Contexte de l’accidentLe 8 décembre 2017, la SASU a déclaré un accident du travail concernant M. [G], un ouvrier qualifié, survenu le 7 décembre 2017 à 11h30. L’accident s’est produit alors que M. [G] affûtait des couteaux, et il a ressenti une douleur progressive au poignet droit. Un certificat médical établi le même jour a diagnostiqué une tendinite du poignet droit, entraînant un arrêt de travail jusqu’au 13 décembre 2017. Décisions de la caisse d’assurance maladieLe 6 février 2018, la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados a reconnu l’accident comme professionnel après instruction. Cependant, la société a contesté cette décision par courrier le 28 mars 2018, et la commission de recours amiable a rejeté son recours le 21 août 2018. La société a ensuite saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc le 18 septembre 2018. Jugement du tribunalLe 2 décembre 2021, le tribunal a déclaré inopposable à la société la décision de la caisse de reconnaître le caractère professionnel de l’accident et a condamné la caisse aux dépens. La caisse a interjeté appel le 8 février 2022, demandant l’infirmation du jugement et la confirmation de la prise en charge de l’accident. Arguments des partiesLa caisse a soutenu que la société ne prouvait pas l’existence d’une cause étrangère à l’accident, tandis que la société a demandé la confirmation du jugement initial, arguant de l’absence de fait accidentel et de lien entre les lésions et l’accident. La société a également soulevé des questions sur l’imputabilité des soins et arrêts de travail postérieurs au 16 mars 2018. Analyse de la courLa cour a examiné la matérialité de l’accident et a conclu que la lésion de M. [G] était survenue au temps et au lieu de travail, établissant ainsi la présomption d’imputabilité. La société n’a pas réussi à prouver une cause totalement étrangère au travail. La cour a également noté que la présomption d’imputabilité s’étendait à tous les soins et arrêts de travail jusqu’à la date de consolidation. Décision finale de la courLa cour a infirmé le jugement du tribunal et a déclaré opposable à la SASU la décision de la caisse de prendre en charge l’accident survenu le 7 décembre 2017. Elle a également déclaré opposables les soins et arrêts de travail prescrits à M. [G] du 8 décembre 2017 au 18 mai 2018, et a condamné la SASU aux dépens. |
Quelles sont les conditions pour qu’un accident soit reconnu comme un accident du travail selon le Code de la sécurité sociale ?
L’article L.411-1 du Code de la sécurité sociale stipule que :
« Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise. »
Pour qu’un événement soit qualifié d’accident du travail, il doit résulter d’un événement ou d’une série d’événements survenus à des dates certaines, par le fait ou à l’occasion du travail, entraînant une lésion corporelle, peu importe la date d’apparition de celle-ci.
Il est également précisé que toute lésion survenue de manière soudaine, même si elle est le résultat de mouvements répétitifs, est considérée comme un accident du travail.
Ainsi, la présomption d’imputabilité au travail s’applique, sauf preuve du contraire par l’employeur.
Comment la présomption d’imputabilité au travail peut-elle être renversée ?
La présomption d’imputabilité au travail peut être renversée par l’employeur en établissant qu’une cause totalement étrangère au travail est à l’origine de la lésion.
Cette preuve ne peut pas se fonder uniquement sur le caractère anodin de l’événement ou sur l’affirmation d’un état pathologique préexistant.
L’article 16 de la loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 précise que :
« Il appartient à l’employeur qui conteste la présomption d’imputabilité d’apporter la preuve d’une cause étrangère à l’accident. »
Dans le cas présent, la société n’a pas réussi à prouver l’existence d’une cause étrangère, ce qui a conduit à maintenir la présomption d’imputabilité.
Quels sont les effets de la prise en charge d’un accident du travail sur les soins et arrêts de travail ?
La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail s’étend à toute la durée d’incapacité de travail, jusqu’à la guérison complète ou la consolidation de l’état de la victime.
L’article 10 du Code de la sécurité sociale précise que :
« Les prestations en nature et en espèces sont dues à la victime d’un accident du travail jusqu’à la date de consolidation de son état. »
Il appartient à l’employeur de prouver le contraire, c’est-à-dire l’existence d’un état pathologique préexistant ou d’une cause postérieure totalement étrangère à l’accident.
Dans le cas de M. [G], la caisse a pu prouver que les arrêts de travail étaient liés à l’accident du 7 décembre 2017, ce qui a conduit à la reconnaissance de la prise en charge des soins et arrêts de travail jusqu’au 18 mai 2018.
Quelles sont les conséquences de la décision de la commission de recours amiable sur le litige ?
La décision de la commission de recours amiable n’est pas opposable aux juridictions judiciaires.
L’article R.144-10 du Code de la sécurité sociale stipule que :
« La procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale. »
Cela signifie que les décisions prises par la commission de recours amiable ne peuvent pas être contestées devant les juridictions judiciaires, qui statuent sur le fond du litige.
Dans ce cas, la cour a infirmé le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale et a déclaré opposable à la société la décision de la caisse de prendre en charge l’accident de M. [G].
Quels sont les dépens dans le cadre d’une procédure de sécurité sociale ?
Les dépens dans le cadre d’une procédure de sécurité sociale sont régis par l’article 696 du Code de procédure civile, qui stipule que :
« Les dépens sont à la charge de la partie qui succombe. »
Dans le cas présent, la SASU [5] a été condamnée aux dépens, car elle a perdu l’instance.
Il est important de noter que l’article R.144-10 du Code de la sécurité sociale, qui prévoyait la gratuité des procédures, a été abrogé depuis le 1er janvier 2019, ce qui signifie que les règles relatives aux dépens s’appliquent désormais aux procédures en cours.
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ARRÊT N°
N° RG 22/00872 – N° Portalis DBVL-V-B7G-SO6U
CPAM DU CALVADOS
C/
Société [5]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Copie certifiée conforme délivrée
le:
à:
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D’APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 13 NOVEMBRE 2024
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Cécile MORILLON-DEMAY, Présidente de chambre
Assesseur : Madame Véronique PUJES, Conseillère
Assesseur : Madame Anne-Emmanuelle PRUAL, Conseillère
GREFFIER :
Mme Adeline TIREL lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l’audience publique du 17 Septembre 2024
devant Madame Cécile MORILLON-DEMAY, magistrat chargé d’instruire l’affaire, tenant seul l’audience, sans opposition des représentants des parties et qui a rendu compte au délibéré collégial
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 13 Novembre 2024 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats
DÉCISION DÉFÉRÉE A LA COUR:
Date de la décision attaquée : 02 Décembre 2021
Décision attaquée : Jugement
Juridiction : Pole social du TJ de SAINT BRIEUC
Références : 18/01163
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D’ASSURANCE MALADIE DU CALVADOS
[Adresse 2]
CS 10001
[Localité 3]
représenté par Me Anne DAUGAN de la SELARL MDL AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de RENNES substituée par Me Camille DELAHAYE, avocat au barreau de RENNES
INTIMÉE :
SASU [5]
[Adresse 4]
[Localité 1]
représentée par Me Olivia COLMET DAAGE de la SELEURL OLIVIA COLMET DAAGE AVOCAT, avocat au barreau de PARIS substituée par Me Thomas KATZ, avocat au barreau de PARIS
Le 8 décembre 2017, la SASU [5] (la société) a procédé à une déclaration d’accident du travail, accompagnée de réserves, concernant M. [U] [G], salarié en tant qu’ouvrier qualifié, mentionnant les circonstances suivantes :
Date : 7 décembre 2017 ; Heure : 11h30 ;
Lieu de l’accident : [Adresse 6], lieu de travail habituel ;
Activité de la victime lors de l’accident : le salarié affûtait les couteaux ;
Nature de l’accident : le salarié aurait ressenti une douleur au fur et à mesure de sa journée de travail à son poignet droit ;
Siège des lésions : poignet droit ;
Nature des lésions : douleur ;
Horaires de travail le jour de l’accident : 4h45 à 8h30 et 9h30 à 13h00 ;
Accident connu le 7 décembre 2017 par les préposés de l’employeur.
Le certificat médical initial, établi le 7 décembre 2017 par le docteur [H], fait état d’une ‘tendinite du poignet droit’ avec prescription d’un arrêt de travail jusqu’au 13 décembre 2017.
Par décision du 6 février 2018, après instruction et avis du médecin conseil, la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados (la caisse) a pris en charge l’accident au titre de la législation professionnelle.
Par courrier du 28 mars 2018, la société a contesté l’opposabilité de cette décision devant la commission de recours amiable, laquelle a rejeté son recours lors de sa séance du 21 août 2018.
Elle a alors porté le litige devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Brieuc le 18 septembre 2018.
Par jugement du 2 décembre 2021, ce tribunal, devenu pôle social du tribunal judiciaire de Saint-Brieuc, a :
– déclaré inopposable à la société la décision prise par la caisse de reconnaître le caractère professionnel de l’accident du 7 décembre 2017 de M. [G] ;
– condamné la caisse aux dépens.
Par déclaration adressée le 8 février 2022 par courrier recommandé avec avis de réception, la caisse a interjeté appel de ce jugement qui lui a été notifié le 21 janvier 2022.
Par ses écritures parvenues au greffe le 7 juillet 2022 auxquelles s’est référée et qu’a développées sa représentante à l’audience, la caisse demande à la cour :
– d’infirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris ;
– de dire que la prise en charge de l’accident du 7 décembre 2017 (sic) M. [G] a été victime est opposable à la société ;
– de confirmer la décision de la commission de recours amiable du 21 août 2018.
Par ses écritures parvenues au greffe le 30 novembre 2022 auxquelles s’est référé et qu’a développées son conseil à l’audience, la société demande à la cour :
– de confirmer, en toutes ses dispositions, le jugement entrepris ;
– de débouter la caisse de l’ensemble de ses demandes ;
Y faisant droit,
A titre principal,
– de juger l’absence de fait accidentel survenu au temps et au lieu de travail ;
– de juger que la caisse ne rapporte pas la preuve d’un lien certain, direct et exclusif entre les lésions prises en charge et un fait accidentel qui serait survenu le 7 décembre 2017 ;
– de juger que la caisse ne rapporte pas la preuve de ce que M. [G] a été victime d’une lésion au temps et au lieu de travail ;
En conséquence,
– de juger que la décision de la caisse de prendre en charge au titre de la législation sur le risque professionnel la lésion déclarée par M. [G] comme étant en lien avec un sinistre déclaré comme étant survenu le 7 décembre 2017 lui est inopposable ;
A titre subsidiaire,
– de juger que les prestations servies à M. [G] lui font grief au travers de l’augmentation de ses taux de cotisation accidents du travail ;
– de juger qu’elle rapporte la preuve de l’absence d’imputabilité à la lésion initiale, des soins et arrêts de travail pris en charge postérieurement au 16 mars 2018 ;
– en conséquence, de déclarer inopposables à son égard les soins et arrêts de travail pris en charge par la caisse au titre de l’accident du 7 décembre 2017 déclaré par M. [G] postérieurement au 16 mars 2018 ;
A titre infiniment subsidiaire,
– de juger qu’il existe un litige d’ordre médical portant sur la réelle imputabilité des lésions, prestations, soins et arrêts de travail indemnisés au titre de l’accident du 7 décembre 2017 déclaré par M. [G] ;
– d’ordonner, avant dire droit au fond, une expertise médicale judiciaire contradictoire confiée à tel expert avec pour missions celles figurant à son dispositif ;
– de renvoyer l’affaire à une audience ultérieure pour qu’il soit débattu du caractère professionnel des soins et arrêts en cause.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour, conformément à l’article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions susvisées.
1. Sur la matérialité du fait accidentel survenu le 7 décembre 2017
Il résulte de l’article L.411-1 du code de la sécurité sociale que : ‘Est considéré comme accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise’.
Constitue un accident du travail un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle ci. (Soc., 2 avril 2003, n° 00-21.768 ; Civ. 2ème, 9 juillet 2020, n° 19-13.852)
Dès lors qu’elle apparaît de manière soudaine, toute lésion caractérise un accident visé à l’article L. 411-1 du code de la sécurité sociale, même si le geste incriminé ne fait que déclencher un épisode aigu d’un état persistant, ce seul fait ne suffisant pas à enlever aux lésions leur caractère professionnel (Soc., 15 novembre 1990, pourvoi n° 89-10.028).
Un accident étant caractérisé par une lésion soudaine, il importe peu qu’il ne soit pas possible de déterminer un fait accidentel précis à l’origine de celle-ci, que la cause de la lésion demeure inconnue (2e Civ., 24 novembre 2016, pourvoi n°15-29.365, et 15-27.215) ou que la cause de la lésion soudaine soit la conséquence de mouvements répétitifs (2e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n°17-26.842).
Cette extension de la notion d’accident ne remet pas en cause la distinction avec la maladie caractérisée par une lésion à évolution lente.
Le critère de distinction demeure le caractère soudain ou progressif de l’apparition de la lésion, peu important l’exposition répétée au même fait générateur (2e Civ., 8 novembre 2018, pourvoi n° 17-26.842 et 2e Civ., 18 octobre 2005, pourvoi n° 04-30.352).
Toute lésion survenue aux temps et lieu de travail doit être considérée comme trouvant sa cause dans le travail, sauf s’il est rapporté la preuve que cette lésion a une origine totalement étrangère au travail (2e Civ., 16 décembre 2003, pourvoi n° 02-30.959).
Cependant, pour que la présomption d’imputabilité au travail puisse jouer, la caisse doit au préalable établir la matérialité de la lésion ainsi que sa survenance au temps et au lieu de travail.
Cette preuve peut être établie par tout moyen, comme par exemple un témoignage même s’il émane d’un salarié de la même entreprise. Elle peut résulter de présomptions graves, précises et concordantes (Soc., 8 octobre 1998, pourvoi n° 97-10.914).
En l’espèce, la caisse reproche au tribunal d’avoir déclaré inopposable à la société la décision de prise en charge de l’accident de M. [G], alors que la société ne rapporte pas la preuve d’une cause étrangère au travail permettant de renverser la présomption d’imputabilité.
La société maintient que la caisse ne rapporte pas la preuve de la survenance d’un fait accidentel et d’un lien certain, direct et exclusif entre les lésions prises en charge et ce fait accidentel.
Sur ce :
Dans son questionnaire complété le 19 décembre 2017, M. [G], salarié de la société depuis le 6 janvier 2010, fait état des éléments suivants :
‘Dans le courant de la matinée, j’ai commencé à ressentir une gêne dans le bras et la main et ça s’est mis à enfler et les mouvements répétitifs que je fais pour mon travail n’étaient plus possibles, et c’est là que l’infirmier de mon travail m’a conseillé de consulter un médecin’.
Le certificat médical initial établi le 7 décembre 2017, jour de l’accident, fait état d’une tendinite du poignet droit.
Dans un avis en date du 8 juin 2021, le docteur [F], médecin conseil, explique :
‘Par ailleurs, les étiologies des tendinites sont diverses et une tendinite peut être le fait d’une surcharge mécanique de travail du tendon. Donc, affûter des couteaux a pu occasionner une surcharge mécanique de travail du tendon.’
Il résulte de ces éléments que le mécanisme lésionnel décrit par l’intéressé et par la société dans la déclaration d’accident du travail est compatible avec la lésion objectivée (tendinite), étant rappelé que la lésion est survenue à 11heures 30, alors que le salarié avait déjà effectué plusieurs heures de travail (de 4h45 à 8h30 et de 9h30 jusqu’à l’accident) durant lesquelles il a effectué des mouvements répétitifs d’affûtage de couteaux.
Dans le questionnaire qui lui a été adressé, M. [G] répond aux questions suivantes :
‘Avez-vous fait un faux mouvement ‘
Non pas réellement c’est en effectuant les mouvements répétitifs de mon travail que ça s’est déclenché.
Avez-vous ressenti ce type de douleur auparavant, si oui depuis combien de temps et dans quelles circonstances ‘
Non.
La douleur est-elle apparue de façon lente et progressive ou soudainement ‘
Soudainement.
Avez-vous présenté les mêmes symptômes avant de commencer votre journée de travail ou lors d’autres journées de travail précédentes ‘
Non.’
Il résulte de ce questionnaire que la lésion ressentie par M. [G] est apparue uniquement le jour de l’accident, le 7 décembre 2017, ce qui n’est pas remis en cause par la société, laquelle a répondu au questionnaire adressé par la caisse en ces termes : ‘Le salarié était à son poste de travail. Il avait fait part à son supérieur qu’il ressentait une douleur au fur et à mesure de sa journée de travail au niveau de son poignet droit’.
Dès lors que les déclarations de la victime sont corroborées par des éléments objectifs, il convient de retenir que la caisse établit par des présomptions graves, précises et concordantes la matérialité de l’accident survenu au temps et au lieu du travail à une date certaine, de sorte que la présomption d’imputabilité de la lésion au travail doit s’appliquer.
Il incombe à l’employeur, une fois acquise la présomption d’imputabilité, de la renverser en établissant qu’une cause totalement étrangère au travail est à l’origine de la lésion.
A cet égard, l’existence d’une telle cause ne saurait s’induire du seul caractère anodin de l’événement décrit, ni de la seule affirmation de l’existence d’un état pathologique préexistant.
En l’espèce, lors de l’instruction de la caisse, la société a précisé : ‘comme nous l’avions précisé dans notre courrier de réserves joint à la DAT, M. [G] a indiqué à son responsable qu’il avait une boule au-dessus de son poignet droit depuis longtemps et qu’elle serait à l’origine de sa douleur’.
Le docteur [M], médecin de recours de la société, dans un avis technique du 27 juillet 2021, analyse la lésion du poignet droit en ces termes : ‘Survenue, à un moment indéterminé de la journée, d’une douleur du poignet droit, chez un sujet porteur de ce qui est vraisemblablement un kyste synovial du poignet droit’. Selon lui, la tendinite constatée justifiait des soins et arrêts de travail durant un mois, précisant ‘au-delà, c’est l’état antérieur qui évolue’.
La cour relève que si le gestionnaire RH de la société rapporte les propos du responsable de M. [G] qui lui aurait indiqué qu’il avait une boule au-dessus de son poignet droit depuis longtemps, la réalité de ce kyste n’a pas été médicalement constatée et le lien entre ce kyste et la survenue de la tendinite n’est nullement démontré par la société.
En outre, il est à noter que cet élément n’a été mentionné ni dans le certificat médical initial, ni dans le questionnaire rempli par M. [G] durant la procédure d’instruction de la caisse, ni dans l’avis du médecin conseil du 4 janvier 2018.
Au regard des éléments produits par la société insuffisants à caractériser un état antérieur expliquant la lésion et constituant une cause totalement étrangère au travail, il ne peut qu’être constaté qu’elle échoue à renverser la présomption d’imputabilité de l’accident au travail.
Par conséquent, il y a lieu d’infirmer le jugement entrepris et de déclarer opposable à la société la décision de la caisse de prendre en charge l’accident survenu le 7 décembre 2017.
2. Sur la prise en charge des soins et arrêts de travail
La présomption d’imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, dès lors qu’un arrêt de travail a été initialement prescrit ou que le certificat médical initial d’accident du travail est assorti d’un arrêt de travail, s’étend à toute la durée d’incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l’état de la victime et il appartient à l’employeur qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire (2e Civ., 9 juillet 2020, n° 19-17.626 ; 2e Civ., 17 février 2022, pourvoi n° 20-20.585 ; 2e Civ., 12 mai 2022, pourvoi n° 20-20.655).
Ainsi, lorsqu’une caisse a versé des indemnités journalières jusqu’à la date de consolidation, et même si les arrêts de travail postérieurs à l’arrêt de travail initial, joint au certificat médical initial, ne sont pas produits, la présomption d’imputabilité continue à s’appliquer jusqu’à cette date.
La présomption s’applique également aux lésions initiales, à leurs complications, à l’état pathologique antérieur aggravé par l’accident, mais également aux lésions nouvelles apparues dans les suites de l’accident dès lors qu’il existe une continuité de soins et de symptômes.
En l’espèce, la société soulève l’inopposabilité de la prise en charge des lésions, soins et arrêts de travail consécutifs à l’accident du 7 décembre 2017 postérieurement au 16 mars 2018, au motif que la date de consolidation aurait été fixée tardivement et que M. [G] présentait un état antérieur.
La caisse maintient pour sa part l’imputabilité des arrêts de travail et soins consécutifs à l’accident du 7 décembre 2017 jusqu’au 18 mai 2018.
Sur ce :
Il ressort du certificat médical initial produit par la caisse qu’un arrêt de travail a été prescrit initialement le 7 décembre 2017 jusqu’au 13 décembre 2017. La cour constate que la caisse rapporte suffisamment la preuve des arrêts de travail prescrits de manière ininterrompue, dont a bénéficié M. [G] du 7 décembre 2017 au 18 mai 2018, par la production du relevé des indemnités journalières versées sur cette période.
Par conséquent, la caisse peut se prévaloir de la présomption d’imputabilité de ces arrêts de travail à l’accident jusqu’au 18 mai 2018.
Pour rappel, il appartient à la société qui conteste cette présomption d’apporter la preuve contraire, soit celle de l’existence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l’accident ou d’une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les arrêts de travail postérieurs.
Dès lors qu’aucun doute n’existe quant à la lésion prise en charge par la caisse, la durée même apparemment longue des arrêts de travail ne permet pas à l’employeur de présumer que ceux-ci ne sont pas la conséquence de l’accident professionnel.
Ainsi, les seules affirmations de la société selon lesquelles la date de consolidation aurait été fixée tardivement ne sauraient être retenues pour contester l’imputabilité des soins et arrêts de travail prescrits à M. [G] des suites de son accident du travail du 7 décembre 2017.
L’avis du médecin de recours de la société permet de retenir les éléments suivants :
‘Suivront les certificats de prolongation, sous la signature du docteur [H], médecin généraliste, qui reprendront systématiquement la même pathologie ‘tendinite du poignet droit’ pour prolonger l’arrêt de travail et, ce :
Le 13/12/2017
Le 20/12/2017
Le 02/01/2018
Le 05/01/2018
Le 08/01/2018
Le 19/01/2018
Le 02/02/2018
Le 09/02/2018
Le 23/02/2018
Le 02/03/2018
S’en suit également un relevé permettant d’indiquer que l’intéressé a été prolongé au-delà de mars 2018 puisque les prolongations vont jusqu’au 31/12/2018.’
Force est de constater que le docteur [M] n’a pas eu accès aux certificats médicaux de prolongation à compter du 16 mars 2018 mais à un relevé attestant de la prolongation de l’arrêt de travail, ce dont il ne peut être déduit une absence de lien direct, exclusif et certain entre l’accident du travail du 7 décembre 2017 et les arrêts de travail prescrits à compter du 16 mars 2018.
Le docteur [M] poursuit en ces termes :
‘Nous ne savons, à l’issue, si l’intéressé a bénéficié d’une consolidation ou d’une guérison.
Le seul élément à notre disposition est la déclaration ultérieure, le 16/03/2018, d’une maladie professionnelle : ‘tendinite de l’épaule droite’, qui selon le médecin conseil aurait été refusée, et le 13/11/2019, un ‘syndrome du canal carpien droit’.’
Il sera précisé que la seule évocation d’une demande de reconnaissance de maladie professionnelle, adressée par M. [G] à la caisse l’ayant rejetée, ne peut permettre à elle seule d’objectiver une lésion de son épaule droite nécessitant la prescription d’un arrêt de travail.
Il convient de retenir les éléments produits par la caisse afin de démontrer l’imputabilité des soins et arrêts de travail pris en charge au titre de l’accident du travail du 7 décembre 2017 :
– le 4 janvier 2018, le docteur [T] indique que ‘Les lésions sont imputables à l’AT’, faisant référence à l’accident survenu le 7 décembre 2017 ;
– le 23 avril 2018, le docteur [C] précise ‘L’arrêt de travail est justifié’ faisant également référence à l’accident survenu le 7 décembre 2017 ;
– le 8 juin 2021, le docteur [F] considère que ‘C’est pourquoi, la nouvelle lésion ‘tendinite épaule droite’ sur le CMP du 16 mars 2018, n’étant pas une conséquence directe et certaine résultant de la tendinite du poignet droit, n’a pas été prise en charge au titre de l’AT du 7 décembre 2017. En revanche, le traitement de la tendinite du poignet droit, qui consiste principalement à mettre l’articulation au repos (c’est-à-dire à un arrêt de travail), a été prise en charge au titre de l’AT du 7 décembre 2017.’
– les attestations de paiement des indemnités journalières sur lesquelles il apparaît que M. [G] a été indemnisé pour ‘accident du travail du 16/03/2018’ à compter du 19 mai 2018, la période antérieure se rapportant exclusivement à l’accident du 7 décembre 2017.
Force est de constater que la société n’apporte aucun élément médical pertinent de nature à contredire utilement ces éléments, et qu’ainsi elle échoue à démontrer l’existence d’un état pathologique préexistant évoluant pour son propre compte sans lien avec l’accident, ou d’une cause postérieure totalement étrangère, auxquels se rattacheraient exclusivement les arrêts de travail prescrits sur la période du 16 mars au 18 mai 2018.
Dès lors, la présomption d’imputabilité des soins et arrêts de travail de M. [G] ne peut être remise en cause sur cette période.
Il résulte de la combinaison des articles 10, 143 et 146 du code de procédure civile que les juges du fond apprécient souverainement l’opportunité d’ordonner les mesures d’instruction demandées. Le fait de laisser ainsi au juge une simple faculté d’ordonner une mesure d’instruction demandée par une partie, sans qu’il ne soit contraint d’y donner une suite favorable, ne constitue pas en soi une violation des principes du procès équitable, tels qu’issus de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ou du principe du contradictoire.
Au regard de l’ensemble des pièces produites, qui sont suffisantes pour trancher le litige soumis à la cour, il n’y a pas lieu de faire droit à la demande d’expertise sollicitée.
Par conséquent, le jugement entrepris sera infirmé en toutes ses dispositions.
Au surplus, il y a lieu de rejeter la demande de la caisse tendant à voir confirmer la décision de la commission de recours amiable, les juridictions de l’ordre judiciaire n’étant pas juridiction de recours des commissions de recours amiable des organismes.
3. Sur les dépens
S’agissant des dépens, l’article R.144-10 du code de la sécurité sociale disposant que la procédure est gratuite et sans frais en matière de sécurité sociale est abrogé depuis le 1er janvier 2019.
Il s’ensuit que l’article R.144-10 précité reste applicable aux procédures en cours jusqu’à la date du 31 décembre 2018 et qu’à partir du 1er janvier 2019 s’appliquent les dispositions des articles 695 et 696 du code de procédure civile relatives à la charge des dépens.
En conséquence, les dépens de la présente procédure exposés postérieurement au 31 décembre 2018 seront laissés à la charge de la société qui succombe à l’instance.
La COUR, statuant publiquement par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement dans toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
Déclare opposable à la SASU [5] la décision de la caisse primaire d’assurance maladie du Calvados de prise en charge de l’accident de M. [G] survenu le 7 décembre 2017 au titre de la législation professionnelle ;
Déclare opposables à la SASU [5] les soins et arrêts de travail prescrits à M. [G] du 8 décembre 2017 au 18 mai 2018 ;
Condamne la SASU [5] aux dépens, pour ceux exposés postérieurement au 31 décembre 2018.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT