Reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie liée à l’exposition à l’amiante dans le secteur du bâtiment

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Reconnaissance de l’origine professionnelle d’une pathologie liée à l’exposition à l’amiante dans le secteur du bâtiment

Monsieur [X] [J] [H] était salarié de la société [10] depuis le 25 mai 2010 en tant qu’ouvrier d’exécution. Le 1er août 2019, il a déclaré une maladie professionnelle, un cancer broncho-pulmonaire, accompagné d’un certificat médical. La caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne a reconnu cette pathologie comme maladie professionnelle, après avoir constaté une exposition à l’amiante entre 1980 et 1981, puis de 2010 à 2018. La société a contesté cette décision, d’abord devant la commission de recours amiable, puis par voie contentieuse. Le tribunal judiciaire de Créteil a jugé en faveur de la société le 22 janvier 2021, déclarant la décision de la caisse inopposable à la société, estimant que les tâches de M. [J] [H] ne correspondaient pas aux travaux définis par le tableau n°30 bis des maladies professionnelles. La caisse a interjeté appel de ce jugement. Lors de l’audience du 3 juillet 2024, la caisse a demandé l’infirmation du jugement et la reconnaissance de la prise en charge de la pathologie, tandis que la société a demandé la confirmation du jugement initial. L’affaire a été mise en délibéré pour un arrêt prévu le 20 septembre 2024.

REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

20 septembre 2024
Cour d’appel de Paris
RG
21/02816
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D’APPEL DE PARIS

Pôle 6 – Chambre 13

ARRÊT DU 20 Septembre 2024

(n° , 10 pages)

Numéro d’inscription au répertoire général : S N° RG 21/02816 – N° Portalis 35L7-V-B7F-CDMRJ

Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 22 Janvier 2021 par le Pole social du TJ de CRETEIL RG n° 20/00666

APPELANT

CPAM DU VAL DE MARNE – 94

[Adresse 2]

[Localité 3]

représenté par Me Amy TABOURE, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

S.A.S. [10]

[Adresse 1]

[Localité 4]

représentée par Me Cyril HEURTAUX, avocat au barreau de PARIS, toque : C2473 substitué par Me Nicolas DABRETEAU, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l’article 945-1 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue le 03 Juillet 2024, en audience publique, les parties ne s’y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, présidente de chambre, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Mme Carine TASMADJIAN, présidente de chambre

M. Raoul CARBONARO, président de chambre

M. Christophe LATIL, conseiller

Greffier : Mme Fatma DEVECI, lors des débats

ARRET :

– CONTRADICTOIRE

– prononcé

par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

-signé par Mme Carone TASMADJIAN, présidente de chambre et par Mme Fatma DEVECI, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

La cour statue sur l’appel interjeté par la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne d’un jugement rendu le 22 janvier 2021 par le pôle social du tribunal judiciaire de Créteil (RG20-666) dans un litige l’opposant à la société [10].

FAITS, PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Les circonstances de la cause ayant été correctement rapportées par le tribunal dans son jugement au contenu duquel la cour entend se référer pour un plus ample exposé, il suffit de rappeler que Monsieur [X] [J] [H] était salarié de la société [10] (désignée ci-après ‘la Société’) depuis le 25 mai 2010 en qualité d’ouvrier d’exécution lorsque, le 1er août 2019, il a complété une déclaration de maladie professionnelle au titre d’un « cancer broncho-pulmonaire primitif ; tableau 30 bis des MP du RGSS », à laquelle était joint un certificat médical initial établi le 11 juillet 2019 par le docteur [D] [F] et l’a adressée à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne (ci-après désignée ‘la Caisse’).

La Caisse a alors engagé une instruction à l’issue de laquelle son médecin-conseil a estimé que l’affection déclarée par M. [J] [H] remplissait les conditions médicales prévues par le tableau n° 30 bis des maladies professionnelles « cancer broncho-pulmonaire provoqué par l’inhalation de poussières d’amiante », l’enquête administrative concluant pour sa part, le 4 janvier 2020, à une exposition à l’amiante de 1980 à 1981 puis du 25 mai 2010 au 17 septembre 2018.

Par courrier du 27 janvier 2020, la Caisse a donc notifié à la Société sa décision de prendre en charge, au titre du risque professionnel, la pathologie développée par son salarié, M. [J] [H].

La Société a contesté cette décision devant la commission de recours amiable puis, à défaut de décision explicite, a formé un recours contentieux devant le pôle social du tribunal judiciaire de Créteil lequel, par jugement du 22 janvier 2021, a :

– accueilli la demande présentée par la S.A.S. [10],

– dit que la décision de reconnaissance du caractère professionnel de la pathologie déclarée le 1er août 2019 par M. [J] [H] prise par la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne est inopposable à la S.A.S. [10],

– rejeté les autres demandes,

– condamné la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne aux dépens.

Pour juger ainsi, le tribunal a considéré que les tâches habituelles confiées à M. [J] [H] ne correspondaient pas aux travaux définis de façon limitative par le tableau n°30 Bis, le salarié n’effectuant que des fonctions d’ouvrier d’exécution à des menus travaux d’entretien ou de peinture. Il a conclu que c’était donc à tort que la Caisse avait décidé la prise en charge de la pathologie déclarée le 1er août 2019 dans le cadre de la législation professionnelle.

Le jugement a été notifié à la Caisse le 9 février 2021 laquelle en a régulièrement interjeté appel devant la présente cour par déclaration enregistrée au greffe le 22 février 2021.

L’affaire a alors été fixée à l’audience du conseiller rapporteur du 20 mars 2024 puis, faute pour les parties d’être en état, renvoyée à celle du 3 juillet 2024 lors de laquelle les parties étaient représentées.

La Caisse, développant oralement le bénéfice de ses conclusions, demande à la cour de :

– la dire recevable et bien fondée en son appel,

– infirmer le jugement entrepris, rendu par le tribunal judiciaire de Créteil en date du 22 janvier 2021,

et, statuant à nouveau de :

– juger opposable à la société [10], la décision de prise en charge de l’affection de Monsieur [J] [H] du 17 septembre 2018, cette affection remplissant les conditions d’exposition au risque décrit au tableau n°30 bis des maladies professionnelles,

– débouter la société [10] de l’ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

– condamner la société [10] à lui payer la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

– condamner la société [10] aux dépens.

La Société, au visa de ses conclusions, demande à la cour de :

– confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Créteil en toutes ses dispositions ;

– condamner la Caisse d’assurance maladie du Val-de-Marne à payer à la société [10] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

Pour un exposé complet des prétentions et moyens des parties, et en application du deuxième alinéa de l’article 446-2 et de l’article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie à leurs conclusions écrites visées par le greffe à l’audience du 3 juillet 2024 qu’elles ont respectivement soutenues oralement.

Après s’être assurée de l’effectivité d’un échange préalable des pièces et écritures, la cour a retenu l’affaire et mis son arrêt en délibéré au 20 septembre 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le caractère professionnel de la pathologie

Moyens des parties

Au soutien de son recours, la Caisse fait valoir qu’au regard des dispositions de l’article L. 461-1 alinéa 2 du code de la sécurité sociale qui instaure une présomption d’origine professionnelle de toute pathologie prévue par un tableau et qui en rempli les conditions, le tribunal ne pouvait déclarer sa décision de prendre en charge la maladie de M. [J] [H] inopposable à l’employeur. Elle rappelle que l’enquête administrative a établi qu’il avait bien été exposé au risque du tableau 30 bis dans le cadre de son emploi d’ouvrier d’exécution dans le bâtiment pour le compte de la société [10] jusqu’en 2018. Plus précisément, il avait, au cours des travaux de démolition de tout type d’ouvrage (immeuble, maison, pont, passerelle), démoli à la masse puis manipulé des gravats de carrelage de salle de bain avec colle amiantée et avait retiré occasionnellement du flocage de plafond dans des sous-sol de HLM. La Caisse estime que la Société ne saurait nier l’absence d’exposition à l’amiante de son salarié alors qu’une partie de son activité consiste à la rénovation de logements anciens pouvant contenir de l’amiante et qu’elle est mentionnée sur une liste de références chantiers amiante de la société [5], spécialisée dans le désamiantage.

La Société rétorque que la pathologie développée par M. [J] [H] n’a pas été contractée au sein de son établissement qu’il n’a jamais effectué l’un des travaux prévus au tableau 30, étant cantonné dans des fonctions d’ouvrier d’exécution à de menus travaux d’entretien ou de peinture, sans aucun contact avec des matériaux contenant de l’amiante. Elle conteste l’enquête administrative qui a indiqué qu’il aurait manipulé des gravats avec colle amiantée sur les chantiers de la société. Elle fait valoir que ce n’est pas parce qu’elle a effectué des chantiers de démolition qu’elle a exposé son salarié à l’amiante. Elle explique qu’elle est une entreprise du bâtiment qui intervient principalement sur le gros ‘uvre mais n’a pas pour activité le désamiantage des bâtiments sur lesquels elle intervient. Ainsi, alors que M. [J] a déclaré être intervenu sur un chantier de démolition dans une maison de retraite à [Localité 7], c’est la société [6] qui avait été mandatée pour effectuer les travaux de désamiantage sur le chantier tandis que la société [10] n’était intervenue dans les locaux qu’après le désamiantage effectué. Il en est de même sur les deux chantiers à [Localité 11] au sein de la [Adresse 13] en 2015 et 2016 pour lesquels la société [12] avait été désignée en qualité de coordonnateur SPS et la société [5] avait été chargée du désamiantage préalable du site. La Société s’interroge sur la qualité de l’enquête administrative qui retient que le salarié a effectué de la pose et dépose de matériaux à base d’amiante, ce qui n’est pas le cas, ainsi qu’il résulte du questionnaire qu’elle a retourné. La Société fait valoir qu’en revanche, avant son embauche, M. [J] a travaillé pour le compte de sociétés spécialisées dans l’activité de garage automobile au sein desquelles il a été en contact avec de l’amiante en qualité de mécanicien puisqu’il manipulait, notamment des plaquettes de freins.

Réponse de la cour

Aux termes des dispositions de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale,

Est présumée d’origine professionnelle toute maladie désignée dans un tableau de maladies professionnelles et contractée dans les conditions mentionnées à ce tableau.

Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d’origine professionnelle lorsqu’il est établi qu’elle est directement causée par le travail habituel de la victime.

Peut être également reconnue d’origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu’il est établi qu’elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu’elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d’un taux évalué dans les conditions mentionnées à l’article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé.

Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l’origine professionnelle de la maladie après avis motivé d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L’avis du comité s’impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l’article L. 315-1 (‘)

L’article L. 461-2 du même code précisant :

Des tableaux annexés aux décrets énumèrent les manifestations morbides d’intoxications aiguës ou chroniques présentées par les travailleurs exposés d’une façon inhabituelle à l’action des agents nocifs mentionnés par lesdits tableaux, qui donnent, à titre indicatif la liste des principaux travaux comportant la manipulation ou l’emploi de ces agents. Ces manifestations morbides sont présumées d’origine professionnelle.

Par ailleurs, l’article L. 461-2 du code de la sécurité sociale dispose que :

(…) À partir de la date à laquelle un travailleur a cessé d’être exposé à l’action des agents nocifs inscrits aux tableaux susmentionnés, la caisse primaire et la caisse régionale ne prennent en charge, en vertu des dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 461-1, les maladies correspondant à ces travaux que si la première constatation médicale intervient pendant le délai fixé à chaque tableau.

L’article D. 461-1-1 du code de la sécurité sociale précisant :

Pour l’application du dernier alinéa de l’article L. 461-2, la date de la première constatation médicale est la date à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi. Elle est fixée par le médecin conseil.

Enfin, l’article R. 142-24-2 dans sa version applicable du code de la sécurité sociale prévoit que :

Lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l’origine professionnelle d’une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l’article L. 461-1, le tribunal recueille préalablement l’avis d’un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l’article L. 461-1.

Le tribunal désigne alors le comité d’une des régions les plus proches.

Dès lors, pour qu’une maladie survenue à l’occasion ou du fait du travail bénéficie de la présomption de maladie professionnelle, elle doit répondre aux conditions cumulatives suivantes :

– la maladie doit être répertoriée dans un des tableaux de maladies professionnelles,

– le travail accompli par le malade doit correspondre à un travail figurant dans la liste des travaux susceptibles de provoquer l’une des affections dudit tableau,

– la durée d’exposition doit correspondre à celle mentionnée audit tableau,

– la prise en charge doit être sollicitée dans un délai déterminé au tableau après l’exposition aux risques.

Ainsi, la prise en charge d’une affection au titre de la législation professionnelle suppose donc que celle-ci soit mentionnée dans un tableau de maladie professionnelle, qu’elle ait été constatée dans un délai fixé par le tableau et que le salarié ait été exposé au risque également mentionné dans ce tableau. Lorsque ces deux dernières conditions ne sont pas respectées, l’affection peut néanmoins être prise en charge à condition qu’un lien direct soit établi entre la pathologie et le travail habituel du salarié. La caisse primaire doit alors recueillir l’avis motivé d’un CRRMP avant de prendre sa décision. Une pathologie désignée par un tableau de maladie professionnelle peut donc être prise en charge au titre de la législation professionnelle, même en cas d’origine multifactorielle, dès lors que le CRRMP établit qu’elle a été directement causée par le travail habituel du salarié, peu important qu’il n’en soit pas la cause exclusive.

La cour précisera enfin que les conditions médicales réglementaires permettant de faire entrer une maladie dans un des tableaux de maladies professionnelles, et notamment la concordance entre la maladie déclarée et la pathologie désignée au tableau, se distinguent des conditions administratives prévues au titre du tableau qui désigne la maladie. Seules ces dernières, lorsqu’elles ne sont pas remplies, donnent lieu à la saisine d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.

En l’espèce, la demande de reconnaissance de maladie professionnelle de M. [J] a été instruite au regard du tableau n°30 bis des maladies professionnelles, intitulé « cancer broncho-pulmonaire provoqué par l’inhalation de poussières d’amiante » au regard d’un certificat médical initial établi le 11 juillet 2019 par le docteur [D] [F] faisant mention d’un « cancer broncho-pulmonaire ».

Ce tableau, dans sa version applicable, prévoit les conditions de prise en charge suivantes:

Désignation des maladie

Délai de prise en charge

Liste indicative des travaux

susceptibles de provoquer ces maladie

Cancer broncho-

pulmonaire primitif.

40 ans (sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans)

Travaux directement associés à la production des matériaux contenant de l’amiante.

Travaux nécessitant l’utilisation d’amiante en vrac.

Travaux d’isolation utilisant des matériaux contenant de l’amiante / Travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d’amiante.

Travaux de retrait d’amiante.

Travaux de construction et de réparation navale.

Travaux d’usinage, de découpe et de ponçage de matériaux contenant de l’amiante.

Fabrication de matériels de friction contenant de l’amiante.

Travaux d’entretien ou de maintenance effectués sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante.

Sur la pathologie

La cour rappelle qu’il n’est pas exigé que le libellé du certificat médical initial corresponde mot pour mot au libellé du tableau dès lors qu’il est établi que la pathologie est au nombre de celles désignées par le tableau revendiqué.

Ce faisant au cas présent, la nature de la pathologie et sa conformité au tableau ne sont pas contestées.

Sur les travaux effectués

Pour que joue la présomption d’imputabilité, la victime doit avoir été exposée de façon habituelle au risque, c’est-à-dire que l’exposition au risque doit présenter un caractère certain et que les travaux qui sont à l’origine de la maladie doivent avoir été effectués de façon répétée ou forcée, ce qui ne signifie cependant pas pour autant que ces travaux doivent avoir constitué une part prépondérante de l’activité du salarié ni d’ailleurs que l’exposition ait été permanente et continue. La liste des travaux étant limitative, seuls les travaux indiqués sont reconnus comme facteur déclenchant de la maladie. Elle s’impose ainsi aux juges qui ne jouissent d’aucun pouvoir pour en étendre ou en restreindre l’étendue suivant les circonstances.

Ce faisant, il résulte du tableau précité que le risque est encouru non du fait d’une qualification professionnelle particulière mais de l’activité exercée. Dès lors, le fait que M.[J] [H] ait exercé les fonctions d’entretien de machines et de véhicules et de « menus travaux » n’exclut pas une exposition au risque. C’est pourquoi, il ne saurait être retenu, comme l’a fait le tribunal que les tâches habituelles confiées à M. [J] [H] ne correspondaient pas aux travaux définis de façon limitative par le tableau n°30 Bis, le salarié n’effectuant que des fonctions d’ouvrier d’exécution à des menus travaux d’entretien ou de peinture sans rechercher s’il avait été exposé à des poussières d’amiante dans le cadre de ces travaux.

Au cas de M. [J] [H], le service médical de la Caisse, après examen, a conclu qu’il s’agissait d’un « cancer broncho pulmonaire primitif », pathologie visée au tableau 30 applicable au moment des faits et a considéré qu’elle en remplissait toutes les conditions administratives relatives à la durée d’exposition, au délai de prise en charge et à la nature des travaux effectués.

La Société le conteste et remet en cause la condition relative à la liste limitative des travaux estimant que ceux effectués habituellement par M. [J] [H] n’en font pas partie.

L’enquête administrative établit que M. [J] [H] avait travaillé :

– de 1980 à 1981 au sein d’un garage automobile,

– de 1981 à 1998 en qualité de responsable de magasin d’une enseigne de la grande distribution,

– de 1988 à 1990, en qualité de propriétaire gérant d’une librairie papeterie,

– de 1990 à 1993, en qualité de chauffeur-livreur dans une entreprise de transport de marchandises et livraison de colis,

– à compter de l’année 2010, au sein de l’entreprise [10] pour laquelle il avait effectué des travaux d’entretien de machines et de véhicules.

Dans le cadre de son activité de carrossier, M. [J] [H] effectuait de la soudure, du décapage de l’ancienne peinture à la disqueuse avec papier abrasif ou au décapant, de la peinture, de la pose de mastic. Il a été exposé aux huiles et graisses lors de la dépose de moteur. Dans le cadre des travaux mécaniques, l’enquêteur rapporte que M. [J] [H] aurait changé une vingtaine de plaquettes de freins par an avec notion d’utilisation de la soufflette, sans masque.

Au sein de l’entreprise [10], l’enquêteur notait que :

o le salarié passait les deux-tiers de son temps sur les chantiers et un tiers à la maintenance de toutes les machines de l’entreprise ; sur les chantiers, il effectuait des travaux de gros oeuvre de maçonnerie, de terrassement et de démolition ;

o il mettait en oeuvre des structures horizontales : chapes, planchers, dalles et assemblait des éléments d’armature à béton et posait des coffrages métalliques avec de l’huile de décoffrage ;

o il coulait du béton et maçonnait les murs par assemblage de matériaux à l’aide de ciment, plâtre et colle ;

o il posait des cloisons et des plafonds en placo-plâtre ainsi que de l’isolation thermique et phonique ;

o il retirait occasionnellement du flocage de plafond dans les sous-sols des HLM ;

o il déblayait les gravats de carrelage de salle de bains avec de la colle amiantée à la pelleteuse ou à la main avec pour protection des gants en cuir mais pas de masque.

Il en déduisait que M. [J] [H] avait été exposé à l’amiante tant lorsqu’il exerçait ses fonctions en qualité de carrossier que d’ouvrier.

L’employeur confirmait qu’entre 2010 et 2019, les tâches confiées à M. [J] [H] consistaient en des travaux de rénovation de locaux mais répondait par la négative aux questions de savoir s’il avait été amené à effectuer des travaux d’isolation, de calorifugeage, de maintenance de matériaux chauds, de flocage, de réparation ou d’entretien de produites floqués, de manipulation de garniture d’isolation ou de mécanismes d’embrayage et/ou de freins. Il admettait que le salarié avait pu manipuler des enduits à base de plâtre, de mortier, de colle et de mastic à l’occasion de la pose de revêtements de sols et de carrelage lors des « travaux d’aménagement ou de rénovation de locaux.

Dans son questionnaire, M. [J] [H] expliquait avoir été exposé à l’amiante de 2009 à 2018 expliquant que pour le compte de l’entreprise [10], il effectuait des travaux d’entretien et de maintenance sur des équipements contenant des matériaux à base d’amiante, des travaux de pose et de dépose de matériaux isolants à base d’amiante ainsi que des travaux d’isolation utilisant des matériaux en contenant. Il affirmait que lors des travaux de démolition, il intervenait sur tout type d’ouvrage (immeuble, maison, pont, passerelle…) et précisait que, dans ce cadre, il avait été amené à démolir à la masse puis manipuler des gravats de carrelage de salle de bain avec colle amiantée et à retirer occasionnellement du flocage de plafond dans des sous-sol de HLM. Il se souvenait qu’« il avait effectué un chantier de démolition, une maison de retraite à [Localité 7], on a dû arrêter le chantier car il y avait de l’amiante, un équipage de désamiantage intervenait au même moment ». Il précisait avoir disposé d’équipements de protection individuelle à savoir des gants, une combinaison et un masque en papier.

Les déclarations du salarié étaient corroborées par la production d’un document listant les chantiers confiés à la société [5], société de désamiantage, par la société [10] en sa qualité d’entreprise principale, notamment sur un chantier à [Localité 11].

La lecture des plans de retraits amiante produits par la Société enseigne ainsi que :

– s’agissant du chantier « les sources de la Bièvre », réalisé en 2015, la société [5] est intervenue à la demande de la société [10] pour « la dépose de 120 plaques planes d’allèges de fenêtres en fibrociment des bow-windows en extérieur » et pour laquelle la société [10] était chargée, avant le début du chantier de poser les échafaudages et d’installer des emprises chantier pour la remorque SAS de décontamination et de la zone de stockage sur six bâtiments ; l’amiante était donc bien présente sur le site ; par ailleurs, lors de la décontamination, les consommables étaient stockés dans l’enceinte du chantier, « dans une zone de stockage isolée à proximité de la zone de base ‘vie’ ». Plus précisément « les déchets étaient stockés sur une aire plane, à l’abri de tout risque et sécurisé par la mise en place de barrières de chantier et par l’affichage ‘danger amiante’ »,

– s’agissant du chantier « [Localité 11] », réalisé en 2016, la société [5] est également intervenue, à la demande de la société [10] pour « la dépose de revêtement de sol contenant de l’amiante pour un surface totale de 75 m2 et la dépose de colle bitumeuse contenant de l’amiante pour une surface totale de 75 m2 » pour lequel la société [10] était chargée de mettre à disposition des cantonnements et d’aménager une zone pour la récupération physique du personnel entre chaque vacation ; comme pour le précédent chantier, était prévu, lors de la décontamination, que les consommables soient stockés dans l’enceinte du chantier, « dans une zone de stockage isolée à proximité de la zone de base ‘vie’ » et que « les déchets soient stockés sur une aire plane, à l’abri de tout risque et sécurisé par la mise en place de barrières de chantier et par l’affichage ‘danger amiante’ ».

Si la Société indique que dans le cadre de ces chantiers, « le coordonnateur SPS veille ainsi à ce que les travaux réalisés notamment par la société [10] ne puissent démarrer qu’après l’intervention d’une entreprise de désamiantage », aucun document de chantier n’est versé aux débats pour démontrer l’effectivité de cette allégation. De même, si la Société indique que les salariés n’intervenait que sur des lots ayant déjà fait l’objet d’un désamiantage, il n’en demeure pas moins qu’elle est taisante sur la manipulation des gravats amiantés ou leur entreposage dans un lieu proche de celui de l’intervention des salariés.

La cour constate qu’au delà des constatations effectuées par l’enquêteur, le certificat médical initial établi le 11 juillet 2019 par le centre hospitalier de [Localité 9] en vue de la demande de reconnaissance en maladie professionnelle mentionnait également une exposition à l’amiante entre 1978 et 1980 dans le cadre d’une formation CAP de carrossier automobile au CFA de [Localité 8], ce qui est d’ailleurs cohérent avec ses fonctions de carrossier entre 1980 et 1981, au cours de laquelle il avait effectué de la soudure au chalumeau oxyacétylène ou à l’arc avec électrode au carbone voir baguette d’étain. Avant la peinture, il décapait l’ancienne peinture à la disqueuse avec papier abrasif ou au décapant (solvant) voire au chalumeau puis posait du mastic polyester avec durcisseur qu’il séchait et ponçait. Il était occasionnellement exposé aux huiles et aux graisses lors de la dépose moteur.

C’est pourquoi il est inopérant de plaider que la pathologie de M. [J] [H] aurait été contractée au sein d’autres employeurs puisque, sauf à rapporter la preuve contraire, la maladie doit être considérée comme contractée au service du dernier employeur chez lequel la victime a été exposée au risque avant sa constatation médicale. Ce n’est pas le cas en l’espèce puisque l’exposition au risque s’est poursuivie au sein de la société .

Il peut alors être constaté que M. [J] [H] a bien travaillé, alors qu’il était au service de la société, sur des chantiers comportant de l’amiante, qu’il a transporté des gravats et manipulé des déchets. Aucune protection spécifiquement adaptée pour éviter les inhalations produits toxiques ne lui étaient fournie ainsi que l’indique la Société dans le questionnaire retourné à la Caisse.

C’est pourquoi l’employeur ne pouvait répondre ‘non’ à la question de savoir si son salarié avait pu travailler à proximité immédiate de personnes réalisant des travaux avec présence d’amiante.

Il résulte de ce qui précède que M. [J] [H] a bien été exposé à des matériaux contenant de l’amiante puisqu’affecté à des travaux de rénovation de logements anciens pouvant en contenir. Cette présence d’amiante résulte non seulement des matériaux d’isolation qui étaient utilisés dans les constructions anciennes et de la spécialisation de la Société qui est mentionnée sur une liste de références chantiers amiante de la société [5], société spécialisée dans le désamiantage. L’employeur ne conteste pas d’ailleurs que des travaux de réhabilitation de logements contenant de l’amiante ont été effectués par l’intéressé notamment en 2015 et 2016 et il convient de noter que dans le contrat de travail de M. [J] [H] mentionnait spécifiquement des chantiers HLM, notamment celui de Verrierre, ce qui corrobore les déclarations de ce dernier.

Au regard des modes de contamination de la pathologie, qui peut s’effectuer par contact ou inhalation, et en l’absence de tout seuil prévu en terme de temps d’exposition ou de produit inhalé, il doit être retenu un lien entre la pathologie et le travail, M. [J] [H] n’ayant au demeurant aucun antécédent médical ayant pu interférer avec le cancer qu’il a développé.

Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que la pathologie dont souffre M. [J] [H] est bien inscrite au tableau 30Bis des maladies professionnelles, que le délai de prise en charge est respecté et que les travaux qu’il effectuait sont de ceux prévus audit tableau.

La réunion des conditions du tableau fait présumer le caractère professionnel de la maladie déclarée, présomption qu’il appartient à l’employeur de combattre en établissant son origine totalement étrangère au travail.

Or, force est de constater que la société [10] ne produit aucune pièce prouvant que la pathologie dont est atteint M. [J] [H] a une cause totalement étrangère au travail.

La cour juge donc opposable à la Société la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne rendue le 27 janvier 2020 de prendre en charge, au titre du risque professionnel, l’affection « cancer broncho-pulmonaire primitif » inscrite au tableau 30Bis déclarée par M. [J] [H] le 3 octobre 2018.

Le jugement sera infirmé en ce sens.

Sur les dépens et les demandes au titre de l’article 700 du code de procédure civile

La Société, qui succombe à l’instance, sera condamnée aux dépens de première instance et d’appel conformément aux dispositions de l’article 696 du code de procédure civile et sera condamnée à payer à la caisse primaire d’assurance maladie du Val-de-Marne une indemnité au titre de l’article 700 du code de procédure civile qu’il est équitable de fixer à la somme de 2 000 euros.

La Société sera pour sa part déboutée de la demande qu’elle a formée sur le même fondement.

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