M. [V] [P] a signé un contrat de maîtrise d’œuvre avec la Sarl Créative Bat le 13 décembre 2019 pour la construction d’une maison individuelle, avec un budget prévisionnel de 300 000 euros TTC. L’avant-projet sommaire 2 a estimé les travaux à 348 390 euros TTC, suivi d’un avant-projet sommaire 3 à 325 303,33 euros. Le permis de construire a été délivré le 18 septembre 2020. La société Créative Bat a demandé le paiement de ses prestations, mais M. [V] [P] a mis fin au contrat. En mai 2021, Créative Bat a assigné M. [V] [P] en justice pour obtenir le règlement de ses prestations et des dommages-intérêts. Le tribunal a requalifié le contrat en contrat de construction de maison individuelle, a prononcé sa nullité pour manquement aux règles d’ordre public, et a débouté Créative Bat de ses demandes tout en condamnant cette dernière à verser 2 500 euros à M. [V] [P] au titre de l’article 700 du code de procédure civile. Créative Bat a interjeté appel de ce jugement, demandant la requalification du contrat et le paiement de diverses sommes. M. [V] [P] a également formé un appel incident, demandant la confirmation du jugement sauf en ce qui concerne son préjudice moral. L’affaire a été mise en délibéré après l’audience du 18 juin 2024.
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REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
ASW/FA
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Minute n°
N° de rôle : N° RG 23/00219 – N° Portalis DBVG-V-B7H-ETGF
COUR D’APPEL DE BESANÇON
1ère chambre civile et commerciale
ARRÊT DU 24 SEPTEMBRE 2024
Décision déférée à la Cour : jugement du 09 novembre 2022 – RG N°21/00319 – TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE LONS LE SAUNIER
Code affaire : 54C – Demande en paiement du prix formée par le constructeur contre le maître de l’ouvrage ou son garant
COMPOSITION DE LA COUR :
M. Michel WACHTER, Président de chambre.
M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, Conseillers.
Greffier : Mme Fabienne ARNOUX, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.
DEBATS :
L’affaire a été examinée en audience publique du 18 juin 2024 tenue par M. Michel WACHTER, président de chambre, M. Cédric SAUNIER et Mme Anne-Sophie WILLM, conseillers et assistés de Mme Fabienne ARNOUX, greffier.
Le rapport oral de l’affaire a été fait à l’audience avant les plaidoiries.
L’affaire oppose :
PARTIES EN CAUSE :
APPELANTE
S.A.R.L. CREATIVE BAT prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié de droit en cette qualité, audit siège social
Sise [Adresse 2]
Immatriculée auRCS de Lons le Saunier sous le numéro 529 139 834
Représentée par Me Alexandre LIARD de la SCP DEGRE 7, avocat au barreau de BESANCON
ET :
INTIMÉ
Monsieur [V] [P]
né le 09 Octobre 1952, de nationalité française, retraité,
demeurant [Adresse 1]
Représenté par Me Cristina DE MAGALHAES de la SELARL SCHWERDORFFER WEIERMANN PICHOFF DE MAGALHAES SPATAFORA, avocat au barreau de BESANCON
ARRÊT :
– CONTRADICTOIRE
– Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant préalablement été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.
– signé par M. Michel WACHTER, président de chambre et par Mme Fabienne ARNOUX, greffier lors du prononcé.
EXPOSE DES FAITS, DE LA PROCEDURE ET DES PRETENTIONS
Par contrat du 13 décembre 2019, M. [V] [P] a confié la maîtrise d’oeuvre de la construction d’une maison individuelle à [Localité 3] (39) à la Sarl Créative Bat. L’enveloppe financière prévisionnelle a été fixée à la somme de 300 000 euros TTC.
Le même jour, la société Créative Bat a présenté son avant-projet sommaire 2 pour un montant estimatif de travaux s’élevant à 348 390 euros TTC.
L’avant-projet sommaire 3 du 20 mai 2020 a fixé le montant des travaux à la somme de 325 303,33 euros pour une surface habitable de 146,05 m² et un garage de 54, 80 m².
Le permis de construire a été délivré le 18 septembre 2020.
La société Créative Bat a demandé le règlement de ses prestations d’ores et déjà réalisées et M. [V] [P] s’y s’est refusé en lui notifiant sa décision de mettre fin au contrat de maîtrise d’oeuvre.
Par acte du 6 mai 2021, la Sarl Créative Bat a fait assigner M. [V] [P] devant le tribunal judiciaire de Lons le Saunier en règlement de ses prestations et de dommages et intérêts.
Par jugement rendu le 9 novembre 2022, le tribunal a :
– requalifié le contrat de maîtrise d’oeuvre signé entre M. [V] [P] et la société Créative Bat le 13 décembre 2019, en contrat de construction de maison individuelle,
– prononcé la nullité du contrat de construction de maison individuelle pour manquement aux règles d’ordre public,
– débouté la société Créative Bat de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [V] [P],
– débouté M. [V] [P] de sa demande au titre du préjudice moral,
– débouté la société Créative Bat de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Créative Bat à verser à M. [V] [P] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– condamné la société Créative Bat aux entiers dépens de la procédure,
– débouté les parties pour le surplus.
Pour statuer ainsi, le tribunal a notamment retenu :
Sur la qualification du contrat
– que le maître d’ouvrage n’était pas véritablement acteur dans le cadre du contrat,
– que la preuve du choix des entreprises par M. [V] [P] n’était pas rapportée,
– que les entreprises dont les devis étaient versés avaient été imposées au maître d’ouvrage,
– que le contrat devait en conséquence être requalifié en contrat de construction de maison individuelle ;
Sur la demande en nullité
– que l’article L. 231-2 du code de la construction et de l’habitation précisait les mentions obligatoires devant figurer dans le contrat de construction de maison individuelle,
– que plusieurs mentions obligatoires ne figuraient pas au contrat,
– que les règles étant d’ordre public, leur violation était sanctionnée par la nullité du contrat ;
Sur les demandes indemnitaires
– qu’il n’était pas contesté que la société Créative Bat n’avait pas transmis de courrier recommandé à M. [V] [P],
– que le délai de rétractation n’avait donc pas commencé à courir,
– que la construction de la maison n’ayant pas débuté, la société Créative Bat ne rapportait pas d’éléments probants permettant de caractériser un enrichissement sans cause de la part de M. [V] [P],
– qu’il n’était pas démontré que M. [V] [P] avait une connaissance préalable de la violation des dispositions destinées à le protéger,
– qu’il ne pouvait donc pas renoncer à quelque chose dont il ignorait l’existence,
– qu’en raison de la nullité du contrat, le commencement d’exécution n’avait en conséquence pas eu lieu ;
Sur la demande d’interdiction d’utiliser les plans, documents, écrits et graphiques
– qu’étant fondée sur la demande de règlement par M. [V] [P] de la somme due au titre du contrat, la demande était devenue sans objet en raison de la nullité du contrat ;
Sur la demande reconventionnelle
– que M. [V] [P] n’apportait pas d’élément probant justifiant sa demande au titre d’un préjudice moral.
-oOo-
Par acte du 16 février 2023, la société Créative Bat a interjeté appel du jugement en toutes ses dispositions, à l’exception de celle déboutant M. [V] [P] de sa demande au titre du préjudice moral.
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 15 mai 2024, elle demande à la cour :
– d’infirmer le jugement entrepris en ce qu’il :
– a requalifié le contrat de maîtrise d »uvre signé le 13 décembre 2019 en contrat de construction de maison individuelle,
– a prononcé la nullité du contrat de construction de maison individuelle pour manquement aux règles d’ordre public,
– l’a déboutée de l’ensemble de ses demandes à l’encontre de M. [V] [P],
– l’a déboutée de sa demande au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamnée à verser à M. [V] [P] la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
– l’a condamnée aux entiers dépens,
– l’a déboutée du surplus de ses demandes,
Statuant à nouveau
– de dire et juger que le contrat conclu le 13 décembre 2019 s’analyse en un contrat de maîtrise d »uvre,
– de dire et juger le contrat de maîtrise d »uvre conclu le 13 décembre 2019 valable et obligeant chacune des parties conformément à ses stipulations,
– de condamner M. [V] [P] à lui payer la somme de 15 486,90 euros, augmentée des intérêts au taux légal calculés à compter du 21 octobre 2020,
– d’ordonner la capitalisation des intérêts conformément aux dispositions de l’article 1343-2 du code civil,
– de condamner M. [V] [P] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre des dommages et intérêts,
– d’interdire à M. [V] [P] d’utiliser ses plans, documents écrits et graphiques jusqu’à complet règlement des sommes dues,
– le cas échéant d’une utilisation prohibée, de condamner d’ores et déjà M. [V] [P] à lui payer une astreinte de 500 euros par jour de violation de ladite interdiction,
– de débouter M. [V] [P] de l’intégralité de ses demandes,
– de condamner M. [V] [P] à lui payer une somme de de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile,
– de condamner M. [V] [P] aux dépens de première instance,
Y ajoutant
– de condamner M. [V] [P] à lui payer une somme de 4 000 euros au titre des frais irrépétibles sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens.
-oOo-
Aux termes de ses dernières conclusions transmises le 19 avril 2024, M. [V] [P] demande à la cour :
– de juger l’appel de la société Créative Bat recevable mais mal fondé,
– de déclarer recevable et bien fondé l’appel incident et les demandes formées par lui,
A titre principal :
– de confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Lons Le Saunier le 9 novembre 2022 sauf en ce qu’il a rejeté sa demande d’indemnisation au titre de son préjudice moral,
– de débouter la société Créative Bat de l’ensemble de ses demandes,
Statuant à nouveau :
– de condamner la société Créative Bat au versement de la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral,
Y ajoutant :
– de condamner la société Créative Bat à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– de rejeter toutes demandes contraires,
A titre subsidiaire :
– de constater les manquements contractuels de la société Créative Bat,
– de dire et juger que la société Créative Bat a manqué à son obligation de résultat,
En conséquence :
– de prononcer la résolution du contrat conclu entre la société Créative Bat et lui,
– de condamner la société Créative Bat à lui verser la somme de 563,16 euros au titre des retards d’exécution,
– de condamner la société Créative Bat au versement de la somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral,
– de condamner la société Créative Bat à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile, ainsi qu’aux entiers dépens,
– de rejeter toutes demandes contraires.
-oOo-
La clôture a été ordonnée le 28 mai 2024.
L’affaire a été appelée à l’audience du 18 juin 2024.
Elle a été mise en délibéré au 24 septembre 2024.
Pour l’exposé complet des moyens et prétentions des parties, la cour se réfère aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l’article 455 du code de procédure civile.
I. Sur la qualification et la nullité du contrat
Sur la nature du contrat
[V] [P] soutient que le contrat passé le 13 décembre 2019 avec la société Créative Bat est un contrat de construction de maison individuelle. Il fait valoir que la clause accordant au maître de l’ouvrage la conclusion des marchés et le règlement des factures n’est pas un critère suffisant pour refuser cette qualification au contrat, et indique qu’il n’avait aucune marge de man’uvre dans le choix des entreprises. Il mentionne que la société Créative Bat ne s’était donc pas limitée à l’accompagner dans la passation des contrats d’entreprise, mais qu’elle avait elle-même fait réaliser les différents devis.
La société Créative Bat fait valoir que le contrat passé le 13 décembre 2019 est un contrat de maîtrise d »uvre. Elle explique que M. [V] [P] avait toute latitude pour consulter et sélectionner lui-même les entreprises qu’il souhaitait pour la réalisation de la construction. Elle soutient que les missions confiées dans le contrat sont des missions de maîtrise d »uvre classiques et fait subsidiairement valoir que si le contrat devait être requalifié en contrat de construction, cela n’emporterait aucune conséquence sur l’obligation de règlement des sommes dues.
Réponse de la cour :
L’article 1103 du code civil dispose que ‘Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.’
Selon l’article L.231-1 du code de la construction et de l’habitation : ‘Toute personne qui se charge de la construction d’un immeuble à usage d’habitation ou d’un immeuble à usage professionnel et d’habitation ne comportant pas plus de deux logements destinés au même maître de l’ouvrage d’après un plan qu’elle a proposé ou fait proposer doit conclure avec le maître de l’ouvrage un contrat soumis aux dispositions de l’article L. 231-2.
Cette obligation est également imposée :
a) A toute personne qui se charge de la construction d’un tel immeuble à partir d’un plan fourni par un tiers à la suite d’un démarchage à domicile ou d’une publicité faits pour le compte de cette personne ;
b) A toute personne qui réalise une partie des travaux de construction d’un tel immeuble dès lors que le plan de celui-ci a été fourni par cette personne ou, pour son compte, au moyen des procédés visés à l’alinéa précédent.
Cette personne est dénommée constructeur au sens du présent chapitre et réputée constructeur de l’ouvrage au sens de l’article 1792-1 du code civil.’
En l’espèce, il est constaté qu’aux termes du contrat intitulé ‘Contrat de maîtrise d’oeuvre pour la réalisation d’une maison individuelle’ passé entre les parties le 13 décembre 2019, définissant le maître d’oeuvre comme ‘la personne chargée par le maître de l’ouvrage de concevoir le bâtiment à construire ou à rénover selon le programme fourni par le maître de l’ouvrage, de diriger l’exécution des marchés de travaux, de proposer le règlement des travaux et leur réception’, la société Créative Bat s’est vue chargée par M. [V] [P], dans le cadre de l’opération de construction d’une maison individuelle située [Adresse 4] à [Localité 3] :
– de l’établissement des documents graphiques et pièces écrites de sa compétence, nécessaires à la constitution du dossier de demande de permis de construire,
– de l’assistance du maître de l’ouvrage dans la constitution du dossier administratif et dans ses rapports avec les administrations,
– des études de projet de conception générale (établissement du cahier des clauses techniques particulières, du coût prévisionnel détaillé des travaux et du calendrier prévisible du déroulement de l’opération, à l’exception des études d’exécution et de l’établissement des bordereaux quantitatifs et estimatifs),
– de l’examen, avec le maître de l’ouvrage, des modalités de réalisation de l’ouvrage,
– de dresser, avec le maître de l’ouvrage, la liste des entreprises à consulter,
– de rassembler les éléments du projet nécessaires à la consultation permettant aux entrepreneurs d’apprécier la nature, la quantité, la qualité et les limites de leurs prestations et d’établir leurs offres,
– d’assister le maître de l’ouvrage pour l’établissement des pièces complémentaires administratives accompagnant le projet et constituant le dossier d’appel d’offres,
– d’assister le maître de l’ouvrage lors du dépouillement des offres des entreprises, de procéder à leur analyse comparative, d’établir son rapport, de proposer la liste des entreprises à retenir et de mettre au point les pièces constitutives du ou des marchés de travaux,
– d’examiner la conformité des études d’exécution réalisées par les entreprises au projet de conception générale,
– de rédiger et de signer les ordres de service pour l’exécution des travaux des différents corps d’état, d’organiser et de diriger les réunions de chantier et d’en rédiger les comptes rendus, de vérifier l’avancement des travaux et leur conformité avec les pièces du marché, de vérifier les situations des entrepreneurs, d’établir les propositions de paiement, de vérifier les mémoires établis par les entreprises, d’établir le décompte définitif en fin de chantier et de proposer le règlement pour solde,
– de proposer au maître de l’ouvrage de verser des situations de travaux,
– d’assurer la coordination inter-entreprises du chantier,
– d’assister le maître de l’ouvrage pour la réception des travaux,
– de suivre le déroulement des reprises liées aux éventuelles réserves formulées à la réception et de constater leur levée.
Si M. [V] [P] soutient qu’il n’a eu aucune marge de man’uvre quant aux choix des entreprises pour l’exécution de la construction, il ne le démontre pas, les pièces 2 et 3 auxquelles il renvoie pour ce faire étant constituées de devis tous établis à son nom et à son adresse, et le courrier qu’il produit de la société Ferm’sol en pièce N°12 ne faisant qu’attester du fait qu’il a librement consulté cette entreprise dont il a ensuite transmis le devis à la société Créative Bat (pièce Créative Bat N°18).
De la même manière, M. [V] [P] n’établit par aucune pièce son affirmation selon laquelle il a été été contraint de recourir aux artisans proposés par la société Créative Bat ou qu’il se serait vu refuser le recours à quelqu’entreprise de son choix.
En outre, il est relevé :
– que le contrat du 13 décembre 2019 ne contient aucune disposition mettant à la charge de la société Créative Bat une mission de réaliser les travaux de construction,
– que la société Créative Bat a pour objet social la maîtrise d’oeuvre en bâtiment et travaux publics, et que l’activité exercée telle qu’inscrite au registre du commerce et des sociétés est celle de maîtrise d’oeuvre en bâtiment et travaux publics (pièces 18 et 19).
Le contrat passé entre les parties le 13 décembre 2019 n’est donc pas un contrat de construction de maison individuelle, mais un contrat de prestation de service portant sur une mission de maîtrise d’oeuvre visant à assister M. [V] [P], maître de l’ouvrage, dans la construction de sa maison.
Compte-tenu de ces éléments, le jugement entrepris sera infirmé en ce qu’il a requalifié le contrat de maîtrise d’oeuvre en contrat de construction de maison individuelle régi par les textes du code de la construction de l’habitation.
Sur la nullité du contrat
M. [V] [P] soutient que dès lors que les dispositions de l’article L. 231-2 du code de la construction et de l’habitation n’ont pas été respectées, le contrat est nul et les honoraires sollicités ne sont pas dus.
La société Créative Bat s’oppose à la nullité du contrat en faisant valoir que le formalisme prévu en matière de contrat de construction de maison individuelle ne saurait s’appliquer.
Réponse de la cour :
Le contrat dont s’agit étant un contrat de maîtrise d’oeuvre, il n’est donc pas soumis aux dispositions d’ordre public du code de la construction et de l’habitation applicables au contrat de construction d’une maison individuelle.
Le jugement entrepris sera en conséquence infirmé sur ce point.
II. Sur la demande de condamnation à la somme de 15 486,90 euros, la demande de résolution du contrat et la demande au titre des retards d’exécution
La société Créative Bat indique que l’avant-projet sommaire 3 qui a précédé la demande de permis de construire a fixé le coût prévisionnel des travaux à 325 303,33 euros TTC correspondant à l’enveloppe financière de 300 000 euros assortie de la marge de 10 % prévue contractuellement. Elle soutient en conséquence avoir respecté les termes de sa mission et relève que M. [V] [P] n’a jamais contesté les estimatifs transmis, et qu’il a validé l’avant-projet 3 sur la base duquel il a déposé la demande de permis de construire. Elle explique que la règlementation environnementale que fait valoir M. [V] [P] ne s’applique pas au projet, que le non respect des délais d’exécution qui lui est reproché n’est pas démontré, que M. [P] a bénéficié de trois avant-projets, d’un dossier de permis de construire et de plans d’exécution, et que le permis de construire qu’il a obtenu l’a été sur ces bases. Elle conteste que la superficie du projet avait été arrêtée initialement à un maximum de 130 m², et mentionne à ce titre que M. [P] lui avait demandé de passer sous une surface habitable de 150 m² afin d’éviter l’intervention d’un architecte, ce qu’elle a respecté. Elle soutient que M. [V] [P] lui est donc redevable, en application de l’article 15.1 du contrat, d’un montant de 15 486,90 euros TTC correspondant à des honoraires de prestations réalisées selon l’échelonnement prévu à l’article 9.1 du contrat, ainsi qu’à une indemnité de résiliation anticipée égale à 25% des honoraires qui auraient été perçus si la mission avait été conduite à son terme.
M. [V] [P] reproche à la société Créative Bat d’avoir manqué à ses obligations contractuelles entraînant la résolution du contrat dans la mesure où il ne lui a pas été présenté de projet dans les limites budgétaires fixées, soit la somme de 300 000 euros TTC. Il soutient n’avoir signé la demande de permis de construire que pour faire avancer le projet, reproche à la société Créative Bat de ne pas l’avoir informé du fait que le chauffage au gaz ne pouvait se faire compte tenu de la nouvelle réglementation, que les délais d’exécution de la mission n’ont pas été respectés, et réclame sur ce point une pénalité de retard. Il conclut en outre au rejet de l’indemnité de résiliation dans la mesure où le contrat se trouve résilié en raison de la faute commise par la société Créative Bat.
Réponse de la cour :
Selon l’article 1153 du code civil : ‘Celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de l’obligation.’
En l’espèce, il ressort du dossier :
– que le contrat de maîtrise d’oeuvre prévoit en son article 5 que le montant de l’enveloppe financière prévisionnelle est fixé à 300 000 euros TTC hors acquisition de terrain et avec un taux de TVA de 20 %,
– que l’article 8.1 du contrat relatif aux études d’avant-projet mentionne que ‘sur la base du programme et de l’esquisse approuvée par le Maître d’ouvrage, le Maître d’oeuvre établit l’estimation définitive du coût prévisionnel des travaux’ selon un taux de tolérance de plus ou moins 10 % en euros constants,
– que l’estimatif de la construction N°2 du 13 décembre 2019 présente un projet à hauteur de 348 390 euros TTC pour une surface construite habitable de 170,35 m2,
– que l’estimatif N°3 du 20 mai 2020 fait mention d’un projet de 325 305 euros TTC pour une surface construite habitable de 146,05 m2, ainsi que des travaux non compris listés en page 10,
– que si l’estimatif N°3 n’est pas signé par M. [P], il ne conteste pas que la demande de permis de construire signée par lui le 25 juin 2020 pour une surface habitable de 149 m2 a été déposée sur sa base, qui mentionne notamment des honoraires de maîtrise d’oeuvre de 23 518,89 euros HT sur le taux de 9,50%,
– que le permis de construire a été délivré à M. [P] le 18 septembre 2020 pour une surface de plancher autorisée de 149 m2,
– que la facture d’honoraires de maîtrise d’oeuvre de la société Créative Bat du 21 octobre 2020 porte sur le dépôt du dossier de permis de construire, soit 15 % du forfait, ainsi que sur le permis de construire accepté correspondant à 10 % du forfait,
– que sur ce point, l’article 9 du contrat de maîtrise d’oeuvre prévoit que le montant forfaitaire de la rémunération est négocié sur la base d’une mission complète portant notamment sur l’avant-projet sommaire, le dépôt du dossier de permis de construire correspondant à 15 % du forfait et le permis de construire accepté correspondant à 10 % du forfait,
– que la facture du 21 octobre 2020 mentionne un estimatif d’honoraires de 23 465 euros calculés sur un prévisionnel de 247 000 euros HT à 9,5 %,
– que par courrier du 22 décembre 2020, M. [V] [P] a notifié la résilition du contrat de maîtrise d’oeuvre,
– que le retrait du permis de construire faisant suite à la demande formulée le 15 décembre 2021 par M. [V] [P] a été prononcé le 10 janvier 2022,
– que le manquement à la règlementation relative au système de chauffage avec chaudière à gaz reproché à la société Créative Bat n’est pas justifié, le permis de construire ayant été obtenu avant son entrée en vigueur,
– que M. [V] [P] ne justifie par aucune pièce ses affirmations selon lesquelles ‘le montant total avec tous les travaux’ s’élevait à 466 820,07 euros, et que les délais contractuels n’ont pas été respectés.
La réalité de la prestation de maîtrise d’oeuvre facturée par la société Créative Bat est donc établie et l’inexécution contractuelle invoquée par M. [V] [P] n’est pas démontrée.
Il sera en conséquence débouté de ses demandes formées au titre de la résolution du contrat et du retard dans son exécution.
Le calcul de la créance mise en compte par la société Créative Bat n’étant pas discuté dans son principe, il y a lieu en conséquence de faire droit à la demande et M. [V] [P] sera condamné au paiement de la somme de 15 486,90 euros TTC ainsi composée :
– des honoraires de maîtrise d’oeuvre correspondant aux prestations réalisées selon l’échelonnement prévu à l’article 9.1 du contrat, soit, pour un estimatif de travaux de 247 000 euros (9,5 % x 247 000 euros = 23 465 euros HT), une somme de 9 386 euros HT (15% au stade de la demande de permis de construire + 10 % à l’obtention du permis de construire + 15 % pour les plans d’exécution des ouvrages),
– d’une indemnité de résiliation anticipée égale à 25% des honoraires qui auraient été perçus si la
mission avait été conduite à son terme par application de l’article 15.1 du contrat applicable en cas de résiliation sur initiative du maître d’ouvrage non justifiée par un comportement fautif du maître d’oeuvre, soit la somme de 3 519,75 euros HT (25 % x (60% x 23 465 euros HT).
La capitalisation des intérêts sera en outre ordonnée, le jugement entrepris étant infirmé sur ces points.
III. Sur la demande de dommages et intérêts formée par la société Créative Bat
La société Créative Bat fait valoir que M. [V] fait preuve d’une résistance abusive constitutive d’un préjudice financier conséquent.
M. [V] [P] conclut au rejet de la demande en soutenant qu’elle est nouvelle et que les motifs qu’il invoque démontrent qu’il ne fait pas preuve de résistance abusive.
Réponse de la cour :
Contrairement à ce que M. [V] [P] affirme, il est constaté que la demande de dommages et intérêts dont s’agit avait déjà été formulée en première instance.
Elle n’est donc pas nouvelle, étant surabondamment observé sur ce point qu’il n’est pas conclu à son irrecevabilité.
Le jugement sera dès lors confirmé de ce chef, l’abus constitué par le refus par M. [V] [P] de régler la prestation n’étant pas caractérisé.
IV. Sur la demande d’interdiction d’utiliser les plans, documents écrits et graphiques
La société Créative Bat demande qu’il soit fait interdiction à M. [V] [P] d’utiliser l’ensemble des plans, documents écrits et graphiques fournis par elle jusqu’à complet paiement des sommes dues.
M. [V] [P] indique qu’ayant dû se résoudre à abandonner son projet, les plans conçus par la société Créative Bat ne lui sont d’aucune utilité.
Réponse de la cour :
Le contrat de maîtrise d’oeuvre ne comportant aucune disposition faisant interdiction au maître d’ouvrage de disposer des plans, documents écrits et graphiques jusqu’à complet règlement des sommes dues, la demande sera rejetée et le jugement confirmé sur ce point.
V. Sur la demande de dommages et intérêts au titre du préjudice moral
M. [V] [P] soutient subir un préjudice moral dans la mesure où son projet de construction n’a pas pu aboutir en raison des manquements contractuels de la société Créative Bat. Il explique qu’étant âgé de 70 ans, cela a été pour lui source de fatigue et de stress.
La société Créative Bat fait valoir que la preuve de la faute, du préjudice et du lien de causalité n’est pas rapportée, et rappelle que M. [V] [P] est le seul responsable du retrait du permis de construire et de la résiliation du contrat.
Réponse de la cour :
L’issue donnée au litige, notamment en l’absence de faute de la société Créative Bat, impose le rejet de la demande indemnitaire formée par M. [P] au titre d’un préjudice moral qui n’est en tous les cas pas démontré.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé de ce chef.
VI. Sur les dépens et sur l’article 700 du code de procédure civile
Le jugement déféré sera infirmé sur les dépens et sur les frais irrépétibles.
M. [V] [P] sera condamné aux dépens de première instance et d’appel.
Il sera en outre condamné à payer à la société Créative Bat la somme de 2 500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et à celle de 2 500 euros au titres des frais irrépétibles d’appel, et sera débouté de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFSLa cour, statuant contradictoirement, après débats en audience publique,
CONFIRME le jugement rendu le 9 novembre 2022 par le tribunal judiciaire de Lons le Saunier en ce qu’il a :
– débouté M. [V] [P] de sa demande au titre du préjudice moral,
– débouté la Sarl Créative Bat de sa demande de dommages et intérêts,
– débouté la Sarl Créative Bat de sa demande d’interdiction d’utiliser les plans, documents écrits et graphiques ;
L’INFIRME pour le surplus ;
STATUANT A NOUVEAU ET Y AJOUTANT
DIT que le contrat conclu le 13 décembre 2019 entre M. [V] [P] et la Sarl Créative Bat s’analyse en un contrat de maîtrise d »uvre ;
DIT que le contrat de maîtrise d »uvre conclu le 13 décembre 2019 est valable et oblige chacune des parties conformément à ses stipulations ;
DEBOUTE M. [V] [P] de sa demande de résolution du contrat ;
DEBOUTE M. [V] [P] de sa demande au titre des retards d’exécution ;
CONDAMNE M. [V] [P] à payer à la Sarl Créative Bat la somme de 15 486,90 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
ORDONNE la capitalisation des intérêts ;
CONDAMNE M. [V] [P] aux dépens de première instance et d’appel ;
CONDAMNE M. [V] [P] à payer à la Sarl Créative Bat la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles de première instance et la somme de 2 500 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles d’appel ;
DEBOUTE M. [V] [P] de sa demande sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Ledit arrêt a été signé par Michel Wachter, président de chambre, magistrat ayant participé au délibéré et Fabienne Arnoux, greffier.
Le greffier, Le président,