dossier a donc été communiqué, en application des dispositions précitées, au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de [Localité 6] Rhône-Alpes.

Le 28 mars 2019, ce comité a rendu un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie déclarée motivé en ces termes :

« Le comité est interrogé sur le dossier d’une femme de 38 ans, qui présente un syndrome anxiodépressif.
Elle travaille comme cadre responsable d’affaires réglementaires dans une entreprise de l’industrie pharmaceutique.
L’étude du dossier permet de retenir une exposition à des conditions de travail délétères dans une entreprise et des services soumis à des réorganisations excessives générant explicitement ambiguïté et incertitude.
Le comité a pris connaissance de l’avis du médecin conseil, du médecin du travail, de l’employeur et entendu l’ingénieur du service de prévention.
Dans ces conditions, le comité retient un lien direct essentiel entre la maladie et l’activité professionnelle ».

Le 12 février 2024, le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de Bourgogne Franche-Comté, saisi par le tribunal en application des dispositions de l’article R.142-17-2 du code de la sécurité sociale, à rendu à son tour un avis favorable à la reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie déclarée, motivé en ces termes :

« (…) Il s’agit d’une femme de 38 ans à la date de la constatation médicale exerçant la profession de responsables affaires réglementaires. L’avis du médecin du travail n’a pas été reçu.
Après avoir étudié les pièces médico-administratives du dossier, le comité constate qu’il existe des éléments susceptibles d’entraîner une souffrance au travail au regard des axes décrits dans le rapport Gollac (restructurations fréquentes source d’interrogations et de stress, surcharge de travail, exigences émotionnelles importantes, rapports sociaux et relations de travail dégradés, insécurité de la situation de travail). Ces contraintes psycho-organisationnelles permettent d’expliquer le développement de la pathologie observée.
[Le comité] considère que les éléments apportés ne permettent pas d’avoir un avis contraire à celui donné par le premier CRRMP.
En conséquence, il y a lieu de retenir un lien direct essentiel entre l’affection présentée et le travail habituel de la victime. »

Le tribunal constate à la lecture de l’avis rendu par le comité régional Bourgogne Franche-Comté, dont la régularité est contestée, que la case figurant en page 2, relative à l’avis du médecin du travail, n’a pas été cochée et que dans sa motivation, le comité déclare expressément que l’avis du médecin du travail n’a pas été reçu. Il est donc établi que le comité a statué sur la base d’un dossier ne comportant pas l’avis du médecin du travail.

Sur ce, le tribunal relève tout d’abord que la maladie professionnelle litigieuse ayant été déclarée le 11 décembre 2017, l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-756 du 7 juin 2016, demeure applicable au présent litige et qu’en conséquence, la transmission de l’avis du médecin du travail au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné est obligatoire.

Il ne peut être allégué par la caisse d’une quelconque impossibilité matérielle d’obtenir ce document, alors que le dossier soumis au comité régional [Localité 6] Rhône-Alpes, initialement saisi par la caisse au cours de l’instruction de la demande de prise en charge, contenait l’avis du médecin du travail.

En conséquence, en application des dispositions de l’article R.142-17-2 du code de la sécurité sociale, le tribunal ne peut qu’annuler l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles Bourgogne Franche-Comté et désigner un nouveau comité régional de reconnaissance de maladies professionnelles selon les modalités prévues au dispositif, afin qu’il donne son avis, sur la base d’un dossier complet transmis par la caisse primaire, sur l’existence d’un lien direct entre la pathologie déclarée et l’activité professionnelle de l’assuré.

Il sera enjoint à la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône d’adresser au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné l’ensemble des pièces visées à l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale, et notamment l’avis motivé du médecin du travail.

Dans l’attente de cet avis, il sera sursis à statuer sur l’intégralité des demandes des parties, en ce compris sur l’incidence éventuelle de l’annulation de l’avis du comité régional de Bourgogne Franche-Comté sur l’opposabilité de la décision de prise en charge à l’employeur.

Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le pôle social du tribunal judiciaire de Lyon, statuant par jugement mixte, contradictoire et rendu en premier ressort,

Annule l’avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Bourgogne Franche-Comté du 12 février 2024 ;

Avant dire droit,

Désigne le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles de la région Provence Alpes Côte-d’Azur Corse afin qu’il donne son avis et dise, après examen des documents d’enquête, avis médicaux et autres éléments transmis par les parties et par la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône, si la maladie hors tableau de madame [D] [I] a pu être directement et essentiellement causée par le travail habituel de celle-ci ;

Enjoint à la caisse primaire d’assurance maladie du Rhône d’adresser au comité régional désigné l’intégralité des pièces visées par l’article D.461-29 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-756 du 7 juin 2016 applicable au litige, en ce compris l’avis du médecin du travail ; 

Invite les parties à communiquer sans délai leurs éventuelles observations au comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles désigné :

Comité Régional de Reconnaissance des Maladies Professionnelles de la région PACA Corse
[Adresse 4]
[Localité 1]

Renvoie le dossier à la première audience de mise en état utile après transmission de l’avis dudit comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles aux parties ;

Sursoit à statuer sur les autres demandes ;

Réserve les dépens ;

Ainsi jugé et mis prononcé à l’audience publique du tribunal le 6 novembre 2024 et signé par le président et la greffière.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT


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