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Une activité (école de danse dans un immeuble), même autorisée et conforme à sa destination, ne doit pas être source de nuisances pour les autres occupants de l’immeuble. Sa fermeture judiciaire pour trouble anormal du voisinage peut être ordonnée.
Le réglement de copropriété stipule en général qu’il est interdit de transformer la destination des lieux en locaux générateurs de bruit ou apportant d’une manière générale un trouble de jouissance aux occupants des autres lots. Les salles dont l’activité est réservée à l’enseignement de la musique et de la danse ne sont pas considérées comme des établissements recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée soumis à des prescriptions strictes visant à concilier le fonctionnement de ces lieux avec le respect du droit à la tranquillité des riverains et la prévention des risques liés à l’exposition à de forts bruits sonores, il n’en demeure pas moins que le fait de ne pas être l’exploitant d’une installation classée ne prive pas la société Theta de son obligation de ne causer aucun trouble anormal de voisinage en raison des activités exercées dans ses locaux. En l’occurrence, même sans aller jusqu’à qualifier les activités dispensées par l’association Revoires Danses et Loisirs de dancing ou de discothèque, ces dernières génèrent des bruits excédant les inconvénients normaux de voisinage pour les aures locataires dont l’habitation se situe juste en-dessous. Il résulte de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite. Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. L’illicéité du fait ou de l’action critiquée peut résulter d’une règle de droit mais aussi d’un simple usage. Elle doit être évidente. Si l’existence de contestations sérieuses n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu’une contestation réellement sérieuse sur l’existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée. La cour doit apprécier l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l’exécution de l’ordonnance déférée, exécutoire de plein droit. La violation des clauses d’un acte, notamment de vente ou règlement de copropriété, est susceptible de constituer le caractère manifestement illicite d’un tel trouble. En outre, il est de principe que ‘nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinagé, un tel trouble étant susceptible de constituer un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile. Ainsi, le juge des référés a le pouvoir de constater son existence dès lors que la preuve en est faite avec l’évidence requise. Le trouble anormal de voisinage étant indépendant de la notion de faute, le juge doit en toute hypothèse rechercher si le trouble allégué dépasse les inconvénients normaux du voisinage, que son auteur ait ou pas enfreint la réglementation applicable à son activité. Cette appréciation s’exerce concrètement notamment selon les circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle). L’anormalité du trouble de voisinage s’apprécie en fonction des circonstances locales, doit revêtir une gravité certaine et être établie par celui qui s’en prévaut. Le décret du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage a inséré dans le code de la santé publique un certain nombre de dispositions destinées à lutter contre le bruit qui ont été depuis modifiées par le décret du 7 août 2017. Il résulte de l’article R 1336-4 du code de la santé publique que les dispositions des articles R 1336-5 à R 1336-11 s’appliquent à tous les bruits de voisinage, à l’exception de ceux qui proviennent de certaines activités. En application de l’article R 1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité. L’article suivant dispose que si le bruit mentionné à l’article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. Lorsque le bruit mentionné à l’alinéa précédent, perçu à l’intérieur des pièces principales de tout logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d’activités professionnelles, l’atteinte est également caractérisée si l’émergence spectrale de ce bruit, définie à l’article R 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article. Toutefois, l’émergence globale et, le cas échéant, l’émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels (dB) pondérés A si la mesure est effectuée à l’intérieur des pièces principales d’un logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas. En vertu de l’article R 1336-7 du code de la santé publique, l’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause. Les valeurs limites de l’émergence sont de 5 dB pondérés A en période diurne (de 7h à 22h) et de 3 dB pondérés A en période nocturne (de 22h à 7h), valeurs auxquelles s’ajoutent un terme correctif en dB pondérés A, fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit particulier. L’article R 1336-8 du même code énonce que l’émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d’octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d’octave, constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l’article R. 1336-6, en l’absence du bruit particulier en cause. Les valeurs limites de l’émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz. |
→ Résumé de l’affaireL’affaire concerne un litige entre la société civile immobilière Theta, propriétaire d’un local commercial dans un immeuble en copropriété, et Mme et M. J, propriétaires d’un appartement situé en dessous. La société Theta a loué son local à une école de danse, ce qui a entraîné des nuisances sonores pour les époux J. Ces derniers ont saisi le juge des référés pour demander la cessation de l’activité de l’école de danse et une indemnisation pour le préjudice subi. Le juge a ordonné la cessation de l’activité et a accordé une provision aux époux J. La société Theta a interjeté appel de cette décision, contestant les arguments des époux J et affirmant ne pas être tenue par l’obligation d’exercer une activité de stockage dans ses locaux. Les époux J ont demandé à la cour de confirmer l’ordonnance du juge des référés et d’augmenter le montant de l’astreinte et de la provision. L’affaire est en attente de jugement après la clôture de l’instruction.
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→ Les points essentielsSur le rejet des conclusions et nouvelles pièces transmises par les intimés le 12 mars 2024La cour a rappelé les dispositions de l’article 802 du code de procédure civile concernant le dépôt de conclusions et de pièces après l’ordonnance de clôture. Les conclusions et pièces transmises par les intimés le 12 mars 2024 ont été déclarées irrecevables, car déposées après l’ordonnance de clôture du 30 janvier 2024, sans qu’aucune cause grave ne se soit révélée depuis. Sur le trouble manifestement illicite et le dommage imminentLa cour a examiné les éléments relatifs au trouble manifestement illicite et au dommage imminent causés par les activités de l’association Revoires Danses et Loisirs dans les locaux de la société Theta. Les nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage ont été confirmées, justifiant l’ordonnance de cessation immédiate de l’activité de l’école de danse. Sur la demande de provisionLa cour a accordé une provision de 5 000 euros à Mme et M. [J] pour réparer les préjudices subis en raison des nuisances sonores. Le certificat médical établissant les effets néfastes sur la santé a été pris en compte pour fixer le montant non sérieusement contestable de la provision. Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civileLa société Theta a été condamnée aux dépens et à verser des sommes au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés par Mme et M. [J] en première instance et en appel. Les demandes de la société Theta sur le même fondement ont été rejetées. Les montants alloués dans cette affaire: – M. [E] [J] et Mme [N] [X] épouse [J] : 5 000 euros de provision, 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile
– La société civile immobilière de droit monégasque Theta : 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, dépens de la procédure d’appel |
→ Réglementation applicable– Article 802 du code de procédure civile
– Article 803 du code de procédure civile – Article 15 du code de procédure civile – Article 16 du code de procédure civile – Article 835 alinéa 1 du code de procédure civile – Article R 1336-4 du code de la santé publique – Article R 1336-5 du code de la santé publique – Article R 1336-7 du code de la santé publique – Article R 1336-8 du code de la santé publique Texte de l’article 802 du code de procédure civile: Texte de l’article 803 du code de procédure civile: Texte de l’article 15 du code de procédure civile: Texte de l’article 16 du code de procédure civile: Texte de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile: Texte de l’article R 1336-4 du code de la santé publique: Texte de l’article R 1336-5 du code de la santé publique: |
→ AvocatsBravo aux Avocats ayant plaidé ce dossier: – Me Pascal ALIAS
– Me Elie MUSACCHIA – Me Philippe CAMPS – Me Nicolas MATTEI |
→ Mots clefs associés & définitions– Motifs de la décision
– Ordonnance de clôture – Irrecevabilité – Trouble manifestement illicite – Dommage imminent – Contestation sérieuse – Trouble anormal de voisinage – Mesures conservatoires – Nuisances sonores – Provision – Motifs de la décision : Raisons ou arguments qui justifient la décision prise par une autorité judiciaire ou administrative.
– Ordonnance de clôture : Décision judiciaire mettant fin à une procédure et clôturant le dossier. – Irrecevabilité : Caractère de ce qui ne peut être reçu, notamment en matière de demande ou de recours. – Trouble manifestement illicite : Trouble causé par une personne et qui est clairement contraire à la loi. – Dommage imminent : Préjudice qui est sur le point de se produire ou qui est imminent. – Contestation sérieuse : Argumentation ou raisonnement solide remettant en cause une décision ou une situation. – Trouble anormal de voisinage : Trouble causé par un voisin et qui dépasse les inconvénients normaux du voisinage. – Mesures conservatoires : Décisions prises par une autorité judiciaire pour protéger un bien ou une situation en attendant une décision définitive. – Nuisances sonores : Perturbations sonores causées par une activité ou un comportement et qui peuvent causer un préjudice aux voisins. – Provision : Somme d’argent versée à titre d’avance ou de garantie en attendant une décision définitive sur un litige. |
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Chambre 1-2
ARRÊT
DU 07 MAI 2024
N° 2024/307
Rôle N° RG 23/04705 – N° Portalis DBVB-V-B7H-BLBMY
S.C.I. THETA
C/
[E] [J]
[N] [X] épouse [J]
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
Me Pascal ALIAS
Me Elie MUSACCHIA
Décision déférée à la Cour :
Ordonnance de référé rendue par Monsieur le Président du TJ de Nice en date du 17 Mars 2023 enregistrée au répertoire général sous le n° 22/01165.
APPELANTE
S.C.I. THETA
dont le siège social est [Adresse 1]
représentée par Me Pascal ALIAS de la SELAS SELAS ALIAS AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau d’AIX-EN-PROVENCE,
et assistée par Me Philippe CAMPS, avocat au barreau de NICE
INTIMES
Monsieur [E] [J],
né le 8 Juin 1969 à [Localité 3]
demeurant [Adresse 2]
représenté par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
assisté par Me Nicolas MATTEI, avocat au barreau de NICE,
Madame [N] [X] épouse [J],
née le 23 Novembre 1972 à [Localité 4]
demeurant [Adresse 2]
représentée par Me Elie MUSACCHIA, avocat au barreau D’AIX-EN-PROVENCE
et assistée par Me Nicolas MATTEI, avocat au barreau de NICE,
*-*-*-*-*
COMPOSITION DE LA COUR
L’affaire a été débattue le 19 Mars 2024 en audience publique devant la cour composée de :
M. Gilles PACAUD, Président
Mme Sophie LEYDIER, Conseillère
Mme Angélique NETO, Conseillère rapporteur
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Mme Caroline VAN-HULST.
Les parties ont été avisées que le prononcé de la décision aurait lieu par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2024.
ARRÊT
Contradictoire,
Prononcé par mise à disposition au greffe le 07 Mai 2024,
Signé par M. Gilles PACAUD, Président et Mme Caroline VAN-HULST, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Suivant acte notarié en date du 8 janvier 2021, modifié le 28 janvier suivant, la société civile immobilière (SCI) de droit monégasque Theta a acquis le premier étage constituant le lot 39 du bâtiment B d’un immeuble organisé en copropriété dénommée [Adresse 5]). Ce local est à usage commercial.
Mme [N] [X] épouse [J] et M. [E] [J] ont acquis, suivant acte notarié en date du 8 décembre 2004, le lot 38 situé en rez-de-jardin du bâtiment B susvisé. Ce local est à usage d’habitation.
A compter du mois de janvier 2021, la société Theta a entrepris des travaux de réhabilitation de son local afin de créer une salle de danse de 100 m2 environ.
Suivant convention en date du 11 janvier 2020, d’une durée de trois ans, allant du 1er août 2021 au 31 juillet 2024, la société Theta a mis à son local à disposition de l’association Revoires Danses et Loisirs, d’une superficie totale de 150 m2, en ce compris une salle pluridisciplinaire, en vue d’y exercer une activité de loisirs.
Se prévalant d’un trouble manifestement illicite résultant de troubles anormaux de voisinage, Mme et M. [J] ont saisi, par acte d’huissier en date du 22 juin 2022, le juge des référés du tribunal judiciaire de Nice aux fins d’entendre ordonner, sous astreinte, la cessation immédiate de l’activité de l’école de danse dans les locaux de la société Theta et de la voir condamner à lui verser une provision à valoir sur le préjudice de jouissance subi.
Par ordonnance en date du 17 mars 2023, ce magistrat a :
– ordonné à la société Theta de cesser immédiatement l’activité de l’école de danse dans ses locaux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance ;
– condamné la société Theta à payer à Mme et M. [J] la somme de 3 000 euros à titre de provision à valoir sur leur préjudice de jouissance ;
– condamné la société Theta à payer à Mme et M. [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– condamné la société Theta aux dépens.
Il a estimé que les locaux de la société Theta étaient destinés à un usage d’entrepôt, et non de danse, et ce, afin de limiter les activités bruyantes en raison de la configuration particulière du bâtiment B de la copropriété dans lequel se situe un local à usage d’habitation en dessous du local commercial. Il a considéré que les pièces de la procédure démontraient la pratique d’activités sportives bruyantes générant un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire cesser.
Suivant déclaration transmise au greffe le 30 mars 2023, la société Theta a interjeté appel de cette ordonnance en toutes ses dispositions dûment reprises.
Aux termes de ses dernières écritures transmises le 6 juin 2023, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, elle sollicite de la cour de :
– dire et juger que la SCI Theta n’est aucunement tenue par l’obligation d’exercer une activité de stockage et d’entreposage de marchandises dans les locaux dont elle est propriétaire ;
– dire et juger que les époux [J], qui ont acheté leur appartement en dessous d’un local commercial utilisé alors à usage de supérette, ne pouvait ignorer les nuisances inhérentes à l’exploitation d’un local commercial ;
– dire et juger que les nuisances sonores alléguées ne sont pas justifiées par deux constats d’huissier faisant état de volumes sonores très faibles ne dépassant pas les 50 décibels pendant de courtes périodes ;
– dire et juger que les époux [J] ne peuvent se plaindre de prétendues nuisances sonores après avoir refusé à deux reprises l’expertise acoustique destinée justement à les en prémunir ;
– dire et juger que l’attestation du docteur [H] n’est pas de nature à attester d’un prétendu préjudice en lien avec les nuisances alléguées ;
– réformer la décision entreprise dans l’ensemble de ses dispositions et statuant à nouveau ;
– se déclarer incompétente et inviter les parties à se mieux pourvoir ;
– débouter les époux [J] de l’intégralité de leurs demandes, fins et conclusions ;
– condamner les époux [J] à payer à la SCI Theta la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens distraits au profit de Maître Pascal Alias, aux offres de droit.
Au soutien de ses prétentions, elle expose :
– n’être aucunement tenue par l’obligation d’exercer une activité de stockage et d’entreposage de marchandises dans les locaux dont elle est propriétaire, dès lors que le local qu’elle a acquis est à usage de magasin et d’arrière magasin, tel que cela résulte de son titre de propriété et du règlement de copropriété, faisant observer que, si le locataire est tenu de respecter la destination des locaux prévue au bail, le propriétaire est libre de substituer une activité à une autre tant qu’elle ne se heurte à aucune interdiction administrative ou au règlement de copropriété ; que le local en question a été exploité à usage de magasin, supérette, cantine et de stockage ; qu’elle n’est pas tenue, en tant que propriétaire, d’y exercer la même activité ; que l’activité de centre de loisirs, et en l’occurrence les cours de gymnastique et de danse, n’est pas prohibée comme relevant de la catégorie 5 type R (établissement d’éveil, d’enseignement, de formation, centre de vacances, centre de loisirs sans hébergement), à l’inverse des activités prohibées par le titre de propriété qui relèvent de la classification de type P (dancing, discothèque, établissement de nuit) ;
– que les époux [J], qui ont acheté leur appartement en dessous d’un local commercial utilisé, par le passé, à usage de de magasin, supérette et cantine, ne pouvaient ignorer les nuisances inhérentes à l’exploitation d’un local commercial ;
– que la preuve de nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage n’est pas rapportée ; que les intimés ne démontrent pas avoir subi un quelconque trouble de voisinage lors des travaux de remise en état de son local ; que les deux constats d’huissier font état de volumes sonores très faibles ne dépassant pas les 50 décibels pendant de courtes périodes, soit deux fois inférieures en termes de volume sonore à celui d’une simple conversation ou d’une fenêtre sur rue ; que les cours dispensés en semaine s’arrêtent au plus tard à 20 heures;
– que les époux [J] ne peuvent se plaindre de prétendues nuisances sonores après avoir refusé à deux reprises l’expertise acoustique amiable destinée justement à les en prémunir ; que, nonobstant leur refus, elle a mandaté le cabinet Ingetec afin de procéder à une visite des locaux et indiquer ce qui pouvait être fait pour améliorer l’acoustique ; qu’elle a suivi les préconisations de ce cabinet en changeant l’enceinte par un plus petit modèle et en sollicitant un devis afin de procéder au remplacement des dalles existantes par des modèles plus performants, travaux qui n’ont pu être réalisés, faute pour les intimés de laisser la société Ingetec accéder à leur appartement pour procéder aux mesurages nécessaires ;
– que l’attestation du docteur [H] n’est pas de nature à attester d’un prétendu préjudice en lien avec les nuisances alléguées, ce docteur ne suivant M. [J] que depuis le 3ème trimestre 2021.
Aux termes de ses écritures transmises le 22 mai 2023, qui sont celles qui sont retenues pour les raisons qui seront exposées dans le corps de la décision, auxquelles il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens, Mme et M. [J] demandent à la cour de :
– juger qu’il existe un dommage imminent et un trouble manifestement illicite ;
– confirmer, à titre principal, l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions, sauf en ce qui concerne le montant de l’astreinte qui a été fixé et le montant de la provision allouée ;
– statuant à nouveau ;
– fixer l’astreinte à la somme de 1 000 euros par jour de retard ;
– condamner la société Theta à leur verser une provision de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts à valoir sur leur préjudice de jouissance ;
– la condamner, dans tous les cas, à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
– la condamner aux dépens de première instance et d’appel.
Au soutien de leurs prétentions, ils exposent subir un trouble manifestement illicite résultant de troubles anormaux de voisinage dès lors :
– que les précédentes activités exercées dans le local situé au-dessus de chez eux, à savoir petite supérette, cantine et entrepôt de stockage, ne correspondent en rien à une activité de magasin ou d’arrière magasin ; que la société Theta s’est engagée, aux termes de son acte de vente, à conserver l’usage commercial d’entrepôt du lot acquis ; que, depuis la construction de l’immeuble, la destination du bien a toujours été mentionnée dans l’acte de propriété des précédents propriétaires successifs et non des locataires ; que ces actes, établis depuis 1965, stipulent expressément, aux termes d’une condition particulière, les activités prohibées, et en particulier toutes activités génératrices de bruit, comprenant les établissements de spectacle et dancing, et, de manière générale, toutes activités leur causant un trouble de jouissance ; qu’il en est ainsi de l’acte d’acquisition de la société Theta ; qu’en louant son local à une école de danse, l’appelante ne respecte pas la destination du bien loué et l’interdiction découlant de la condition particulière ; qu’ainsi, le preneur exploite son activité en méconnaissance des stipulations contractuelles ;
– que le règlement de copropriété du 30 juin 1964 stipule dans un article 8 que chaque copropriétaire pourra jouir et disposer de ses locaux à la condition de ne jamais nuire aux autres copropriétaires et de se conformer à ses stipulations ;
– que l’activité exercée par le preneur leur cause des troubles anormaux de voisinage en raison du son extrêmement fort de la musique, des impacts au plafond de bruits sourds, de galopages et papotages incessants des clients de l’école de danse, et ce, alors même que la gérante s’était engagée, lors des travaux de rénovation de ses locaux, à les aménager de manière à limiter les désagréments sonores ;
– que ces troubles résultent des plannings des cours dispensés faisant état de cours de danses à compter de l’été 2022 sans précision sur leur nature, des véhicules des clients, de l’amplitude horaire des cours de danse qui peuvent parfois se terminer en soirée et être dispensés les week-end, du fait que le preneur ouvre les portes et fenêtres, et ce, en les méprisant complétement dès lors que la société Theta ne daigne même plus répondre à leurs courriels et messages ; que les cours qui sont dispensés ne se limitent pas à du yoga, gymnastique douce et danses de salon mais à des cours beaucoup plus bruyants (éveil musical, guitare, chorale, pilates, danse sportive, théâtre…) ; que l’école de danse a été classée en Etablissement Recevant du Public, de sorte qu’elle exercer bien une activité de dancing définie comme un établissement public où l’on danse ; que les nuisances sonores ont été constatées par un huissier de justice les 23 septembre et 6 octobre 2022 ,
– que la preuve d’une isolation phonique adéquate entre les deux lots n’est pas rapportée ;
– que l’expertise amiable proposée par la société Theta était dilatoire dès lors qu’elle n’a rien fait pour faire cesser les troubles, et notamment en trouvant un autre locataire exerçant une activité conforme à la destination du lot ;
– que le préjudice subi est indéniable dès lors que l’activité de danse porte atteinte à leur tranquillité et vie de famille ; que le docteur [H] a constaté que M. [J], fonctionnaire de police à [Localité 3], présentait des palpitations correspondant à des troubles du rythme ventriculaires à déterminence adrénergique (stress) depuis l’installation de l’école de danses au-dessus de son logement.
La clôture de l’instruction a été prononcée le 30 janvier 2024.
Les intimés ont transmis de nouvelles écritures le 12 mars 2024 auxquelles sont annexées de nouvelles pièces (30 à 42).
Aux termes de conclusions de procédure transmises le 14 mars 2024, l’appelante demande à la cour de ne pas prononcer la révocation de l’ordonnance de clôture, faute pour les intimés de justifier d’un motif grave, et, dès lors, de déclarer irrecevables les conclusions et pièces notifiées le 13 mars 2024 en les écartant des débats.
Aux termes de conclusions de procédure transmises le 15 mars 2024, les intimés se prévalent d’un motif grave justifiant la révocation de l’ordonnance de clôture, à savoir qu’ils ont eu connaissance de la création d’un café associatif, le 24 octobre 2023, pour exercer son activité dans les lieux en lieu et place de l’école de danses, élément dont la société Theta s’est gardée de faire état, au mépris d’un souci de transparence et de loyauté des débats.
Il convient de rappeler, à titre liminaire, que la cour n’est pas tenue de statuer sur les demandes de ‘dire juger’ qui, sauf dispositions légales spécifiques, ne sont pas des prétentions, en ce qu’elles ne sont pas susceptibles d’emporter des conséquences juridiques, mais des moyens qui ne figurent que par erreur dans le dispositif, plutôt que dans la seule partie discussion des conclusions d’appel.
Sur le rejet des conclusions et nouvelles pièces transmises par les intimés le 12 mars 2024
Il résulte de l’article 802 du code de procédure civile, qu’après l’ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d’irrecevabilité prononcée d’office : sont cependant recevables les demandes en intervention volontaire, les conclusions relatives aux loyers, arrérages, intérêts et accessoires échus, aux débours faits jusqu’à l’ouverture des débats, si leur décompte ne peut faire l’objet d’aucune contestation sérieuse, ainsi que les demandes en révocation de l’ordonnance de clôture.
L’article 803 du code de procédure civile dispose que l’ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s’il se révèle une cause grave depuis qu’elle a été rendue. Elle peut être révoquée, d’office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l’ouverture des débats sur décision du tribunal.
Par ailleurs, l’article 15 du code de procédure civile énonce que les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu’elles produisent et les moyens de droit qu’elles invoquent, afin que chacun soit à même d’organiser sa défense.
Enfin, aux termes de l’article 16 du même code, le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction. Il ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d’en débattre contradictoirement.
Il est admis que le juge dispose d’un pouvoir souverain pour apprécier si des conclusions et/ou des pièces ont été déposées en temps utile. Ainsi, s’il estime qu’elles ont été déposées peu de temps avant le moment prévu pour l’ordonnance de clôture, le juge doit veiller au respect des droits de la défense et, éventuellement, les écarter des débats en caractérisant les circonstances particulières qui l’ont conduit à se prononcer en ce sens.
En outre, par application des dispositions de ce texte, doivent également être considérées comme tardives les conclusions déposées le jour ou la veille de la clôture de la procédure dont la date a été communiquée à l’avance.
En l’espèce, alors même que les parties avaient conclu les 23 mai 2023 pour les intimés et 6 juin 2023 pour l’appelante, l’intimée a reconclu le 12 mars 2024, en y annexant de nouvelles pièces numérotées 30 à 42, soit après l’ordonnance de clôture qui a été rendue le 30 janvier 2024.
Outre le fait que la plupart de ces pièces datent de plusieurs mois avant la clôture de l’affaire, les intimés entendent porter à la connaissance de la cour des faits qui sont étrangers au litige qui les oppose à la société Theta, à savoir le trouble manifestement illicite causé par l’association Revoires Danses et Loisirs au moment où le premier juge a statué.
Dès lors qu’aucune cause grave ne s’est révélée depuis que l’ordonnance de clôture a été rendue et en l’absence d’accord des parties pour la rabattre, les conclusions transmises par les intimées le 12 mars 2024, ainsi que les pièces n° 30 à 42 qui y sont annexées, seront déclarées irrecevables.
Sur le trouble manifestement illicite et le dommage imminent
Il résulte de l’article 835 alinéa 1 du code de procédure civile que le président du tribunal judiciaire peut toujours, même en cas de contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s’entend du dommage qui n’est pas encore réalisé mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d’un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit. L’illicéité du fait ou de l’action critiquée peut résulter d’une règle de droit mais aussi d’un simple usage. Elle doit être évidente.
Si l’existence de contestations sérieuses n’interdit pas au juge de prendre les mesures nécessaires pour faire cesser un dommage imminent ou un trouble manifestement illicite, il reste qu’une contestation réellement sérieuse sur l’existence même du trouble et sur son caractère manifestement illicite doit conduire le juge des référés à refuser de prescrire la mesure sollicitée.
La cour doit apprécier l’existence d’un dommage imminent ou d’un trouble manifestement illicite au moment où le premier juge a statué, peu important le fait que ce dernier ait cessé, en raison de l’exécution de l’ordonnance déférée, exécutoire de plein droit.
La violation des clauses d’un acte, notamment de vente ou règlement de copropriété, est susceptible de constituer le caractère manifestement illicite d’un tel trouble.
En outre, il est de principe que ‘nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinagé, un tel trouble étant susceptible de constituer un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du code de procédure civile. Ainsi, le juge des référés a le pouvoir de constater son existence dès lors que la preuve en est faite avec l’évidence requise.
Le trouble anormal de voisinage étant indépendant de la notion de faute, le juge doit en toute hypothèse rechercher si le trouble allégué dépasse les inconvénients normaux du voisinage, que son auteur ait ou pas enfreint la réglementation applicable à son activité. Cette appréciation s’exerce concrètement notamment selon les circonstances de temps (nuit et jour) et de lieu (milieu rural ou citadin, zone résidentielle ou industrielle). L’anormalité du trouble de voisinage s’apprécie en fonction des circonstances locales, doit revêtir une gravité certaine et être établie par celui qui s’en prévaut.
Le décret du 31 août 2006 relatif à la lutte contre les bruits de voisinage a inséré dans le code de la santé publique un certain nombre de dispositions destinées à lutter contre le bruit qui ont été depuis modifiées par le décret du 7 août 2017. Il résulte de l’article R 1336-4 du code de la santé publique que les dispositions des articles R 1336-5 à R 1336-11 s’appliquent à tous les bruits de voisinage, à l’exception de ceux qui proviennent de certaines activités.
En application de l’article R 1336-5 du code de la santé publique, aucun bruit particulier ne doit, par sa durée, sa répétition ou son intensité, porter atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme, dans un lieu public ou privé, qu’une personne en soit elle-même à l’origine ou que ce soit par l’intermédiaire d’une personne, d’une chose dont elle a la garde ou d’un animal placé sous sa responsabilité.
L’article suivant dispose que si le bruit mentionné à l’article R. 1336-5 a pour origine une activité professionnelle autre que l’une de celles mentionnées à l’article R 1336-10 ou une activité sportive, culturelle ou de loisir, organisée de façon habituelle ou soumise à autorisation, l’atteinte à la tranquillité du voisinage ou à la santé de l’homme est caractérisée si l’émergence globale de ce bruit perçu par autrui, telle que définie à l’article R 1336-7, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.
Lorsque le bruit mentionné à l’alinéa précédent, perçu à l’intérieur des pièces principales de tout logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, est engendré par des équipements d’activités professionnelles, l’atteinte est également caractérisée si l’émergence spectrale de ce bruit, définie à l’article R 1336-8, est supérieure aux valeurs limites fixées au même article.
Toutefois, l’émergence globale et, le cas échéant, l’émergence spectrale ne sont recherchées que lorsque le niveau de bruit ambiant mesuré, comportant le bruit particulier, est supérieur à 25 décibels (dB) pondérés A si la mesure est effectuée à l’intérieur des pièces principales d’un logement d’habitation, fenêtres ouvertes ou fermées, ou à 30 décibels pondérés A dans les autres cas.
En vertu de l’article R 1336-7 du code de la santé publique, l’émergence globale dans un lieu donné est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau du bruit résiduel constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux et au fonctionnement habituel des équipements, en l’absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l’émergence sont de 5 dB pondérés A en période diurne (de 7h à 22h) et de 3 dB pondérés A en période nocturne (de 22h à 7h), valeurs auxquelles s’ajoutent un terme correctif en dB pondérés A, fonction de la durée cumulée d’apparition du bruit particulier.
L’article R 1336-8 du même code énonce que l’émergence spectrale est définie par la différence entre le niveau de bruit ambiant dans une bande d’octave normalisée, comportant le bruit particulier en cause, et le niveau de bruit résiduel dans la même bande d’octave, constitué par l’ensemble des bruits habituels, extérieurs et intérieurs, correspondant à l’occupation normale des locaux mentionnés au deuxième alinéa de l’article R. 1336-6, en l’absence du bruit particulier en cause.
Les valeurs limites de l’émergence spectrale sont de 7 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 125 Hz et 250 Hz et de 5 décibels dans les bandes d’octave normalisées centrées sur 500 Hz, 1 000 Hz, 2 000 Hz et 4 000 Hz.
En l’espèce, il n’est pas contesté que la société Theta a acquis, le 8 janvier 2021, le premier étage constituant le lot 39 du bâtiment B d’un immeuble organisé en copropriété avec le projet d’aménager cet ancien local commercial pour y installer une salle de danse de 101 m2, un espace vestiaire et sanitaire et un local office/accueil de 15 m2, de manière à y accueillir jusqu’à 50 personnes avec un classement au titre des entreprises recevant du public de 5ème catégorie de type R et X.
Sa demande de travaux de mise en conformité totale aux règles d’accessibilité et d’aménagement intérieurs avec nouveaux cloisonnements, déposée le 18 mars 2021, a reçu un avis favorable du service départemental d’incendie et de secours sous réserve de respecter des mesures de prévention et défense contre l’incendie.
Après avoir entrepris ces travaux, la société Theta a mis à la disposition, à compter du 1er août 2021, ses locaux à l’association Revoires Danses et Loisirs. Aux termes de ses statuts, elle a pour objet de développer toutes activités de loisirs, danses et bien-être (activités sportives et culturelles) par le biais de cours, stages, expositions, compétitions et concours, organisation festives, pour tous âges, en tout endroit approprié.
Il s’avère que pour limiter les bruits occasionnés par ces activités, la société Theta justifie avoir acheté, suivant facture en date du 13 septembre 2021 dressée par la société Entreprise Solutions Elastomères, des pièces antivibratoires sur mesure et installé un parquet afin d’atténuer le bruit.
Or, par courriers recommandés en date des 14 février et 9 mars 2022, Mme et M. [J], qui occupent le bien situé en dessous, vont de plaindre auprès de la société Theta de nuisances sonores constituées par le son extrêmement fort de la musique, par les impacts au plafond avec des bruits sourds et les papotages des clients après les cours, et ce, alors même que les cours de danse commencent parfois dans l’après-midi, souvent à 18h00 ou 19h00, pour se terminer certains soirs à 22h10, avec le départ des danseurs qui n’intervient pas avant 22h15, des claquements de portes, des discussions et des bruits de talons jusqu’à 22h15 et que les cours sont de plus en plus nombreux.
Afin d’étayer leurs allégations, les intimés versent aux débats des plannings mentionnant pour la période 2021/2022 des cours d’éveil musical le lundi de 17h à 18h, de pilates le même jour de 18h45 à 19h45, de danse sportive pour enfants et couples le mardi de 17h à 17h45 et pour adolescents le mercredi de 17h à 18h, de danse orientale le mardi de 19h à 20h, de gym douce le mercredi de 18h45 à 19h45, de rock et danses de salon le mercredi de 19h45 à 21h45, de west coast swing le jeudi de 19h à 20h, de salsa et bachata le jeudi de 20h à 21h et de jazz pour enfants et adolescents le samedi de 10h à 12h. Des cours de yoga vont être ajoutés le jeudi matin de 10h à 11h 30 et le vendredi de 18h15 à 19h45. D’autres cours apparaissent dans le planning produit en pièce 26 par les intimés, et notamment la chorale moderne le lundi de 18h15 à 19h, la danse classique le lundi de 20h à 21h, la danse sportive le mardi de 17h15 à 19h45 et de 20h45 à 21h45, le théâtre le mercredi de 14h30 à 16h45, la chorale moderne le même jour de 16h45 à 17h45 et le body tonic le même jour de 19h45 à 20h45.
Un huissier de justice s’est rendu chez Mme et M. [J] le vendredi 23 septembre 2022 de 18h50 à 19h30 et le jeudi 6 octobre 2022 de 17h45 à 18h50.
Lors de ses premières constatations, Me [T] [P] indique, qu’à son arrivée à 18h55, et alors qu’elle se trouve dans le salon, elle ne constate aucun bruit provenant du dessus. Elle relève, à l’aide d’un sonomètre, 36,3 décibels. Vers 19h03, elle fait état de bruits répétitifs de pas lourds et de sauts provenant du dessus ainsi que des voix. Vers 19h07, elle expose que les bruits de sauts s’intensifient faisant vibrer les meubles et qu’elle entend, ensuite une musique en fond et continue, avec toujours des bruits de pas lourds répétitifs. À 19h10, elle relève 47 décibels au maximum. Elle déclare ressentir, parfois, de forts bruits de sauts et des cris d’encouragement avec la musique en fond et, à chaque saut, des vibrations. Elle indique que les plannings qui sont affichés ne prévoient aucun cours le vendredi pour le local litigieux.
Lors de ses deuxièmes constatations, Me [P] indique, qu’à son arrivée à 17h55, alors qu’elle se trouve dans le salon avec les fenêtres de la maison fermées, elle entend quelques de bruits de pas et des voix. A 18h, elle entend une musique qui démarre puis s’arrête au bout d’une minute avant d’entendre la voix d’une personne qui parle fort et des bruits de pas lourds. A 18h07, elle explique, qu’alors que la musique redémarre, elle entend distinctement le morceau de musique et ses paroles et, en même temps, la voie d’une femme qui crie pour couvrir la musique. Au bout d’une minute, elle constate que la musique s’arrête et des bruits de sauts répétitifs voire des bruits de personnes qui courent. A 18h11, 18h22 et 18h33, elle entend la musique, des bruits de sauts et de course ainsi que la voix d’une femme qui crie. A 18h18, elle indique que la musique est très forte et que les basses causent des vibrations. Elle relève avec son sonomètre un maximum de 50,6 décibels et un minimum de 43,2 décibels. A 18h35, elle relève 46,6 décibels au maximum. A 18h49, elle constate que la musique s’arrête et entend des pas, une porte qui claque, des voix de personnes qui se disent au revoir et des bruits de pas dans l’escalier.
Il s’ensuit que Mme et M. [J] établissent que, lorsque l’association dispense ses cours de danse, et en particulier ses cours de jazz le jeudi soir, le niveau de bruit ambiant mesuré de l’intérieur de leur maison, comportant les bruits résultant de ces cours, dépassent 45 décibels, sachant que l’association propose différents cours, comprenant de la danse sportive, du rock et de la salsa dans la semaine, y compris le samedi, surtout en fin de journée, pouvant aller jusqu’à 21h45 le soir. Sans les bruits incriminés, l’huissier de justice a mesuré, le vendredi 23 septembre 2022, 36,3 décibels. Il en résulte que, lorsque l’association dispense ses cours, elle dépasse largement les valeurs limites de l’émergence de 5 dB pondérés A en période diurne (de 7h à 22h).
Plusieurs mois après l’acte introductif d’instance, en date du 22 juin 2022, la société Theta démontre avoir fait appel à un bureau d’étude technique monégasque Ingetec Acoustique, spécialisé en acoustique, pour déterminer les matériaux en vue d’une insonorisation optimale après avoir pris les mesures sur site. Après une visite des lieux le 19 décembre 2022, il a été préconisé, le 5 janvier 2023, d’installer une enceinte moins performante en basses fréquences et émettrice de moins de vibrations ainsi que d’augmenter la quantité d’absorbant dans la salle en remplaçant les dalles existantes pour des dalles plus performantes et augmentant sensiblement la surface de ces dernières.
Ces préconisations corroborent le fait que les travaux d’isolation phonique entrepris par la société Theta en 2021 se sont révélés très insuffisants.
La société Theta affirme que les activités exercées dans les locaux ont toujours généré du bruit, de sorte qu’en raison du privilège d’antériorité, Mme et M. [J] ne peuvent se plaindre des nuisances qu’engendrent les cours de danse dispensés par l’association Revoires Danses et Loisirs.
S’il n’est pas contesté que, lorsque Mme et M. [J], ont acquis leur habitation, une activité de libre-service d’alimentation service était exercée dans les locaux situés au-dessus de chez eux, à la suite de quoi plusieurs autres activités d’origine professionnelle se sont succédées, et notamment des activités de cantine et d’entreposage, il n’en demeure pas moins que la société Theta ne démontre pas que les bruits générés par l’école de danse sont les mêmes que ceux qu’engendraient les autres activités. Il s’agit d’activités de nature différente, supposant d’autres conditions d’exploitation, comme le démontrent les importants travaux de rénovation voire de transformation réalisés par la société Theta en 2021 afin d’y installer une salle de danse de plus de 100 m2 capable d’accueillir jusqu’à 50 personnes.
La nature de l’activité exercée dans les locaux est d’autant plus importante que la configuration de l’immeuble à usage mixte, commercial et d’habitation, explique les ‘conditions particulières’ insérées dans les actes de vente, et notamment dans celui des parties, à savoir que la société venderesse s’interdit pour elle ou ses ayants-droits de transformer la destination des locaux constituant le lot n° 3 (nouveau numéro 39) utilisé actuellement à usage de commerce de Libre-Service d’alimentation générale en locaux commerciaux ou industriels générateurs de bruit (utilisation de machines ou de moteurs quelconques, établissements de spectacles, dancing, etc…) ou d’odeurs désagréables, ou présentant des risques sérieux d’incendie, ou apportant d’une manière générale un trouble de jouissance quelconque aux occupants du lot n° 4 (nouveau numéro 38) présentement vendu.
Si la société Theta relève, à juste titre, que les salles dont l’activité est réservée à l’enseignement de la musique et de la danse ne sont pas considérées comme des établissements recevant du public et diffusant à titre habituel de la musique amplifiée soumis à des prescriptions strictes visant à concilier le fonctionnement de ces lieux avec le respect du droit à la tranquillité des riverains et la prévention des risques liés à l’exposition à de forts bruits sonores, il n’en demeure pas moins que le fait de ne pas être l’exploitant d’une installation classée ne prive pas la société Theta de son obligation de ne causer aucun trouble anormal de voisinage en raison des activités exercées dans ses locaux.
En l’occurrence, même sans aller jusqu’à qualifier les activités dispensées par l’association Revoires Danses et Loisirs de dancing ou de discothèque, il résulte de ce qui précède que ces dernières génèrent des bruits excédant les inconvénients normaux de voisinage pour Mme et M. [J] dont l’habitation se situe juste en-dessous.
Or, outre le fait que les conditions particulières susvisées stipulent qu’il est interdit de transformer la destination des lieux en locaux générateurs de bruit ou apportant d’une manière générale un trouble de jouissance aux occupants du lot situé en-dessous, l’article 8 du règlement de copropriété stipule que chacun des co-propriétaires aura, en ce qui concerne les locaux qui seront sa propriété privée, le droit d’en jouir et disposer comme de choses lui appartenant en toute propriété, à la condition de ne jamais nuire aux autres co-propriétaires (…).
En effet, une activité, même autorisée et conforme à sa destination, ne doit pas être source de nuisances pour les autres occupants de l’immeuble.
L’ensemble de ces éléments aurait dû conduire la société Theta à faire réaliser, avant que l’association ne débute ses activités au début de l’année 2022 et/ou après les nuisances sonores dénoncées par les intimés dans leurs courriers des 14 février et 9 mars 2022, une étude de l’impact sonore comportant une mesure acoustique ainsi que la description des dispositions prises pour limiter le niveau sonore et les émergences, sans attendre d’être assignée.
Bien plus, alors même que le bureau d’étude technique monégasque Ingetec Acoustique a préconisé différentes mesures, la société Theta ne démontre qu’avoir fait l’acquisition d’une nouvelle enceinte, le 24 décembre 2022. En tout état de cause, elle ne verse aux débats aucune mesure acoustique apportant la preuve d’un non dépassement des valeurs d’émergence fixées par la réglementation.
En conséquence, dès lors que Mme et M. [J] ont démontré, au moment où le premier juge a statué, que l’activité exercée par l’association Revoires Danses et Loisirs, dans des conditions différentes que celles précédemment exercées dans les mêmes locaux, engendrait des bruits non conformes aux normes acoustiques réglementaires, excédant les inconvénients normaux de voisinage, compte tenu de l’intensité et la fréquence des bruits, jusqu’à tard le soir les jours de la semaine, c’est à bon droit que le premier juge a considéré que la société Theta causait à ses voisins un trouble manifestement illicite.
La seule mesure provisoire de nature à mettre un terme au trouble anormal de voisinage était d’ordonner la société Theta, comme l’a fait le premier juge, de cesser immédiatement l’activité de l’école de danse dans ses locaux, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, passé le délai de 8 jours à compter de la signification de l’ordonnance.
L’ordonnance entreprise sera donc confirmée sur ce point.
Sur la demande de provision
Par application de l’article 835 alinéa 2 du code de procédure civile, dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, le président du tribunal judiciaire ou le juge du contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire.
Il appartient au demandeur d’établir l’existence de l’obligation qui fonde sa demande de provision tant en son principe qu’en son montant et la condamnation provisionnelle, que peut prononcer le juge des référés sans excéder ses pouvoirs, n’a d’autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.
Une contestation sérieuse survient lorsque l’un des moyens de défense opposé aux prétentions du demandeur n’apparaît pas immédiatement vain et laisse subsister un doute sur le sens de la décision au fond qui pourrait éventuellement intervenir par la suite sur ce point si les parties entendaient saisir les juges du fond.
Enfin c’est au moment où la cour statue qu’elle doit apprécier l’existence d’une contestation sérieuse, le litige n’étant pas figé par les positions initiale ou antérieures des parties dans l’articulation de ce moyen.
En l’espèce, il résulte de ce qui précède que Mme et M. [J] ont subi, à l’évidence, pendant au moins 15 mois, des nuisances sonores excédant les inconvénients normaux de voisinage en raison des activités exercées par l’école de danse génèrant des bruits dépassant largement le taux d’émergence réglementairement toléré et, de surcroît, très désagréables, étant donné que l’huissier de justice a entendu, en plus de la musique, des bruits de sauts répétitifs et de personnes qui courent et crient, et a ressenti, à chaque saut, des vibrations.
Le docteur [H] a établi un certificat médical le 1er juin 2022 aux termes duquel il indique suivre M. [J] depuis le troisième trimestre 2021 et avoir constaté que, depuis l’installation de l’école de danse juste au-dessus de son appartement, des palpitations correspondant à des troubles du rythme ventriculaires à déterminence adrénergique (stress) ayant nécessité une prise en charge diagnostique avancée en milieu spécialisé et traitement pharmacologique.
Etant donné que les nuisances sonores provenant de l’école de danse font obstacle à la jouissance normale de leur appartement par Mme et M. [J] et génèrent des effets néfastes sur leur santé, l’obligation de la société Theta de réparer le préjudice subi ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
Compte tenu des nuisances sonores subis par Mme et M. [J], au moins pendant 15 mois, de janvier 2022 à mars 2023, et des répercussions sur leur vie de famille et santé, il est de juste appréciation de fixer le montant non sérieusement contestable de la provision à valoir sur la réparation des préjudice subis à la somme de 5 000 euros.
L’ordonnance entreprise sera donc infirmée en ce qu’elle a alloué aux intimés la somme de 3 000 euros. La société Theta sera condamnée à leur verser la somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur la réparation de leurs préjudices.
Sur les dépens et l’article 700 du code de procédure civile
La société Theta, succombant en appel, il y a lieu de confirmer l’ordonnance entreprise en ce qu’elle l’a condamnée aux dépens et à verser à Mme et M. [J] la somme de 2 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en première instance non compris dans les dépens.
Elle sera également condamnée aux dépens de la procédure d’appel.
L’équité commande en outre de la condamner à verser à Mme et M. [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens.
En revanche, en tant que partie perdante, la société Theta sera déboutée de sa demande formée sur le même fondement.
La cour,
Déclare irrecevables les conclusions et nouvelles pièces, numérotées 30 à 42, qui y sont annexées, transmises par M. [E] [J] et Mme [N] [X] épouse [J] le 12 mars 2024, et donc postérieurement à l’ordonnance de clôture ;
Confirme l’ordonnance entreprise en toutes ses dispositions sauf en ce qu’elle a fixé le montant de la provision allouée à M. [E] [J] et Mme [N] [X] épouse [J] à la somme de 3 000 euros ;
Statuant à nouveau et y ajoutant ;
Condamne la société civile immobilière de droit monégasque Theta à verser à M. [E] [J] et Mme [N] [X] épouse [J] la somme provisionnelle de 5 000 euros à valoir sur la réparation de leurs préjudices ;
Condamne la société civile immobilière de droit monégasque Theta à verser à M. [E] [J] et Mme [N] [X] épouse [J] la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en appel non compris dans les dépens ;
Déboute la société civile immobilière de droit monégasque Theta de sa demande formée sur le même fondement ;
Condamne la société civile immobilière de droit monégasque Theta aux dépens de la procédure d’appel.
La greffière Le président